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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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Kléber avait naturellement l'âme ouverte à toutes les inspirations nobles et généreuses. Ses lieutenans s'adressaient à son courage; ils lui parlaient de dangers, de gloire, ils ne pouvaient manquer de faire impression sur lui. Il sentit, en effet, qu'il avait été emporté loin du but. Il chercha à revenir sur lui-même; il se fit rendre compte de la situation des corps, voulut connaître les mouvemens qu'ils avaient faits, les vues, les espérances des généraux qui les avaient conduits. La correspondance de tous ceux qui avaient commandé fut analysée avec soin. Ce travail, loin de justifier les bases qu'on s'était laissé imposer, ne présentait que des motifs de sécurité. Les croisières étaient faibles, les mameloucks dispersés, les Osmanlis aux prises avec la faim: nos troupes, électrisées par la victoire et le butin qu'elles avaient fait, étaient assurées de vaincre, et ne demandaient que nouvelle fête, comme l'écrivait Desaix. Ces bonnes dispositions furent inutiles. Un Tartare, expédié de Jaffa, fit évanouir toute la résolution que Kléber avait montrée. L'énergie du soldat plia devant la responsabilité du général; il craignit de courir les chances d'une action, et résolut de s'en remettre encore aux subtilités de la diplomatie. Peut-être un peu de présomption se mêlait à ce dessein. Il se confiait à la supériorité européenne, et ne désespérait pas de dessiller les yeux au pauvre grand-visir. Menou était désigné pour opérer ce prodige, mais le rusé Abdalla n'eut garde d'accepter la mission. Il éluda, se perdit en considérations sur l'état où se trouvaient les Ottomans. Il représenta que la Turquie était à bout, qu'elle exécrait les Russes et ne pouvait marcher qu'avec défiance contre un ennemi qu'ils combattaient. Kléber n'en voulut pas davantage. Ces aperçus le touchaient peu; ne croyait pas à la sagesse des gouvernemens, et perdait patience quand il l'entendait invoquer. «Leur sagesse! répétait-il avec amertume, mais le divan a ouvert les Dardanelles aux Moscovites, le Directoire nous a mis aux prises avec les Turcs. Qu'attendre? que se promettre désormais? comment, dans cette vaste confusion de choses et d'intérêts, prévoir ce qui arrivera, pressentir ce qui n'aura pas lieu? Au reste, je négocierai, je combattrai, je ferai tout pour gagner du temps. Chacun en agira de même, et la fortune décidera.» Ces brusques allocutions ne satisfaisaient pas Menou. Il voulut revenir sur les rapports qu'ont entre eux les États; mais Kléber refusa de se prêter à ses dissertations. Il lui défendit de l'entretenir de politique, et ordonna à Desaix de négocier.

Ce général ne savait trop avec qui, Sidney avait disparu, le visir n'arrivait pas; il commençait à croire qu'il en serait quitte pour battre ce qui restait d'Ottomans sur la côte, lorsqu'il apprit que leur chef avait enfin planté ses tentes à Jaffa. Il voulut essayer si une nouvelle tentative ne rendrait pas Kléber à son élan. Il lui écrivit, et faisant légèrement allusion au long effroi qu'on lui avait donné du visir; il lui exposa l'insolence des Turcs, les prétentions des Anglais, et l'impossibilité de rien arrêter de raisonnable avec eux avant de les avoir défaits. «Vous m'annoncez, lui mandait-il l'arrivée du visir à Jaffa. Il était temps qu'il vînt, car en voilà beaucoup qu'il est en marche. Je suis bien convaincu qu'il ne fera pas de paix qu'il n'ait été battu. Les Turcs sont trop insolens et ont la tête trop dure pour entendre si facilement raison. Il faut les étriller souvent pour leur faire comprendre quelque chose. Smith sera plus traitable; mais il voudra que vous partiez de suite. Si la fortune vous faisait battre le visir, ils seraient tous plus raisonnables.» Il lui exposait ensuite combien les armées qui menaçaient l'Égypte étaient peu redoutables, et les chances qu'il avait pour lui. Elles n'avaient plus de flotte pour les appuyer: elles marchaient sans ordre. Les corps s'attendaient, se devançaient, agissaient sans concert; un tel assemblage était hors d'état d'obtenir des succès décisifs sur des troupes aguerries.

Ces considérations étaient vraies; mais peu de jours avaient suffi pour compliquer la position du général en chef. Bonaparte avait, de prime abord, pénétré Sidney et interdit toute communication avec son escadre. Kléber, plus confiant, tint une conduite opposée; il laissa imprudemment affluer les Anglais sur la côte: l'inquiétude, la séduction courut aussitôt nos rangs. «Quelle folie de s'obstiner à garder l'Égypte, de défendre des principes que la victoire avait proscrits. Les généraux étaient las de guerre, d'anarchie; ils étaient résolus de mettre un terme aux maux qui les consumaient. Ils allaient arborer les couleurs royales; ils attendaient le prince de Condé, et se disposaient à rentrer en France les armes à la main.» Les souvenirs qu'on s'appliquait à réveiller, les desseins qu'on attribuait à leurs chefs ébranlèrent les soldats. Ils devinrent impatiens, mutins, et ne se prêtèrent plus qu'avec répugnance à éloigner l'époque d'une évacuation qu'ils croyaient arrêtée. Encouragée par ces succès, la malveillance redoubla d'efforts. Argent, proclamations, écrits anonymes, tout fut répandu à pleines mains. Partout on excitait les troupes à la révolte, partout on leur prêchait l'insubordination. Lanusse cherchait à intercepter ces écrits; Menou jurait qu'il ne survivrait pas à la République. Mais ni ces soins ni cette résolution ne remédiaient au désordre. L'anxiété de Kléber était au comble. Les rapports qui arrivaient de toutes parts vinrent encore l'augmenter. On enrôlait ouvertement pour les mameloucks au Caire, on sortait furtivement des armes d'Alexandrie. Les caravanes partaient en plein jour de Mansoura, le parlementage, comme l'écrivait Dugua, portait son fruit. Bientôt même il eut des conséquences qu'on n'eût osé prévoir. Les troupes, égarées par des suggestions qui pourtant avaient été signalées bien des fois, demandèrent impérieusement leur solde et refusèrent de marcher. En vain Verdier, qui venait si glorieusement de triompher à la tête de celles qui occupaient Damiette, essaya de les ramener: les prières furent aussi inutiles que les menaces; il ne put les apaiser qu'en avisant aux moyens de les satisfaire. Lanusse fut plus heureux quelques jours plus tard, et parvint à contenir les siennes; mais toutes étaient agitées, mécontentes, prêtes à éclater. Kléber, stupéfait, ne savait que résoudre. Il était humilié, consterné de ce soulèvement inattendu, et cherchait à l'apaiser lorsque le persiflage du reis-effendi vint lui faire encore mieux sentir le danger qu'il y a à trop étendre ses communications. Cette lettre, qui répondait à la dépêche transmise par Moustapha, était ainsi conçue:

Le Reis-Effendi, ministre des relations extérieures de la Sublime Porte, à Moustapha-Pacha
28 de gemaizcoulaher, l'an de l'hégire 1214;
savoir, 28 brum. an VIII (19 nov. 1799).
Mon Magnifique, Puissant, Généreux, Clément Seigneur et Maître

«Le contenu de toutes les lettres qui sont parvenues de la part du général en chef français l'honoré général Kléber, à mon puissant, miséricordieux bienfaiteur et maître le grand-visir, généralissime des armées ottomanes, a été bien compris par sa hautesse et par moi votre serviteur, qui occupe actuellement la place du reis-effendi. Quoique le général votre ami m'ait paru sous différens rapports être un homme sage, prévoyant et intelligent, je ne puis approuver ni comprendre sa manière d'écrire, où l'on trouve quelques phrases qu'on ne peut saisir, et qui peuvent être expliquées de différentes manières. Il dit, d'un côté, que la nation française, ancienne amie de la Sublime Porte, n'avait pas le moindre avis de l'occupation de l'Égypte par l'armée française, opérée par l'instigation d'une bande séditieuse; que le conseil ayant discuté sur une affaire si mauvaise et sinistre, était sincèrement porté à faire la paix avec la Sublime Porte: il dit de plus d'être notre ami, et il conteste de l'être. De l'autre côté, il dit être prêt à tout, même à se battre contre les armées de la Sublime Porte. Tantôt il veut évacuer l'Égypte; tantôt il fait voir qu'il voudrait faire cette évacuation d'une manière à n'avoir rien à craindre. D'un côté, il fait changer la face des affaires en n'expliquant pas clairement qu'il ne se propose pas d'évacuer l'Égypte; de l'autre côté, après avoir allégué l'opinion de la nation française relativement à l'invasion de l'Égypte, il dit que pour n'être pas réprimandé par cette même nation et par le Directoire exécutif, pour avoir quitté l'Égypte, il veut être muni d'un titre qui est impossible. Le moyen de comprendre comment un homme intelligent peut écrire des phrases qui se croisent les unes avec les autres, de sorte que ce qu'il paraît vouloir dans un endroit s'oppose et fait changer de face à ce qu'il demande dans un autre? Il est certain que si le général mettait sous ses propres yeux et examinait attentivement ses écrits et la signification véritable qui doit y être donnée par ceux à qui ils sont adressés, il ne pourrait que s'apercevoir de l'opposition des phrases qui s'y trouvent, et du jugement que l'on doit en porter. Si le général croit que ceux à qui il envoie ses écrits ne se pénètrent pas de leur véritable signification, il se trompe; il se trompe encore s'il croit qu'il n'y a pas des personnes capables d'approfondir le véritable sens des choses: des hommes intelligens et sages, dont le but est de concilier et d'arranger les affaires, ne doivent pas d'ailleurs avoir de pareilles fantaisies. Le général votre ami doit être convaincu le premier que des formes pareilles de traiter peuvent être comparées à des bâtisses transparentes, dont tous les contours ont toujours été connus la Sublime Porte, qui découvrit les choses les plus cachées, et qui développe les affaires les plus embarrassées et les plus compliquées. Puisque le général votre ami désire empêcher l'effusion du sang humain, pourquoi ne pas diriger ses paroles et ses actions vers le véritable but? pourquoi ne pas faire en sorte que ses intentions soient toujours pures et constantes, que toutes ses expressions soient sincères et loyales, que toutes ses phrases soient conformes les unes aux autres? Voilà la conduite qui doit être tenue par tous ceux qui agissent légalement en hommes, sans dissimulation, et qui ont pris leur parti.

 

«Quoique ni Votre Excellence, ni moi votre serviteur n'ayons aucune destination spéciale dans cette affaire, tous les hommes qui aiment le bien doivent contribuer à ce qu'elle prenne une bonne tournure et qu'elle ait un heureux succès. J'ai pensé en conséquence que je devais expliquer tout ce qui pourrait rencontrer quelque difficulté, d'une manière toujours digne et conforme à l'état et au mérite des deux parties.

«Si l'on finit par traiter d'une manière conforme à celle que j'ai annoncée, que les paroles et les faits soient toujours conformes les uns aux autres, tout ira bien, et tout sera bientôt arrangé; et comme il est très clair et évident que l'on ne pourrait que faire naître des difficultés à la réussite de l'affaire que l'on traite, par des paroles et par des faits qui se croiseraient les uns les autres, l'on espère que dorénavant, avec la grâce du Très-Haut, tout sera énoncé d'une manière claire et évidente, et que la sincérité des intentions des deux parties sera exprimée de sorte qu'il n'y aura pas le moindre doute ni équivoque. Je vous prie de croire digne de votre attention ce que j'ai eu l'honneur de vous exposer, mon magnifique, puissant, généreux, clément seigneur et maître.

«Signé Moustapha-Rasikh.»

Morand arriva quelques jours après la dépêche du reis-effendi. Il avait joint le commodore à Jaffa; les propositions dont il était porteur avaient été discutées, accueillies en plein conseil; et Smith, toujours prompt à attester l'honneur, la bonne foi, n'avait pas manqué d'assurer Kléber de la délicatesse qu'il apporterait dans la négociation.

Le visir fut moins poli. Il distribua en général quelques maximes sur l'accord qu'il doit y avoir entre les paroles et les actions; il le prévint ensuite que ses dépêches avaient été soumises au commodore, et au conseiller russe qui suivait le quartier-général ottoman; que le conseil avait agréé ses propositions et chargé le commandant Smith de négocier l'affaire relative à l'évacuation. Le commodore se trouvait ainsi accrédité par la Porte et la Russie. Le grand-visir signifiait les pouvoirs dont il était revêtu; il devenait inutile de vérifier le titre de plénipotentiaire de la Grande-Bretagne qu'il avait pris; il n'y avait plus qu'à se réunir. Kléber avait désigné pour ses plénipotentiaires le général Desaix et l'administrateur Poussielgue. Il les envoya attendre à Damiette l'apparition du commodore, et leur remit les instructions qui suivent:

INSTRUCTIONS
Données par le général en chef Kléber, au général de division Desaix, et à l'administrateur général des finances Poussielgue, pour les conférences relatives à l'occupation et à l'évacuation de l'Égypte

1o. Les envoyés proposeront, à l'ouverture des conférences, d'arrêter une suspension d'armes pour tout le temps qu'elles dureront, sous la condition, en cas de rupture, de n'en agir offensivement de part et d'autre, que quinze jours après la notification de ladite rupture. Si cette proposition est agréée, même avec quelques modifications que les envoyés trouveront convenables, ils sont autorisés à signer ledit armistice.

2o. La triple alliance entre la Porte, les Anglais et les Russes, ayant eu pour objet apparent l'intégrité du territoire de l'empire ottoman; une des premières conditions à exiger pour consentir à l'évacuation de l'Égypte, est la dissolution de cette triple alliance contre la France, et une nouvelle garantie du gouvernement anglais de cette même intégrité de l'empire ottoman.

3o. Depuis l'envahissement de l'Égypte par les Français, la Porte, en usant de représailles, s'est emparée des îles de Corfou, Zante et Céphalonie. Les envoyés demanderont, de la manière la plus expresse, que ces îles, et ce qui en dépend, soient restituées à la France, à qui elles seront garanties par la Porte et par le gouvernement anglais, tout le temps que durera la guerre.

4o. Ainsi, dès que l'évacuation de l'Égypte aura été arrêtée, ces îles et les places qu'elles renferment ou qui en dépendent, seront abandonnées par les troupes de la Porte, et par celles de ses alliés. Le générai en chef Kléber sera le maître d'y envoyer de suite, et directement de l'Égypte, telles garnisons, munitions de guerre et de bouche qu'il jugera convenables. Il est entendu, du reste, que les ports et places de ces îles seront restitués dans le même état où ils se trouvaient lorsque les troupes ottomanes s'en sont emparées.

5o. Le gouvernement anglais tirant le plus grand avantage de l'évacuation de l'Égypte, il lui sera demandé formellement, ainsi qu'à la Porte, une garantie sur la possession, durant la guerre, des îles de Malte et de Goze, de leurs forteresses et dépendances. Le général en chef aura pareillement la faculté de ravitailler la forteresse de Malte et ses dépendances, tant en troupes qu'en munitions de guerre et de bouche, qui seront envoyées directement de l'Égypte avec les passe-ports et sauf-conduit nécessaires. Le général en chef pense que cet article devra souffrir d'autant moins de difficultés que, si la Sublime Porte et le gouvernement anglais avaient à opter sur l'occupation de ces îles par les Français ou par les Russes, ils devraient, en bonne politique, solliciter les premiers pour y rester et s'y maintenir plutôt que de les voir possédées par les derniers.

6o. Dans le cas où, par l'acceptation des articles ci-dessus, l'évacuation de l'Égypte serait consentie par les plénipotentiaires français, ils traiteront des détails sur la manière dont cette évacuation aura son exécution, et stipuleront, nominativement les places et forts qui seront successivement remis aux commissaires de la Porte.

7o. Aussitôt que le général en chef sera instruit de l'acceptation des articles ci-dessus, il enverra au lieu où se tiendront les conférences l'ordonnateur de la marine, pour régler et déterminer le nombre de bâtimens qui devra être fourni par la Porte à l'armée française, pour elle, ses bagages, munitions de guerre et de bouche.

8o. La forme des sauf-conduit pour le passage de l'armée sera stipulée particulièrement: ils devront être conçus de la manière la plus honorable, et tels qu'il ne puisse être apporté aucune entrave à ce qui aura été convenu de part et d'autre.

9o. Les délégués français exigeront la garantie de la vie et des biens de ceux des habitans de l'Égypte qui ont servi les Français avec la soumission que l'on doit à tout gouvernement établi.

10o. Toutes choses devant être rétablies entre la France et la Sublime Porte comme par le passé, les négocians français résidans en Égypte, ou ceux qui voudraient s'y fixer par la suite, jouiront de la même liberté, des mêmes priviléges et franchises qu'avant l'occupation de ce pays par l'armée française.

11o. Tous les prisonniers faits de part et d'autre, à Corfou, Zante, Céphalonie, en Syrie, ou en Barbarie, ou sur quelque autre point de l'empire ottoman, soit par les Français, la Porte, les Anglais ou les Russes, seront mis en liberté sans rançon, et renvoyés dans leur patrie respective, avec les secours et passe-ports nécessaires.

12o. Toute hostilité entre la France et la Sublime Porte, ainsi qu'entre les puissances barbaresques, cessera aussitôt après l'évacuation de l'Égypte, en attendant la conclusion définitive de la paix entre lesdites puissances.

13o. Les plénipotentiaires français sont autorisés à stipuler et consentir toutes les autres conditions qu'ils jugeront convenables ou conformes aux intérêts de la nation, mais en tant seulement qu'elles ne seront pas diamétralement contraires, ni atténuantes de celles portées dans les présentes instructions.

14o. Si cependant notre situation en Europe était telle que nos frontières fussent déjà envahies, nos places principales prises ou attaquées, ce que les plénipotentiaires connaîtront facilement par les papiers publics qu'on ne manquera pas de leur communiquer; comme alors probablement les plénipotentiaires adverses n'acquiesceront pas aux conditions ci-dessus, et qu'ils insisteront au contraire sur l'évacuation pure et simple de l'Égypte, les plénipotentiaires français déclareront, dans ce cas, que jamais général français ne consentira à une semblable évacuation que sur les ordres par écrit de son gouvernement: ils demanderont un sauf-conduit pour expédier un courrier extraordinaire au Directoire exécutif, et une suspension d'hostilités, jusqu'à son retour, qui sera fixé à quatre mois.

15o. Le même arrangement pourra avoir lieu dans le cas où les plénipotentiaires ennemis auraient à consulter leurs cours sur les différentes conditions proposées, aux fins d'avoir leur consentement.

16o. Les plénipotentiaires ne correspondront officiellement que par écrit.

Fait au quartier-général du Caire, le 16 frimaire an VIII de la République française,

Signé Kléber.
Pour copie conforme,
Signé Kléber.
PIÈCES JUSTIFICATIVES
Réponse du Grand-Visir, à la Lettre qui lui a été écrite par le général en chef Kléber, le 5e complémentaire an VIII,
Apportée le 1er brumaire an VIII par le trésorier de Moustapha-Pacha, prisonnier au Caire

(№ 1.)

Au quartier-général de Damas (sans date).
Au Modèle des Princes de la nation du Messie, au Soutien des Grands de la secte de Jésus, à l'honoré et estimé Kléber, dont la fin puisse être heureuse, un des Généraux de France, Salut et Amitié

J'ai reçu la lettre que vous m'avez envoyée par le trésorier de Moustapha-Pacha, et j'en ai compris le contenu, qui me fait voir que vous êtes disposé à rétablir la paix entre la Sublime Porte et la République française, et que vous cherchez à excuser ce qui s'est passé. Vous m'avez annoncé en même temps que Bonaparte était parti du Caire, et que vous l'aviez remplacé. J'ai reçu, jointe à cette lettre, la double copie de celle que m'avait écrite Bonaparte, qui me fut remise par Mahmed-Kouschdy effendi, et que vous me dites m'avoir envoyée dans la crainte que la première n'ait été prise par quelqu'un des bâtimens qui croisent dans la Méditerranée. Je pense que vous avez reçu ma réponse à la lettre de Bonaparte, que j'ai envoyée par le même, effendi qui était porteur de la sienne, et que vous avez parfaitement compris le sens de ce que je lui écrivais.

Il me semble par votre lettre, ainsi que je vous l'ai déjà dit, que vous désirez la paix, que les hommes sensés ont toujours préférée à la guerre. Quel est celui qui n'aime pas mieux la tranquillité publique que l'effusion du sang humain!

Je dois vous observer, d'après le désir que vous montrez de rétablir la paix entre la Sublime Porte et la République française, qu'il faut commencer par faire connaître les pouvoirs donnés par les cinq Directeurs de France, désigner ensuite les plénipotentiaires et le lieu des conférences, où l'on pourra discuter tout ce qui peut renouer cette paix entre les deux puissances, et que nécessairement ces préliminaires prendront beaucoup de temps.

Si, en me proposant la paix, vous n'avez d'autre intention que de retourner en sûreté d'où vous êtes venu, et entamer des négociations pour cet objet; quoique je sois en route pour marcher au Caire, suivi d'une armée innombrable et pleine de confiance dans la puissance du Très-Haut, la loi de Mahomet prescrivant formellement à tous les musulmans de favoriser tous ceux qui demandent protection et salut, ainsi que je l'ai dit dans ma réponse à Bonaparte, je vous ferai avoir toute sûreté de la part de la Sublime Porte, pour qu'il n'arrive le moindre dommage, de la part des Anglais ou de tout autre, à vous, ni à aucun des Français qui sont en Égypte, et qui pourront en partir avec leurs armes. Je garantirai votre retour en France sur les bâtimens français qui sont en Égypte, et s'ils ne suffisent pas, sur ceux de la Sublime Porte.

Lorsque vous serez arrivés dans votre pays, si votre république témoigne le désir de rétablir la paix avec la Sublime Porte, vous savez qu'il doit être ouvert à cet effet des négociations entre des envoyés de part et d'autre, conformément aux anciens usages établis.

 

Si vous désirez donc assurer votre retour dans votre pays, cet arrangement pourra avoir lieu conformément à ce que je viens de vous dire; et si vous avez quelque autre moyen qui vous paraisse plus convenable pour votre sûreté, ne tardez pas à m'en instruire. C'est pour cet objet que je vous ai écrit la présente; quand vous l'aurez reçue, et que vous en aurez compris le contenu, réfléchissez beaucoup à sa fin, en saisissant bien ce que je vous propose.

Signé en chiffre JOUSSEF, ainsi que dans le sceau apposé à la lettre.

Traduit par le citoyen Brascevich, interprète du général en chef.

Signé Damien Brascevich.
Pour copie conforme,
Signé Kléber.

(№ 2.)

Au quartier-général du Caire, 27 octobre 1799.
Kléber, général en chef, au Grand-visir

J'ai reçu une lettre que Votre Excellence m'a fait passer par le trésorier du très considéré Moustapha-Pacha, et après en avoir compris le contenu, j'en ai conféré avec ce dernier, en le chargeant de vous faire connaître mes intentions ultérieures. Il ne me reste donc ici qu'à prier Votre Excellence d'apporter à ce que ce pacha, notre prisonnier et pourtant notre très honoré ami, pourra vous écrire. Il s'agit moins, ce me semble, en ce moment, de diriger nos regards sur le passé que sur l'avenir, et j'ose inviter Votre Excellence de considérer surtout que de quelque côté que puisse se ranger la victoire dans le combat que nous sommes prêts à nous livrer, elle ne saurait être qu'infiniment préjudiciable aux grands intérêts des deux puissances pour lesquelles nous agissons.

Je prie Votre Excellence de croire à la très haute considération que j'ai pour elle.

Kléber.

(№ 3.)

Au quartier-général du Caire, 11 octobre 1799.
Kléber, général en chef, au général de division Menou

Le grand-visir a renvoyé l'effendi qui était porteur de la lettre de Bonaparte, avec une réponse écrite dans le délire de l'orgueil, et marquée au coin de la plus haute insolence. Il faut, d'après cela, renoncer entièrement à traiter avec les ministres de la Sublime Porte, ou se couvrir et s'envelopper d'infamie; ce à quoi aucun individu de l'armée ne consentirait sûrement pas.

Cette circonstance ne doit pourtant pas vous empêcher d'entrer en pourparlers avec les bâtimens européens qui pourraient se présenter devant vous. Je serais fort aise d'avoir ici un parlementaire russe ou anglais. J'inspirerais par là aux Turcs une jalousie, ou plutôt une défiance qui pourrait les rendre plus traitables, et mon objet principal, celui de gagner du temps, se trouverait toujours rempli.

Kléber.

(№ 4.)

Belbéis 2 octobre.
Le général Reynier au général en chef Kléber

Je vous envoie, citoyen Général, une lettre de l'adjudant-général Martinet, qui m'écrit les renseignemens qu'il a reçus d'un volontaire de la 25e demi-brigade, pris le 18 fructidor, conduit à Damas, et renvoyé par le visir. L'idée de faire un prisonnier et de nous le renvoyer afin d'effrayer sur les préparatifs ne peut avoir été suggérée que par des Européens, et annonce en même temps peu de confiance dans ses forces, ou le désir de négocier. L'adjudant-général Martinet doit vous écrire les mêmes renseignemens qu'il me donne.

Je n'ai appris ici aucune nouvelle de Syrie. L'esprit des habitans est toujours fort bon; ils font peu d'opinion des préparatifs des pachas.

(№ 5.)

Tigre, le 16 octobre 1799.
Au général Marmont

Votre départ subit de nos parages, il y a deux mois, me priva du plaisir de vous revoir, comme je l'avais espéré, et de prendre votre réponse à la dernière lettre du commodore, qui l'attend encore.

Votre ex-général en chef trouvera bien du changement en France, s'il y arrive. Tout le Directoire, à l'exception de Barras, est en état d'accusation. On leur impute formellement, entre autre choses, d'avoir exilé et relégué la plus belle armée de la République dans les déserts de l'Arabie; et Rewbell en appelle au général Bonaparte, pour justifier son projet, comme vous verrez par les feuilles ci-incluses. J'espère que nous serons bientôt devant Alexandrie, et que j'aurai l'honneur de vous y voir dans le courant du mois. Je vous ferai part alors de tout ce verbiage de l'Europe. Il n'y en eut jamais autant que dans ce moment-ci.

Vous avez sûrement appris la capture de l'escadre de l'amiral Perée, de trois frégates et deux bricks, par nos vaisseaux le Centaure et la Bellone; le dernier commandé par le chevalier Thompson, ci-devant capitaine du Leander, et qui fut si maltraité par le commandant du Généreux. Nos officiers et matelots qui sont revenus se louent beaucoup de M. Trullet, peu de M. Barré, mais se plaignent de la dureté et de la grossièreté de l'amiral Perée à leur égard.

Je prends la liberté de vous prier de vouloir bien acheminer la lettre ci-incluse à son adresse. Elle est de notre consulesse à Acre, a rapport, à ce que l'écrivain m'a dit, à des affaires de famille, etc., etc. Je suis honteux d'user si librement de votre complaisance; si jamais il était en mon pouvoir de vous être utile à vous ou à vos amis, j'en serais bien charmé, et vous prie de disposer de mes services sans réserve.

John Keit.

(№ 6.)

Damiette, le 18 brumaire an VIII (9 nov. 1799).
Le général Desaix au général en chef

Je crois, mon Général, que ma présence est ici très peu nécessaire. Le général Verdier est jeune, actif, intelligent. Le succès qu'il vient d'avoir, et qui lui fait vraiment bien de l'honneur, lui a électrisé la tête. Les troupes sont enchantées d'avoir si promptement et si rapidement détruit les Turcs; elles sont sûres de vaincre, ont fait bien du butin, et ne demandent que tous les jours nouvelle fête pareille. Il y a ici assez de moyens pour vaincre tout ce qui se présenterait; il y a trop de cavalerie, à ce que trouve le général Verdier; mais sur les plages entre le lac Burlos et ici, elle peut être utile: si vous pouviez retirer tous ces détachemens épars et les faire remplacer par un régiment entier, cette partie-ci serait à l'abri de tout événement. Il y a plus qu'il ne faut de moyens, puisqu'il y a six pièces mobiles, plus de quatre cents chevaux. J'ai vu Lesbëh; il a un grand défaut, un immense développement. Avec quatre à cinq cents prisonniers turcs très poussés, on pourra faire bien de l'ouvrage. Je pense qu'en creusant tout autour un fossé, quand il n'aurait que trois pieds d'eau (c'est déjà un très grand obstacle), l'ennemi ne pourrait plus escalader les remparts, ne pouvant s'avancer qu'avec infiniment de peine dans ces boues jusqu'aux jarrets. Vous seriez bien à l'abri de tout événement avec une bonne place ainsi construite à l'embouchure du Nil. Sous très peu de jours, la place sera entièrement fermée sur tous les points. Le général Verdier fait faire des redoutes fermées en avant de son camp, pour battre la mer et éloigner les bâtimens ennemis. Les redoutes fermées sont très dangereuses; elles ne sont jamais assez fortes pour n'être pas prises de vive force. Les Turcs les défendent si bien qu'entre leurs mains elles sont excessivement dangereuses. J'engage le général Verdier à les laisser comme vous les avez faites, c'est-à-dire ouvertes à la gorge. Il paraît bien clair que l'expédition de Damiette avait été cherchée par Smith lui-même à Constantinople; qu'elle était indépendante de celle du visir; il paraît aussi que nous avons des agens qui négocient à Constantinople. Vous me disiez de voir, si je pouvais, cet officier anglais. Vous savez qu'il est parti, et que Morand a couru après lui à Jaffa. Je crois qu'il va presser le visir à agir, et se disculper du malheur qu'il a éprouvé. Je présume que je n'ai pas besoin de porter Smith à la paix, comme vous le désiriez: il n'a qu'un but, qu'un désir, qu'une volonté, c'est de négocier avec nous, pour nous prouver qu'il faut que nous nous en allions bien vite. La gloire qui lui en reviendrait dans son pays, chez les Russes et chez les Turcs, lui fait tourner la tête. Il paraît qu'il a peur de la voir échapper, car il a l'air inquiet. Les revers que ses soldats éprouvent, c'est-à-dire les Osmanlis, paraissent le faire peu aimer d'eux. Je crois qu'encore quelques revers, les bonnes gens s'accommoderont. Battez le grand-visir, et ils feront alors tout ce que vous voudrez. La bonne politique ne leur entrera dans la tête que par bien des corrections; encore une bonne, et tout ira, je le présume. Smith tremblait de n'avoir pas de vos nouvelles; il frappait du pied, il s'écriait: Le général Kléber devrait me répondre; ce que je lui ai dit est honnête; je le croyais plus raisonnable que le général Bonaparte. Ainsi, d'après tout cela, vous voyez, mon Général, qu'il veut bien négocier; mais tout ce qu'il veut, c'est de vous faire partir d'ici le plus tôt possible; quand un ennemi demande instamment quelque chose, c'est que cela lui fait bien du mal, et il ne faut pas, je pense, le lui accorder légèrement. J'espère qu'avant qu'il soit deux mois nous aurons des nouvelles bien intéressantes. Je voudrais savoir ce que vous voulez que je fasse; je suis inutile ici. J'irai visiter le lac Menzalëh, les côtes vers le lac Burlos, si vous ne me faites pas passer d'autres ordres; j'irai ensuite au Caire pour me rendre de là au point où vous me destinerez. Avant que de faire ces voyages, j'aurais été bien aise d'aller chercher des effets qui me manquent. J'attends de vos nouvelles.