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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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Je donne ordre au général Rampon de se rendre à Salêhiëh avec les bataillons de la 75e qui lui restent, et son artillerie. Vous ferez bien de lui confier ce poste important, et de lui laisser les trois bataillons de cette demi-brigade. Vous rassemblerez alors toute votre division à Catiëh pour recevoir la bataille de l'avant-garde ennemie, si elle vient vous l'offrir, ou l'aller chercher à la première citerne, si vous êtes instruit à temps de son arrivée. Vous avez quatorze bataillons, un régiment de cavalerie, une belle artillerie; je ne crois pas qu'avec cela vous puissiez douter d'un brillant succès. Au reste, je donne encore l'ordre au général Verdier de vous envoyer deux bataillons de Damiette.

Quant à moi, je resterai avec la 61e demi-brigade, la cavalerie et l'artillerie de réserve à Belbéis, pour couvrir le Caire contre tout ce qui pourrait venir par l'Ouadi, et pour communiquer avec Souez, fortement en l'air depuis la perte d'El-A'rych. Tout cela va s'exécuter sur-le-champ. Ne différez pas non plus d'un seul instant votre mouvement. J'ai envoyé aujourd'hui Baudot vers Desaix par Damiette et Jaffa. J'écris aussi par terre au grand-visir. Lorsque le messager passera dans votre camp, faites le plus d'étalage que vous pourrez. Enfin, je vais écrire au général Friant de se rendre près de moi, ou au moins de se rapprocher du Caire le plus possible. C'est dans cette attitude que nous attendrons les événemens ultérieurs. Marcher sur El-A'rych sans attaquer le fort est folie, ils fuiraient devant vous, et reviendraient sur leurs pas, lorsque vous auriez disparu; attaquer le fort serait pis encore. Écrivez au général Verdier pour avoir force vivres. Je vous ferai passer l'habillement de la 85e et des autres.

Kléber.

(№ 9.)

Au quartier-général du Caire, 17 nivôse an VIII
(7 janvier 1800).
Au général Reynier

Vous devez vous attendre à être attaqué au premier jour, car il paraît que sir Sidney Smith, sous prétexte de mauvais temps, tient mes plénipotentiaires au large pour laisser au grand-visir le temps d'agir. Je pars demain pour aller à Belbéis; de là je pourrais fort bien vous aller joindre avec quelque renfort. À l'avenir, il faudra retenir à Cathiëh tous les messagers qui pourraient m'être envoyés par le grand-visir, et m'envoyer leurs paquets; pendant le temps qu'ils auront à séjourner pour attendre ma réponse, il faudra, tout en les traitant bien, les tenir à l'étroit, afin qu'ils ne puissent voir que ce qu'on voudra bien leur faire connaître. J'excepte des dispositions ci-dessus l'homme de Moustapha-Pacha que j'ai envoyé au visir en dernier lieu, et qui pourra revenir au Caire.

Signé Kléber.

(№ 10.)

Au quartier-général du Caire, le 15 nivôse an VIII
(5 janvier 1800).
Kléber, général en chef, au général Desaix et au citoyen Poussielgue, plénipotentiaires près le Grand-visir

Hier à dix heures du soir, citoyen, c'est-à-dire long-temps après le départ du citoyen Baudot, j'ai reçu une lettre qui m'annonce que l'ennemi, ayant profité du caractère sacré d'un parlementaire, a surpris le 9 El-A'rych, et après un grand carnage essuyé de part et d'autre, a réussi dans son entreprise. Vous devez naturellement être mieux que moi instruits de cet événement et de ses détails, et vous avez déjà pu faire vos réclamations à cet égard; si cependant vos négociations prennent la tournure que j'en espère, il serait inutile d'insister sur la restitution du fort; mais qu'au moins l'armistice proposé par sir Sidney Smith et par le grand-visir, et qui doit être connu maintenant de toute l'armée ottomane, soit à l'avenir respecté et garanti, si faire se peut, par des otages. J'aime d'ailleurs à croire que, ni le grand-visir ni sir Sidney Smith, ne sont en rien et pour rien dans une entreprise aussi contraire au droit des gens. C'est à vous à m'en instruire. Je pars demain avec toute l'armée pour occuper toute la lisière du désert, et en même temps prêt à tout événement.

Ne voulant point écrire au grand-visir lui-même ni à Sir Sidney Smith, sur cet objet, j'en fais dire un mot au premier, par Moustapha-Pacha.

Je vous salue,

Kléber.

NÉGOCIATIONS DE SALÊHIËH

LES FRANÇAIS CONSENTENT À ÉVACUER L'ÉGYPTE

Pendant qu'El-A'rych tombait sous les coups des Turcs, et que le général Kléber s'abandonnait si imprudemment dans les relations qu'il entretenait avec le grand-visir, les négociations continuaient à bord du Tigre. Smith insistait sur l'évacuation pure et simple; les plénipotentiaires demandaient que la Porte se retirât de la coalition. Le commodore leur observait qu'ils n'étaient pas munis de pleins pouvoirs, qu'ils ne pouvaient, par conséquent, résoudre les questions qu'ils soulevaient. Ils convenaient qu'à la rigueur ils n'étaient pas aptes à les traiter, mais ils répliquaient avec raison que l'évacuation était la condition onéreuse du traité; qu'il y avait mauvaise grâce à prétendre qu'ils pouvaient la souscrire sans pouvoir stipuler des compensations. Ils trouvaient déraisonnable de poser en principe que le gouvernement français acceptant la transaction pour une évacuation pure et simple, la repousserait parce qu'elle lui présenterait des avantages. La restitution des Sept Îles, que nous avaient enlevées les Turcs, ne devait pas faire obstacle; car si la Porte n'avait, comme le soutenait Smith, aucune prétention sur Corfou, Zante, Céphalonie, en quelles mains pouvait-elle les voir avec moins de danger pour elle que dans celles des Français? La croix grecque serait bien plus redoutable; aucune des puissances qui naviguent dans la Méditerranée ne devait souffrir qu'elle les occupât. Le commodore en convenait, mais il se retranchait sur les traités, le manque de pouvoirs, et évitait de rien conclure. Les plénipotentiaires résolurent de couper court à ses allégations. Ils lui proposèrent de soumettre le résultat des conférences aux gouvernemens respectifs, et de suspendre les hostilités en attendant leurs ordres, ou, si le visir se refusait à l'armistice, de continuer à se battre.

Les choses en étaient à ce point; tous les intérêts avaient été discutés, débattus; on paraissait s'entendre lorsqu'on prit terre à Jaffa. Sidney y fut informé de la catastrophe d'El-A'rych; l'Égypte était ouverte, tout fut changé. Il se rendit au camp du visir, prit communication de la correspondance du général en chef, et appela les plénipotentiaires sur les ruines du fort, où était plantée la tente de Joussef. Toutes les dispositions étaient faites pour les recevoir, les garantir des insultes d'une soldatesque sauvage; les négociateurs ottomans étaient désignés; il semblait qu'il n'y avait plus qu'à mettre la dernière main à une transaction dont la plupart des articles avaient été si longuement débattus. Desaix et Poussielgue quittèrent Jaffa avec la confiance qu'ils allaient traiter sur les bases jetées à bord du Tigre. Leur erreur ne fut pas longue. Ils étaient à peine à El-A'rych qu'ils reçurent une lettre de Sidney qui les prévenait que Kléber avait retiré trois des quatre propositions qu'ils avaient si vivement défendues pendant la traversée. Ils furent étrangement surpris d'un tel abandon, et ne se dissimulèrent pas le parti que le commodore en allait tirer. Ils résolurent néanmoins de faire tête à l'orage. Ils se rendirent aux conférences, demandèrent et obtinrent sur-le-champ la cessation des hostilités. Ils abordèrent ensuite la question qui les avait conduits à El-A'rych. Ils essayèrent de se prévaloir des concessions qui avaient été faites à bord du Tigre, des aperçus que le commodore lui-même avait jetés; mais la situation des choses était bien changée. L'armée turque était en possession du désert, Kléber avait donné la mesure de son impatience, Sidney crut n'avoir plus de mesures à garder. Il s'emporta contre l'insistance des négociateurs, et enveloppant dans sa colère la France et la révolution, il nous reprocha la turbulence du Directoire, la manie que nous avions d'intervenir partout, de faire, bon gré malgré, des républiques dans tous les pays où un soi-disant patriote pouvait trouver une place qui le mît à même d'achever ou mieux de continuer ses expériences politiques sur le pauvre genre humain. Indigné de ces indécentes sorties, et plus encore des prétentions auxquelles elles étaient mêlées, Desaix releva vivement Smith. Il était décidé à rompre les conférences; mais le commodore, qui n'y intervenait plus que comme le conseil, le modérateur du visir, s'excusa, protesta qu'il n'avait voulu que découvrir jusqu'à leur base les barrières qui nous séparaient, et s'épuisa en regrets de voir que l'impression qu'il avait faite fût si différente de celle qu'il cherchait à produire. Le général ne fut pas dupe de ces protestations, mais au point où en étaient les choses, il y avait peut-être plus de danger à rompre qu'à négocier, il se calma: il reprocha vivement sa perfidie au commodore, et adressant à Kléber le résumé de la conférence qu'ils avaient eue Poussielgue et lui avec les plénipotentiaires du visir, il se plaignit avec amertume de la position où ses imprudentes communications les avaient mis. La correspondance retrace parfaitement la marche et les incidens de la négociation, je me borne à citer.

Au camp d'El-A'rych, le 23 nivôse an VIII de la
République française (13 janvier 1800).
Le général de division Desaix, et le citoyen Poussielgue, contrôleur des dépenses de l'armée et administrateur général des finances de l'Égypte, au général en chef Kléber

Citoyen Général,

 

«Nous avons reçu aujourd'hui votre dépêche du 17 nivôse, et copie de celle que vous adressez le même jour au grand-visir.

«Nous avons infiniment à regretter les contrariétés qui nous ont mis dans l'impossibilité de vous faire parvenir nos dépêches assez à temps pour prévenir cette dernière démarche, qui, nous le prévoyons, va multiplier les obstacles aux négociations dont vous nous avez chargés, et nous privera, selon toutes les apparences, des avantages que nous avions lieu d'en attendre, pour rendre plus honorable et plus utile l'évacuation de l'Égypte.

«À notre arrivée ici, nous avons trouvé la réponse de M. Smith à notre dernière, note dont nous vous avons envoyé copie; il nous écrit qu'il vous l'a fait passer directement comme nous l'en avions prié. Vous verrez par le ton indécent et même insolent qui y règne, comparé à celui des premières notes, combien la prise d'El-A'rych, et sans doute votre lettre du 17, ont relevé ses prétentions; car, quoique cette réponse soit datée du 9 janvier, nous avons lieu de croire qu'elle n'a été écrite que le 12.

«Nous nous sommes vus très froidement ce soir: cela était impossible autrement, en rapprochant une conduite aussi perfide avec nos entretiens précédens, remplis de confiance et de loyauté.

«Il nous a annoncé que puisque, dans votre lettre au grand-visir, vous aviez renoncé vous-même à trois articles de nos demandes, il ne restait plus qu'à s'expliquer sur le quatrième, c'est-à-dire sur la dissolution de la triple alliance, et que demain le reis-effendi nous ferait sa réponse sur cet objet.

«Nous prévoyons que sa réponse sera négative, et que même nous n'obtiendrons pas que les troupes turques n'entrent en Égypte que quand nous en serons sortis; et, en effet, l'armée turque est en majeure partie à El-A'rych; avec la confiance qu'elle a dans ses forces, surtout après son petit succès, il ne sera pas possible de l'engager à rétrograder; si la Porte craint qu'en dissolvant son alliance, ce soit un prétexte à la Russie pour lui déclarer la guerre, certainement elle n'osera pas consentir à cette dissolution; et l'Angleterre, qui a intérêt à nous conserver le plus d'ennemis possible, fera tous ses efforts pour qu'elle n'ait pas lieu avant la paix générale. Si les Turcs connaissaient mieux les intérêts de l'Angleterre, ils ne seraient pas arrêtés par ces menaces; ils seraient bien convaincus qu'elle a autant d'intérêt que la Sublime Porte à empêcher les Russes de lui déclarer la guerre.

«Au reste, nous devons vous faire remarquer que l'alliance avec les Turcs n'est que défensive, et que dans le traité aucun contingent n'est exigé; en stipulant donc une simple trêve avec l'empire ottoman jusqu'à la paix générale, sous la condition de mettre en liberté tous les Français et étrangers au service de France actuellement détenus dans cet empire, et la restitution des propriétés et établissemens séquestrés, cette condition serait honorable pour l'armée, et nous pensons qu'on ne pourrait avoir aucune raison tant soit peu fondée pour la refuser.

«Quant aux moyens d'évacuation, nous ne savons pas encore ce qu'on nous proposera; mais il nous semble qu'une fois l'évacuation convenue, on pourrait proposer au grand-visir la condition mise en avant dans les conférences avec Kouschild-Effendi, de mettre un pacha au Caire, qui le gouvernerait, qui enverrait garder tous les postes à mesure que nous les évacuerions. Nous attendrons vos ordres sur cet objet; nous vous enverrons, d'ailleurs, un nouvel exprès immédiatement après la première conférence que nous allons avoir. M. Smith sort d'auprès de nous; nous lui avons témoigné vivement l'indignation que nous avions ressentie à la lecture de sa note; nous allons bientôt juger si c'est à sa politique et à sa mauvaise foi qu'il faut attribuer ses sottises, ou si ce n'est qu'une suite du dérangement de son moral, dans tout ce qui concerne notre révolution, dérangement causé par son emprisonnement au Temple.

«Le citoyen Savary, que nous vous envoyons, vous expliquera comment nous sommes campés; nous voulions d'abord que le camp et les conférences se tinssent entre les avant-postes, mais il y aurait eu beaucoup d'inconvéniens, beaucoup de défiance et peu de sûreté. Nous nous décidons à rester ici; nous enverrons chercher nos chevaux et des chameaux à Catiëh aussitôt que nous en aurons besoin. Il paraît que les Arabes servent toujours le grand-visir; nous n'en avons pas aperçu un seul depuis Jaffa jusqu'ici; une grande partie de l'armée du grand-visir est ici, le reste est campé à Ghazah; tous les jours il arrive de nouvelles troupes qui viennent du fond de l'Asie, mais tout cela n'est pas bien terrible. Nous pensons, citoyen Général, que jusqu'à ce que toutes les conditions soient convenues et signées, il est bien important de vous tenir sur vos gardes et de ne pas vous fier à l'armistice; nous désirerions aussi que vous vous rapprochassiez de vos avant-postes, afin que nos communications fussent plus rapides.

«Salut et respect.

Signé Desaix et Poussielgue.»

P. S. Du 24, à onze heures du matin.

C'est aujourd'hui à midi que nous aurons notre première conférence avec le reis-effendi. Nous avons refusé d'admettre l'envoyé russe.»

Au camp devant El-A'rych, le 24 nivôse an VIII
(14 janvier 1800).
Le général de division Desaix, et le citoyen Poussielgue, contrôleur des défenses de l'armée, et administrateur des finances de l'Égypte, au général en chef

«Citoyen Général,

«Nous avons eu ce matin la conférence dont nous vous avons prévenu par notre lettre d'hier; nous n'en avons rien obtenu. Il a été impossible de faire entendre la moindre raison au reis-effendi et au defterdar, plénipotentiaires du grand-visir. Ils nous ont demandé si nous avions des pleins pouvoirs pour consentir l'évacuation de l'Égypte: ils nous ont dit que ce n'était qu'autant que cela aurait lieu, que la Sublime Porte consentirait aux conditions qui formaient votre ultimatum, que cet ultimatum leur était connu par la lettre que vous avez écrite au grand-visir, le 17 de ce mois, et qu'il fallait que nous consentissions à signer sur-le-champ l'évacuation de l'Égypte, d'après les bases posées dans cette lettre. Ils ont refusé de nous écouter davantage, prétendant que si nous ne pouvions pas consentir l'évacuation pure et simple, c'était une preuve que nous n'avions pas de pouvoirs, qu'ainsi nous ne pouvions pas traiter. Nous avons demandé le temps de vous expédier un courrier pour avoir votre dernière décision. M. le Commodore Smith lui-même s'est réuni à nous pour faire sentir que rien n'était plus juste, ni plus conforme aux usages que ce que nous demandions; rien n'a pu les persuader. Cependant, voyant qu'ils nous avaient donné des raisons plausibles pour se défendre de consentir à rétablir la paix avec la France, en observant qu'ils étaient liés par des traités auxquels ils voulaient absolument tenir, nous avons demandé qu'il y eût au moins trêve jusqu'à la paix générale, proposition que nous avions prise sur nous, la regardant comme un équivalent de la paix: ils ont répondu par le même refus, en nous communiquant l'article de leur traité qui s'oppose également à ce qu'ils consentent cette trêve sans le consentement des puissances alliés: nous avons alors demandé qu'au moins, en évacuant l'Égypte, tous les Français détenus dans l'empire ottoman fussent mis en liberté, et que leurs biens fussent restitués. De notre côté, nous leurs offrions d'en faire autant à l'égard des Turcs; cette proposition, que nous avons annoncée n'être pas dans nos pouvoirs comme condition principale de l'évacuation, a d'abord souffert des difficultés; cependant, M. Smith nous ayant fortement appuyés, le reis-effendi a fini par y consentir.

«Alors, il a demandé que les points déjà convenus, tels que l'évacuation de l'Égypte et la mise en liberté des prisonniers, fussent mis par écrit, et signés de part et d'autre. Nous nous y sommes refusés, en observant que nos pouvoirs ne s'étendaient pas jusqu'à abandonner la principale condition qu'ils rejetaient, celle de la paix ou d'une trève illimitée.

«Nous avons demandé de nouveau de vous envoyer un courrier, ils ont répondu que nous voulions gagner du temps, que nous les amusions, et que nous ne voulions pas l'évacuation que vous désiriez; qu'ils ne pouvaient pas attendre davantage; et qu'enfin, si nous n'avions pas de pouvoirs, ils ne pouvaient traiter avec nous.

«Nous avons observé qu'il existait une trève qui ne devait expirer que quinze jours après la rupture des négociations; qu'ainsi, il était évident que nous ne voulions pas les amuser, et qu'il y avait le temps nécessaire pour recevoir votre réponse, avant l'expiration de la trève; nous avons été très étonnés d'une discussion assez longue qui s'est élevée à ce sujet pour leur faire comprendre ce que c'était qu'une trève; on n'en est pas venu à bout, ils font partir les quinze jours de grâce de la dernière lettre que le grand-visir vous a écrite avant hier, en sorte que de demain en douze jours vous serez attaqué, si cette affaire n'est pas terminée.

«Nous avons voulu entamer les autres articles de la lettre que vous nous avez écrite le 17, surtout celui où vous ne voulez pas que l'armée turque entre en Égypte avant que l'armée française en soit totalement sortie; ils n'ont pas voulu nous entendre; ils ont répété, pour la trentième fois, que si nous ne voulions signer l'évacuation pure et simple, ils ne pouvaient nous écouter; là-dessus, ils nous ont quittés, en annonçant que demain ils viendraient prendre notre dernière réponse.

«Vous nous avez circonscrits, citoyen Général, dans les bornes d'une instruction; nous n'avons pas dû les passer, quoiqu'il soit fâcheux, de part et d'autre, qu'il faille encore éprouver des retards, puisqu'il peut en résulter des événemens funestes.

«Il est de fait que la Sublime Porte, ayant en ce moment un grand intérêt à tenir à son traité avec ses alliés pour ne pas s'exposer tout de suite à une guerre plus dangereuse que celle que nous lui faisons, il lui est impossible de faire paix ou trève indéfinie sans se compromettre; que, quand même elle le pourrait, vous-même ne pourriez la stipuler au nom de la République, puisque vous n'avez de pouvoirs que pour ce qui concerne l'Égypte.

«Nous obtiendrons probablement une trève qui se prolongera jusqu'à trois mois après l'évacuation; mais nous ne pouvons obtenir que les Turcs attendent notre sortie pour entrer en Égypte; ils voudront y mener une force suffisante aussitôt que le traité sera signé.

«L'armée est ici; il lui arrive tous les jours des renforts; les soldats sont impatiens d'avancer, parce qu'ils sont très mal; il sera impossible de les retenir encore quelques jours. Nous espérons tout au plus que nous aurons le temps de recevoir dans cinq jours votre réponse: encore la disposition est telle, que si votre réponse tardait, ou si elle était pour une rupture, nous ne serions pas du tout en sûreté. L'autorité du visir, celle de M. Smith, ne pourraient rien, et nous serions fort embarrassés pour vous rejoindre. Enfin, citoyen Général, les choses sont si avancées, que votre réponse doit contenir l'ordre de nous retirer sur-le-champ, ou un plein pouvoir pour traiter définitivement de tous les articles de l'évacuation sans aucune restriction, et de la manière la plus avantageuse que nous pourrons obtenir, sans qu'il ne soit plus nécessaire de vous demander de nouveaux ordres, sauf à vous rendre compte, jour par jour, de nos opérations.

«Il vient d'arriver une lettre de vous, du 21 de ce mois, écrite de Belbéis. Nous sommes fort aises de vous savoir si près, et nous espérons que vous recevrez cette lettre à Salêhiëh: votre approche semble faire plaisir au grand-visir, en ce qu'il y voit l'espoir d'une très prompte décision.

«Salut et respect.

«Signé Desaix et Poussielgue.»
Au camp du grand-visir, près El-A'rych,
le 26 nivôse an VIII (16 janvier 1800), huit heures du soir
Le général de division Desaix et Poussielgue, au général en chef Kléber

«Citoyen Général,

«Nous vous avons envoyé avant-hier le citoyen Savary avec deux lettres, dont copies sont ci-jointes:

«Hier, nous avons remis aux plénipotentiaires du grand-visir la note dont nous vous envoyons copie également. M. Smith s'est rendu au camp, et y a délibéré sur plusieurs questions que nous n'avions pu faire entendre au reis-effendi; il n'a pas été plus heureux.

 

«Cependant ce matin, le reis-effendi et le defterdar nous ont donné une seconde séance; nous avons long-temps insisté pour qu'ils consentissent à la proposition contenue dans la lettre que vous avez écrite de Belbéis, le 21 de ce mois, au grand-visir, consistant en ce qu'il vous envoyât deux grands pour traiter directement avec vous; nous demandions à les accompagner, et M. Smith, qui appuyait notre demande, offrait d'y venir avec nous. Il nous a été impossible de leur faire goûter cette proposition, non plus que celle d'employer Moustapha-Pacha, ou même le commodore Smith tout seul; ils ont prétendu que vous leur aviez laissé le choix des trois moyens, qu'ils avaient préféré le premier, c'est-à-dire de traiter avec vos envoyés, et qu'ils voulaient s'y tenir.

«En vain nous avons objecté que cela abrégerait infiniment de temps et de difficultés; que, dans le cas contraire, et l'armistice devant expirer d'ici à onze jours, notre sûreté se trouverait compromise; que d'ailleurs vous deviez être irrité du ton des dernières lettres et notes du grand-visir et de M. Smith, ce qui pourrait vous déterminer à rompre toute négociation, tandis qu'il était peut-être encore possible de s'entendre, puisque si la Sublime Porte ne voulait consentir ni à une paix, ni à une trève jusqu'à la paix, ce n'était pas qu'elle n'en eût le désir, mais seulement parce qu'elle ne le pouvait, sans le consentement de ses alliés, conformément à ses traités et à ses intérêts actuels. Toutes ces raisons n'ont produit aucun effet; ils ont insisté pour que nous attendissions votre réponse à notre dernière lettre, et que jusque-là nous commençassions à discuter les dispositions relatives à l'évacuation, dans le cas où vous consentiriez l'évacuation de l'Égypte, sans la condition de la paix, ni de la trève jusqu'à la paix, ou de toute autre condition avantageuse à l'armée, en annonçant toujours que de son côté le grand-visir n'entendait parler que de l'évacuation pure et simple.

Alors, ils nous ont présenté, par M. Smith, un projet de dispositions d'évacuation qu'ils avaient concerté ensemble hier, et dont ils paraissent convenir; nous y avons fait tous les changemens et additions que nous avons jugés convenables et nécessaires, toujours dans la supposition que vous ne teniez pas à d'autres conditions de compensation, auquel cas toute négociation serait rompue sans retour.

«Ils liront notre projet, et nous saurons dans la prochaine conférence, s'ils l'adoptent en totalité ou quels sont les articles qu'ils voudront rejeter ou modifier. Le dix-septième nous paraît le plus difficile à obtenir; celui qui concerne l'évacuation du Caire, dans six semaines, ne passera pas non plus sans doute, à moins qu'ils n'obtiennent de pouvoir d'y envoyer de suite une autorité quelconque en leur nom, telle qu'un pacha et une garde.

«Cependant, nous ne voulons pas attendre cette réponse pour vous rendre compte de l'état des choses; nous voyons le projet qu'ils nous ont présenté, et celui que nous leur avons remis ce soir: votre réponse, citoyen Général, sera un ultimatum absolu; il faudra que vous nous donniez des ordres positifs, celui de conclure l'évacuation sans compensation, en nous laissant la faculté de stipuler toutes les dispositions pour l'effectuer, ou celui de nous retirer sur-le-champ pour que la question soit décidée par le canon. À cet égard, vous seul, citoyen Général, êtes en état de juger ce qu'il convient de faire, puisque vous seul connaissez bien tous vos moyens.

«Nous vous prions de nous renvoyer sur-le-champ votre réponse; vous ne pouvez vous former une idée de l'esprit des hommes avec qui nous traitons. Ils ne viennent jamais qu'avec une seule idée à laquelle ils ont bien pensé pendant quarante-huit heures; ils n'en sortent pas, et ce qu'on peut leur dire, quelque clair que cela soit, est absolument perdu; ils n'entendent pas.

«Ils nous proposaient aujourd'hui, quand nous leur demandions de nous en aller ou qu'on prolongeât la trève, de l'augmenter de deux jours.

«Nous vous enverrons la réponse du grand-visir à notre projet aussitôt qu'elle aura été faite.

«Salut et respect.

«Signé Desaix et Poussielgue.»

La réponse de Kléber ne se fit pas attendre. Elle était ainsi conçue:

Au quartier-général de Salêhiëh, le 25 nivôse
de la République française (15 janvier 1800).
Le général en chef Kléber au général de division Desaix et au citoyen Poussielgue, plénipotentiaires près du Grand-Visir

«Je reçois ensemble aujourd'hui à Salêhiëh, où je suis arrivé le 23, vos différentes lettres et notes des 14, 18 et 21 nivôse. Celle dont mon aide-de-camp Baudot était porteur, relatait en peu de mots la situation de la France, jusqu'au commencement d'octobre dernier, et j'en inférais que, se livrer à l'espoir d'un renfort dans de semblables conjonctures, ce serait s'abandonner à une idée entièrement chimérique; qu'en conséquence, il fallait songer à porter à notre patrie les secours qu'elle ne pouvait nous envoyer, ni même nous promettre, puisque dans les papiers qui nous sont parvenus jusqu'à présent, il n'a jamais été question de l'expédition d'Égypte que pour en blâmer la conquête: ceci, joint à l'extrême pénurie d'argent dans laquelle je me trouve, et qui rend ma position plus pénible encore que la présence de l'ennemi, me portait à vous prescrire de consentir à l'évacuation de ce pays, à la simple condition que la Porte ottomane se retirerait aussitôt de la triple alliance. Depuis cette époque, le fort d'El-A'rych a été pris; et, malgré tous mes efforts, je ne puis réunir, tant ici qu'à Belbéis et Catiëh, plus de six mille hommes pour m'opposer à l'armée ennemie qui s'avance. Que cela suffise pour nous assurer la victoire; je le veux. Mais quel avantage en tirerais-je? Celui d'être obligé de me livrer pieds et poings liés, à la première sommation menaçante qui succéderait à mon triomphe momentané; et, si je perdais cette bataille, qui me pardonnerait jamais d'avoir osé l'accepter.

«Ces considérations, et d'autres encore que je m'abstiendrai d'exposer, me déterminent à persister dans ma résolution pour ce qui concerne l'évacuation de l'Égypte; mais si le grand-visir, trop fortement lié par le traité du 5 janvier 1799, et plus encore par les circonstances présentes, ne peut consentir à reprendre la neutralité que je lui ai proposée, et qu'au fond de son cœur il désire plus que nous, je vous autorise à passer outre, et à traiter de l'évacuation pure et simple, en évitant seulement de donner à cette reddition la formule d'une capitulation, en vous appliquant, au contraire, à lui imprimer le caractère d'un traité basé sur la note du plénipotentiaire sir Sidney Smith en date du 30 décembre dernier.

CONCLUSION

«1°. Nous sortirons de l'Égypte aussitôt que le nombre de bâtimens nécessaires à notre transport, et approvisionnés de subsistances, aura été fourni.

«2°. Les bâtimens français et autres, restés dans le port d'Alexandrie, seront armés en guerre et employés de préférence à l'embarquement des troupes.

«3°. Nous aurons, ainsi qu'il est déjà convenu, tous les honneurs de la guerre, et nous emporterons armes et bagages, sans qu'aucun bâtiment puisse être visité, sous quelque prétexte que ce soit.

«4°. Jusqu'au moment de la réunion des bâtimens turcs dans les ports de l'Égypte, les armées resteront dans leurs positions actuelles; la Haute-Égypte seulement sera de suite et successivement évacuée jusqu'au Caire; toute l'armée partira en même temps des ports de l'Égypte pour faire route ensemble, ce qui ne pourra être qu'après l'équinoxe du printemps.

«5°. Les détails relatifs à la marine seront arrêtés entre le reis-effendi et l'ordonnateur de la marine Leroy, qui se rendra à cet effet au lieu indiqué.

«6°. L'armée française percevra les revenus de l'Égypte jusqu'au moment de son évacuation; et il sera consenti jusqu'à cette époque, une trève bien entendue et garantie réciproquement par des otages.

«Vous donnerez à toutes ces clauses et arrangemens toute l'étendue et les modifications nécessaires pour leur exécution, et toujours de la manière la plus honorable pour l'armée française; enfin, vous ne romprez en aucun cas les conférences, à moins que le traité ne soit définitivement conclu.

«Signé Kléber.»

Les ordres étaient précis; il fallait signer l'évacuation pure et simple, et se garder de rompre les conférences avant que le traité fût conclu. Les plénipotentiaires néanmoins hésitaient encore. Poussielgue se plaignait que nous étions plus pressés que les Turcs. Desaix, reculant à la vue des articles qu'il était chargé de consentir, demandait de nouveaux ordres; et le visir, que ces répugnances fatiguaient, mandait à Kléber que ses délégués rendaient difficile la réussite de cette si bonne affaire de l'évacuation. La responsabilité revenait de tous côtés au général en chef; il résolut de la faire partager à ses lieutenans. Il les assembla à Salêhiëh, et supposant encore intacte une question que ses dépêches avaient depuis long-temps résolue, il leur fit un tableau animé, rapide, de la pénible situation où étaient les affaires. Il leur montra les hordes ottomanes prêtes à s'échapper du désert, et la population inquiète, mécontente, n'attendant pour s'insurger que l'apparition du visir. Qu'opposer à ces essaims de fanatiques? Qu'attendre, que se promettre au milieu d'un peuple en révolte? Nos caisses étaient vides, nos magasins épuisés; et, pour comble de maux, nos troupes rebutées n'aspiraient qu'à repasser en France. Fussent-elles d'ailleurs aussi dévouées qu'elles l'étaient peu, que faire avec une armée qui ne comptait pas quinze mille combattans, qui avait cent lieues de côtes à défendre, et tous les fellâhs disséminés des bouches du Nil aux cataractes, à comprimer! Était-ce avec les huit mille hommes au plus qu'elle pouvait mettre en ligne qu'elle garderait les vastes débouchés du désert, qu'elle veillerait sur les passes, qu'elle intercepterait les puits? Pouvait-elle, réduite comme elle était, faire face aux ennemis qui la menaçaient du dehors et à ceux qui l'attaquaient au-dedans? Pouvait-elle à la fois battre le visir, disperser les mameloucks, et contenir les naturels, que tout poussait à l'insurrection? Si, du moins, elle n'eût eu à triompher que de la disproportion du nombre! Mais une bataille gagnée ne changeait pas sa position. Bien plus, elle était perdue si elle ne recevait des secours avant la saison des débarquemens; car, à cette époque, il faudrait garnir les côtes, porter des troupes à Alexandrie, à Aboukir, à Damiette, à Lesbëh, à Souez; disperser au moins cinq mille hommes sur la vaste plage que baigne la Méditerranée. Que resterait-il alors pour défendre un pays que ne protégeait aucune place forte, qu'attaquait une armée formidable qui parlait, agissait, combattait au nom de Mahomet? Et si la fortune trahissait leur courage, que devenaient les troupes? Les hordes barbares auxquelles nous avions affaire ne connaissent que le meurtre et le pillage. On ne traite avec elles que les armes à la main. Vaincus, nous étions sans retraite, sans point de ralliement; il fallait se résoudre à voir égorger jusqu'au dernier de nos soldats. Fallait-il courir ces chances? Convenait-il, dans une situation aussi cruelle, de souscrire une évacuation pure et simple, ou valait-il mieux braver les hasards d'une résistance désespérée?