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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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Ce sombre tableau, assaisonné de plaintes, d'accusations, rendit Kléber à ses sarcasmes. Il se déchaîna de nouveau contre Bonaparte, déprécia ses travaux, attaqua ses conceptions et n'épargna pas même l'expédition, pour laquelle cependant il avait failli se brouiller avec Moreau, parce que Moreau ne l'approuvait pas. Il ne tarda pas à recueillir le fruit de ces imprudences. On souffrait, le général qui avait arboré le drapeau tricolore sur les minarets du Caire était peut-être déjà dans les mains des Anglais; on accueillit, on propagea les propos échappés à la colère, et Kléber vit bientôt revenir à lui les préventions, les défiances qu'il avait semées. Ce concert, cette unanimité lui imposa; il crut l'armée découragée, et prit pour l'opinion des troupes celle qu'il avait faite à son état-major. Il essaya, dans sa perplexité, de renouer les ouvertures qui avaient été faites au visir; il lui adressa une lettre où tout en paraphrasant celle que Bonaparte avait précédemment écrite, il résumait assez bien la question, et l'établissait sur de justes bases. Cette démarche était sage, mais il n'eut pas la patience d'en attendre le résultat. Toujours emporté par la fougue de son caractère, il voulut mettre les troupes dans le secret des négociations, et ne craignit pas de réveiller des souvenirs qu'il eût dû étouffer avec soin. L'armée était rassemblée pour célébrer l'anniversaire de la fondation de la République; il la harangua avec feu, et termina sa brillante allocution par ces mots: «Vos drapeaux, braves compagnons d'armes, se courbent sous le poids des lauriers, et tant de travaux demandent un prix; encore un moment de persévérance, vous êtes près d'atteindre et d'obtenir l'un et l'autre: encore un moment et vous donnerez une paix durable au monde après l'avoir combattu.» Cet appel fut entendu et la pensée du général pénétrée. Dès-lors il ne fut plus question des avantages que présentait l'Égypte, mais des difficultés, des obstacles qu'offrait l'occupation. Jetés en effet au milieu d'une population ennemie, pressés entre les sables et les flots, sans communication avec la France, sans armes, sans recrues, comment se maintenir; comment résister? Le visir s'avançait par le désert, les Anglais menaçaient les côtes, les Russes avaient franchi le détroit, les mameloucks se reformaient, les cipayes étaient en marche: pouvait-on se promettre d'arrêter des masses aussi formidables, de faire tête à des bataillons aussi nombreux? Qu'opposer à ce déluge d'hommes? les fortifications, les ouvrages qui ceignaient le Delta; mais ces chétives constructions de palmiers et de boue étaient à peine achevées: les troupes? mais elles étaient exténuées, harassées de fatigue et de misère, hors d'état de recevoir le choc qui se préparait. D'ailleurs, où se procurer des armes? où trouver des munitions? et quand rien de tout cela ne manquerait, où puiser, à qu'elle caisse recourir pour animer, vivifier les services? Quels fonds avait laissés Bonaparte? quelle ressource? quels moyens n'avait-il pas épuisés? L'Égypte méritait-elle d'ailleurs qu'on mît tant d'obstination à la disputer au turban? elle était dépourvue de bois, elle manquait de fer, de combustibles; elle était loin d'avoir l'importance qu'on avait cru, et coûterait plus à la France qu'elle ne lui rendrait. Kléber avait trop de lumières pour le croire; mais après avoir donné le signal du décri, il avait fini par être subjugué par l'opinion que ses imprudences avaient faite. Il accueillit toutes ces exagérations, tous ces faux aperçus qu'il confondit plus tard à Héliopolis, et en forma un exposé qu'il adressa au Directoire comme un tableau de la situation des affaires en Égypte.

On ne peut reproduire l'accusation sans la faire suivre de la défense. Je joindrai, à chacun des griefs qu'énonce Kléber, les observations que lui oppose Napoléon. Le lecteur passera des imputations de l'un, aux réponses de l'autre; il aura sous les yeux les exposés contradictoires: il jugera.

Au quartier-général du Caire, le 4 vendém., an VIII (26 sept. 1799).
Kléber, général en chef, etc., au Directoire

Citoyens Directeurs,

«Le général en chef Bonaparte est parti pour la France, le 6 fructidor au matin, sans avoir prévenu personne. Il m'avait donné rendez-vous à Rosette le 7; je n'y ai trouvé que ses dépêches. Dans l'incertitude si le général a eu le bonheur de passer, je crois devoir vous envoyer copie et de la lettre par laquelle il me donna le commandement de l'armée, et de celle qu'il adressa au grand-visir à Constantinople, quoiqu'il sût parfaitement que ce pacha était déjà arrivé à Damas.»

Observations de Napoléon.– Le grand-visir était à la fin d'août à Érivan, dans la Haute-Arménie; il n'avait avec lui que cinq mille hommes. Le 22 août, on ignorait en Égypte que ce premier ministre eût quitté Constantinople; l'aurait-on su, qu'on y aurait attaché fort peu d'importance. Au 26 septembre, lorsque cette lettre était écrite, le grand-visir n'était ni à Damas ni à Alep, il était au-delà du Taurus.

«Mon premier soin a été de prendre une connaissance exacte de la situation actuelle de l'armée.

«Vous savez, citoyens Directeurs, et vous êtes à même de vous faire représenter l'état de ses forces à son entrée en Égypte. Elle est réduite de moitié, et nous occupons tous les points capitaux du triangle des cataractes à d'El-A'rych, d'El-A'rych à Alexandrie, et d'Alexandrie aux cataractes.»

L'armée française était de trente mille hommes au moment du débarquement en Égypte, en 1798; puisque le général Kléber déclare qu'elle était réduite de moitié au 26 septembre 1799, elle était donc de quinze mille hommes. Ceci est une fausseté évidente, puisque les états de situation de tous les chefs de corps, envoyés au ministre de la guerre, datés du 1er septembre, portaient la force de l'armée à vingt-huit mille hommes, sans compter les gens du pays. Les états de l'ordonnateur Daure faisaient monter la consommation à trente-cinq mille hommes, y compris les abus, les auxiliaires, les rations doubles, les femmes et les enfants; les états du payeur Estève, envoyés à la trésorerie, faisaient monter l'armée à vingt-huit mille hommes. Comment, dira-t-on, la conquête de la Haute et Basse-Égypte, de la Syrie; les maladies, la peste, n'avaient fait périr que quinze cents hommes? Non, il en a péri quatre mille cinq cents; mais, après son débarquement, l'armée fut augmentée de trois mille hommes, provenant des débris de l'escadre de l'amiral Brueix.

Voulez-vous une autre preuve tout aussi forte: c'est qu'au mois d'octobre et de novembre 1801, deux ans après, il a débarqué en France vingt-sept mille hommes venant d'Égypte, sur lesquels vingt-quatre mille appartenaient à l'armée: les autres étaient des mameloucks et des gens du pays. Or, l'armée n'avait reçu aucun renfort, si ce n'est un millier d'hommes partis par les trois frégates la Justice, l'Égyptienne, la Régénérée, et une douzaine de corvettes ou d'avisos qui arrivèrent dans cet intervalle.

En 1800 et 1801, l'armée a perdu quatre mille huit cents hommes, soit de maladie, soit dans la campagne contre le grand-visir, soit à celle contre les Anglais, en 1801. Deux mille trois cents hommes ont en outre été faits prisonniers dans les forts d'Aboukir, Julien, Rahmaniëh, dans le désert avec le colonel Cavalier, sur le convoi de djermes, au Marabou; mais ces troupes, ayant été renvoyées en France, sont comprises dans le nombre des vingt-sept mille cinq cents hommes qui ont opéré leur retour.

Il résulte donc de cette seconde preuve, qu'au mois de septembre 1799, l'armée était de vingt-huit mille cinq cents hommes, éclopés, vétérans, hôpitaux, etc., tout compris.

«Cependant il ne s'agit plus comme autrefois de lutter contre quelques hordes de mameloucks découragés; mais de combattre et de résister aux efforts réunis de trois grandes puissances: la Porte, les Anglais et les Russes.

«Le dénûment d'armes, de poudre de guerre, de fer coulé et de plomb, présente un tableau aussi alarmant que la grande et subite diminution d'hommes dont je viens de parler: les essais de fonderie n'ont point réussi; la manufacture de poudre établie à Raouda n'a pas encore donné et ne donnera probablement pas le résultat qu'on se flattait d'en obtenir; enfin, la réparation des armes à feu est lente, et il faudrait pour activer tous ces établissemens, des moyens et des fonds que nous n'avons pas.»

Les fusils ne manquaient pas plus que les hommes; il résulte des états des chefs de corps, de septembre 1799, qu'ils avaient sept mille fusils et onze mille sabres au dépôt; et des états de l'artillerie, qu'il y en avait cinq mille neufs, trois cents en pièces de rechange au parc: cela fait donc quinze mille fusils.

Les pièces de canon ne manquaient pas davantage. Il y avait, comme le constatent les états de l'artillerie, quatorze cent vingt-six bouches à feu, dont cent quatre-vingts de campagne; deux cent vingt-cinq mille projectiles, onze cents milliers de poudre; trois millions de cartouches d'infanterie, vingt-sept mille cartouches à canon confectionnées; et ce qui prouve l'exactitude de ces états, c'est que deux ans après, les Anglais trouvèrent treize cent soixante-quinze bouches à feu, cent quatre-vingt-dix mille projectiles, et neuf cents milliers de poudre.

«Les troupes sont nues, et cette absence de vêtemens est d'autant plus fâcheuse qu'il est reconnu que, dans ce pays, elle est une des causes les plus actives des dysenteries et des ophthalmies, qui sont les maladies constamment régnantes. La première surtout a agi, cette année, sur des corps affaiblis et épuisés par les fatigues. Les officiers de santé remarquent et rapportent constamment que, quoique l'armée soit considérablement diminuée, il y a cette année un nombre beaucoup plus grand de malades qu'il n'y en avait l'année dernière, à la même époque.»

 

Les draps ne manquaient pas plus que les munitions, puisque les états de situation des magasins des corps portaient qu'il existait des draps au dépôt, que l'habillement était en confection, et qu'effectivement au mois d'octobre, l'armée, était habillée de neuf. D'ailleurs, comment manquer d'habillemens dans un pays qui habille trois millions d'hommes, les populations de l'Afrique, de l'Arabie; qui fabrique des cotonnades, des toiles, des draps de laine en si grande quantité.

«Le général Bonaparte, avant son départ, avait à la vérité donné des ordres pour habiller l'armée en drap; mais pour cet objet, comme pour beaucoup d'autres, il s'en est tenu là; et la pénurie des finances, qui est un nouvel obstacle à combattre, l'a mis sans doute dans la nécessité d'ajourner l'exécution de cet utile projet. Il faut en parler de cette pénurie.

«Le général Bonaparte a épuisé toutes les ressources extraordinaires dans les premiers mois de notre arrivée. Il a levé alors autant de contributions de guerre que le pays pouvait en supporter. Revenir aujourd'hui à ces moyens, alors que nous sommes au-dehors entourés d'ennemis, serait préparer un soulèvement à la première occasion favorable; cependant Bonaparte, à son départ, n'a pas laissé un sou en caisse, ni aucun objet équivalent. Il a laissé, au contraire, un arriéré de 12,000,000; c'est plus que le revenu d'une année dans la circonstance actuelle. La solde arriérée pour toute l'armée se monte seule à 4,000,000.»

Depuis long-temps la solde était au courant. Il y avait 150,000 francs d'arriéré; mais cela datait de longue main. Les contributions dues étaient de 16,000,000, comme le prouvent les états du sieur Estève, datés du 1er septembre.

«L'inondation rend impossible en ce moment le recouvrement de ce qui reste dû sur l'année qui vient d'expirer, et qui suffirait à peine pour la dépense d'un mois. Ce ne sera donc qu'au mois de frimaire qu'on pourra en recommencer la perception; et alors, il n'en faut pas douter, on ne pourra s'y livrer, parce qu'il faudra combattre.

«Enfin, le Nil étant cette année très mauvais, plusieurs provinces, faute d'inondation, offriront des non-valeurs auxquelles on ne pourra se dispenser d'avoir égard. Tout ce que j'avance ici, citoyens Directeurs, je puis le prouver, et par des procès-verbaux, et par des états certifiés des différens services.

«Quoique l'Égypte soit tranquille en apparence, elle n'est rien moins que soumise. Le peuple est inquiet et ne voit en nous, quelque chose que l'on puisse faire, que des ennemis de sa propriété; son cœur est sans cesse ouvert à l'espoir d'un changement, favorable.»

La conduite de ce peuple, pendant la guerre de Syrie, ne laissa aucun doute sur ses bonnes dispositions; mais il ne faut lui donner aucune inquiétude sur sa religion, et se concilier les ulémas.

«Les mameloucks sont dispersés, mais ils ne sont pas détruits. Mourâd-Bey est toujours dans la Haute-Égypte avec assez de monde pour occuper sans cesse une partie de nos forces. Si on l'abandonnait un moment, sa troupe se grossirait bien vite; et il viendrait nous inquiéter sans doute jusque dans cette capitale, qui, malgré la plus grande surveillance, n'a cessé de lui procurer jusqu'à ce jour des secours en argent et en armes.

«Ibrahim-Bey est à Ghazah avec environ deux mille mameloucks; et je suis informé que trente mille hommes de l'armée du grand-visir et de Djezzar-Pacha y sont déjà arrivés.»

Mourâd-Bey, réfugié dans l'oasis, ne possédait plus un seul point dans la vallée; il n'y possédait plus un magasin ni une barque; il n'avait plus un canon: il n'était suivi que de ses plus fidèles esclaves. Ibrahim-Bey était à Ghazah avec quatre cent cinquante mameloucks. Comment pouvait-il en avoir deux mille, puisqu'il n'en a jamais eu que neuf cent cinquante, et qu'il avait fait des pertes dans tous les combats de la Syrie?

Il n'y avait pas, en septembre, un seul homme de l'armée du grand-visir en Syrie: au contraire, Djezzar-Pacha avait retiré ses propres troupes de Ghazah pour les concentrer sur Acre. Il n'y avait à Ghazah que les quatre cents mameloucks d'Ibrahim-Bey.

«Le grand-visir est parti de Damas il y a environ vingt jours; il est actuellement campé auprès d'Acre.»

Le grand-visir n'était point en Syrie, le 26 septembre. Il n'était pas même à Damas, pas même à Alep; il était au-delà du mont Taurus.

«Telle est, citoyens Directeurs, la situation dans laquelle le général Bonaparte m'a laissé l'énorme fardeau de l'armée d'Orient. Il voyait la crise fatale s'approcher: vos ordres sans doute ne lui ont pas permis de la surmonter. Que cette crise existe, ses lettres, ses instructions, sa négociation entamée en font foi: elle est de notoriété publique, et nos ennemis semblent aussi peu l'ignorer que les Français qui se trouvent en Égypte.

«Si cette année, me dit le général Bonaparte, malgré toutes les précautions, la peste était en Égypte, et que vous perdissiez plus de quinze cents soldats, perte considérable puisqu'elle serait en sus de celle que les événemens de la guerre occasionneraient journellement, dans ce cas, vous ne devez pas vous hasarder à soutenir la campagne prochaine, et vous êtes autorisé à conclure la paix avec la Porte ottomane, quand même l'évacuation de l'Égypte en serait la condition principale.»

«Je vous fais remarquer ce passage, citoyens Directeurs, parce qu'il est caractéristique sous plus d'un rapport, et qu'il indique surtout la situation critique dans laquelle je me trouve.

«Que peuvent être quinze cents hommes de plus ou de moins dans l'immensité de terrain que j'ai à défendre, et aussi journellement à combattre?»

Cette crise fatale était dans l'imagination du général, et surtout des intrigans qui voulaient l'exciter à quitter le pays.

Napoléon avait commencé les négociations avec Constantinople, dès le surlendemain de son arrivée à Alexandrie; il les a continuées en Syrie. Il avait plusieurs buts; d'abord d'empêcher la Porte de déclarer la guerre; puis de la désarmer, ou au moins de rendre les hostilités moins actives; enfin, de connaître ce qui se passait par les allées et venues des agens turcs et français, qui le tenaient au courant des événemens d'Europe.

Où était la crise fatale? L'armée russe qui, soi-disant, était aux Dardanelles, était un premier fantôme; l'armée anglaise, qui avait déjà passé le détroit, en était un second; enfin, le grand-visir, à la fin de septembre, était encore bien éloigné de l'Égypte. Quand il aurait passé le mont Taurus et le Jourdain, il avait à lutter contre la jalousie de Djezzar; il n'avait avec lui que cinq mille hommes; il devait former son armée en Asie, et peut-être y réunir quarante à cinquante mille hommes, qui n'avaient jamais fait la guerre, et qui étaient aussi peu redoutables que l'armée du mont Thabor: c'était donc en réalité un troisième fantôme.

Les troupes de Mustapha-Pacha étaient les meilleures troupes ottomanes; elles occupaient, à Aboukir, une position redoutable. Cependant elles n'avaient opposé aucune résistance. Le grand-visir n'aurait jamais osé passer le désert devant l'armée française, ou s'il l'avait osé, il eût été très facile de le battre.

L'Égypte ne courait donc de dangers que par le mauvais esprit qui s'était mis dans l'état-major.

La peste, qui avait affligé l'armée en 1799, lui avait fait perdre sept cents hommes. Si celle qui l'affligerait en 1800 lui en faisait perdre quinze cents, elle serait donc double en malignité. Dans ce cas, le général partant voulait prévenir les seuls dangers que pouvait courir l'armée, et diminuer la responsabilité de son successeur, l'autorisant à traiter, s'il ne recevait pas de nouvelles du gouvernement, avant le mois de mai 1800, à condition que l'armée française resterait en Égypte jusqu'à la paix générale.

Mais enfin, le cas n'était point arrivé; on n'était pas au mois de mai, puisqu'on n'était qu'au mois de septembre; on avait donc tout l'hiver à passer, pendant lequel il était probable que l'on recevrait des nouvelles de France: enfin, la peste n'affligea pas l'armée en 1800 et 1801.

«Le général dit ailleurs: «Alexandrie et El-A'rych, voilà les deux clefs de l'Égypte.»

«El-A'rych est un méchant fort à quatre journées dans le désert. La grande difficulté de l'approvisionner ne permet pas d'y jeter une garnison de plus de deux cent cinquante hommes. Six cents mameloucks et Arabes pourront, quand ils le voudront, intercepter sa communication avec Catiëh; et comme, lors du départ de Bonaparte, cette garnison n'avait pas pour quinze jours de vivres en avance, il ne faudrait pas plus de temps pour l'obliger à se rendre sans coup férir. Les Arabes seuls étaient dans le cas de faire des convois soutenus dans les brûlans déserts; mais d'un côté ils ont tant de fois été trompés que, loin de nous offrir leurs services, ils s'éloignent et se cachent. D'un autre côté, l'arrivée du grand-visir, qui enflamme leur fanatisme et leur prodigue des dons, contribue tout autant à nous en faire abandonner.»

Le fort d'El-A'rych, qui peut contenir cinq ou six cents hommes de garnison, est construit en bonne maçonnerie; il domine les puits et la forêt de palmiers de l'oasis de ce nom. C'est une vedette située près de la Syrie, la seule porte par où toute armée qui veut attaquer l'Égypte par terre, puisse passer. Les localités offrent beaucoup de difficultés aux assiégeans. C'est donc à juste titre qu'il peut être appelé une des clefs du désert.

«Alexandrie n'est point une place, c'est un vaste camp retranché; il était à la vérité assez bien défendu par une nombreuse artillerie de siége; mais depuis que nous l'avons perdue cette artillerie, dans la désastreuse campagne de Syrie; depuis que le général Bonaparte a retiré toutes les pièces de marine pour armer au complet les deux frégates avec lesquelles il est parti, ce camp ne peut plus offrir qu'une faible résistance.»

Il y avait dans Alexandrie quatre cent cinquante bouches à feu de tout calibre. Les vingt-quatre pièces que l'on avait perdues en Syrie, appartenaient à l'équipage de siége, et n'avaient jamais été destinées à faire partie de l'armement de cette place. Les Anglais y ont trouvé, en 1801, plus de quatre cents pièces de canon, indépendamment des pièces qui armaient les frégates et autres bâtimens.

«Le général Bonaparte enfin s'est fait illusion sur l'effet du succès qu'il a obtenu au poste d'Aboukir. Il a en effet détruit la presque totalité des Turcs qui étaient débarqués: mais qu'est-ce qu'une perte pareille pour une grande nation à laquelle on a ravi la plus belle portion de son empire, et à qui la religion, l'honneur et l'intérêt prescrivent également de se venger, et de reconquérir ce qu'on avait pu lui enlever? Aussi cette victoire n'a-t-elle retardé d'un instant ni les préparatifs ni la marche du grand-visir.»

L'armée de Moustapha, pacha de Romélie, qui débarqua d'Aboukir, était de dix-huit mille hommes. C'était l'élite des troupes de la Porte, qui avaient fait la guerre contre la Russie. Ces troupes étaient incomparablement meilleures que celles du mont Thabor et toutes les troupes asiatiques, dont devait se composer l'armée du grand-visir.

Le grand-visir n'a reçu la nouvelle de la défaite d'Aboukir qu'à Érivan, dans l'Arménie, près la mer Caspienne.

«Dans cet état de choses, que puis-je et que dois-je faire? Je pense, citoyens Directeurs, que c'est de continuer les négociations entamées par Bonaparte; quand elles ne donneraient d'autre résultat que celui de gagner du temps, j'aurais déjà lieu d'en être satisfait. Vous trouverez ci-jointe la lettre que j'écris en conséquence au grand-visir, en lui envoyant le duplicata de celle de Bonaparte. Si ce ministre répond à ces avances, je lui proposerai la restitution de l'Égypte, aux conditions suivantes:

«Le grand seigneur y établirait un pacha comme par le passé.

«On lui abandonnerait le miry, que la Porte a toujours perçu de droit et jamais de fait.

«Le commerce serait ouvert réciproquement entre l'Égypte et la Syrie.

«Les Français demeureraient dans le pays, occuperaient les places et les forts, et percevraient tous les autres droits, avec ceux des douanes, jusqu'à ce que le gouvernement eût conclu la paix avec l'Angleterre.

«Si ces conditions préliminaires et sommaires étaient acceptées, je croirais avoir fait plus pour la patrie qu'en obtenant la plus éclatante victoire; mais je doute que l'on veuille prêter l'oreille à ces dispositions. Si l'orgueil des Turcs ne s'y opposait point, j'aurais à combattre l'influence des Anglais. Dans tous les cas je me guiderai d'après les circonstances.»

 

Ceci est bien projeté, mais a été mal exécuté; il y a loin de là à la capitulation d'El-A'rych.

Tout traité avec la Porte, s'il avait ces deux résultats, de lui faire tomber les armes des mains, et de conserver l'armée en Égypte, était bon.

«Je connais toute l'importance de la possession de l'Égypte; je disais en Europe qu'elle était pour la France le point d'appui avec lequel elle pourrait remuer le système du commerce des quatre parties du monde; mais pour cela il faut un puissant levier; et ce levier c'est la marine: la nôtre a existé; depuis lors tout a changé, et la paix avec la Porte peut seule, ce me semble, nous offrir une voie honorable pour nous tirer d'une entreprise qui ne peut plus atteindre l'objet qu'on avait pu se proposer.

«Je n'entrerai point, citoyens Directeurs; dans le détail de toutes les combinaisons diplomatiques que la situation actuelle de l'Europe peut offrir, ils ne sont point de mon ressort.

«Dans la détresse où je me trouve, et trop éloigné du centre des mouvemens, je ne puis guère m'occuper que du salut et de l'honneur de l'armée que je commande: heureux si, dans mes sollicitudes, je réussis à remplir vos vœux; plus rapproché de vous, je mettrais toute ma gloire à vous obéir?

«Je joins ici, citoyens Directeurs, un état exact de ce qui nous manque en matériel pour l'artillerie, et un tableau sommaire de la dette contractée et laissée par Bonaparte.

«Salut et respect,

«Signé, Kléber»

La destruction de onze vaisseaux de guerre, dont trois étaient hors de service, ne changeait rien à la situation de la République, qui était, en 1800, tout aussi inférieure sur mer qu'en 1798: si l'on eût été maître de la mer, on eût marché droit à la fois sur Londres, sur Dublin et sur Calcutta: c'était pour le devenir que la République voulait posséder l'Égypte. Cependant la République avait assez de vaisseaux pour pouvoir envoyer des renforts en Égypte, lorsque ce serait nécessaire. Au moment où le général écrivait cette lettre, l'amiral Brueys, avec quarante-six vaisseaux de haut bord, était maître de la Méditerranée; il eût secouru l'armée d'Orient, si les troupes n'eussent été nécessaires en Italie, en Suisse, et sur le Rhin.

P. S. «Au moment, citoyens Directeurs, où je vous expédie cette lettre, quatorze ou quinze voiles turques sont mouillées devant Damiette, attendant la flotte du capitan-pacha, mouillée à Jaffa, et portant, dit-on, quinze à vingt mille hommes de débarquement. Quinze mille hommes sont toujours réunis à Ghazah, et le grand-visir s'achemine de Damas. Il nous a renvoyé, la semaine dernière, un soldat de la 25e demi-brigade, fait prisonnier du côté d'El-A'rych. Après lui avoir fait voir tout le camp, il lui a intimé de rapporter à ses compagnons ce qu'il avait vu, et de dire à leur général de trembler. Ceci paraît annoncer ou la confiance que le grand-visir met dans ses forces, ou un désir de rapprochement. Quant à moi, il me serait de toute impossibilité de réunir plus de cinq mille hommes en état d'entrer en campagne. Nonobstant ce, je tenterai la fortune, si je ne puis parvenir à gagner du temps par des négociations. Djezzar a retiré ses troupes de Ghazab, et les a fait revenir à Acre.»

Cette apostille peint l'état d'agitation du général Kléber. Il avait servi huit ans comme officier dans un régiment autrichien; il avait fait les campagnes de Joseph II, qui s'était laissé battre par les Ottomans; il avait conservé une opinion fort exagérée de ceux-ci. Sidney Smith, qui avait déjà fait perdre à la Porte l'armée de Mustapha, pacha de Romélie, qu'il avait débarquée à Aboukir, vint mouiller à Damiette, avec soixante transports sur lesquels étaient embarqués sept mille janissaires, de très bonnes troupes: c'était l'arrière-garde de l'armée de Moustapha-Pacha. Au 1er novembre, il les débarqua sur la plage de Damiette: l'intrépide général Verdier marcha à eux, avec mille hommes, les prit, les tua, ou les jeta dans la mer. Six pièces de canon furent ses trophées.

Le capitan-pacha n'était point à Jaffa; l'armée du visir n'était point entrée en Syrie; il n'y avait donc pas trente mille hommes à Ghazah. Les armées russe et anglaise ne songeaient point à attaquer l'Égypte.

Cette lettre est donc pleine de fausses assertions. On croyait que Napoléon n'arriverait point en France; on s'était décidé à évacuer le pays; on voulut justifier cette évacuation, car cette lettre arriva à Paris le 12 janvier. Le général Berthier la mit sous les yeux du premier consul; elle était accompagnée du rapport et des comptes de l'ordonnateur Daure, du payeur Estève, et de vingt-huit rapports de colonels et de chefs de corps d'artillerie, infanterie, cavalerie, dromadaires, etc.; tous ces états, que fit dépouiller le ministre de la guerre, présentaient des rapports qui contredisaient le général en chef. Mais heureusement pour l'Égypte qu'un duplicata de cette lettre tomba entre les mains de l'amiral Keith, qui l'envoya aussitôt à Londres. Le ministre anglais écrivit sur-le-champ, pour qu'on ne reconnût aucune capitulation qui aurait pour but de ramener l'armée d'Égypte en France; et que, si déjà elle était en mer, il fallait la prendre et la conduire dans la Tamise.

Par un second bonheur, le colonel Latour-Maubourg, parti de France à la fin de janvier avec la nouvelle de l'arrivée de Napoléon en France, celle du 18 brumaire, la constitution de l'an VIII, et la lettre du ministre de la guerre, du 12 janvier, en réponse à celle de Kléber, ci-dessus, arriva au Caire le 4 mai, dix jours avant le terme fixé pour la remise de cette capitale au grand-visir. Kléber comprit qu'il fallait vaincre ou mourir; il n'eut qu'à marcher.

Ce ramassis de canaille, qui se disait l'armée du grand-visir, fut rejeté au-delà du désert, sans faire aucune résistance. L'armée française n'eut pas cent hommes tués ou blessés, en tua quinze mille, leur prit leurs tentes, leurs bagages et leur équipage de campagne.

Kléber changea alors entièrement; il s'appliqua sérieusement à améliorer le sort de l'année et du pays; mais, le 14 juin 1800, il périt sous le poignard d'un misérable fanatique.

S'il eût vécu lorsque, la campagne suivante, l'armée anglaise débarqua à Aboukir, elle eût été perdue: peu d'Anglais se fussent rembarqués, et l'Égypte eût été à la France.