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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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Pendant ces préparatifs, Bonaparte visitait la ville et les forts, ordonnait de nouveaux travaux, prenait toutes les mesures civiles et militaires pour assurer la défense et la tranquillité de la ville, organisait un divan, et disposait tout pour que l'armée fût bientôt en état de rejoindre la division du général Desaix.

Deux routes conduisent d'Alexandrie au Caire; la première est celle qui passe par le désert, et Demenhour. Pour suivre l'autre, il faut gagner Rosette en côtoyant la mer, et traverser à une lieue d'Aboukir un détroit de deux cents toises de large qui joint le lac Madié à la mer; mais ce passage, auquel on n'était point préparé, eût nécessairement retardé la marche de l'armée.

Bonaparte avait fait équiper une petite flottille destinée à remonter le Nil. Cette flottille, commandée par le chef de division Pérée, et composée de plusieurs chaloupes canonnières et d'un chebeck, aurait été d'un grand secours pour l'armée. Si on avait pris la route de Rosette, elle eût porté les équipages et les vivres des troupes, et suivi tous leurs mouvemens; mais les Français n'avaient pas encore pris possession de Rosette, et en prenant le parti de suivre cette route, Bonaparte eût retardé de huit à dix jours la marche de l'armée sur le Caire. Il décide que l'armée s'avancera par le désert et par Demenhour. C'est cette route que la division Desaix avait reçu ordre de suivre.

Le général en chef s'était rendu maître d'Alexandrie le 17 messidor. Dès le lendemain, l'armée se mit en marche pour le Caire; et ce jour-là même le général Desaix arrivait à Demenhour, après avoir traversé quinze lieues de désert.

Bonaparte laisse en partant le commandement d'Alexandrie au général Kléber, qui avait été blessé au siége de cette ville. La division de ce général, commandée par le général Dugua, reçoit l'ordre de partir avec les hommes de troupes à cheval qui ne sont pas montés, de protéger l'entrée de la flottille française dans le Nil, de s'emparer de Rosette, d'y établir un divan provisoire, d'y laisser une garnison, de faire construire une batterie à Lisbé, de faire embarquer du riz sur la flottille, de suivre la route du Caire sur la rive gauche du Nil, et de faire toute diligence pour rejoindre l'armée. L'armée partit d'Alexandrie les 18 et 19 messidor avec son artillerie de campagne, un petit corps de cavalerie, si toutefois on peut donner ce nom à trois cents hommes montés sur des chevaux qui, épuisés par une traversée de deux mois, pouvaient à peine porter leurs cavaliers. L'artillerie, par la même raison, était mal attelée. Le 20 messidor, les divisions arrivent à Demenhour. Pendant toute la route elles avaient été harcelées par les Arabes, qui avaient comblé les puits de Beda et de Birket, de sorte que le soldat, brûlé par l'ardeur du soleil et en proie à une soif dévorante, ne pouvait trouver à se désaltérer. On fouille dans ces puits d'eau saumâtre, mais on n'en peut retirer qu'un peu d'eau bourbeuse: un verre d'eau se paie au poids de l'or.

L'armée d'Alexandre, dans une pareille extrémité, poussa des cris séditieux contre le vainqueur du monde; les Français accélèrent leur marche.

Les troupes, arrivées le 20 messidor à Demenhour, y séjournent le 21. Jamais les Arabes ne s'étaient montrés en aussi grand nombre. Ils harcèlent les grand'gardes, plusieurs actions s'engagent, et le général de brigade Mireur est blessé mortellement.

Le 22, au lever du soleil, l'armée se met en marche pour Rahmanié; le petit nombre de puits force les divisions de marcher à deux heures l'une de l'autre.

À neuf heures et demie du matin, les divisions Menou, Regnier et Bon avaient pris position. Le soldat découvre le Nil; il s'y précipite tout habillé et s'abreuve d'une eau délicieuse. Presque au même instant le tambour le rappelle à ses drapeaux. Un corps d'environ huit cents mameloucks s'avançait en ordre de bataille. On court aux armes. Les ennemis s'éloignent, se dirigent sur la route de Demenhour, où ils rencontrent la division Desaix: le feu de l'artillerie avertit qu'elle est attaquée. Bonaparte marche à l'instant contre les mameloucks; mais l'artillerie du général Desaix les avait déjà éloignés. Ils avaient pris la fuite, et s'étaient dispersés après avoir eu quarante hommes tués ou blessés. Parmentier, de la sixième demi-brigade, a été tué dans cette action, ainsi qu'un guide à cheval; dix fantassins ont été légèrement blessés.

Le soldat, épuisé par la marche et les privations, avait besoin de repos; les chevaux, faibles et harassés par les fatigues de la mer, en avaient plus besoin encore. Bonaparte prend le parti de séjourner à Rahmanié le 23 et le 24, et d'y attendre la flottille et la division Menou.

Ce général avait exécuté les ordres qu'il avait reçus. Il s'était emparé de Rosette sans obstacle. Il rejoint l'armée par des marches forcées, et annonce que la flottille était heureusement entrée dans le Nil, mais qu'elle remontait ce fleuve avec difficulté, les eaux étant encore basses. Elle arrive enfin dans la nuit du 24. Cette nuit même l'armée part pour Miniet-Salamé. Elle y couche; et le 25, avant le jour, elle est en marche pour livrer bataille à l'ennemi partout où elle pourra le rencontrer.

Les mameloucks, au nombre de quatre mille, étaient à une lieue plus loin. Leur droite était appuyée au village de Chebreisse, dans lequel ils avaient placé quelques pièces de canon, et au Nil, sur lequel ils avaient une flottille, composée de chaloupes canonnières et de djermes armées.

Bonaparte avait donné ordre à la flottille française de continuer sa marche, en se dirigeant de manière à pouvoir appuyer la gauche de l'armée sur le Nil, et attaquer la flotte ennemie au moment où l'on attaquerait les mameloucks et le village de Chebreisse: malheureusement la violence des vents ne permit pas de suivre en tout ces dispositions. La flottille dépasse la gauche de l'armée, gagne une lieue sur elle, se trouve en présence de l'ennemi, et se voit obligée d'engager un combat d'autant plus inégal, qu'elle avait à la fois à soutenir le feu des mameloucks, et à se défendre contre la flottille ennemie.

Les fellâhs, conduits par les mameloucks, se jettent, les uns à l'eau, les autres dans des djermes, et parviennent à prendre à l'abordage une galère et une chaloupe canonnière. Le chef de division Pérée dispose aussitôt ce qui lui reste de monde, fait attaquer à son tour, et parvient à reprendre la chaloupe canonnière et la galère. Son chebeck, qui vomit de tous côtés le feu et la mort, protége la reprise de ces bâtimens, et brûle les chaloupes canonnières de l'ennemi. Il est puissamment secondé dans ce combat inégal et glorieux par l'intrépidité et le sang-froid du général Andréossy, et par les citoyens Monge, Berthollet, Junot, Payeur et Bourrienne, secrétaire du général en chef, qui se trouvent à bord du chebeck.

Cependant le bruit du canon avait fait connaître au général en chef que la flottille était engagée; il fait marcher l'armée au pas de charge, elle s'approche de Chebreisse et aperçoit les mameloucks rangés en bataille en avant de ce village. Bonaparte reconnaît la position et forme l'armée. Elle est composée de cinq divisions, chaque division forme un carré qui présente à chaque face six hommes de hauteur; l'artillerie est placée aux angles; au centre sont les équipages et la cavalerie. Les grenadiers de chaque carré forment des pelotons qui flanquent les divisions, et sont destinés à renforcer les points d'attaque.

Les sapeurs, les dépôts d'artillerie prennent position et se barricadent dans deux villages en arrière, afin de servir de point de retraite en cas d'événement.

L'armée n'était plus qu'à une demi-lieue des mameloucks. Tout à coup ils s'ébranlent par masses, sans aucun ordre de formation, et caracolent sur les flancs et les derrières; d'autres masses fondent avec impétuosité sur la droite et le front de l'armée. On les laisse approcher jusqu'à la portée de la mitraille. Aussitôt l'artillerie se démasque et son feu les met en fuite. Quelques pelotons des plus braves fondent avec intrépidité le sabre à la main sur les flanqueurs. On les attend de pied ferme, et presque tous sont tués, ou par le feu de la mousqueterie, ou par la baïonnette.

Animée par ce premier succès, l'armée s'ébranle au pas de charge, et marche sur le village de Chebreisse, que l'aile droite a l'ordre de déborder. Ce village est emporté après une très faible résistance. La déroute des mameloucks est complète; ils fuient en désordre vers le Caire. Leur flottille prend également la fuite, en remontant le Nil, et termine ainsi un combat qui durait depuis deux heures avec le même acharnement. C'est surtout à la valeur des hommes de troupes à cheval embarqués sur la flottille qu'est due la gloire de cette journée. La perte de l'ennemi a été de plus de six cents hommes, tant tués que blessés: celle des Français d'environ soixante-dix.

Aussitôt après l'action, Bonaparte ordonne au général de brigade Zayoncheck de débarquer avec les hommes de troupes à cheval au nombre d'environ quinze cents, et de suivre la rive droite du Nil à la hauteur de la marche de l'armée qui s'avance sur la rive gauche.

L'armée couche à Chebreisse, et le 26 à Chabour. Le 27, elle couche à Qom-el-Cheriq; elle était sans cesse harcelée dans sa marche par les Arabes. L'on ne pouvait s'éloigner à la portée du canon sans tomber dans quelque embuscade. Ces barbares assassinaient et pillaient s'ils étaient les plus nombreux; ils prenaient la fuite, s'ils étaient en nombre égal, et s'il fallait combattre.

L'adjoint aux adjudans-généraux Gallois, officier distingué, est tué en portant un ordre du général en chef. L'adjudant Denano tombe entre leurs mains. Ils le conduisent à leur camp, et cet intéressant jeune homme, meurt assassiné. Toute communication est interceptée à trois cents toises derrière l'armée. On ne peut faire parvenir aucune nouvelle à Alexandrie; on n'en reçoit aucune de cette ville.

 

Tous les villages où l'armée arrive sont abandonnés. Elle n'y trouve plus ni hommes ni bestiaux; elle couche sur des tas de blé et elle est sans pain. Elle manque également de viande et ne subsiste qu'avec des lentilles ou de mauvaises galettes que le soldat fait lui-même en écrasant du blé. Elle continue sa marche vers le Caire, couche le 28 à Alcan, le 29 à Abounichabé, le 30 à Ouardan où elle séjourne. Le 1er thermidor, elle se rend à Omm-el-Dinar. Le général Zayoncheck prend position à la pointe du Delta, où le Nil se partage en deux branches, celle de Damiette et celle de Rosette.

Bonaparte, informé que Mourâd-Bey, à la tête de six mille mameloucks et d'une foule d'Arabes et de fellâhs, est retranché au village d'Embabé, à la hauteur du Caire, vis-à-vis Boulac, et qu'il attend les Français pour les combattre, s'empresse d'aller lui présenter bataille.

Le 2 thermidor, à deux heures du matin, l'armée part d'Omm-el-Dinar. Au point du jour, la division Desaix, qui formait l'avant-garde, a connaissance d'un corps d'environ six cents mameloucks et d'un grand nombre d'Arabes qui se replient aussitôt. À deux heures après midi, l'armée arrive aux villages d'Ébrerach et de Boutis. Elle n'était plus qu'à trois quarts de lieue d'Embabé, et apercevait de loin le corps de mameloucks qui se trouvait dans le village. La chaleur était brûlante, le soldat extrêmement fatigué. Bonaparte fait faire halte; mais les mameloucks n'ont pas plus tôt aperçu l'armée, qu'ils se forment en avant de sa droite dans la plaine. Un spectacle aussi imposant n'avait point encore frappé les regards des Français. La cavalerie des mameloucks était couverte d'armes étincelantes. On voyait en arrière de sa gauche ces fameuses pyramides dont la masse indestructible a survécu à tant d'empires, et brave depuis trente siècles les outrages du temps. Derrière sa droite étaient le Nil, le Caire, le Mokattam et les champs de l'antique Memphis.

Mille souvenirs se réveillent à la vue de ces plaines où le sort des armes a tant de fois changé la destinée des empires. L'armée, impatiente d'en venir aux mains, est aussitôt rangée en ordre de bataille. Les dispositions sont les mêmes qu'au combat de Chebreisse. La ligne, formée dans l'ordre par échelons et par divisions qui se flanquent, refusait sa gauche. Bonaparte ordonne à la ligne de s'ébranler; mais les mameloucks, qui jusqu'alors avaient paru indécis, préviennent l'exécution de ce mouvement, menacent le centre, et se précipitent avec impétuosité sur les divisions Desaix et Regnier, qui formaient la droite. Ils chargent intrépidement les colonnes qui, fermes et immobiles, ne font usage de leur feu qu'à demi-portée de la mitraille et de la mousqueterie; la valeur téméraire des mameloucks essaie en vain de renverser ces murailles de feu, ces remparts de baïonnettes; leurs rangs sont éclaircis par le grand nombre de morts et de blessés qui tombent sur le champ de bataille; et bientôt ils s'éloignent en désordre sans oser entreprendre une nouvelle charge.

Pendant que les divisions Desaix et Regnier repoussaient avec tant de succès la cavalerie des mameloucks, les divisions Bon et Menou, soutenues par la division Kléber, commandée par le général Dugua, marchaient au pas de charge sur le village retranché d'Embabé. Deux bataillons des divisions Bon et Menou, commandés par les généraux Rampon et Marmont, sont détachés, avec ordre de tourner le village, et de profiter d'un fossé profond pour se mettre à couvert de la cavalerie de l'ennemi, et lui dérober leurs mouvemens jusqu'au Nil.

Les divisions, précédées de leurs flanqueurs, continuent de s'avancer au pas de charge. Les mameloucks attaquent sans succès les pelotons des flanqueurs; ils démasquent et font jouer quarante mauvaises pièces d'artillerie. Les divisions se précipitent alors avec plus d'impétuosité, et ne laissent pas à l'ennemi le temps de recharger ses canons. Les retranchements sont enlevés à la baïonnette; le camp et le village d'Embabé sont au pouvoir des Français. Quinze cents mameloucks à cheval et autant de fellâhs, auxquels les généraux Marmont et Rampon ont coupé toute retraite en tournant Embabé, et prenant une position retranchée derrière un fossé qui joignait le Nil, font en vain des prodiges de valeur; aucun d'eux ne veut se rendre, aucun d'eux n'échappe à la fureur du soldat; ils sont tous passés au fil de l'épée ou noyés dans le Nil. Quarante pièces de canon, quatre cents chameaux, les bagages et les vivres de l'ennemi tombent entre les mains du vainqueur.

Mourâd-Bey, voyant le village d'Embabé emporté, ne songe plus qu'aux moyens d'assurer sa retraite. Déjà les divisions Desaix et Regnier avaient forcé sa cavalerie de se replier: l'armée, quoiqu'elle marchât depuis deux heures du matin et qu'il fût six heures du soir, le poursuit encore jusqu'à Gisëh. Il n'y avait plus de salut pour lui que dans une prompte fuite; il en donne le signal, et l'armée prend position à Gisëh, après dix-neuf heures de marche ou de combats.

Jamais victoire aussi importante ne coûta moins de sang aux Français: ils n'eurent à regretter dans cette journée que dix hommes tués et environ trente blessés. Jamais avantage ne fit mieux sentir la supériorité de la tactique moderne des Européens sur celle des Orientaux, du courage discipliné sur la valeur désordonnée.

Les mameloucks étaient montés sur de superbes chevaux arabes richement harnachés; ils portaient les plus brillantes armures; leurs bourses étaient pleines d'or, et leurs dépouilles dédommagèrent le soldat des fatigues excessives qu'il venait de supporter. Il y avait quinze jours qu'il n'avait pour toute nourriture qu'un peu de légumes sans pain; les vivres trouvés dans le camp des ennemis lui firent faire un repas délicieux.

La division Desaix a ordre de prendre position en avant de Gisëh sur la route de Fayoum. La division Menou passe pendant la nuit une branche du Nil, et s'empare de l'île de Roda. L'ennemi, dans sa fuite, brûlait tous les bâtiments qui ne pouvaient remonter le Nil. Toute la rive était en feu.

Le lendemain matin, 4 thermidor, les grands du Caire se présentent sur le Nil, offrant de remettre la ville au pouvoir des Français. Ils étaient accompagnés du kyàyà du pacha. Ibrahim-Bey, qui avait abandonné le Caire pendant la nuit, avait emmené le pacha avec lui. Bonaparte les reçoit à Gisëh; ils demandent protection pour la ville et protestent de sa soumission. Bonaparte leur répond que le désir des Français est de rester les amis du peuple égyptien et de la Porte ottomane, que les mœurs, les usages et la religion du pays seront scrupuleusement respectés. Ils retournent au Caire, accompagnés d'un détachement commandé par un officier français. Le peuple avait profité de la défaite et de la fuite des mameloucks pour se porter à quelques excès; la maison de Mourâd-Bey avait été pillée et brûlée; mais les chefs font des proclamations, la force armée paraît, et l'ordre se rétablit.

Le 7 thermidor, Bonaparte porte son quartier-général au Caire. Les divisions Regnier et Menou prennent position au Vieux-Caire; les divisions Bon et Kléber à Boulac; un corps d'observation est placé sur la route de Syrie, et la division Desaix reçoit l'ordre de prendre une position retranchée, à trois lieues en avant d'Embabé, sur la route de la Haute-Égypte.

COMBAT DE SALÊHIËH. – IBRAHIM-BEY EST CHASSÉ DE L'ÉGYPTE

Au moment où les Français étaient entrés au Caire, l'armée des mameloucks s'était séparée en deux corps; l'un, commandé par Mourâd-Bey, suivait la route de la Haute-Égypte; l'autre, sous les ordres d'Ibrahim-Bey, avait pris la route de Syrie. C'était entre ces deux beys que l'autorité de l'Égypte était partagée. Mourâd-Bey était à la tête du militaire, Ibrahim-Bey dirigeait la partie administrative.

Desaix, chargé de poursuivre le premier et de le tenir en échec, établit un camp retranché à quatre lieues en avant de Gisëh, sur la rive gauche du Nil. Ses avant-postes et ceux de Mourâd-Bey étaient en présence les uns des autres.

Ibrahim-Bey s'était retiré à Belbéis, où il attendait le retour de la caravane de la Mecque; son intention était de profiter du renfort des mameloucks qui escortaient cette caravane, pour exécuter un plan d'attaque combiné avec Mourâd-Bey et les Arabes. Il mettait provisoirement tout en œuvre pour soulever les fellâhs du Delta, et pousser les habitans du Caire à la révolte.

L'armée avait beaucoup souffert de la marche, des chaleurs excessives, de la mauvaise nourriture; elle avait besoin de repos avant de se mettre à la poursuite des mameloucks et de les chasser entièrement de l'Égypte. Bonaparte sentait d'ailleurs la nécessité d'organiser un gouvernement provisoire pour la capitale et le reste du pays, d'assurer la subsistance du peuple et de l'armée, d'organiser tous les services, et de se mettre, par des positions retranchées, à l'abri de toute surprise, soit de la part des mameloucks, soit de la part des habitans.

Cependant, comme le voisinage d'Ibrahim-Bey était le plus dangereux, le général de brigade Leclerc reçut l'ordre de partir du Caire le 15 thermidor, avec trois cents hommes de cavalerie, trois compagnies de grenadiers, un bataillon et deux pièces d'artillerie légère, d'aller prendre position à El-Hanka, et d'observer Ibrahim-Bey.

Le 16, il est attaqué par quatre mille mameloucks et Arabes, que plusieurs décharges d'artillerie mettent en fuite.

La tranquillité du pays tenait à l'éloignement des mameloucks, et surtout à celui d'Ibrahim-Bey. Bonaparte s'empresse donc de pourvoir aux besoins les plus urgents, d'établir les bases les plus essentielles de la nouvelle administration, et se dispose à marcher contre Ibrahim-Bey en personne. Il laisse au Caire la division Bon, et les hommes des autres divisions qui ont encore besoin de repos.

Le 20 thermidor, l'armée, composée des trois divisions Bon, Regnier et Menou, part du Caire pour joindre Ibrahim-Bey, lui livrer bataille, détruire son corps et le chasser de l'Égypte; elle se réunit à l'avant-garde du général Leclerc, et couche le 22 à Belbéis. Ibrahim-Bey n'avait pas cru prudent de l'attendre, et fuyait vers Salêhiëh.

L'armée était à quelques lieues de ce village, lorsqu'on aperçut dans le désert une caravane escortée par une troupe d'Arabes. La cavalerie se porte aussitôt en avant, met les Arabes en fuite et arrête la caravane: c'était celle de la Mecque. La plus grande partie de ceux qui la composaient s'étaient réunis à Ibrahim-Bey, qui emmenait avec lui une foule de marchands avec leurs marchandises: il avait consenti que le reste prît la route du Caire sous l'escorte de quelques Arabes payés par les marchands; mais à peine cette portion de la caravane avait-elle été abandonnée par les mameloucks, que les Arabes, qui devaient l'escorter et la protéger, pillèrent eux-mêmes toutes les marchandises, sous prétexte que les marchands ne pouvaient éviter d'être pillés par les Français. Il ne restait plus sous leur conduite qu'environ six cents chameaux, chargés d'hommes, de femmes et d'enfants, que Bonaparte fit conduire au Caire sous une escorte de troupes françaises.

Dans presque tous les villages que l'armée traverse, on rencontre des individus qui faisaient partie de la caravane et avaient pris la fuite; Bonaparte les rassure, leur promet, sûreté et protection; et pour leur prouver que les promesses des Français ne ressemblent en rien à celles des Arabes, à peine est-il arrivé au village arabe de Goreid, qu'il fait arrêter le cheik, et le met en présence d'un des principaux marchands avec lesquels il avait traité de l'escorte qui les avait pillés. Le cheik, menacé d'être fusillé, retrouve à l'instant la plus grande partie des objets volés, et restitue aux marchands leurs femmes et leurs esclaves.

L'armée continuait sa marche à grandes journées pour atteindre Ibrahim-Bey. Le 24, à quatre heures de l'après-midi, l'avant-garde, composée d'environ trois cents hommes de cavalerie, arrive en vue de Salêhiëh. Au moment où la tête de l'avant-garde entrait dans le village, Ibrahim-Bey surpris fuyait à la hâte, couvrant son arrière-garde d'environ mille mameloucks.

L'infanterie française était encore à une lieue et demie de distance; les chevaux étaient harassés de fatigue, des nuées d'Arabes couvraient la plaine, attendant l'issue du combat pour tomber sur les vaincus. La seule arrière-garde d'Ibrahim-Bey était trois fois plus nombreuse que l'avant-garde des Français. Malgré l'infériorité du nombre, Bonaparte, à la tête de cette avant-garde, poursuit Ibrahim dans le désert. Deux cents braves, tant du 7e régiment de hussards, que du 22e de chasseurs, et des guides à cheval, fondent avec impétuosité sur l'arrière-garde des mameloucks, et s'ouvrent un passage à travers les rangs; mais ce succès même augmente les dangers, ils se trouvent au milieu d'une masse cinq fois plus nombreuse qu'eux. La valeur supplée au nombre; ils combattent comme des lions et en désespérés; les mameloucks, sans cesse repoussés, ne combattent plus qu'en s'éloignant et pour protéger leur retraite. Ils abandonnent dans leur fuite deux mauvaises pièces de canon et quelques chameaux. Mais Ibrahim-Bey parvient à sauver avec lui ses équipages, dans lesquels étaient ses femmes, celles de ses mameloucks, ses trésors et les plus riches marchandises de la caravane. Il avait disparu, quand l'infanterie française arriva au village de Salêhiëh, où elle prit position. Ibrahim continua de fuir vers la Syrie; il avait pour neuf jours de route, à travers le désert, avant d'y être rendu.

 

Cet avantage a coûté à la république une vingtaine de braves tués dans les rangs ennemis. Parmi les officiers qui ont chargé à la tête de la cavalerie, et soutenu par leur exemple la valeur du soldat, le chef de brigade Destrées, qui a reçu plusieurs blessures graves, l'adjudant-général Leturq, le chef de brigade Lassalle, les aides-de-camp Duroc et Sulkousky, l'adjudant Arrighi, méritent d'être distingués.

Bonaparte détermine avec le général Caffarelli, commandant le génie, les fortifications nécessaires à la défense de Salêhiëh et de Belbéis. La division Dugua reçoit ordre de se porter sur Damiette, pour en prendre possession et soumettre le Delta. La division Regnier reste en position à Salêhiëh, pour soumettre la province de Charkié, et Bonaparte reprend avec le reste des troupes le chemin du Caire, où il arrive le 27. Il reçoit sur la route la nouvelle et les détails du combat naval d'Aboukir.

L'Égypte, pour être entièrement affranchie du despotisme des mameloucks, n'offrait plus d'ennemi à combattre que Mourâd-Bey. Le général Desaix reçoit l'ordre de se mettre en mouvement pour le poursuivre. Les provinces de l'Égypte sont commandées par des généraux français; les autorités civiles y sont organisées, et y remplacent le gouvernement monstrueux qui la tyrannisait. Déjà Bonaparte peut réaliser une partie de ses promesses, et prouver au pays qu'il vient de soumettre, que les Français n'avaient en effet d'autres ennemis que ses oppresseurs, d'autre ambition que celle d'être ses libérateurs.

L'ARMÉE MARCHE EN SYRIE. – AFFAIRE DE ÈL-A'RYCH. – BATAILLE DU MONT THABOR. – PRISE DE GHAZAH ET DE JAFFA

La conduite politique et militaire de Bonaparte depuis son entrée en Égypte avait pour but de rendre à la civilisation et à leur antique splendeur ces contrées jadis si florissantes. Mais en même temps qu'il travaillait à l'affranchissement des peuples, et à l'expulsion de leurs tyrans, il n'avait négligé aucune occasion de convaincre la Porte du désir qu'avait la république française de conserver l'amitié qui subsistait entre les deux puissances. La cour ottomane avait de justes sujets de plaintes contre les beys d'Égypte, dont les révoltes et les usurpations ne lui avaient laissé qu'une ombre de souveraineté dans cette province. Les Français eux-mêmes en avaient reçu de fréquents outrages. Punir les usurpateurs, c'était donc venger à la fois la France, la Porte ottomane et l'Égypte.

Les établissements de commerce que Bonaparte voulait former, devaient enrichir les habitans, faire de l'Égypte l'entrepôt du commerce de l'Europe et de l'Asie, augmenter les revenus du grand-seigneur, devenir pour la France et les puissances méridionales une source de prospérité, et ruiner dans l'Inde le commerce des Anglais, contre lesquels cette expédition était plus particulièrement dirigée.

La Porte, une fois éclairée sur le but de l'entrée des Français en Égypte, et sur leurs projets ultérieurs, ne pouvait voir qu'avec plaisir une expédition qui devait lui être si avantageuse. Dans cette conviction, Bonaparte n'avait cessé de se conduire avec la Porte ottomane comme envers l'amie et l'alliée fidèle de la France.

À la prise de Malte, il avait trouvé dans les cachots de l'ordre un grand nombre d'esclaves turcs; ils furent aussitôt mis en liberté, et renvoyés à Constantinople.

Depuis l'entrée des Français en Égypte, les agens de la Porte étaient respectés; le pavillon turc flottait avec le pavillon français. Une caravelle turque se trouvait dans le port d'Alexandrie, ainsi que quelques bâtimens de commerce. Bonaparte assure le capitaine de la protection et de l'amitié des Français. Cette caravelle reçoit un ordre du grand-seigneur de quitter Alexandrie pour se rendre à Constantinople; c'était l'époque où tous les bâtimens turcs ont coutume de quitter l'Égypte. Bonaparte, après avoir fait accepter un présent au capitaine de la caravelle, le chargea de prendre à son bord le citoyen Beauchamp, porteur de dépêches pour la Porte ottomane.

Cet envoyé était chargé de protester de nouveau des dispositions pacifiques et amicales du gouvernement français envers le grand-seigneur; de faire connaître à la Porte les sujets de mécontentement que Bonaparte avait contre Ahmed-Djezzar, pacha d'Acre, et de déclarer que le châtiment qu'il lui réservait, s'il continuait à se mal conduire, ne devait donner aucun ombrage, aucune inquiétude à l'empire ottoman. Ce pacha, que ses cruautés avaient fait nommer Djezzar (le boucher), était regardé comme un monstre de férocité par les barbares les plus sanguinaires d'Orient.

Ibrahim-Bey, après l'affaire de Salêhiëh, s'était retiré avec mille mameloucks et ses trésors vers Ghazah: il avait reçu de Djezzar le plus favorable accueil. Non seulement ce pacha continuait d'accorder asile et protection aux mameloucks, il menaçait encore les frontières de l'Égypte par des dispositions hostiles. Bonaparte, qui voulait éviter de donner le moindre ombrage à la Porte, dépêcha par mer à Djezzar un officier chargé d'une lettre dans laquelle il assurait le pacha que les Français désiraient conserver l'amitié du grand-seigneur, et vivre en paix avec lui; mais il exigeait que Djezzar éloignât Ibrahim-Bey et ses mameloucks, et ne leur accordât aucun secours.

Le pacha n'avait fait aucune réponse à Bonaparte, il avait renvoyé l'officier avec arrogance; les Français étaient mis aux fers à Saint-Jean-d'Acre.

L'armée ne recevait aucune nouvelle d'Europe. Depuis le funeste combat d'Aboukir, les ports de l'Égypte étaient bloqués par les Anglais. Bonaparte n'avait aucun renseignement officiel sur les résultats de la négociation que le directoire avait dû entamer avec la Porte ottomane, relativement à l'expédition d'Égypte; mais tous les rapports de l'intérieur annonçaient que le ministère anglais avait su profiter de la victoire d'Aboukir pour entraîner la Porte dans son alliance et celle de la Russie contre la république française. Bonaparte jugea que, si la Porte cédait aux suggestions de ses ennemis naturels, il y aurait une opération combinée contre l'Égypte, et qu'il serait attaqué par mer et par la Syrie. Il n'y avait pas un moment à perdre pour prendre un parti; Bonaparte se décide.

Marcher en Syrie, châtier Djezzar, détruire les préparatifs de l'expédition contre l'Égypte, dans le cas où la Porte se serait unie aux ennemis de la France; lui rendre, au contraire, la nomination du pacha de Syrie, et son autorité primitive dans cette province, si elle restait l'amie de la république; revenir en Égypte aussitôt après pour battre l'expédition par mer; expédition qui, vu les obstacles qu'opposait la saison, ne pouvait avoir lieu avant le mois de messidor; tel est le plan auquel Bonaparte s'arrête, et qu'il va exécuter.