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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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PIÈCES JUSTIFICATIVES

FRAGMENS DE LA CORRESPONDANCE DE L ÉTAT-MAJOR

(№ 1.)

Au quartier-général d'Alexandrie, le 1er thermidor an VI
(19 juillet 1798).
Au général Bonaparte

Il y a deux ou trois jours, citoyen général, qu'un employé de l'armée fit courir le bruit et répandit partout qu'il y avait eu un mouvement à Paris dans le sens contraire du 18 fructidor; que Lamarque, Sieyès et plusieurs autres avaient été déportés; que Talleyrand-Périgord était ambassadeur à Vienne; Bernadotte ministre de la guerre; enfin que vous étiez rappelé.

Comme cette dernière assertion a fait une grande sensation, j'ai fait arrêter le nouvelliste pour être interrogé. Ce qui pourtant m'a fait penser qu'il pouvait y avoir du vrai dans tout ceci, c'est le courrier qui nous vint de Toulon, il y a quelques jours, et qui prit un air mystérieux. Veuillez me faire connaître ce qu'il en est. J'ai résolu, mon général, de vous suivre partout; je vous suivrai également en France. Je n'obéirai pas à d'autre qu'à vous, et je ne commanderai pas, parce que je ne veux pas être en contact immédiat avec le gouvernement. Je n'ai jamais été si avide de nouvelles et sur Paris et sur les événemens du Caire.

Kléber.

(№ 2.)

Rosette, 25 août 1799.
Le général de division Kléber, au général de division Menou, à Alexandrie

Je reçois le 5 au soir, mon cher général, une lettre du général en chef, dont voici l'extrait: «Vous recevrez cette lettre le 3 ou le 4: partez, je vous prie, sur-le-champ, pour vous rendre, de votre personne, à Rosette, si vous ne voyez aucun inconvénient à vous absenter de Damiette: sans quoi, envoyez-moi un de vos aides-de-camp. Je désirerais qu'il pût arriver à Rosette dans la journée du 7. J'ai à conférer avec vous sur des affaires extrêmement importantes. Je traverse en deux jours le désert et le lac Bourlos, j'arrive à Rosette le 7 à dix heures du soir, mais l'oiseau était déniché et n'avait pas même passé par ici. Je m'en retourne à Damiette où j'attendrai tranquillement les ordres de celui qui commande l'armée. Vous avez déjà sans doute appris, mon cher général, que la flotte qui avait paru devant Damiette était repartie de ce mouillage faisant route vers la Syrie ou vers Chypre. Le bataillon de la 25e a rejoint, et j'ai reçu dans cet intervalle votre aimable lettre, dans laquelle vous me donnez des détails intéressans du siége d'Aboukir. Veuillez bien me tenir au courant de ce qui se passera dans l'étendue de votre commandement, j'en userai de même. Rien ne pourra m'être plus agréable que de recevoir souvent de vos lettres; et pour la première, j'espère que vous aurez la complaisance de me donner des détails sur le départ de notre héros et de ses dignes compagnons. Je vous embrasse de cœur et d'âme.

Kléber.

(№ 3.)

Quartier-général d'Alexandrie, le 17 août 1799.
Le général de division Menou, au général en chef Kléber

Mon cher général,

Vous êtes nommé au commandement général de l'armée d'Égypte. Le général Bonaparte est parti avant-hier dans la nuit pour la France, avec les généraux Berthier, Andréossy, Marmont, Lannes et Murat. Je n'entre point ici dans le détail des motifs qui ont déterminé le général Bonaparte. Cette explication ne peut avoir lieu que verbalement. Je me bornerai à vous dire que j'ai trouvé ces motifs justes, et que cette mesure est la seule qui puisse être de quelque utilité à l'armée.

Le général Bonaparte m'a remis tous les papiers et lettres relatifs à votre nomination: j'en ai chargé le citoyen Eysotier, chef de brigade de la 69e; il a ordre de ne les remettre qu'à vous-même. Le général Bonaparte m'a dit vous avoir donné rendez-vous à Rosette, et d'après son calcul, vous devez y arriver aujourd'hui ou demain. Mais, en supposant que votre voyage ait rencontré quelque obstacle, je donne ordre à l'adjudant-général Valentin, commandant à Rosette, de faire partir sur-le-champ un exprès qui vous portera ma lettre à Damiette, mais non celle du général en chef, qui restera constamment entre les mains du chef de brigade de la 69e, jusqu'à ce qu'il puisse vous la remettre à vous-même, ou que vous lui ayez donné des ordres pour vous la faire passer, ou pour vous la porter. Il attendra donc à Rosette, si vous n'y êtes pas rendu, que vous lui ayez dicté ce qu'il doit faire. Le général en chef m'a nommé au commandement du deuxième arrondissement, qui comprend Alexandrie, Rosette et le Bahirëh; mais je n'ai accepté que provisoirement, pour plusieurs raisons; la première, c'est que cela doit être à votre disposition: la deuxième, c'est que je désire, mon cher général, avant de prendre ce commandement, si votre intention est de me le donner, avoir une conversation avec vous. J'attendrai à cet égard ce que vous me prescrirez sur le lieu et le temps de la conversation; je désirerais que cela fût le plus promptement possible.

Le général Bonaparte m'avait donné, avant son départ, ordre de mettre un embargo sur tous les bâtimens du port d'Alexandrie, jusqu'à trente-six heures après son départ. L'embargo est levé depuis ce matin, mais seulement pour les djermes qu'on peut expédier soit à Aboukir, soit à Rosette; car pour les bâtimens destinés à se rendre en Europe, d'après les mêmes ordres, il n'en partira tout au plus que dans vingt-cinq jours. Le citoyen Guieux, capitaine de vaisseau, est nommé commandant du port d'Alexandrie, qui ne devra plus être considéré que comme port de deuxième classe. Le capitaine de frégate Rouvier continuera de remplir ces mêmes fonctions à Boulac, et aura inspection sur toute la navigation en activité. Le capitaine de frégate Guichard commandera tous les bâtimens armés du fleuve. La ville d'Alexandrie est tranquille, mais il n'y a pas le premier sou dans les caisses. J'ai eu ordre d'envoyer des lettres au général Dugua et au divan du Caire.

Vous devez croire, mon général, que je suis extrêmement satisfait, d'être sous vos ordres: soyez assuré qu'en tout et partout, vous ne trouverez personne de plus empressé que moi à exécuter ce que vous me prescrirez. Je vous ai voué depuis long-temps estime et amitié franche; je compte sur les mêmes sentimens de votre part. J'ai ordre de faire abattre ici les armes de l'Empereur, du grand-duc de Toscane et du roi de Naples, avec lesquels nous sommes en guerre. Les consuls de ces différentes nations doivent cesser leurs fonctions. J'ai aussi, relativement à des draps pour l'habillement de l'armée, des ordres, qui frappent les négocians étrangers. La djerme la Boulonnaise est à Rahmaniëh. J'envoie à Rosette les chevaux des guides que Bonaparte a emmenés avec lui en France: ils sont destinés à remonter les guides restés au Caire.

Salut et respect,

Abdalla Menou.

(№ 4.)

Rosette, 3 fructidor (25 août 1799).

J'ai reçu le paquet que vous m'avez fait passer par le chef de brigade de la 69e, mon cher général. J'aurais bien désiré que vous vous fussiez rendu vous-même ici. Ma présence me semble très nécessaire au Caire; cependant je vous attendrai jusqu'au 10, neuf heures du matin. Hâtez-vous donc d'arriver, afin que nous puissions amplement conférer ensemble. Non seulement je vous maintiendrai dans le commandement du deuxième arrondissement, qui n'aurait jamais dû vous être ôté, mais je ferai encore et toujours tout ce qui pourra contribuer à votre satisfaction, persuadé que vous mettrez toujours en première ligne le bien de la chose, qui est notre bien commun, et d'où seulement peut découler le bien public. Si j'approuve le motif du départ de Bonaparte, du moins me reste-t-il quelque chose à dire sur la forme.

Adieu, ou plutôt au plaisir de vous voir bientôt.

À vous et tout à vous,

Kléber.

(№ 5.)

Menouf, 14 fructidor (31 août 1799).
Lanusse, général de brigade, au général en chef

Votre lettre vient de me parvenir, citoyen général; j'ai appris sans étonnement, sans doute parce que j'étais préparé depuis quelques jours à recevoir cette nouvelle, que le général Bonaparte s'est embarqué pour retourner en Europe. Je ne sais si c'est par la même raison que ce départ n'a pas produit le moindre effet sur l'esprit du soldat ni sur celui de l'habitant du pays, mais, ce qu'il y a de sûr, c'est que je n'ai jamais vu le premier plus content et le second plus tranquille. Pour moi, espérant beaucoup du général qui est parti, mais comptant davantage sur la capacité de celui qui le remplace, je ne doute point que l'issue de l'expédition d'Égypte ne soit aussi belle qu'on se l'était promis. Vous pouvez au moins compter, citoyen général, que vous trouverez des officiers qui seconderont de tout leur pouvoir les efforts que vous serez à même de faire pour parvenir à ce but.

Salut et respect,

Lanusse.

(№ 6.)

Siout, 18 fructidor (4 septembre).
Le général de brigade Friant au général en chef

Je vous accuse réception de deux paquets adressés aux généraux Belliard et Desaix, que j'ai fait passer de suite à Kéné où ces deux généraux sont en ce moment. J'ai donné connaissance, par un ordre du jour, de votre circulaire à mon adresse, aux troupes que je commande, et le leur ai lu moi-même. Je puis vous dire qu'officiers et soldats ne sont point mécontens du départ du général en chef, étant persuadés que le bien de l'armée exigeait ce voyage en Europe. Vous pouvez aussi compter, mon général, sur l'ancien attachement que ces militaires vous portent: ce sont vos anciens soldats de l'armée de Sambre-et-Meuse. De mon côté, je ferai tous mes efforts pour mériter votre estime.

 
Friant.

(№ 7.)

Damiette, 18 fructidor (4 septembre).
Verdier, général de brigade, au général en chef Kléber

Hier seulement, mon général, j'ai reçu une de vos lettres du 9, de Rosette. Oui, mon général, je conçois que les motifs qui ont déterminé le départ du général Bonaparte avec tant de précipitation et de secret, doivent être puissans. Je les respecte, ces motifs, et me borne à espérer dans la certitude qu'étant aussi dignement remplacé, l'armée n'a qu'à gagner dans les événemens. L'amour de mon devoir, l'estime dont vous m'honorez, sont d'assez puissans motifs pour vous donner la certitude que toutes mes facultés seront employées à justifier les premiers et mériter de plus en plus la seconde. Le vide que laisse, dans l'opinion, Bonaparte, est grand, tant dans le militaire que dans les habitans du pays; mais les uns et les autres connaissent combien vous pouvez le remplacer, et tous regardent comme heureux cet événement, dont ils attendent de grands résultats. Voilà ce que pense la division que vous m'avez provisoirement laissée, et de laquelle vous avez tout à espérer. Confiance entière en son nouveau chef, discipline, bravoure, voilà ce que je crois pouvoir vous offrir, en vous assurant de nouveau de tout mon respect.

Verdier.

(№ 8.)

Kéné, 21 fructidor (7 septembre).
Belliard, au général en chef

J'ai reçu, mon général, la lettre dans laquelle vous m'annoncez le départ du général en chef Bonaparte pour la France. Quels que soient les événemens, mon général, ils ne peuvent rien changer à mes principes et à mon amour pour ma patrie, qui est et sera toujours le mobile de toutes mes actions.

Salut et respect,

Belliard.

(№ 9.)

Au Caire, 21 fructidor (7 septembre).
Poussielgue, etc., au général de division Menou

Je reçois, mon cher général, votre lettre du 13 de ce mois. Je suis persuadé que Bonaparte avait de bonnes raisons pour partir; mais je ne lui pardonnerai jamais d'en avoir fait un mystère à des hommes à qui il devait beaucoup, qui avaient toujours justifié sa confiance, et qu'il laissait chargés du fardeau du gouvernement. Le général Dugua et moi nous avons beaucoup à nous en plaindre; il nous a joués.

Son successeur a des talens moins brillans, mais il a des qualités solides, et malgré mon attachement personnel pour Bonaparte, je suis convaincu que l'on sera beaucoup plus content du gouvernement du général Kléber, Français et Turcs. Il jouit d'une grande célébrité, et il a l'estime de tout le monde au plus haut degré. Réunissons-nous tous à lui, aidons-le à mener notre vaisseau au port, et à le sauver, en attendant, des tempêtes. Quant à de nouveaux systèmes de finances, j'avais, il est vrai, des vues et des projets tout prêts à éclore; mais il n'est plus temps. Il faut que notre établissement soit consolidé par un traité de paix, pour qu'on puisse innover avec succès. Un bon plan ne réussirait pas en ce moment, et alors il serait perdu pour toujours. Soyez tranquille sur vos besoins dans votre arrondissement, non pas que je vous promette qu'ils seront tous satisfaits, mais vous pouvez compter qu'ils le seront dans une proportion égale au reste de l'armée. C'est un principe que le général Kléber m'a annoncé vouloir maintenir contre toute section de l'armée qui pourrait être tentée de s'en écarter, et déjà il l'a annoncé dans un ordre du jour. Au reste, vous serez le premier à recueillir les revenus de 1214, c'est-à-dire le saïfi de la province de Rosette pour 1213; il sera exigible à la fin de brumaire. J'ai conseillé à vos aides-de-camp de loger quelques personnes dans votre maison, c'est l'unique moyen de vous la conserver.

Poussielgue.

(№ 10.)

Toulon, 18 mai 1798.
Au général Moreau

Je ne pourrai vous écrire un peu au long, mon cher Moreau, que lorsque nous serons au large, et que je serai dégagé du détail et de l'embarras de l'embarquement. Je n'ai pas encore un moment de libre, et je change souvent quatre fois de linge par jour. Le vent, qui était favorable il y a quelques jours, a changé tout à coup, et on a profité de cette contrariété pour faire aussi quelques changemens dans la répartition des troupes. Tout cela occupe et demande des sollicitudes. Enfin, le vent paraît se remettre, et s'il continue ainsi, dans trois jours nous serons au large. Vous devez être au fait du secret de notre expédition; j'ai ouï dire que vous la désapprouviez, j'en ai été fâché; j'aurais désiré que tous eussiez à cet égard moins de précipitation. Quand on fait la chose unique qui est à faire, l'opération est bonne, par cela même qu'on ne pourrait pas faire mieux; mais lorsqu'il y a au bout de tout cela de grands résultats à espérer, il faut, ce me semble, approuver. Je m'expliquerai mieux dans ma première, et comme je suis un peu paresseux pour écrire, Baudot sera celui qui vous transmettra mes idées et tout ce que je pourrais avoir à vous dire.

Je renvoie Gaillard à Paris près de sa femme; je vous prie de lui remettre la somme provenue de la vente du cheval, qui, jointe à celle qu'il tirera de ma voiture, le mettra à l'aise jusqu'à ce que je puisse donner de mes nouvelles d'au-delà les mers. Prenez, au reste, avec lui, les arrangemens de détail que vous croirez les plus convenables. Si j'ai besoin de quelque chose, je vous écrirai. Adieu, mon cher Moreau, j'espère que le gouvernement, plus juste, aura bientôt le bon esprit de vous tirer d'une retraite pour laquelle vous n'êtes pas fait, en utilisant vos talens. Comptez à jamais sur mon attachement et ma bien sincère amitié.

Kléber.

(№ 11.)

Au quartier-général du Caire,21 septembre 1799
(an VII de la République française).
Kléber, général en chef, au Grand-Visir, généralissime des armées ottomanes,
Illustre parmi les gens éclairés et sages, que Dieu lui donne une longue vie, pleine de gloire et de bonheur; Salut

Le général en chef Bonaparte a écrit à Votre Excellence, il y a trente jours; comme il y a lieu de craindre que cette dépêche n'ait été interceptée par les bâtimens qui croisent dans la Méditerranée, je crois devoir en envoyer un duplicata à Votre Excellence: il est joint à la présente lettre.

Vous y trouverez sans doute tout ce que vous pensez vous-même, car la nécessité d'une parfaite union entre la Sublime Porte et la France, n'a jamais été un problème pour aucun politique; et il n'est pas un Ottoman, comme il n'est pas un seul Français qui n'ait la conviction intime de ce qui convient aux intérêts des deux nations.

Les Français, en venant en Égypte, n'avaient d'autre but que de faire trembler les Anglais pour leurs possessions et leur commerce de l'Inde, et les forcer à la paix.

En même temps, les Français se vengeaient des outrages multipliés qu'ils avaient reçus des mameloucks; ils délivraient l'Égypte de leur domination, et rendaient au Grand-Seigneur la jouissance entière de ce beau pays, que depuis un siècle il ne pouvait plus compter réellement au nombre de ses provinces, puisqu'il n'en retirait aucun fruit.

La conduite des Français a été conséquente à ces principes. Arrivés en Égypte, les caravelles et le pavillon du Grand-Seigneur ont été respectés et honorés. Il a été fait une guerre à outrance aux mameloucks; leurs propriétés ont été séquestrées, et, au contraire, les sujets du Grand-Seigneur ont été maintenus dans leurs propriétés; ils ont été rappelés dans leurs habitations. Les odjaklis et les ministres du Grand-Seigneur ont été conservés dans leurs droits et dans leur jouissance. Les kadis ont été confirmés, et les lois turques suivies.

L'administration civile du pays a été confiée aux ulémas et aux grands du Caire. La charge si importante de prince de la caravane de la Mecque a été donnée à un Osmanli-kiaya du pacha, et s'il n'avait pas trahi ses devoirs, cette caravane serait partie suivant l'usage. Enfin la religion musulmane a été protégée et honorée.

Malgré la déclaration de guerre de la Sublime Porte, les Français n'ont pas cessé de tenir cette conduite franche et loyale; ils ont été contraints, malgré leurs vœux, malgré leurs intérêts, à se battre en Syrie et à Aboukir, contre les armées qui venaient les attaquer; et au milieu de leurs victoires et au milieu de la guerre, ils n'ont rien diminué des égards et des sentimens d'affection qu'ils avaient témoignés aux Osmanlis, tant ils sentaient l'absurdité de cette guerre, et tant ils étaient persuadés qu'il fallait arriver à une prompte réconciliation.

Que l'expédition d'Égypte ait été faite sans la participation formelle de la Sublime Porte, c'est ce que j'ignore; mais il est évident que cette expédition, pour réussir par rapport aux Anglais, exigeait la plus grande activité, et surtout le plus grand secret.

La France, sûre des sentimens d'amitié de la Sublime Porte, sûre qu'elle ne pourrait blâmer une expédition dont elle retirerait le principal avantage, puisqu'il en résulterait l'affranchissement d'une de ses plus belles provinces, devait croire qu'elle serait toujours à temps de justifier l'entreprise à ses yeux, surtout en appuyant ces motifs de sa conduite, même en Égypte.

Mais après le malheureux combat naval d'Aboukir, le général Bonaparte se trouva privé de faire connaître toutes ces vérités à la Sublime Porte, et nos ennemis communs y virent l'occasion d'un double triomphe contre nous et contre vous. Ils n'eurent pas de peine à persuader ce qu'ils voulurent, et à donner à notre entreprise les couleurs les plus odieuses, quand ils eurent le grand avantage d'être entendus seuls, et d'avoir pour eux les apparences résultant d'une invasion réelle.

Ils excitèrent un ressentiment facile à enflammer, et ils hâtèrent d'autant plus la détermination de la Sublime Porte, que la moindre explication avec les Français lui eût découvert le piége dans lequel on voulait l'entraîner, et l'aurait infailliblement ramenée à ses véritables intérêts.

Il faut que Votre Excellence ait la gloire de faire la paix; c'est le plus grand service qu'elle puisse rendre à son pays.

Les Français ne craignent ni leurs ennemis ni leur nombre; ils ne craignent pas non plus la guerre: depuis dix ans ils en donnent des preuves. Mais en faisant la guerre à leur ancienne amie la Sublime Porte, c'est comme s'ils la faisaient à eux-mêmes. Nous devons pleurer, même nos victoires, puisqu'elles affaiblissent vos armées, auxquelles bientôt il faudra nous réunir pour combattre leurs véritables ennemis.

La négociation de cette paix est simple et facile, il n'existe point d'intérêts compliqués entre les deux nations: il ne s'agit que de l'Égypte, et l'Égypte est toujours à vous, elle y est plus que jamais puisque les mameloucks n'y règnent et n'y régneront plus.

Vous serez obligés de garder des ménagemens, parce que vous aurez introduit au milieu de vous, et comme alliés, vos plus cruels ennemis, et qu'avec raison vous devez craindre qu'ils n'éclatent, aussitôt qu'ils en auront une occasion qu'ils attendent avec impatience. Mais c'est un motif de plus pour hâter les négociations, et ne pas épuiser en efforts vains et impolitiques contre nous, des armes, des hommes et des richesses que réclament des dangers plus réels.

En un mot, et en laissant de côté toute considération étrangère, la guerre entre nous ne peut avoir aucun but.

Vous pourrez recevoir plusieurs duplicata de cette lettre. Son importance est telle que je ne saurais trop multiplier les moyens pour m'assurer qu'elle vous parviendra.

 

Si elle vous détermine à m'envoyer une personne de votre confiance, elle sera bien accueillie, et nous nous serons bientôt entendus.

Le général en chef Bonaparte est parti pour aller travailler lui-même à une paix si nécessaire. Je le remplace, et je suis comme lui animé du désir de voir terminer notre malheureuse querelle.

J'ai l'honneur d'assurer Votre Excellence des sentimens d'estime et de la considération distinguée que j'ai pour elle.

Kléber.
KLÉBER HASARDE UNE NOUVELLE TENTATIVE AUPRÈS DU VISIR

L'évaluation du général Kléber était évidemment trop faible, car enfin aucune action n'avait eu lieu depuis la bataille d'Aboukir, où assurément Bonaparte avait mis plus de cinq mille hommes en ligne, et où cependant les troupes de la Haute-Égypte ni celles de la Charkiëh, de Damiette, de Mansoura, n'avaient combattu. Celle des forces que nous avions en tête n'était pas plus juste: les Anglais n'avaient pas augmenté leurs croisières, les Russes n'avaient pas paru, et les mameloucks, dont on se faisait une si terrible image, fuyaient devant quelques centaines de fantassins perchés sur des dromadaires. La population devait inspirer des craintes moins sérieuses encore: aucune émeute n'avait éclaté; aucun acte, aucun symptôme ne décelait des sentimens hostiles; loin de là, les naturels se montraient calmes, résignés, et faisaient peu de cas des préparatifs du visir. Le général Reynier, qui leur rendait ce témoignage, ne partageait pas non plus les prévisions de Kléber, au sujet du voltigeur de la 25e; cet incident pouvait bien indiquer le désir d'un rapprochement, mais ne prouvait pas une haute confiance. L'idée d'enlever un prisonnier pour en faire un messager d'effroi trahissait son origine: elle ne pouvait avoir germé dans une tête turque, c'était une suggestion de quelque Européen. La conjecture était probable; Kléber résolut de l'éclaircir, et de savoir au juste à qui, des Musulmans ou des Anglais, il avait affaire. La flotte croisait à l'entrée du Boghaz; il chargea l'adjudant-général Morand de s'assurer des vues, des forces qu'elle pouvait avoir. Cet officier se rendit à Lesbëh, se jeta dans une chaloupe et se dirigea sur l'escadre que commandait Petrona-Bey. Il passa la première ligne, pénétra dans la seconde; personne ne prenait garde à lui: il demanda l'amiral. Il fut accueilli, traité avec égards, et put observer la surprise du Turc à la suscription des lettres qu'il lui avait rendues. «Kléber! s'écria l'Ottoman; et Bonaparte? – Il est parti. – D'où? – D'Alexandrie. – Il y a long-temps? – Le 23 août. – Sur un bâtiment de guerre? – Avec deux frégates. – Il emmène des généraux? – Plusieurs.» Il s'adressa alors à ses Turcs, échangea avec eux quelques phrases, et reprit: «Quel motif l'a déterminé à quitter l'Égypte? – L'intérêt de la patrie, sa gloire, l'obéissance. Il est parti comme eût fait un pacha rappelé par Sa Hautesse.» Petrona-Bey fit servir le café, présenta une pipe à l'adjudant-général, et continuant la conversation: «Avez-vous beaucoup de riz au Caire? – À profusion. – Les vivres ne vous manquent pas? – Les blés surabondent. – N'importe; les Anglais, les Russes, les Osmanlis, ont replacé sur le trône un frère du fils du dernier de vos rois. Son envoyé, M. Boyle, est déjà accrédité auprès du Sultan. Il faudra bien de force ou de gré que vous évacuiez l'Égypte.»

Cette singulière conversation indiquait la couleur que la guerre allait prendre. Morand en rendit compte à son chef, et lui fit part du peu de troupes que la flotte avait à bord. L'effendi que Bonaparte avait envoyé en Syrie rentra sur ces entrefaites, et ne fit pas un rapport plus alarmant. L'armée turque était peu nombreuse, Djezzar ne voulait ni marcher ni permettre qu'on pénétrât dans ses places. L'entrée d'Acre, celle de Jaffa même était interdite aux Ottomans. Les subsistances devenaient chaque jour plus rares, les mameloucks manquaient de tout, et le généralissime, mécontent des exigences des Anglais, montrait les vues les plus pacifiques. Ce rapport rendait plus frappant le contraste que présentaient les intentions personnelles du visir avec celles de sa chancellerie. La réponse officielle qu'avait rendue l'effendi avait toutes les grâces, toute l'aménité que l'Angleterre sait répandre dans ses manifestes: elle était ainsi conçue:

Du quartier-général de Damas (sans date).
Youssef-Pacha, grand-visir et généralissime de l'armée de la sublime porte,
Au modèle des Princes de la nation du Messie, au Soutien des Grands de la secte de Jésus, l'estimé et affectionné Bonaparte (dont la fin soit heureuse), l'un des généraux de la République française, Salut et amitié

«J'ai reçu votre lettre par la voie de Mahmed-Koushdy, effendi, et j'en ai compris le contenu. Tout le monde connaît l'ancienne amitié de la Sublime Porte pour la France gouvernée par ses rois, et sa grande bienveillance envers la République française, mais personne n'ignore non plus que les Français, excités et poussés par des malintentionnés, portés à semer partout le trouble et la discorde, ont entrepris de faire des choses que jamais on n'avait ouïes, et qu'aucune nation, ni ancienne ni moderne, n'a jamais faites. C'est ainsi qu'ils ont attaqué l'Égypte à l'improviste, et se sont emparés de ce pays, quoiqu'il fût sous la domination directe de la Sublime Porte.

«Il est étonnant qu'après une semblable démarche, vous ayez pu écrire dans votre lettre que la République française est notre amie, et que les ennemis de la Sublime Porte sont ceux que la Sublime Porte regarde comme ses véritables et loyaux amis.

«Sont-ce les Anglais, les Russes ou les Allemands, dont vous parlez ainsi, qui ont engagé les Français à surprendre l'Égypte et à s'en rendre maîtres?

«Lequel de ces trois gouvernemens a fait en temps de paix la moindre chose qui soit contraire aux droits des nations?

«Vous m'écrivez que l'intention de la République française n'a été que de détruire les mameloucks, et qu'elle a toujours désiré de vivre en paix et en bonne amitié avec la Sublime Porte. Mais les mameloucks étant dans la dépendance de la Sublime Porte, c'est à elle à les diriger; d'ailleurs, une pareille intention était-elle conforme aux lois des nations, même des plus petites?

«Les témoignages de l'affection et de l'amitié de la République française envers la Sublime Porte ne peuvent que paraître bien étranges, dans le temps que, malgré la bienveillance et l'amitié que la Sublime Porte a toujours témoignée à votre gouvernement, les Français ont rompu avec elle la bonne harmonie, d'une manière tout-à-fait contraire aux droits des nations, et ont commis par là une action blâmable.

«C'est une idée bien extraordinaire que celle que vous avez de vouloir instruire la Sublime Porte de la véritable situation de l'Arabie et de l'Égypte, qui lui appartiennent. Sachez qu'après que les Français ont eu de vive force attaqué l'Égypte, et que la Sublime Porte leur a déclaré, conformément à la loi et aux droits des nations, une guerre qui a pour elle tous les augures de la victoire, on n'a pas différé un moment à préparer tout ce qui est nécessaire pour combattre, et à lever, dans tout l'empire ottoman, des troupes aussi nombreuses que les étoiles des cieux, pour les faire marcher par bataillons vers la Syrie et l'Égypte. Il était nécessaire que l'hiver finît, qu'on entrât dans la belle saison, et que moi-même, plénipotentiaire absolu et généralissime de l'armée de la Sublime Porte, je me rendisse en Égypte par la Syrie, conformément aux ordres, auxquels obéit l'univers, du très puissant, très magnifique, très grand, très fort, mon protecteur, mon seigneur, mon souverain, qui est aussi grand que le grand Alexandre, roi des rois, asile de la justice.

«Après avoir complété le nombre des canonniers, celui des bombes, des canons et de tous les instrumens de guerre, je suis entré à Damas.

«D'un côté, j'envoie devant moi par terre des troupes toujours fatales à leurs ennemis, me tenant à l'arrière-garde, prêt à marcher avec mon quartier-général. D'un autre côté, les Français, pour avoir rompu la paix d'une manière inouïe, ont été dispersés et détruits à Corfou et en Italie; ce qui devait nécessairement être le résultat de leur démarche peu réfléchie. Les escadres de la Sublime Porte et des deux glorieuses nations, nos alliées, les Anglais et les Russes, qui se trouvaient dans ces parages, après avoir été devant Alexandrie, sont employées en Chypre à l'embarquement d'un grand nombre de nouvelles troupes; et l'escadre anglaise, jointe à l'escadre de la Sublime Porte, doivent attaquer de concert Alexandrie et ces parages. Ce sera alors, comme vous pouvez le juger vous-même, que les Français connaîtront bien la véritable situation de l'Arabie, et tu verras, quand la poussière sera dissipée, si tu es sur un cheval ou sur un âne. (Verset arabe.)

«Mais comme dans votre lettre vous manifestez le penchant que vous avez à renouer une amitié pure et sincère, et qu'ainsi il paraît que vous demandez sûreté et sauf-conduit, expliquez-moi si vous désirez seulement sauver votre vie, parce que, dans ce cas là, en vertu de la loi de Mahomet, qui ne permet pas d'étendre le sabre sur ceux qui demandent grâce et pardon, je vous ferai embarquer avec tous les Français qui se trouvent en Égypte, et je vous ferai parvenir sains et saufs dans les ports de France. Que si vous ne vous fiez pas à ce que je vous propose, et que vous soupçonniez quelque mauvais dessein, apprenez que si l'on manquait à un pareil engagement, ce serait violer ce que la loi nous prescrit, et agir d'une manière tout-à-fait opposée aux droits des nations; tandis que l'on est bien loin de se croire permis de se détourner, à votre exemple, du chemin droit, pour suivre un sentier qui n'est pas conforme aux principes et aux réglemens des nations.