Za darmo

Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

L'alternative parut gratuite à plusieurs membres du conseil; Davoust la combattit vivement, et démontra combien elle était peu fondée. Mais Kléber l'interrompit avec aigreur, lui prodigua les expressions les plus dures, et s'oublia au point d'attaquer son courage. Cette scène outrageante termina la discussion. Le parti du général en chef était pris, l'opposition inutile, chacun adhéra à une résolution qu'il ne pouvait empêcher. Desaix reçut en conséquence l'ordre qu'il demandait, et l'évacuation fut consentie. Sidney, dont la médiation avait eu une influence si fatale sur les négociations, délivra, en sa qualité de ministre plénipotentiaire près la Sublime Porte, les passe-ports nécessaires à la sécurité du retour qu'avait garanti le visir. Tout était dès-lors consommé. Il ne s'agissait plus que de procéder à la remise graduelle des forts, des provinces, qu'on avait stipulée, et d'attendre, pour évacuer le Caire, que les moyens de transport convenus fussent rassemblés.

Mais l'improbation qui s'était manifestée au conseil n'avait pas tardé à retentir au-dehors. Ceux même qui s'étaient montrés les plus impatiens de revoir la France, repoussaient la transaction qui leur ouvrait la mer. Ils la trouvaient honteuse, et lui assignaient des motifs plus honteux encore. Ils accusaient le général en chef d'avoir perdu le fruit de leurs travaux; ils le blâmaient d'avoir cédé, d'un trait de plume, une colonie dont la possession leur avait coûté tant de sang. Bientôt même la troupe ne s'en tint pas à ces plaintes. La douleur la rendit injuste; elle ne craignit pas de parler de trafic, de spéculations, et reprocha durement à Kléber les hommes auxquels il s'était livré. Pour comble d'ennuis, le général, qui savait déjà l'arrivée de Bonaparte en France, et l'enthousiasme avec lequel il avait été accueilli, n'avait pas signé la cession de l'Égypte, qu'il apprit la promotion au consulat. Placé dès-lors entre les justes griefs d'un chef qu'il avait cruellement offensé, et les murmures d'une armée qui voulait bien se plaindre, mais non pas être blessée dans sa gloire, il reprit tristement le chemin du Caire. Inquiet, soucieux, il faisait de cruels réflexions sur l'inconstance des hommes, accusait Lanusse, qui avait éludé la part de responsabilité qu'il voulait lui imposer; et, s'adressant à Dugua, qui avait franchement persisté dans l'opinion qu'il avait d'abord émise, il lui mandait «que si la raison, la justice présidaient au jugement que l'on porterait de sa conduite, il ne pouvait s'attendre qu'à être approuvé. Si, au contraire, c'était l'animosité, la sottise, la vengeance, quelque chose qu'il eût faite, quelque parti qu'il eût pris, il n'en aurait pas moins été blâmé. Dans cette alternative, il aimait mieux l'être en sauvant les débris d'une armée, qu'en les abandonnant à une perte infaillible quelques instans plus tard. Au reste, il s'était aperçu qu'il n'avait contre lui que des hommes faibles et lâches, ou des esprits biscornus, qui eussent tremblé à la vue du danger.» Il ne soupçonnait pas, en tenant ce langage, que lui-même en ferait justice quelques mois plus tard. Il était loin de prévoir avec quel éclat il laverait sur le champ de bataille les fautes du cabinet.

Pendant, en effet, qu'il mettait une sorte d'ostentation à remplir les conditions qu'il avait souscrites, les Anglais ne songeaient qu'à violer le traité conclu sous leur médiation. Ils avaient intercepté la dépêche que Kléber avait adressée au Directoire après le départ de Bonaparte, et avaient adopté toutes les notions qu'elle renfermait. Ils avaient aussi reçu d'ailleurs une foule de documens sur l'Égypte, et s'étaient persuadés que l'armée était hors d'état de résister à une attaque. Quelques rapports, partis du Tigre, paraissent également n'avoir pas peu contribué à accréditer cette opinion. Quoi qu'il en soit, les Anglais, dont Smith avait déclaré que la politique était de sacrifier invariablement à l'équité, jugèrent que, si l'armée d'Orient était hors d'état de faire valoir le traité, le traité était nul, et qu'elle-même devait être prisonnière. Deux frégates, chargées de cette étrange résolution, arrivèrent d'Europe devant Alexandrie, le 19 février 1800. Des demi-mots, échappés aux commandans, mirent Lanusse sur la voie. Il expédia un courrier au Général en chef qui pressait l'évacuation du Caire, et avait déjà rendu Salêhiëh, Damiette, Lesbëh, Mansoura, et désarmé la plupart des forts. Tout fut aussitôt suspendu; on arrêta les convois qui descendaient le Nil; on rappela les corps; on prit toutes les mesures que suggérait la prudence. Pendant que Kléber réparait ainsi les fautes auxquelles sa bonne foi l'avait entraîné, les frégates faisaient voile pour l'île de Chypre, où se trouvait Sidney. À en juger par la date, le commodore ne perdit pas de temps. Il mit aussitôt la plume à la main, et adressa au Général en chef la dépêche qui suit:

Le commodore Sidney Smith au général en chef Kléber
À bord du Tigre, à Chypre, 21 février 1800.

Monsieur le Général,

«Je reçois à l'instant la lettre ci-incluse à votre adresse. Elle est accompagnée d'ordres qui m'auraient empêché d'acquiescer à la conclusion d'une convention entre Son Altesse le grand-visir et vous, autrement que sous les conditions y énoncées, si je les avais reçus à temps. Maintenant que cette convention a eu lieu d'un commun accord, selon notre traité d'alliance avec la Porte, pendant que nous ignorions cette restriction, je ne conçois pas la possibilité de son infraction. En même temps je dois vous avouer que la chose ne me paraît pas assez claire pour que je puisse vous la garantir autrement que par ma détermination de soutenir ce qui a été fait, en tant que cela dépend de moi. Je suis au désespoir que ces lettres aient été tellement retardées en route. Si vous n'aviez rien évacué, il n'y aurait pas de mal que les choses restassent comme elles étaient au commencement des conférences, jusqu'à l'arrivée des instructions conformes aux circonstances. Il est à observer que ces dépêches sont d'ancienne date (1er janvier), écrites d'après des ordres venus de Londres au vice-amiral lord Keith, en date du 15 au 17 décembre, évidemment dictées par l'idée que vous traitiez séparément avec les Turcs, et pour empêcher l'exécution de toute mesure contraire à notre traité d'alliance. Mais maintenant qu'on est mieux instruit, et que la convention est réellement ratifiée, je ne doute pas que la restriction ne soit levée avant l'arrivée des transports. Je juge de votre embarras, monsieur le Général, par le mien; peut-être avec la bonne foi qui vous caractérise, pourrions-nous aplanir des difficultés insurmontables. Je m'empresse de me rendre devant Alexandrie pour y rencontrer votre réponse. Vous voyez, monsieur le Général, que je m'en rapporte encore une fois à votre libéralité sur cette question vraiment difficile, certain qu'en tout cas vous me ferez la justice de croire à la loyauté de mes intentions.

«J'ai l'honneur d'être, avec une considération distinguée et une parfaite estime,

«Votre très humble serviteur,

«Signé Sidney Smith.»

Cette lettre était assez curieuse; car enfin, si ces ordres étaient précis, la bonne foi, ni les conférences ne pouvaient les éluder. Que voulait donc Sidney? Quel but secret se proposait-il? Du reste, Kléber était toujours sous le charme. Il se plaignait de la faiblesse du commodore, mais ne doutait pas de sa loyauté. Lanusse était moins confiant. «Pour faible, à la bonne heure, répondait-il au général en chef: de bonne foi! je n'en suis pas sûr.» Poussielgue n'augurait pas mieux; néanmoins, des représentations étaient bonnes à faire; il résolut de les hasarder. Sidney, tout en regrettant que la convention n'eût pas la sanction de l'amirauté, ne se refusa pas à développer les motifs qu'elle avait de ne la pas donner. L'armée d'Orient ne comptait que des hommes éprouvés; la dépêche de Kléber avait dévoilé sa détresse, le gouvernement pouvait l'avoir à discrétion; il n'était pas assez simple pour remettre dans les mains de Bonaparte ses troupes par excellence. La résolution était avouée, les motifs parfaitement déduits; c'était désormais à la fortune à décider.

PIÈCES JUSTIFICATIVES

(№ 1.)

À bord du Tigre, 14 nivôse an VIII (4 janvier 1800).
Le Général de division Desaix, et le citoyen Poussielgue, contrôleur des dépenses de l'armée, et administrateur des finances, au général en chef Kléber

Citoyen Général,

Nous vous envoyons copie de la note que nous avons remise à M. le commodore Sidney Smith, le 8 de ce mois, et des pièces par lesquelles il a répondu.

Vous remarquerez que les quatre articles de notre note renferment implicitement le fond des instructions que vous nous avez données, puisque le développement de chacun de ces articles reçoit les diverses applications qui doivent conduire à votre but.

Nous voulions voir comment cette ouverture serait reçue, avant de hasarder une explication plus positive, qui pouvait entraîner une rupture. M. Smith n'a pas manqué de nous demander quelques éclaircissemens, et nous les lui avons promis, en lui observant généralement que nous donnerions successivement à nos articles tous les développemens dont ils auraient besoin.

D'après sa réponse, nous avons aujourd'hui abordé franchement la question avant qu'il pût communiquer au grand-visir des espérances qu'il faudrait ensuite démentir. Déjà, dans nos fréquens entretiens, nous avons mis M. Smith à portée de mesurer l'étendue de nos prétentions, et il doit être préparé à les entendre sans aigreur. Vous trouverez ci-joint notre dernière note.

Vous serez étonné que notre mission soit aussi peu avancée; mais sur les quatorze jours, nous n'en avons pas passé deux sans avoir du gros temps qui nous rendait tous malades et hors d'état de nous occuper convenablement d'affaires sérieuses.

 

Salut et respect,

Desaix, Poussielgue.

(№ 2.)

15 nivôse an VIII (5 janvier 1800).

La note remise hier par messieurs les commissaires français contenant des propositions d'une étendue qui exigerait une discussion entre les ministres plénipotentiaires de tous les gouvernemens respectifs avant de pouvoir les admettre; de plus, la ratification avant de pouvoir exécuter les conditions, et monsieur l'agent de Russie, au camp impérial ottoman, n'étant pas muni de pleins pouvoirs de son gouvernement, non plus que messieurs les commissaires français du leur: le soussigné ne voit pas la possibilité de faire un arrangement définitif sur cette base dans le camp ottoman. Il s'empressera cependant de mettre les papiers de messieurs les commissaires français sous les yeux de son altesse le suprême visir. Quant au soussigné, il ne peut donner d'autre conseil à Son Altesse que celui qu'il a développé dans le projet qui leur a été communiqué, et il manquerait à la franchise qu'il a promise au général en chef Kléber, et à messieurs les commissaires, s'il leur cachait que son devoir le portera à avertir Son Altesse du danger qui doit nécessairement résulter pour l'empire ottoman, si un intérêt local et immédiat l'inclinait à écouter favorablement une proposition tendant directement à rompre les engagemens contractés pour se préserver, soit des armes, soit de l'influence de la France dans l'état actuel des choses, essentiellement différent de celui où elles se trouvaient avant la paix de Jassy, auquel le raisonnement de messieurs les commissaires serait applicable.

À l'égard de la Grande-Bretagne elle-même, le soussigné n'hésite pas de répondre, en termes précis, qu'elle restera fidèle à ses engagemens; et les circonstances qui ont donné lieu au traité de la triple alliance existant toujours, sa confiance dans la sagesse, l'énergie et la bonne foi des alliés, la porte à croire que les liens récemment formés entre les trois puissances, ne peuvent qu'être resserrés par tous les efforts qui tendront à la rompre.

À bord du Tigre, devant Ghazah, 5 janvier 1800.

Signé Sidney Smith.

(№ 3.)

De la plaine d'El-A'rych, le 16 de Chaban 1214
(13 janvier 1800).
Le Grand-Visir au général en chef Kléber

Le Tartare Moussa m'a apporté votre réponse. Jusqu'à présent toutes les lettres que vous avez écrites, tant à moi qu'à Moustapha-Pacha, témoignaient de votre part l'intention d'évacuer l'Égypte, pour éviter l'effusion du sang, et renouer les nœuds d'amitié qui unissaient autrefois la France avec la Porte. Vous nous aviez dit que vous nous enverriez bientôt des commissaires pour conférer avec nous au sujet de l'évacuation, et que la manière dont les commissaires s'occuperaient de ménager les intérêts de la Porte, prouveraient combien vous désiriez sincèrement la paix et le bien des deux nations.

Mais dans la lettre que je viens de recevoir, vous mettez à l'évacuation la condition que la Porte se détachera des puissances qui lui sont alliées, et qu'elle rompra avec elles. Cette clause ne s'accorde nullement avec les intentions amicales et pacifiques que vous prétendez avoir. Si vous voulez vous-même y réfléchir, vous sentirez que la Porte ne peut accepter une condition si contraire au traité d'alliance qu'elle a contracté avec les puissances ses amies.

Quoique vos commissaires ne soient point encore venus, j'espère qu'ils arriveront sous peu de jours. Aussitôt qu'ils seront ici, ils s'aboucheront avec les plénipotentiaires de la Porte et le commandant anglais Smith. S'ils proposent la clause susdite, ou tout autre semblable qui blesserait les intérêts de la Porte ou de ses alliés, nous ne l'accepterons point, et vous renouvellerez ainsi l'effusion du sang; mais s'ils sont véritablement animés du désir de terminer les choses à l'amiable, ils consentiront avant tout à une prompte évacuation de l'Égypte, qui est l'article 1er et fondamental de la pacification souhaitée.

Nous apporterons les meilleurs intentions à ces entretiens: si vos commissaires y mettent aussi de la bonne volonté, il suffira d'une ou deux conférences pour terminer la négociation.

Faites-moi savoir en définitif quel est le parti auquel vous vous arrêtez.

Signé Joussef-Pacha.

(№ 4.)

Au camp ottoman de Ghazah, 9 janvier 1800.
Le Commodore Sidney Smith aux citoyens Desaix et Poussielgue

Messieurs,

Son altesse le suprême visir se trouvant à El-A'rych, je vais m'y rendre pour arrêter l'effusion du sang, pendant que nous sommes en négociation. Les Turcs ne ne voulant pas absolument entendre parler d'une trêve qui les forcerait à rester dans l'inaction sur la lisière du désert, je pars sur un dromadaire pour aller plus vite. Le bâtiment que j'ai expédié, avec le développement des motifs qui me faisaient engager le suprême visir à tel armistice que la saine raison et l'usage commandaient, n'a pu s'approcher de la côte à cause du mauvais temps, et le parlementaire qu'a envoyé le général en chef Kléber, à ce même sujet, n'est arrivé que le lendemain de l'événement fâcheux du massacre d'une partie de la garnison d'El-A'rych. Les hommes composant cette garnison, n'ayant pas voulu écouter les sommations qui leur étaient faites avant l'approche d'une troupe effrénée qui devait les attaquer, sont entrés en pourparler, quand il était trop tard. Mais, pendant qu'on capitulait à la grande porte du fossé, ils y ont pénétré, et ont fait comme à leur ordinaire, de la manière la plus horrible. Le colonel Douglas accouru pour tâcher de contenir cette horde de furieux, a manqué vingt fois d'avoir la tête coupée, de même qu'un garde marine, qu'un mouvement naturel d'humanité et d'indignation avait engagé à suivre le colonel qui a été renversé, et le couteau déjà sur le cou, quand il a été délivré par les janissaires. Le visir n'a pas pu arrêter la troupe ni l'empêcher d'entrer dans le château. Cependant, le colonel Douglas, aidé par Rajeb-Pacha, a arrêté le torrent dans le fort, tant qu'il a pu, et a réussi à sauver le commandant et près de la moitié de la garnison.

M. Keith va se concerter avec vous sur votre réunion; la trève m'ayant été annoncée par l'agent de Russie qui est venu du camp.

J'ai l'honneur d'être, avec estime et considération,

Votre serviteur très humble,

Smith,

(№ 5.)

Au quartier-général du Caire, le 17 nivôse an VIII
de la République française (17 janvier 1800).
Kléber, général en chef, au Grand-Visir

Votre dernière lettre m'a été remise hier soir par le Tartare Moussa; ce même jour, j'avais expédié, vers le quartier-général de Votre Excellence, un homme de confiance du très honoré Moustapha-Pacha, portant des dépêches à mes plénipotentiaires que je croyais arrivés à Ghazah, et je vous ai fait connaître, par cette même occasion et par ledit Moustapha-Pacha, mon opinion sur l'événement d'El-A'rych, ainsi que les voies de rapprochement que j'ai à vous proposer, pour arriver à un accommodement également désirable pour les deux partis. Ce que j'ai dit hier, je vous le répéterai ici, afin que le gouvernement français ne puisse un jour m'accuser de n'avoir pas employé tous les moyens pour arrêter l'effusion du sang entre deux nations qui, plus que jamais, ont le plus grand intérêt de se réunir étroitement, et, pour qu'en cas que mes propositions ne soient point écoutées, Votre Excellence demeure seule comptable, non seulement envers son souverain Sélim II, mais encore envers l'Europe entière, de celui qui pourrait couler encore; qu'elle demeure comptable envers la Sublime Porte, d'avoir donné au hasard d'une bataille ce qu'elle aurait pu obtenir avec certitude de la manière la plus conforme aux intérêts de l'empire ottoman: je parle de l'évacuation de l'Égypte, et je m'explique.

Votre Excellence m'a proposé, dans ses lettres précédentes, 1o. notre libre sortie de l'Égypte avec armes, bagages et toutes autres propriétés; 2o qu'il serait fourni à cet effet à l'armée, de la part de la Sublime Porte, tous les bâtimens nécessaires, et pourvus de vivres pour son retour en France. J'accepte ces deux propositions à la simple condition qui suit; savoir, qu'aussitôt que les Français auront évacué l'Égypte, la Sublime Porte se retirera de la triple alliance, dans laquelle elle ne s'est et n'a pu s'engager, que pour maintenir l'intégrité de son empire, qui alors, et au moyen de cette évacuation, serait rétablie.

D'accord sur ces points capitaux, rien ne sera plus aisé que de s'entendre sur les différens détails d'exécution, et je propose pour cela trois moyens: Le premier serait d'abandonner ce travail aux plénipotentiaires actuellement à bord du Tigre, ou à Ghazah; le second, infiniment plus simple et plus prompt, serait d'envoyer votre reis-effendi, accompagné d'un autre grand de votre armée, à Cathiëh ou à Salêhiëh, où j'enverrai de mon côté un officier général chargé de mes pouvoirs, si, lorsque Votre Excellence recevra cette lettre, mes envoyés n'avaient pas encore paru à son quartier-général; le troisième enfin serait d'autoriser et de donner pleins pouvoirs pour cet objet, au très honoré Moustapha-Pacha actuellement au Caire: en six heures de temps tout pourrait être terminé. Je demande à Votre Excellence une réponse catégorique, en lui observant que de toutes les manières une suspension d'armes, garantie par des otages, est aussi indispensable que conforme aux droits de la guerre; sans cette suspension, nos négociations ne deviendraient que le prétexte d'un affreux brigandage et de lâches assassinats. Je dois aussi vous prévenir que j'ai reçu la nouvelle officielle que déjà le 3 de ce mois, répondant au 26 du mois de Rageb, il a été conclu, à bord du Tigre, entre sir Sidney Smith et mes plénipotentiaires, un armistice d'un mois, sauf prolongation s'il y a lieu. J'y ai souscrit, et il me semble qu'il est obligatoire que Votre Excellence y consente; on ne s'est jamais joué de choses aussi sacrées et aussi importantes.

Je prie Votre Excellence de croire à la haute considération que j'ai pour elle.

Signé Kléber.
Pour copie conforme,
Le général de division, chef de l'état-major général de l'armée,
Signé Damas.

(№ 6.)

À bord du Tigre devant Jaffa, le 8 janvier 1800.
Le général de division Desaix, et le citoyen Poussielge, contrôleur des défenses de l'armée, et administrateur des finances, au général, en chef Kléber

Nous vous envoyons, citoyen Général, copie de la réponse de M. Smith, à notre dernière note: elle promet peu; mais, dans l'entretien dont elle a été suivie, nous avons observé que s'il était impossible aux alliés de consentir 1o. à la dissolution de l'alliance; 2o. à la restitution des îles, parce qu'elles sont occupées par les Russes; 3o. à une garantie jusqu'à la paix de nos possessions dans la Méditerranée, toutes propositions pour lesquelles il pourrait être nécessaire d'avoir des ordres des gouvernemens respectifs, il serait également impossible que vous consentissiez à l'évacuation pure et simple, comme on le proposait, sans y être autorisé par le Gouvernement français; que, dans ce cas, il y avait un moyen simple pour terminer tous les débats, c'est d'envoyer chacun de notre côté un courrier à nos Gouvernemens respectifs pour les informer du résultat des conférences, et attendre leurs ordres, que jusque-là et pour un temps déterminé, on suspendrait toute hostilité, si on pouvait y faire consentir le grand-visir, ou que s'il s'y refusait, on continuerait à se battre, sans que cela empêchât l'envoi des courriers.

C'est dans ces dispositions que nous nous sommes rendus devant Ghazah. M. Smith s'est rendu au camp; il y a appris que El-A'rych s'est rendu le 8 nivôse, que le grand-visir y était, qu'il s'était commis, dans la prise de cette place, des atrocités qui lui ôtaient la confiance de nous engager d'aller joindre le grand-visir, quoique le grand-visir fût dans les meilleures dispositions, et que son autorité et celles du pacha eussent été méconnues dans cette occasion. D'après ces considérations, plus détaillées dans la lettre de M. Smith ci-jointe, et dans les instructions à son secrétaire dont nous vous envoyons l'extrait, nous nous sommes décidés à attendre à Jaffa des nouvelles de M. Smith, en l'engageant à s'y rendre avec le reis-effendi. Nous le prions aussi de vous faire connaître directement la réponse qu'il aura à nous faire sur notre dernière note, en sorte que vous pourriez nous faire connaître vos intentions ultérieures.

 

Les conférences ont été poussées aussi avant qu'il était possible; tous les intérêts respectifs, tant de l'Europe que de l'Égypte, ont été repassés et débattus. Il paraît que nous nous entendons parfaitement sur tous les points, et, qu'en définitif, il faudra en venir à un courrier parlementaire, à moins que le grand-visir ne persiste à se battre pendant l'intervalle, et qu'alors vous changiez de détermination.

Bonaparte est arrivé à Paris le 24 vendémiaire; il y a été reçu avec enthousiasme, et comme vous le verrez par les gazettes que nous vous envoyons, et qui vont jusqu'au 25 octobre, il est probable qu'il va déterminer une crise, et qu'il nous fera envoyer promptement des secours ou des ordres. Ces gazettes vous donneront une idée assez exacte de la situation de l'Europe, des armées et de notre gouvernement à cette époque, pour que vous puissiez prévoir à peu près quelles mesures en seront la suite, en ce qui concerne l'Égypte.

Nous sommes extrêmement embarrassés pour correspondre avec vous, les occasions sont difficiles à trouver. Nous vous prions de donner ordre à un des avisos qui sont au bogaz de Damiette, ou à un de ceux qui sont à Alexandrie de venir nous joindre, et de rester à nos ordres, pour que nous puissions vous l'expédier toutes les fois qu'il sera nécessaire, et vous donner souvent des nouvelles, sans dépendre pour cela des convenances de M. Smith, quoiqu'il y mette beaucoup d'honnêteté et de bonne volonté.

Cet aviso peut venir en parlementaire à Jaffa; si nous n'y sommes plus quand il y arrivera, on lui indiquera le lieu où nous pourrons être.

Salut et respect,

Signé Desaix et Poussielgue.

(№ 7.)

Au camp impérial ottoman, à El-A'rych,
le 15 janvier 1800.
Le commodore Sidney Smith au général en chef Kléber

Monsieur le Général,

Messieurs vos envoyés s'étant un peu formalisés de la franchise de ma dernière note officielle, je ne suis pas sans appréhension que mon langage ait pu vous faire une impression différente de celle que je désirais produire, et je serais fâché de voir naître un sentiment d'éloignement, quand mon objet n'était que de découvrir jusqu'à leur base, les barrières qui nous séparent, afin de les ôter plus facilement.

Je ne vois pas pourquoi des militaires français, qui ont été les premiers à faire justice du système spoliateur et révolutionnaire, peuvent vouloir s'identifier avec les hommes exagérés qui ont fait le malheur de la France en gâtant une belle cause; ou supposé qu'on ait voulu leur faire une pareille injure, le règne de la démagogue expirait à son foyer, il est de l'intérêt de tout le monde qu'elle ne renaisse pas ailleurs. Ce dont nous nous plaignons, et contre lequel nous nous défendons, c'est la continuation de cette manie de faire des Républiques bon gré malgré, partout où un soi-disant patriote peut trouver un exil honorable par une place qui le met à même d'achever, ou pour mieux dire, continuer ses expériences politiques sur le pauvre genre humain. Si tous les hommes de marque, attachés au Gouvernement français, avaient des vues aussi droites et des projets aussi raisonnables que M. Poussielgue et le général Desaix, cette méfiance cesserait bientôt.

J'ai l'honneur d'être, avec une parfaite estime et une considération des plus distinguées,

Votre très humble serviteur,

Signé Sidney Smith.

(№ 7.)

Quartier-général de Salêhiëh, le 29 nivôse an VIII
de la République française (19 janv. 1800).
Le général en chef Kléber au commodore Sidney Smith

J'ai reçu votre billet du 18 janvier; comme son contenu n'est nullement relatif à l'objet qui nous a réunis, et sur lequel nous traitons, vous trouverez bon que je me borne à vous en accuser la réception Je profiterai toutefois de cette occasion pour avoir l'honneur de vous prévenir que, quoique j'aie donné pleins pouvoirs à mes plénipotentiaires de traiter en définitive de l'évacuation pure et simple de l'Égypte, je leur envoie néanmoins, par mon aide-de-camp Damas, l'ordre exprès de rompre les conférences, dès-lors qu'ils trouveraient, de la part du visir ou de la vôtre, trop de résistance à obtenir les conditions accessoires, et qui seraient relatives à l'honneur, la gloire et la sûreté de l'armée que je commande, parce que je crois avoir des moyens plus que suffisans pour arrêter l'ardeur, et réprimer l'orgueil de l'armée qui m'est opposée. Je m'en réfère, à cet égard, à votre propre jugement. La chose du monde qui me serait la plus pénible, monsieur le Général, serait d'être obligé de revenir le moindrement de la haute opinion que j'avais conçue de votre loyauté; mais je n'ose le croire, et les circonstances vous mettent bien à même de m'y confirmer davantage, pour peu que cela vous tienne à cœur.

Signé Kléber.

(№ 8.)

Au quartier-général de Salêhiëh, le 28 nivôse an VIII
(18 janvier 1800).
Au Grand-Visir

J'ai reçu à Salêhiëh la dernière lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser par le Tartare Moussa, resté à Cathiëh par malentendu.

Actuellement que mes plénipotentiaires sont arrêtés au quartier-général de Votre Excellence, et que j'ai rapproché le mien de manière à rendre nos communications aussi promptes que suivies, j'ai tout lieu d'espérer que nous nous entendrons mieux, et que nos négociations obtiendront bientôt le résultat heureux que Votre Excellence paraît désirer autant que moi. J'envoie à mes plénipotentiaires des instructions en conséquence. Ils ne rejetteront à l'avenir que ce qui pourrait être contraire à la gloire et à la sûreté de l'armée, dont le commandement m'est confié.

Je prie Votre Excellence de croire à la haute considération que j'ai pour elle.

Signé Kléber.
Le Grand-visir au général en chef Kléber

(№ 9.)

Du quartier-général à El-A'rych (sans date).
Au Modèle des Princes de la nation du Messie, au Soutien des Grands de la secte de Jésus, à l'honoré et estimé général français Kléber, dont la fin puisse être heureuse; Salut

J'ai reçu, et j'ai compris le contenu de la lettre que vous m'avez dernièrement adressée. Vous m'écrivez que vous vous êtes mis ces jours-ci en marche, accompagné d'une légère escorte, pour être à portée de donner les réponses nécessaires aux conditions que je vous proposerai, relativement à l'heureuse affaire de l'évacuation de l'Égypte que vous désirez, ou bien à la bataille; et que vous vous êtes acheminé vers Belbéis et Salêhiëh, pour y attendre les réponses à vos dernières dépêches. Vous me dites aussi que si vos délégués n'étaient pas encore arrivés à mon quartier-général, il serait convenable de vous envoyer deux grands de la Porte, pour conférer sur l'affaire en question, et la terminer le plus tôt possible.

Votre loyauté ne croit pas convenable de verser le sang, et comme vous désirez l'heureuse réussite de la bonne affaire concernant l'évacuation de l'Égypte, et qui est un prélude à la paix, et que vous avez marché dans le chemin de la justice, ainsi que vous me l'avez écrit par le passé, il est clair que, d'après mon zèle et ma loyauté, je ne consentirai pas non plus à l'effusion du sang. Il est évident aussi que votre départ du Caire, et votre marche vers ces contrées, n'a pour but que de faire croire à votre justice et votre loyauté, et d'accélérer, d'une manière avantageuse pour la Sublime Porte, le terme de l'heureuse affaire de l'évacuation de l'Égypte, qui doit être le prélude de la paix et de la tranquillité.

Je dois vous prévenir que vos délégués, qui sont arrivés ces jours-ci à mon quartier-général, ont déjà ouvert les conférences, et que malgré votre assurance concernant le plein succès de l'affaire dont il s'agit, conformément à la loyauté et au zèle qui vous font aimer, ils rendent difficile la réussite de cette si bonne affaire de l'évacuation.

La Sublime Porte est depuis trois siècles amie de la France; mais ayant été destiné par mon souverain à m'emparer et à délivrer par la voie des armes, ou sans me battre, l'Égypte, dont les Français se sont emparés à l'imprévu, il est certain qu'avec le secours du Très-Haut, je dois faire mon possible pour y parvenir. Votre désir étant réellement d'évacuer l'Égypte, sans vous battre, loin de vouloir l'effusion du sang, mon désir est conforme au vôtre.