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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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«Quoique la paix soit dans tous les temps préférable à la guerre, cette paix ne peut d'aucune manière être conclue en Égypte; mais si vous partez, en vous embarquant sur les bâtimens de la Sublime Porte, vous n'aurez rien à craindre pendant la traversée, ni de la part des Russes, ni de celle des Anglais, nos alliés; et vous épargnerez l'effusion du sang humain, et la destruction inutile de tant de malheureux qui seraient foulés aux pieds des chevaux des Musulmans.

«Que si, à votre arrivée à Paris, le vœu de la République est de rétablir la paix, et si l'on fait part de ces dispositions à la Sublime Porte, par la médiation de notre ambassadeur ou de tout autre, je ferai de mon côté tout ce qui dépend de moi, pour le succès d'une affaire si utile.

«Dans le cas où vous n'adhéreriez pas à des propositions si convenables, j'espère qu'à mon arrivée dans ces contrées, je finirai, comme je le dois, tout ce qui vous concerne, et je mettrai un terme à la route que fait la République française, route qui ne peut la conduire qu'à sa perte. Le Créateur de la lumière et du monde n'approuve pas les massacres que les Français ont fait des Français, d'une manière contraire aux lois et aux réglemens; c'est la cause pour laquelle ils ont commencé à être malheureux et dispersés de tous côtés.

«Indépendamment de cent mille Français environ qui ont été tués dans les départemens de l'Italie, dans les villes d'Ancône et de Naples et dans les environs, votre escadre qui était sortie pour venir au secours de l'armée d'Égypte, a été brûlée et coulée à fond par les escadres des Anglais, des Russes et de la Sublime Porte. Vous pouvez conclure de tous ces événemens que le vent du malheur et du désordre commence à souffler contre les Français, et qu'ils sont devenus désormais l'objet de la colère du Très-Haut.

«Vous qui êtes renommé par votre intelligence, et par la sagesse de la direction que vous avez imprimée aux affaires de la République française; vous aussi, vous n'avez considéré le lendemain que d'aujourd'hui.

«Le Grand-Seigneur, souverain de la terre, roi des rois, asile de la justice, ayant destiné une armée formidable contre l'Égypte, vous connaîtrez bientôt, s'il plaît à Dieu, la grandeur, la dignité, le zèle et la force de la Sublime Porte.

«Quoique d'après les fausses démarches des Français, et leur conduite contraire aux droits des nations, il ne fut pas nécessaire de répondre à ce que vous m'avez écrit; sans m'arrêter à ces considérations, et parce que le refus d'une réponse serait contraire aux usages et à la bienveillance, je vous ai écrit cette lettre amicale, et je vous l'ai envoyée par ledit effendi. Après que vous l'aurez reçue, ce sera à vous à choisir celui des deux partis que vous devez prendre.»

Signé en chiffre Youssef, ainsi que dans le sceau apposé à la lettre.

Cette réponse outrageante rendit Kléber à toute son énergie; il repoussa des bases qu'il ne pouvait accepter sans déshonneur, et ne songea plus qu'à combattre; il porta des troupes à Souez, réunit des bâtimens à Castel-Messara, fit passer des renforts au général Verdier, et lui manda que si l'ennemi débarquait sur la plage étroite qui sépare la mer du lac Menzalëh, il l'attaquât avec ses dragons et ses chaloupes; que dans une position aussi resserrée, trois cents de nos braves ne devaient pas craindre d'aborder trois mille Turcs. Il ordonna en même temps qu'on doublât tous les postes qui protégeaient les terres cultivées, et voulut qu'au lieu d'être réduit à la simple défensive, El-A'rych fût en état de donner de l'inquiétude à l'ennemi, de tenter une sortie, d'arrêter les Osmanlis et de les livrer à toutes les privations du désert. Il connaissait, par les rapports, la disette qu'éprouvait l'armée du visir, et prit des mesures pour l'accroître; il savait qu'elle était alimentée par les Arabes, et qu'elle n'avait, pour ainsi dire, de subsistances que celles qu'elle recevait des caravanes. Il défendit l'exportation, abandonna aux troupes les prises qu'elles pourraient faire, et punit de mort ceux qui se livreraient à ce coupable trafic. Menou, toujours prêt à trancher de l'économiste, voulut s'élever contre des arrêtés qu'il jugeait trop sévères, et se prévalut de l'autorité de l'ancien commandant de Mansoura; mais Kléber resta inébranlable, et répondit au malencontreux dissertateur que la première loi à la guerre était de mettre l'ennemi dans la détresse; qu'il persistait dans ses décisions.

Les mouvemens n'étaient pas moins actifs dans la Haute-Égypte. Mourâd-Bey, après sa défaite, s'était réfugié dans le désert, d'où il s'échappait de temps à autre, lorsque le besoin de prendre du repos ou de faire des vivres le pressait trop vivement. Desaix, que ces incursions fatiguaient, résolut d'y mettre fin; il réunit quelques troupes à cheval, des pièces, de l'infanterie montée à dromadaire; forma deux colonnes mobiles; se mit à la tête de l'une, et confia l'autre à l'adjudant-général Boyer. Le général battit vainement le désert; mais son lieutenant fut plus heureux. Parti de Siout dans les premiers jours d'octobre, il suivit le désert jusqu'à la hauteur de Benezëh, où Mourâd était établi avec quatre tribus arabes. Le bey ne l'eut pas plus tôt aperçu qu'il leva son camp; il se dirigea sur Heslé, s'enfonça dans les sables, prit la route du palais Caron, alla, revint, et chercha par mille détours à dérober sa trace. Il ne put y réussir, et se trouva le 9, au point du jour, en face des troupes qu'il voulait éviter. Il prend aussitôt son parti; il accepte la charge, et se flatte de venger sur cette cavalerie de nouvelle espèce les échecs qu'il a essuyés; mais les Arabes ne sont pas à portée, que déjà elle est à terre et ouvre sur eux un feu meurtrier. Ils se reforment, bravent les balles et les baïonnettes, sont repoussés, reviennent, ne sont pas plus heureux, et rendus furieux par les pertes qu'ils ont faites, s'élancent en aveugles sur le carré, où se brisent leurs efforts. Ils ne peuvent ni l'abandonner ni le rompre, et se dispersent, pour mieux l'inquiéter, sur les mamelons voisins: mais ils sont abattus par les coups pressés d'une nuée de tirailleurs, qui marchent à eux, et se perdent dans les sables. Notre infanterie se jette aussitôt sur ses chameaux, et les pousse à Rauyanné, à l'oasis, et les force de se dissoudre. Mourâd, harcelé, traqué d'un bout du Saïd à l'autre, prend le parti de se jeter dans le Delta. Il franchit le Nil à la hauteur d'Attfiély, évite les troupes du général Rampon, s'enfonce dans la vallée de l'Égarement, change de résolution, revient sur ses pas, échappe aux colonnes qui le poursuivent, et regagne la Haute-Égypte. Ses tentatives auprès de la population sont moins heureuses. En vain il sème les proclamations, prodigue les firmans; les villages restent sourds à ses appels, aucun ne répond à ses cris d'insurrection.

Tout était à la guerre: les troupes se dirigeaient sur le désert, on approvisionnait, on armait les forts qui couvrent les terres cultivées, personne ne pensait plus qu'à punir un ennemi présomptueux. Sidney sentit la faute qui avait été faite, et avisa aux moyens de renouer des communications auxquelles on ne songeait plus. Il mit son secrétaire en avant; celui-ci, qui avait été accueilli par Marmont, feignant d'ignorer que ce général avait quitté Alexandrie, lui écrivit sous prétexte de demander une réponse que réclamait le commodore, et lui communiqua les nouvelles qu'il jugeait les plus propres à ébranler la résolution que manifestait l'armée de se maintenir en Égypte: les Directeurs avaient été renouvelés; Barras seul était resté au pouvoir, et avait vu ses collègues chargés d'un acte d'accusation. Un des principaux griefs qu'on alléguait contre eux était d'avoir relégué dans les déserts la plus belle armée de la République. Le secrétaire signalait ensuite, comme une nouvelle de mer que son correspondant connaissait déjà, la perte de l'escadre que commandait le contre-amiral Perée, et joignait à son insidieux message une collection de journaux qui exagéraient encore l'état fâcheux où se trouvait la France. Les flottes combinées avaient repassé le détroit, toute espérance de secours était évanouie.

Cette lettre produisit l'effet que Smith s'en était promis. Retenue par l'état-major d'Alexandrie, elle fut acheminée sur le Caire, et rendit Kléber à toutes ses perplexités; il retomba sous l'inspiration des hommes dont il avait secoué la funeste influence; et lui, qui s'était soulevé contre les insolens propos que le visir adressait à Bonaparte, qui avait déclaré qu'on ne pouvait les entendre sans se couvrir d'infamie, ne trouva plus ni indignation ni colère contre la plus outrageante correspondance qui fut jamais. Il avait proposé de mettre fin aux différends qui divisaient la France et la Sublime Porte, et de renouer les relations d'amitié qui les avaient si long-temps unies. Le Turc ne répondit à ces ouvertures que par des offres de pitié, des maximes de commisération, et des doutes offensans sur l'aptitude du général à traiter les hautes questions qu'il soulevait. Ce ne fut pas tout. Il avait outragé Kléber, il voulut insulter la nation. Il délégua ses pouvoirs à Moustapha-Pacha auquel il adressa l'instruction qui suit:

Reçue le 23 octobre.
le Grand-Visir, à Moustapha-Pacha, prisonnier

Mon très honoré, heureux et chéri collègue,

«J'ai reçu la lettre que vous m'avez envoyée par votre trésorier, et j'en ai compris le contenu. Dans la crainte que la lettre que Bonaparte m'avait envoyée par Mahmed-Kouschdy, effendi, n'eût été prise par les bâtimens qui croisent dans la Méditerranée, on m'en a envoyé une double copie, jointe à la lettre du général Kléber qui m'apprend que Bonaparte est parti, qu'il l'a remplacé, et dans laquelle il me témoigne le désir de rétablir la paix entre les deux puissances.

 

«Quoique je sois persuadé que ma réponse à la lettre de Bonaparte, envoyée par Mahmed-Kouschdy, effendi, est arrivée au général Kléber, j'ai cru devoir aussi lui répondre. Je lui ai observé qu'avant de commencer des négociations de paix entre la République française et la Sublime Porte, il fallait faire connaître les pouvoirs donnés par la République française à ses plénipotentiaires, désigner le lieu où ils pourront se réunir avec ceux de la Sublime Porte et des autres puissances étrangères, et qu'on discuterait ensuite tout ce qui serait relatif au rétablissement de la paix, d'une manière qu'elles pourraient approuver. Je l'ai assuré ensuite que s'il devait seulement entamer des négociations afin de pouvoir retourner avec sûreté en France, je lui procurerais protection pour y arriver, lui et tous les Français qui sont en Égypte, avec leurs armes, conformément à ce que prescrit la loi du Prophète. Je leur garantis leur retour, en France, sur leurs vaisseaux et sur ceux de la Sublime Porte; vous pouvez traiter vous-même cette affaire avec le général Kléber et tous les délégués de la nation française, en les assurant qu'ils n'auront rien à craindre pendant la traversée. S'ils osent dire qu'ils sont venus en Égypte avec le consentement de la Sublime Porte, qu'ils avancent d'autres faussetés, comme ils y sont habitués, et qu'ils veuillent établir sur ces bases fausses des négociations, comme ils ont coutume de le faire, d'assurer comme des vérités des mensonges qui ne peuvent être crus de personne, cette conduite ne serait pas capable d'arrêter un seul instant une marche victorieuse. Si les Français désirent rétablir une paix durable, ils ne peuvent espérer la traiter en Égypte. S'ils ont seulement l'intention de chercher leur sûreté, ils doivent être persuadés que je la leur garantirai comme je l'ai dit auparavant. Qu'ils se gardent bien de croire qu'il leur serait avantageux de temporiser en parlant du secours qu'ils attendent de Bonaparte, qui peut bien en effet leur en avoir promis. Mais le vrai motif de son départ est l'approche de l'armée innombrable et victorieuse de la Sublime Porte, qu'il a vue munie de toute l'artillerie et des provisions nécessaires à la guerre. Voilà ce qui l'a fait fuir, avec le désespoir dans l'âme, et tremblant que son armée ne s'aperçoive du précipice dans lequel il l'a entraînée. Toutes les routes sont fermées pour empêcher l'arrivée d'aucun secours qui leur serait apporté par leur escadre; et si Bonaparte est assez heureux pour arriver à Paris, il ne pensera plus à revenir en Égypte; mais quand il le voudrait, les escadres anglaise et russe et celle de la Sublime Porte, envoyées au commerce de Constantinople, et qui doivent être arrivées dans les parages d'Alexandrie, nous assurent que non seulement Bonaparte, mais pas même un seul oiseau ne pourrait passer sans être vu et arrêté. Je suis d'ailleurs prêt à marcher sur l'Égypte avec mon armée redoutable. Dans le cas où les Français voudraient retourner sains et saufs dans leur pays, ils doivent compter sur mes promesses, que vous pouvez leur garantir vous-même encore. Le but de la présente est de vous engager à faire tout ce qui dépendra de vous pour sauver de la mort ces malheureux Français que le général Bonaparte a si cruellement trompés. J'espère que lorsque vous aurez reçu et compris ma lettre, vous agirez en conséquence de ce que je vous dis.»

P. S. de la main du grand-visir.

Mon honoré, heureux et chéri collègue,

«Le général Kléber, que je regarde comme mon ami, est porté à vouloir la paix: toutes les nations de l'univers la préfèrent à l'effusion du sang humain. Il faut cependant être persuadé que, quoi qu'il s'agisse de traiter de la paix, nous mettrons la plus grande activité pour accélérer notre marche vers l'Égypte, en nous confiant toujours dans la toute-puissance du Très-Haut. Vous n'ignorez pas que les Français ont employé, depuis quelque temps, toutes sortes de ruses pour tromper toutes les nations de l'univers. Si, dans cette circonstance, ils ont encore la même intention, ils ne réussiront pas. Il arrive souvent que ceux qui trompent sont eux-mêmes trompés. Au reste, s'ils désirent sincèrement négocier avec la Sublime Porte, et nous donner des témoignages d'amitié en commençant des conférences de paix, qu'ils le prouvent en retirant leurs troupes d'El-A'rych, Catiëh et Salêhiëh; qu'ils commencent par là à vous donner à vous-même la confiance qu'ils veulent que nous prenions: on pourra alors entamer des négociations et travailler à leur sûreté. J'espère que vous mettrez le plus grand zèle à agir en conséquence».

Suivre ces ouvertures était en accepter la base. La négociation se trouvait close avant d'être ouverte; l'évacuation était consentie, il n'y avait plus qu'à régler quelques accessoires insignifians. Kléber envisagea la chose sous un autre point de vue. Il pensa que ces propositions n'étaient qu'un premier mot, que la question se relèverait d'elle-même, qu'il s'agissait moins de la poser que de la débattre. Une autre considération contribua encore à l'égarer. Il savait quel était le grand visir; bon, intègre, généreux, excellent comptable, mais vieilli dans l'administration des mines de la Haute-Asie, et porté tout à coup des modestes fonctions de collecteur au faîte du pouvoir. Ses idées étaient aussi étroites que sa fortune avait été obscure; il se berça de l'espérance de le primer dans la discussion, et qu'au lieu d'en être le préliminaire, l'Égypte serait le gage de la paix. C'était mal connaître la fixité des Turcs.

La tentative, néanmoins, ne laissa pas d'alarmer Sidney; il écrivit à Kléber, lui donna connaissance du traité qui liait la Porte à l'Angleterre, et demanda à intervenir dans les négociations. Sa mésaventure d'Alexandrie lui tenait à l'âme, il tremblait qu'elle ne se répétât. Toujours insidieux, toujours philanthrope, ce qu'il désirait le plus lui était indifférent. S'il revenait sur des offres qu'on n'avait pas craint de flétrir du nom d'embauchage, c'est qu'il répugnait à l'effusion du sang, qu'il souffrait de voir se consumer dans l'exil d'aussi généreux soldats. Que pouvaient en effet leurs efforts contre l'Angleterre? Isolés comme ils étaient, sans flotte, sans communication, qu'avait à en redouter le commerce britannique? Qu'avait à en craindre l'Indostan? Indifférent au fond sur la possession de l'Égypte, son gouvernement n'insistait sur l'évacuation que parce qu'il était lié par les traités, qu'il avait garanti l'intégrité de l'empire ottoman. Ses moyens d'ailleurs égalaient sa bonne foi; l'Angleterre était en mesure de prouver sur le Nil, comme elle l'avait fait sur l'Adige, qu'elle savait venger un outrage, et ne partageait pas les principes envahisseurs du Directoire, qu'on osait lui attribuer. La politique exigeait peut-être qu'elle retirât une offre trop généreuse; mais l'humanité l'avait faite et la politique anglaise était de tenir sa parole sans jamais sacrifier à l'intérêt du jour. Qu'on se hâtât donc, qu'on ne se berçât plus de la vaine espérance de repasser en Europe, sans l'agrément de l'amirauté, ni de parvenir à la paix avant d'avoir restitué l'Égypte. L'un était aussi impossible que l'autre. Les injustes provocations du Directoire lui avaient aliéné tous les peuples, et l'évacuation était un préliminaire dont on était résolu de ne pas se départir. Cette résolution, d'ailleurs, ne fût-elle pas immuable comme elle l'était, ce n'était pas dans un lieu aussi éloigné du siége des gouvernemens respectifs que pouvait se traiter une affaire de la nature et de l'importance de celle dont il s'agissait.

Cette lettre, espèce de duplicata de la dépêche du visir, ne pouvait manquer son effet sur un homme du caractère de celui auquel elle s'adressait. Kléber avait l'âme haute, la répartie heureuse, belle; il connaissait ses avantages et aimait à les déployer. Il ne passerait pas à un Anglais ce qu'il avait toléré de la part d'un Turc; il s'emporterait, s'engagerait dans une vaine discussion, répondrait avec chaleur à ce qui aurait été combiné avec astuce, et finirait par donner prise. C'est ce qui arriva. La réponse du général, d'ailleurs pleine de noblesse et de dignité, était ainsi conçue:

Au quartier-général du Caire, an VIII
de la République (30 octobre 1799).
Kléber, général en chef, à monsieur Sidney-Smith,
Commandant l'escadre anglaise dans les mers du Levant

Monsieur le Général,

«Je reçois votre lettre au sujet de celles que le général Bonaparte et moi avons écrites au grand-visir, les 30 thermidor et 1er jour complémentaire derniers.

«Je n'ignorais pas l'alliance contractée entre la Grande-Bretagne et l'empire ottoman: mais je crois inutile de vous exposer les motifs d'après lesquels je me suis expliqué directement avec le grand-visir. Vous sentez comme moi que la République française ne doit à aucune des puissances avec lesquelles elle était en guerre, quand nous sommes venus en Égypte, compte des motifs qui nous y ont amenés.

«Au reste, dans les dernières conférences que j'ai eues avec Mahmed-Kouschdy, effendi, j'ai demandé moi-même votre intervention dans ces négociations, persuadé, comme je le suis, qu'elles peuvent devenir les préliminaires d'une paix générale, que vous désirez sans doute autant que moi.

«Je ne m'arrête pas à tout ce qui, dans votre lettre, est étranger à cet objet; vous n'avez jamais pensé sérieusement, monsieur le Général, qu'une armée française, et chacun des individus qui la composent, pussent écouter des propositions incompatibles avec la gloire et l'honneur. Partout où l'on sert son pays, l'on est bien. Et certes! l'Égypte, le pays le plus fertile de la terre, n'est pas plus un exil que les mers orageuses que vous êtes contraints d'habiter.

«Les Français n'ont jamais demandé à quitter l'Égypte, uniquement pour retourner dans leur patrie; ils le demanderaient encore moins aujourd'hui qu'ils ont vaincu tous les obstacles intérieurs, et multiplié leurs moyens de défense à l'extérieur; mais ils la quitteraient avec autant de plaisir que d'empressement, si cette évacuation pouvait devenir le prix de la paix générale.

«Les événemens de l'Europe et des Indes n'ont rien de commun avec ma position en Égypte. Que les armées françaises aient éprouvé des revers au-delà des Alpes, c'est une bataille perdue qui nous a ôté l'Italie, une bataille gagnée nous la rendra; et l'Europe a déjà vu que la République française sait se relever avec éclat de ses revers.

«Les forces que je commande peuvent me suffire encore long-temps, et quelque actives que soient les croisières ennemies dans la Méditerranée, elles n'empêcheront pas plus un secours d'arriver, qu'elles n'ont empêché l'escadre française de passer de Brest à Toulon, et de sortir ensuite de Toulon pour se réunir à l'escadre espagnole.

«Le moindre secours que je recevrais, me rendrait pour toujours inexpugnable. Avant deux mois, je n'ai rien à craindre du grand-visir. Avec deux cents hommes, je garde les défilés inondés des pays cultivés; et si cette armée est retenue dans les déserts, elle est forcée d'y périr de misère.

«J'ai une cavalerie et une artillerie nombreuse, pour garder les forts, qui, dans deux mois, et lorsqu'il serait possible de faire une attaque combinée, seront inabordables. En attendant, la Nubie et l'Abyssinie me fournissent des recrues nombreuses. Une poudrière, une fonderie et des manufactures d'armes sont en activité, et me mettent insensiblement en état de me passer des secours de l'Europe. Il est donc indifférent à la sûreté de l'armée que vous soyez les maîtres des deux mers avec lesquelles nous communiquons.

«Mais comme le but auquel en définitif il faut atteindre, est la paix; qu'on peut, en s'entendant, la faire dès à présent comme on la ferait plus tard; qu'on épargnerait ainsi l'effusion de beaucoup de sang; qu'enfin je ne connais pas de gloire au-dessus de celle que l'histoire reconnaissante distribuera aux précurseurs d'un si grand bienfait, j'ai fait les avances convenables pour commencer cet ouvrage; et la place honorable que vous occupez dans la carrière politique, m'assure, monsieur le Général, que votre âme ne peut concevoir d'ambition plus noble que celle de concourir à l'achever.

«L'intégrité de l'empire ottoman, qui est la base de l'alliance de l'Angleterre avec la Sublime Porte, est aussi l'objet des sollicitudes de la République française. Je l'ai écrit au grand-visir et je vous le répète, l'Égypte, que nous n'avons cessé de considérer comme lui appartenant, sera restituée à cette puissance aussitôt qu'une paix solide entre la France, l'Angleterre et la Sublime Porte, assurera cette intégrité même de l'empire ottoman.

 

«Je sens parfaitement comme vous, monsieur le Général, que la paix générale ne peut avoir eu lieu avant l'évacuation de l'Égypte, et qu'elle pourrait être accélérée par l'évacuation préliminaire. Mais ce préliminaire ne peut en être un aux négociations, il doit simplement en être une suite; et s'il est vrai que ce n'est pas dans un endroit aussi éloigné du siége des gouvernemens respectifs que la paix générale peut être conclue, je ne pense pas qu'il en soit de même pour établir les négociations.

«J'ajouterai, à l'égard de l'Angleterre, que les circonstances me paraissent avoir apporté de grands changemens dans ses intérêts politiques; changemens qui doivent rendre très facile la fin de nos malheureux débats.

«Il est temps que deux nations qui peuvent ne pas s'aimer, mais qui s'estiment, deux nations les plus civilisées de l'Europe cessent de se battre.

«Je me féliciterais, monsieur le Général, d'avoir avec vous l'avantage d'arriver à ces heureux résultats. J'en trouve un augure favorable dans le désir qui nous est commun de baser nos communications officielles sur la franchise du caractère militaire; il me sera naturel d'écarter tout sentiment étranger à la plus parfaite estime.

«J'ai écrit au grand-visir d'envoyer deux personnes de marque pour entamer les conférences dans un lieu qu'il indiquera; de mon côté, j'enverrai le général de division Desaix et l'administrateur général des finances Poussielgue. Si vous désirez que ces conférences se tiennent à bord de votre vaisseau, j'y consentirai volontiers.

«J'ai l'honneur d'être avec une haute considération,

«Signé Kléber.»

Sidney ne demandait pas mieux; mais, accoutumé à la marche réservée de Bonaparte, il ne s'attendait pas à trouver tant d'abandon dans son successeur, et cherchait dans le développement, les moyens de faire admettre son intervention. Les derniers bâtimens de la flotte qui arrivait de Constantinople l'avaient joint: il commandait des troupes aguerries, il avait reconnu les passes, fait sonder la côte; il savait que Lesbëh n'était défendu que par un millier d'hommes, il résolut de l'attaquer. Il forma ses chaloupes canonnières, le feu s'ouvrit; en un instant la plage fut couverte de projectiles. Ils firent assez peu d'effet, jusqu'à ce qu'enfin, se concentrant sur une tour que nous occupions à un quart de lieue en mer, ils nous forcèrent à l'évacuer. Le commodore s'y établit, déploya de nouveau ses embarcations, et fit redoubler le feu.

Prévenu de ce petit échec, Kléber fit aussitôt ses dispositions pour recevoir l'attaque qui se préparait. Desaix venait d'arriver au Caire; il lui donna cent cinquante dragons, deux bataillons d'infanterie, et le fit partir pour Damiette, dont il le chargea de diriger la défense. Ce secours fut inutile, tout était terminé lorsqu'il arriva. L'ennemi avait continué son feu, et s'était enfin décidé à prendre terre après quatre jours d'une canonnade non interrompue. Il avait choisi, pour point de débarquement, la zone étroite qui sépare la mer du lac Menzalëh et que sillonnaient dans toute son étendue les batteries de ses vaisseaux. Le 1er novembre, ses chaloupes se mirent en mouvement dès que le jour commença à paraître, et jetèrent du premier transport quatre mille hommes à la côte. Tous aussitôt se mettent à défoncer, à remuer la terre et dessinent une espèce de tranchée, pendant que les embarcations courent chercher un nouveau convoi. Le général Verdier, qui était campé à quelque distance, ne leur laisse pas le temps d'achever. Il marche sans délibérer, brave le feu des chaloupes, arrive aux retranchemens, joint les Turcs et engage une mêlée furieuse. Pas un cri, pas un coup de feu! On se choque, on donne, on reçoit la mort sans proférer un mot; le cliquetis des armes est le seul bruit qui se fasse entendre au milieu de cette vaste scène de carnage. Enfin les Osmanlis sont rompus; trois mille d'entre eux sont couchés dans la poussière, le reste cherche à regagner les chaloupes qui l'ont jeté sur la plage, ou implore la clémence du vainqueur. Telle fut la fin de cette expédition qui devait nous arracher l'Égypte. L'armée avait succombé sous les murs d'Aboukir, l'arrière-garde vint expirer sous ceux de Damiette: ainsi l'avait voulu la destinée.

L'escadre était battue; les vents la portaient au large, elle ne pouvait désormais rien tenter en faveur du visir. Sa défaite devait relever la négociation, et la placer sur ses justes bases. Kléber le sentait, le mandait à Desaix; mais rendu bientôt à son irrésolution première, il ne voyait, ne rêvait que le visir. En vain le général Verdier lui annonçait qu'il avait soigneusement interrogé les prisonniers qu'il avait faits; que tous étaient d'accord, qu'ils arrivaient de Constantinople et n'avaient aucune communication avec Joussef, dont ils ignoraient la force et estimaient peu l'activité. Kléber n'en voulait rien croire; il s'obstinait à ne voir dans l'attaque de Damiette qu'une diversion partie de Ghazah, et ordonnait à Desaix de ne rien négliger pour se mettre en rapport avec Sidney. Mais celui-ci avait gagné la haute mer; Morand, qui lui portait la dépêche du général en chef n'avait pu l'atteindre, et avait été obligé de pousser jusqu'à Jaffa. Loin de chercher à ouvrir des communications, dont les fruits étaient déjà si déplorables, le général résolut de profiter de l'éloignement du commodore pour les rompre tout-à-fait. Il écrivit à Kléber, lui peignit l'exaltation des troupes, les difficultés que présentait la côte couverte de forts et de boue. Il lui représenta qu'il suffisait de quelques réparations pour mettre Lesbëh hors d'insulte, et qu'avec une place de cette force que protégeait un bon fossé, que défendait une immense étendue de vase, il n'avait rien à craindre d'un débarquement. Au surplus, l'expédition qui s'était présentée à l'embouchure du Nil arrivait directement de Constantinople, et n'avait rien de commun avec l'armée du visir. Sidney, qui l'avait si bien fait battre, était accouru se disculper auprès du généralissime. «Je n'ai pas besoin, poursuivait-il, de le porter à la paix. Il n'a qu'un but, qu'un désir, qu'une volonté, celle de négocier pour nous prouver qu'il faut que nous nous en allions bien vite. La gloire qui lui en reviendrait dans son pays, chez les Russes et chez les Turcs, lui fait tourner la tête. Il paraît qu'il a peur de la voir échapper, car il a l'air inquiet. Les revers que ses soldats éprouvent, c'est-à-dire les Osmanlis, paraissent le faire peu aimer d'eux. Encore quelques revers, ces bonnes gens, je crois, s'accommoderont. Battez le grand-visir, ils feront tout ce que vous voudrez. La saine politique ne leur entrera dans la tête qu'après bien des corrections; encore une bonne, et tout ira bien, du moins je le présume. Smith s'impatientait de n'avoir pas de vos nouvelles; il frappait du pied, il s'écriait: «Le général Kléber devrait me répondre; ce que je lui ai dit est honnête; je le croyais plus raisonnable que le général Bonaparte.» Vous voyez d'après cela, mon général, qu'il ne demande pas mieux que de négocier. Tout ce qu'il veut, c'est que nous partions le plus tôt possible. Quand un ennemi demande quelque chose avec instance, c'est que cela lui tient à cœur ou lui fait bien du mal: c'est, je pense, une raison de ne pas l'accorder légèrement.

«Menou conseillait la même réserve Les prévenances des Anglais lui étaient suspectes. Milord et messieurs étaient inquiets, soucieux; ils méditaient sûrement quelque complot, tramaient quelque surprise, mais tout était en éveil, depuis Damiette au Marabou. S'ils arrivaient comme le vent, ils tomberaient comme la grêle; on pouvait s'en rapporter à lui. Le général en chef n'avait besoin que de prudence, de sang-froid, pour rendre un service signalé à la République, et ajouter à sa réputation militaire celle d'un très habile et très heureux négociateur.