Za darmo

Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa
CHAPITRE III.
FINANCES. – PRODUIT DES NOUVEAUX DROITS. – VICES DES INNOVATIONS. – AUGMENTATION DES DÉPENSES DE L'ARMÉE. – LA PERCEPTION DU MIRY EST RETARDÉE. – LES CAISSES SONT VIDES AU MOMENT D'ENTRER EN CAMPAGNE

Les droits d'octroi et les autres rentrées n'avaient pas assez rendu en vendémiaire, brumaire et frimaire, pour suffire aux dépenses de l'armée. Les emprunts aux Cophtes étaient perçus et dépensés à la fin de ce trimestre. Cette ressource étant épuisée, et ne voulant pas faire murmurer les troupes par un retard de solde, on employa une somme de 500,000 francs en or, que Kléber avait ordonné de mettre en réserve, et qu'il voulait porter à un million, afin d'avoir, dans tous les temps, des fonds prêts pour entrer en campagne, si l'armée venait à être attaquée.

L'impôt sur les cheiks ne fut mis en perception qu'au commencement de frimaire; les réclamations générales sur les inconvéniens et sur les vices de son administration, n'avaient pu décider à le changer. La lenteur des rentrées et l'opposition que les cheiks paraissaient y mettre, décidèrent le directeur des revenus publics à faire promettre, par ses employés, que ce droit serait précompté sur le miry, dont un tiers était alors échu: cette promesse en ranima un peu la perception; mais c'était écarter ce droit de son but: il avait été annoncé comme devant produire 3,000,000 en sus des impositions ordinaires, et l'opiniâtreté à le maintenir, après en avoir connu les vices, réduisit à ne percevoir qu'une portion seulement des impôts exigibles à cette époque.

Le général Menou voulant faire un système de finances entièrement neuf, se disposait à changer les impositions territoriales et leur perception: sans se rendre compte des difficultés d'un cadastre et du temps qu'il faudrait pour l'achever, il comptait en faire la base de son nouveau système, et le mettre à exécution la même année. Il ne réfléchit pas qu'un cadastre est un ouvrage immense, qui nécessite une foule de recherches et de travaux; qu'en Europe même où tous les moyens sont réunis, on n'en a achevé que pour de petites étendues de pays; et qu'en Égypte, outre les difficultés qui tiennent à la nature du travail, il en existe encore de locales; que l'arpentage des terres, ordonné par les propriétaires et les mameloucks les plus puissans, avait toujours été une opération militaire, parce que les villages craignant de payer davantage, s'y étaient opposés les armes à la main; qu'enfin on serait obligé pour le faire d'employer de nombreux détachemens, et qu'il fallait plus d'une année pour préparer ce travail. Il voulait aussi changer le mode de perception et le retirer des mains des Cophtes, qui, réglant tous les comptes des villages sous l'ancien gouvernement, avaient seuls la connaissance exacte de leurs produits, et volaient facilement ceux qui étaient obligés de les employer.

Ces projets étaient bons; il était nécessaire de changer la répartition et la perception des impositions territoriales; la meilleure base pour la première était un cadastre, et il était utile de confier la seconde à des mains plus fidèles que celles des Cophtes; mais il fallait sentir qu'on n'avait pas encore les moyens d'opérer tous ces changemens, qu'on devait les remettre à un autre temps; et que les besoins d'une armée, à une époque où l'ennemi paraissait se disposer à attaquer, exigeaient qu'on levât promptement les contributions. Il fallait sentir aussi que les retards faisaient perdre, pour leur recouvrement, le moment le plus favorable, et dont les possesseurs de l'Égypte ont toujours cherché à profiter, celui où les récoltes étant encore sur pied, les cultivateurs retenus par elles, ne cherchent pas à se soustraire au paiement.

En nivôse les embarras augmentèrent; on acheva de dépenser l'or mis en réserve par Kléber; on demanda le paiement des droits sur les corporations et sur les corps de nation; les villages payèrent des à-comptes sur le droit des cheiks, et dans le mois de pluviôse on put acquitter une partie de la solde et des dépenses de nivôse; mais ces efforts épuisèrent la caisse, et le directeur fut embarrassé pour tenir ses engagemens. Enfin, à force de sollicitations, il obtint l'ordre, donné le 15 pluviôse, de percevoir 3,000,000 de francs à compte des impositions de l'an 1215. Le général Menou, voulant toujours mettre son projet à exécution dans l'année, ne permit pas d'en demander davantage, quoique, en suivant l'ancien usage, on eût pu exiger quatre millions dès la fin de frimaire, et presque autant en ventôse. Il ne voulait pas non plus employer les Cophtes à la perception de cet à-compte; il avait imaginé que sur son ordre seul tous les cheiks de village s'empresseraient d'apporter les sommes qui leur étaient demandées, et qu'il ne serait pas nécessaire d'envoyer des troupes pour les y contraindre, mesure qui fut toujours jugée indispensable dans le pays. À la fin de pluviôse seulement, on put lui faire comprendre que les rentrées seraient fort lentes et presque nulles, si on n'employait pas les troupes, et si on n'envoyait pas dans les villages les seraphs cophtes accoutumés à faire la répartition des contributions, avec quelques intendans cophtes et des agens français pour les diriger.

Ces retards empêchèrent de partir, pour mettre cette somme en perception, après les premiers jours de ventôse; toute la première décade se passa à porter des ordres, sans beaucoup recevoir. On ne put payer qu'une partie des dépenses de pluviôse, avec le produit des droits sur les consommations et sur les corporations, ainsi qu'avec le miry de Mourâd-Bey. Enfin, les caisses se trouvèrent vides lorsque l'apparition de la flotte anglaise et la marche de toutes les troupes sur les points menacés, suspendirent la perception des impôts, et privèrent le directeur des revenus publics, de tous les moyens de faire rentrer dans les caisses l'argent nécessaire aux besoins de l'armée.

CHAPITRE IV.
DES MAGASINS. – DE L'ADMINISTRATION DES SUBSISTANCES. – DES REVENUS EN NATURE

L'ordonnateur Daure n'avait pu persuader le général Menou de la nécessité de faire des approvisionnemens considérables; son successeur, l'ordonnateur Sartelon, ne fut pas plus heureux, et les avis des préparatifs des ennemis ne purent pas davantage l'y déterminer. La fabrication du biscuit ne fut pas même reprise pour remplacer celui qui s'était avarié en plein air, ou dans de mauvais magasins. Les grains destinés à compléter l'approvisionnement d'Alexandrie, pour l'armée pendant six mois, et pour la garnison pendant un an, furent envoyés par eau, en brumaire et frimaire, à Rosette. De là, ils furent transportés successivement à Alexandrie. De plus on déposa à Rosette, on ne sait par quelle raison, du blé et de l'orge qui auraient été beaucoup mieux placés à Alexandrie ou à Rahmaniëh; Rosette n'étant susceptible d'aucune défense.

Les petits forts construits sur la côte, sur les bords du Nil et autour du Caire, ne furent approvisionnés que pour un mois. L'approvisionnement de Belbéis et de Salêhiëh ne fut pas complété à la quantité nécessaire pour nourrir l'armée, lorsqu'elle se rassemblerait sur la frontière de Syrie; les magasins de Damiette et de Lesbëh étaient plus considérables. La citadelle du Caire était approvisionnée pour trois mois.

L'organisation physique de l'Égypte, le genre de culture qu'elle exige, et la stérilité à laquelle elle est condamnée, lorsque la crue du Nil n'est point assez forte pour couvrir toutes les terres, ont, dans tous les temps, forcé le gouvernement à porter la plus grande attention sur la formation des magasins de grains suffisans pour fournir à la subsistance du peuple dans les mauvaises années, ou au moins à l'ensemencement des terres. Dans les bonnes années, on récolte une quantité de grains de beaucoup supérieure à celle que les habitans consomment. Les récoltes des années médiocres permettent même une exportation assez considérable pour l'Arabie, la Syrie et Constantinople; une partie de cet excédant est mise en réserve, jusqu'à ce qu'on soit assuré d'une bonne inondation. Sous le gouvernement divisé des mameloucks, le magasin général où se versait le produit du miry en nature, était bientôt épuisé par la répartition entre les personnes qui y avaient droit; mais les beys, propriétaires de presque tous les villages, faisaient des réserves particulières.

Lorsque, outre les habitans, on avait encore à nourrir une armée, qu'on se trouvait dans un état de guerre intérieure et extérieure, susceptible d'un moment à l'autre d'amener des changemens et de suspendre toute perception, on avait de bien fortes raisons pour former des magasins extraordinaires. Bonaparte avait fait établir au Mékias un magasin général de grains, qui devait fournir aux approvisionnemens des places, aux besoins de l'armée; et, si cela devenait nécessaire, à ceux des habitans. Les grains provenant de la portion des contributions qu'il était d'usage de percevoir en nature dans la Haute-Égypte, y étaient versés; ceux que dans la Basse-Égypte, on tirait des oussiehs, et ceux qu'on requérait ou qu'on achetait, y servaient aussi pour l'approvisionnement des places.

Les troubles intérieurs qui précédèrent la bataille d'Héliopolis, avaient empêché de former un approvisionnement bien considérable. L'inondation avait été médiocre et la récolte faible; vers la fin du siége du Caire, Mourâd-Bey avait fourni les grains nécessaires pour nourrir l'armée. Aussitôt que Kléber, débarrassé des ennemis, put s'occuper de l'administration de l'Égypte, il fit activer la levée des grains et la formation des magasins: ce fut le principal objet de la surveillance du comité administratif. Deux membres de ce comité allèrent ensuite dans la Haute-Égypte pour y presser les versemens; mais, pendant leur mission, le général Menou supprima le comité. L'un des membres resta bien chargé de la direction des revenus en nature; mais on ne veilla pas, comme Kléber avait voulu le faire en organisant le comité administratif, à ce que les subsistances de l'armée ne fussent pas sacrifiées à la finance; à ce qu'on s'occupât également de la perception des grains et de celle de l'argent; à ce qu'on ne convertit pas en espèces les contributions qu'il importait de recevoir en nature, etc… Les magasins s'épuisèrent au lieu de se remplir; ils étaient vides au commencement de frimaire. Le directeur des revenus en nature avait inutilement averti qu'on allait manquer, et proposé les moyens de les remplir et de les alimenter. Lorsqu'on fut pressé par le besoin, on chargea les Cophtes de verser les grains dans le magasin général, comme emprunt qu'on promettait de leur rembourser; mais ils ne le firent que lentement, et seulement pour fournir à la consommation journalière du Caire. Le directeur des revenus en nature écrivit au général Menou pour l'inviter à prendre quelque grande mesure; il proposa d'intéresser davantage les Cophtes, en leur abandonnant les arriérés dus par plusieurs villages, et qui par suite de leur négligence, n'avaient pas été perçus, et aussi pour le prévenir que si l'armée devait entrer en campagne, elle serait sans moyens suffisans: cela fut inutile. Cet administrateur ne fut point secondé. Les rentrées qu'il pressa, autant qu'il lui fut possible, pendant les mois de frimaire, de nivôse et de pluviôse, suffirent à peine aux besoins journaliers; et lorsque les Anglais parurent, le magasin général ne pouvait pas fournir à la subsistance de l'armée pour plus de vingt jours.

 
PIÈCES JUSTIFICATIVES

(№ 1.)

Au quartier-général du Caire, le 6 brumaire an IX (28 octobre 1800).

Proclamation aux habitans de l'Égypte. Au nom de Dieu, clément et miséricordieux; il n'y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète.

Menou, général en chef de l'armée française, aux habitans de l'Égypte.

Habitans de l'Égypte! écoutez ce que j'ai à vous dire au nom de la République française. Vous étiez malheureux; l'armée française est venue en Égypte pour vous porter le bonheur. Vous gémissiez sous le poids des vexations de toute espèce; je suis chargé par la République et par son premier consul Bonaparte, de vous en délivrer. Une multitude d'impôts vous enlevaient tous les fruits de vos travaux; j'en ai détruit la plus grande partie. Aucune règle ne fixait d'une manière précise ce que vous deviez payer; j'en ai établi une invariable. Chacun dorénavant connaîtra à quel taux s'élèvent ses contributions; dans chaque ville, dans chaque village, dans chaque maison, si cela est possible, seront affichés et publiés les états de ce que chacun doit payer.

Les gens puissans et les grands exigeaient de vous des avanies, je vous engage ma parole que je n'en exigerai jamais. Parmi vous, ceux qui avaient acquis par un long travail des richesses et de l'argent étaient obligés de les cacher, de les enfouir même dans la terre pour empêcher qu'elles ne tombassent dans les mains des grands, qui sans cesse épiaient l'occasion de vous les ravir. Habitans de l'Égypte, je vous promets, au nom de la République, devant Dieu et son Prophète, que ni moi, ni aucun Français, tant qu'il me restera un cheveu sur la tête, n'attenterons à vos propriétés. En payant exactement l'impôt fixé par la loi, vous serez libres de jouir de tout ce qui vous appartient, sans que personne puisse vous en empêcher, ou vous demander compte de vos richesses.

Les grands et les gens puissans vous traitaient beaucoup moins bien qu'ils ne traitaient leurs chevaux et leurs chameaux; vous le serez dorénavant par les Français et par moi, comme si vous étiez nos frères.

Quand les percepteurs du miry et autres contributions, voyageaient dans les provinces, ils étaient accompagnés d'une foule de serviteurs, de domestiques, d'écrivains, de kakouas, qui tous dévoraient vos propriétés et vous enlevaient souvent jusqu'à votre dernier medin; il n'en sera plus ainsi, habitans de l'Égypte! Si quelqu'un de ceux qui sont destinés par moi à percevoir les impositions, vous prend un seul medin au-delà ce qui sera fixé par la loi, il sera arrêté, emprisonné et condamné aux châtimens les plus sévères. La République française et son premier consul Bonaparte m'ont ordonné de vous rendre heureux; je ne cesserai de travailler pour exécuter leurs ordres.

Habitans de l'Égypte, si vous le voulez, le miry que vous payez, en y comprenant les autres droits qui y ont été ajoutés, diminuera considérablement. En voici le moyen: lorsque vous connaîtrez par une loi écrite, et qui sera adressée par moi à toutes les villes et villages, le montant du miry que vous aurez à payer, n'attendez pas que les percepteurs aillent vous le demander; allez vous-mêmes le porter dans la caisse des trésoriers de province, et pour vous faciliter le paiement, je diviserai en quatre parties égales le miry qui vous sera imposé; tous les trois mois vous en paierez une partie; et pour vous faire bien comprendre ce que je veux faire pour votre avantage, lisez avec attention ce qui suit:

Je suppose qu'un village soit imposé à dix mille pataques par an pour son miry, tous les trois mois il devra payer dans la caisse du trésorier de la province, deux mille cinq cents pataques; au bout de l'année il aura satisfait à ce que la loi exige de lui, sans avoir éprouvé aucune vexation. Si, au contraire, il attend pour payer que les percepteurs arrivent en foule, il lui en coûtera alors beaucoup plus que la loi n'avait exigé. Vous le voyez, habitans de l'Égypte, il ne tient qu'à vous de diminuer vos impositions et de n'éprouver aucune vexation. Jusqu'à présent les mukhtesims de village vous demandaient beaucoup plus qu'il ne leur revenait: cela n'arrivera plus. Ce que devront recevoir les mukhtesims sera fixé par la loi; je vous défends de leur payer un medin au-delà de ce que j'aurai réglé. Souvent les cheiks-el-beled vous vexent, vous font payer des avanies qu'ils partagent avec les mukhtesims, les percepteurs des impositions et autres grands qui n'ont en vue que leur avarice et votre ruine. Habitans de l'Égypte, cela n'arrivera plus; ce que devront recevoir pour leur salaire les cheiks-el-beled sera fixé par la loi que je vous enverrai, et si l'un d'eux exige quelque chose au-delà de ce qui sera ordonné par cette loi, il perdra sa place et ses propriétés. Dorénavant vous ne nourrirez plus les troupes qui marcheront dans les provinces, que dans le cas où elles iront pour vous faire payer des contributions que vous n'auriez pas acquittées dans le temps prescrit par la loi; dans tout autre cas, elles paieront tout ce qui leur sera fourni pour leur nourriture. Je donnerai à cet égard des ordres à tous les généraux et commandans. Tous les généraux et commandans français veilleront à ce que personne n'exige de vous rien au-delà de ce qui sera prescrit par la loi; je vous avertis encore que vous ne devez de présens à personne. Mon devoir, et celui de tous les commandans et administrateurs, est de vous écouter, de vous donner aide et protection quand vous vous conduisez bien; je défends aussi à vos juges d'exiger de vous aucun présent. Dieu et Mahomet son prophète leur ordonnent de vous rendre la justice; je le leur ordonne de même en leur prescrivant de n'avoir dans leurs jugemens égard ni au riche ni au pauvre, mais seulement à leur conscience et à la vérité; ceux qui contreviendront à cet ordre, seront sévèrement punis. Je viens, ô habitans de l'Égypte, de créer un tribunal suprême au Caire; il est composé des cheiks les plus recommandables par leur sagesse, leurs vertus et leur désintéressement; ils sont destinés à maintenir la religion dans sa pureté, et à vous juger. Je suis convaincu qu'ils s'acquitteront de leurs fonctions ainsi que le doivent faire des hommes qui craignent Dieu et son Prophète; mais je vous déclare ainsi qu'à eux, que si, ce que je ne puis croire, ils manquaient à leurs devoirs, ils seraient punis avec la dernière sévérité.

Jusqu'à présent les interprètes exigeaient de vous des avanies, en vous promettant la protection de leurs maîtres: ils vous trompaient; cela n'arrivera plus: si quelques uns exigent de vous de l'argent et des présens, avertissez-en les généraux ou moi; ces méchans seront punis de la manière la plus terrible. Ces hommes, pour vous engager à leur donner de l'argent, vous disent que ce sont les Français leurs maîtres qui l'exigent, ou bien encore ils vous disent qu'il n'est pas possible de voir les généraux ou autres Français en place, ni de leur parler; ils vous trompent; leurs paroles ne sont que mensonges; faites-les connaître, ils seront punis.

Souvent, quand les Français ou les troupes voyagent, un domestique, un interprète, un écrivain, ou tout autre se détachant en avant, entrent dans vos villages et vous disent pour vous effrayer que les Français demandent pour vivre un nombre considérable de buffles, de chèvres, de moutons, ou autres objets, alors vous les priez de s'intéresser pour vous; ils s'y refusent pour mieux vous effrayer, et vous finissez par leur donner de l'argent: ils vous ont encore trompés; ils trompent leurs maîtres.

Dans les villes, les aghas qui sont chargés de la police, de la propreté des subsistances, avaient jusqu'à présent exigé de vous des droits de toute espèce, tous ces droits sont abolis: je vous défends de leur rien payer; ils recevront un salaire que fixera la loi.

Je sais que ceux qui sont chargés de la vérification des poids se présentent souvent chez les marchands; ils prétendent toujours trouver les poids faux, alors ils font avancer leurs kaouas; ils ordonnent des coups de bâton ou autres punitions; le marchand s'effraie, il promet qu'il se rendra le lendemain chez l'agha des poids et mesures; il s'y rend effectivement, et porte en présent, 80, 60, 50 pataques. C'est ainsi, ô peuples de l'Égypte, que vous avez été trompés ou vexés jusqu'à présent.

Que sont devenus les biens appartenant aux mosquées? que sont devenues les immenses fondations pieuses faites par vos ancêtres? À quoi étaient-elles destinées? À entretenir les mosquées; partout je les vois détruites ou prêtes à s'écrouler. À nourrir les pauvres! partout ils meurent de faim; les rues et les chemins en sont pleins. À soigner les malades, les infirmes, les aveugles et tous les hommes sans ressources! les maisons destinées à les recevoir sont, ainsi que les mosquées, dans le plus grand désordre; les malheureux qui y sont renfermés ressemblent plutôt à des victimes condamnés à perdre la vie qu'à des hommes assemblés pour recevoir des soulagemens! Qui donc a consumé tous ces biens, toutes ces fondations? des hommes puissans qui vous ont trompés jusqu'à présent. Ce temps est passé. Je vous le répète encore, j'ai reçu l'ordre de la République française et du premier consul Bonaparte de vous rendre heureux, et je ne cesserai d'y travailler; mais je vous avertis aussi que si vous n'êtes pas fidèles aux Français, que s'il vous arrivait encore, pressés par de mauvais conseils, de vous élever contre nous, notre vengeance serait terrible; et j'en atteste ici Dieu et son Prophète, tous les maux retomberaient sur vos terres. Rappelez-vous ce qui est arrivé au Caire, à Boulaq, à Mehhaley-el-Kebyr, et autres villes de l'Égypte: le sang de vos frères, de vos pères, de vos enfans, de vos femmes, de vos amis, a coulé comme les flots de la mer; vos maisons ont été détruites, vos propriétés ravagées et consumées par le feu. Quelle a été la cause de tout cela? les mauvais conseils que vous avez écoutés; les hommes qui vous avaient trompés. Que cette leçon vous serve pour toujours; soyez sages, tranquilles; occupez-vous de vos affaires, de votre commerce; cultivez vos terres, et partout vous n'aurez dans les Français que des amis généreux, des protecteurs et des défenseurs, je vous le jure au nom du Dieu vivant, au nom du Dieu qui voit tout, qui dirige tout, et qui connaît jusqu'aux plus secrètes pensées de nos cœurs.

Le général en chef de l'armée française, signé Menou,
le général de brigade, chef de l'état-major général, signé La Grange;
l'adjudant-général, sous-chef de l'état-major général, signé Réné.

(№ 2.)

Au quartier-général du Caire, le 29 nivôse an IX (19 janvier 1801)
La Grange, général de division, chef de l'état-major, général de l'armée, au général Bonaparte, premier consul de la République française

Citoyen Consul,

L'état de l'armée d'Orient ne laisse rien à désirer sous le rapport du bien-être; il n'est aucun doute que jamais il n'a existé de troupes plus exactement soldées, mieux entretenues, et plus en état de répondre en tout à ce que la République doit attendre d'elles. J'espère qu'avec votre secours, citoyen Consul, cette armée jusques ici heureusement échappée du danger dont elle a été menacée, n'aura plus à courir de pareils risques. L'exemple du passé doit pourtant nous rendre circonspects pour l'avenir, et c'est de cet avenir que je viens aujourd'hui vous entretenir.

 

L'Europe et même le monde connaît sans doute actuellement, citoyen Consul, la conduite d'un homme qui, par le plus inconcevable système, a constamment persévéré jusques à sa fin, au moment où la mort est venue le surprendre, à vouloir absolument l'évacuation de l'Égypte, quelque honteux que fût ce parti pour lui et pour les braves qu'il commandait; il l'a constamment suivi, même, alors que les deux armées se sont trouvées en présence et que les circonstances le forçaient à combattre. Une vérité bien frappante, et qui peut être attestée par beaucoup de monde, c'est que la victoire d'Héliopolis a été remportée malgré les ordres positifs donnés par le général Kléber de ne pas combattre. Un de ces événemens inattendus a décidé cette journée en l'honneur de l'armée française, dans le moment même où son général, toujours irrésolu, toujours pacifique, demandait à parlementer. Son premier aide-de-camp, Boudot, avait été envoyé en conséquence auprès du grand-visir, et cet officier y était arrivé au moment où la bataille s'engagea.

Il eût semblé sans doute que l'armée ottomane étant battue, chassée honteusement de l'Égypte, et presque détruite par tout ce qu'elle eut à souffrir en traversant le désert pour gagner la Syrie dans sa fuite; il eût, dis-je, semblé que tous ces avantages tournant à la gloire du général Kléber, eussent dû l'engager à changer de système; loin de là, il fut toujours persévérant: rien, pas même le sentiment de la gloire dont on venait de le couvrir malgré lui, ne put le déterminer à abandonner des projets honteux pour un homme d'honneur, flétrissans pour l'armée qu'il commandait, et en tout si funestes aux intérêts de la France. La source de tant de fautes venait d'un caractère aussi haineux que vindicatif; il trahissait tout, devoir, patrie, réputation; et cela parce qu'il vous portait, citoyen Consul, la haine la plus implacable. Il voulait rendre l'Égypte à nos ennemis parce que cette conquête vous appartenait, et qu'il la considérait comme votre ouvrage. Qui pourrait se faire une idée de toutes les folies qui à cette époque roulaient dans la tête du général Kléber?

Une chose bien incroyable, citoyen Consul, c'est qu'un pareil homme avait trouvé de nombreux partisans; je pensais qu'après l'événement aussi extraordinaire qu'inattendu de sa mort, toutes ses créatures rentreraient dans le devoir, et qu'enfin le gouvernement français ne compterait plus dans l'armée que de vrais Français, fidèles à l'honneur de la République comme à ses intérêts; mon opinion se fortifiait encore en voyant que le commandement de l'armée était échu à un homme d'un caractère connu, et surtout professant des principes opposés à ceux du général Kléber; mais bientôt je m'aperçus que j'étais dans l'erreur. Les partisans de ce général mort commencèrent à former des conciliabules; des réunions avaient lieu chez les plus puissans et les plus marquans d'entre eux par leur place; on cherchait à grouper les mécontens, l'armée était sur le bord du précipice, des moyens furent mis en usage pour la corrompre; enfin on attaqua dans le public les opérations du général Menou, et les chefs de cette coalition finirent par une démarche qui heureusement a été sans suite, comme elle a été sans exemple dans l'histoire de la révolution.

Ce parti comprimé par la nomination définitive du général en chef, qui arriva dans ces circonstances, n'est pas éteint; il existe toujours au grand scandale de l'armée; s'il est moins remuant, moins actif que par le passé, il est toujours persévérant.

Cependant, citoyen Consul, à quelques hommes près, l'esprit de l'armée est bon; le gouvernement peut compter sur sa fidélité, mais il ne faut pas pour cela qu'il perde de vue les individus qui ont dû lui être signalés. Ils ont de grands avantages pour faire donner l'armée dans l'écueil que Kléber avait ouvert devant elle; c'est pour l'avenir surtout que je demande votre prévoyance, citoyen Consul; j'ai la conviction intime que si, par un événement dont les vicissitudes humaines nous offrent tant d'exemples, nous venions à perdre le général Menou, un mois ne s'écoulerait pas sans que l'Égypte ne fût remise au pouvoir de nos ennemis. L'homme qui par son ancienneté de grade, serait appelé à remplacer le général en chef est un des plus acharnés partisans de l'évacuation; ami de Kléber, il était le dépositaire de tous ses secrets, son confident intime, et vraisemblablement sectateur de tous ses projets insensés.

Voilà, citoyen Consul, les appréhensions que je crains pour l'avenir; je les confie à vous seul, je les dépose dans votre sein, parce que votre destinée vous appelle à faire la gloire et le bonheur de la France, et que mon dévoûment pour elle et pour vous est sans bornes.

Je vous salue respectueusement,

Signé Lagrange.

Avant de cacheter ma lettre, j'ai encore, citoyen Consul, à vous dire quelque chose sur les grands changemens que le général en chef vient de faire dans l'administration de l'armée. Cette administration se trouve actuellement si réduite, si simplifiée, qu'il faudrait réellement être aveugle pour n'y pas voir clair, si on veut; l'organisation du pays a nécessité d'autres mesures. Le dédale affreux dans lequel l'Égypte se trouvait, a forcé le général en chef à d'abord tout détruire pour ensuite tout recréer; cette grande opération a donné les résultats les plus satisfaisans, elle a fait connaître jusqu'au dernier medin en totalité, le montant de tous les revenus, qui, quoique considérablement augmentés pour nous, se trouvent néanmoins réellement diminués pour le peuple, parce que la portion que percevaient les fripons est rentrée en bonification, et de là sont venus les grands cris qu'ils ont poussés, se sentant réellement écorchés.

Nos ateliers d'armes, de poudre, de boulets, sont, citoyen Consul, en pleine activité; il en est de même des métiers et des foulons pour les draps, dont vous devez avoir reçu les échantillons; bientôt on aura en magasin les étoffes nécessaires pour habiller l'armée au complet; tous les services sont généralement assurés: l'avenir, je vous assure, n'a rien d'effrayant pour nous.

Je vous demande des excuses, citoyen Consul, sur la longueur de ma lettre.

Signé Lagrange.

(№ 3.)

Au Caire, le 25 pluviôse an IX (14 février 1801).
Damas, général de division, au général en chef Menou

Étranger à la ruse et à l'intrigue, j'avais résolu de souffrir la persécution dans le silence, plutôt que de lutter, avec l'arme de la vérité, contre la duplicité et le mensonge. Les faussetés que vous avancez dans vos lettres au gouvernement, publiées dans les derniers Moniteurs venus de France, en vous attribuant des opérations militaires et administratives qui ne sont pas de vous, mais bien l'œuvre de la prévoyance du général Kléber, ne m'auraient pas déterminé, non plus que ce qui m'est particulier, à rompre le silence; mais votre ordre du jour d'hier, qui porte l'empreinte de la noirceur la plus profonde et de la calomnie la plus atroce, me force de vous demander qui vous avez eu intention de dénoncer à l'indignation publique?

Par quelle affreuse méchanceté, à la suite du récit de l'horrible attentat commis, à Paris, contre le premier soutien de la République, parlez-vous d'une faction étrangère qui fait ressentir ses effets jusqu'en Égypte? Pour quelle raison citez-vous ensuite un extrait de gazette de Londres, que vous aviez en votre possession depuis plus de quinze jours, et dont vous aviez déjà donné connaissance à plusieurs individus; gazette dans laquelle la chose publique n'est qu'accessoire auprès de tous, dont il n'est dit que le mal nécessaire pour vous donner du relief? En parlant ainsi, ces ennemis-là vous servent à souhait.