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Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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Les négocians syriens avaient perdu une partie de leurs marchandises à Boulack; ils avaient déjà beaucoup payé aux Osmanlis pendant le siége: Kléber avait promis de les indemniser. Le général Menou les frappa, peu après avoir pris le commandement, d'une avance de 500,000 francs, dont une partie seulement put être perçue. Il fixa ensuite leur capitation à 150,000 francs, à une époque où presque tout leur commerce était suspendu.

Aucune nation ne devait être autant protégée et encouragée que les Grecs; ils pouvaient seuls, pendant la guerre, faire un peu de commerce maritime, et ils commençaient à s'y livrer. Quelques encouragemens qu'on leur aurait donnés, auraient eu de grands résultats pour l'armée. On pouvait ouvrir, par leur moyen, des relations politiques fort intéressantes avec l'Archipel: militaires par goût, par esprit national, ils pouvaient fournir des recrues pour la légion grecque. Il est à remarquer que hormis ceux qui portaient les armes, il n'y en avait qu'un très petit nombre d'établis en Égypte; on pouvait donc se dispenser de les vexer pour une modique somme de 50,000 francs, qu'on eût retrouvée et au-delà, si les droits sur les corporations avaient été répartis sans distinction de cultes.

Les Juifs, qui sont presque tous artisans, courtiers ou serafs, auraient aussi été bien plus également imposés sans cette condition.

La plupart des négocians francs avaient été pillés ou ruinés pendant le siége du Caire; plusieurs pères de famille, qui avaient été massacrés, laissaient leurs enfans sans ressources. Cette classe de négocians, autrefois privilégiés et accoutumés aux vastes spéculations du commerce de l'Orient, devait s'attendre à une protection spéciale… ils furent imposés à 40,000 francs.

Enfin cet ordre du jour, qui ne parlait que d'encouragemens à donner au commerce, contenait en effet toutes les mesures les plus propres à le détruire. Au lieu d'exciter les Français venus à la suite de l'armée à former des établissemens, où elle se serait procuré bien des articles qui manquaient, il était terminé par l'annonce que, sous peu, on fixerait les droits qu'ils auraient à supporter. Cet avis produisit l'effet qu'on devait en attendre: beaucoup de Français qui avaient des projets d'établissement d'une utilité réelle, se hâtèrent d'y renoncer.

CHAPITRE VII.
DES FINANCES

À l'époque où Kléber fut assassiné, une partie de la contribution en argent, imposée sur les habitans du Caire, et toute celle en marchandises n'étaient pas encore payées. On les perçut pendant le trimestre de messidor, ainsi qu'une partie des contributions territoriales ordinaires: la solde fut mise au courant, et la majeure partie des dettes fut acquittée. On assigna des fonds pour les fortifications, et les ingénieurs des ponts et chaussées en reçurent plus qu'il n'était nécessaire pour continuer les démolitions que la défense du Caire exigeait, et pour quelques embellissemens. Des gratifications, une augmentation de l'indemnité de rations, diverses dépenses inutiles, et la multitude d'employés français et turcs, suite d'une administration trop compliquée, portèrent successivement les dépenses de l'armée à 17 ou 1800,000 francs par mois; cependant tous les changemens avaient eu pour prétexte de substituer des économies à l'administration de Kléber, qui couvrait toutes les dépenses avec 13 ou 1400,000 fr.

Des ordres du jour annonçaient de fortes rentrées, produit des nouvelles impositions; le général Menou y répétait sans cesse l'engagement de tenir la solde au courant, et en vendémiaire presque tout était dépensé. Les droits ne rapportaient pas encore beaucoup; les impositions territoriales ne pouvaient être perçues qu'après l'inondation; enfin on manqua d'argent. On s'adressa aux Cophtes, et on leur ordonna de payer un emprunt forcé, que, d'abord, on leur promit d'hypothéquer sur les contributions arriérées; cette aliénation eût produit davantage, si elle avait été effectuée. Ce premier argent dépensé, on eut de nouveaux besoins, on fit un nouvel emprunt aux Cophtes. Nul doute qu'il ne convînt de leur faire regorger leurs brigandages; mais le général Kléber les regardait comme une réserve pour les momens critiques, et, en effet, il en tira, pendant le siége du Caire, tous les fonds dont il eut besoin.

Les rapports du citoyen Estève, et des personnes qui ont été chargées de la direction des différentes branches de l'administration, feront connaître avec précision les revenus que l'armée pouvait tirer de l'Égypte pendant l'état de guerre, et les augmentations que la paix et le rétablissement du commerce auraient occasionnées. J'en donnerai seulement ici une estimation approximative, d'après tous les renseignemens que je me suis procurés.


Les revenus en nature suffisaient aux besoins de l'armée et alimentaient les magasins de réserve.

La somme totale des revenus d'Égypte pouvait donc s'élever à environ 21,000,000 de francs par an, ou 1,750,000 fr. par mois; mais leur perception dépendait de la tranquillité intérieure, que différentes causes pouvaient troubler: une attaque ou même l'attitude menaçante d'une armée ennemie, forçant à réunir les troupes, la suspendait entièrement; car dans tout l'Orient, il faut l'appareil militaire pour exiger l'impôt. Il était donc essentiel de mettre la plus grande économie dans les dépenses, afin que si la source des revenus venait à tarir momentanément, on eût toujours un fonds de réserve disponible pour subvenir aux besoins de l'armée. Toutes ces considérations ne purent arrêter le général Menou dans le cours de ses innovations, ni empêcher l'augmentation des dépenses. Il se persuadait toujours que rien ne pouvait, en dedans comme en dehors, troubler la tranquillité du pays. On doit cependant lui rendre cette justice, qu'en dissipant les ressources de l'armée, il a toujours montré du désintéressement personnel.

CHAPITRE VIII.
ADMINISTRATION DE L'ARMÉE; MAGASINS EXTRAORDINAIRES

Tandis que le général Menou affectait de s'occuper exclusivement des besoins et de la subsistance du soldat, et qu'il entrait dans les détails les plus minutieux, il négligeait la formation des grands approvisionnemens. Il fit cesser, comme dispendieuse, la fabrication du biscuit; il était cependant indispensable en Égypte, attendu le petit nombre de fours, restreints aux seuls établissemens des Français, et afin d'en mettre en réserve à Alexandrie une quantité suffisante, pour fournir, soit à l'armée, si elle devait s'y porter en masse, soit aux vaisseaux qui apporteraient des secours. Persuadé que l'Égypte était à l'abri de toute attaque étrangère, il négligea, par économie, les magasins de siége; l'ordonnateur en chef Daure lui fit inutilement des représentations pour obtenir les moyens de former, dans toutes les places, des approvisionnemens considérables. Kléber les avait ordonnés, mais il périt avant l'époque où ils devaient être effectués: il voulait qu'il y eût à Alexandrie des vivres pour toute l'armée, pendant un an. Le général Menou permit seulement d'en réunir la quantité nécessaire pour nourrir deux mois l'armée, et un an la garnison.

Lorsque le général Menou connut la création des inspecteurs aux revues, il annonça à Daure qu'il voulait organiser les inspecteurs et les commissaires des guerres, conformément à l'arrêté des Consuls; il lui vanta l'importance des fonctions d'inspecteur en chef, et après quelques flagorneries, lui offrit cette place, en lui proposant de céder celle d'ordonnateur en chef à un autre, qu'il mettrait au fait des affaires. Daure ne soupçonnant pas la duplicité de cette offre, accepta; et quelques jours après parut l'ordre du 30 vendémiaire, où il se vit avec surprise porté comme simple inspecteur aux revues. Il réclama du général Menou l'exécution de sa promesse, ou la conservation de la place qu'il occupait; il lui représenta qu'il ne pouvait la quitter pour une place égale ou inférieure, sans donner lieu à des soupçons sur la pureté de sa conduite, et que, si l'on pouvait former quelque accusation contre lui, pour la manière dont il avait géré, on devait le faire passer à un conseil de guerre. Cet administrateur jouissait d'une estime méritée sous tous les rapports, et que Bonaparte et Kléber lui avaient accordée; on fut généralement indigné de cette injustice. Le général Menou fut sourd à la voix publique et aux représentations particulières. Il s'excusa sur l'augmentation de dépense qu'entraîneraient les appointemens de la place d'inspecteur en chef; mais ce motif ne l'avait pas retenu pour d'autres nominations. Sur les représentations qui lui furent faites par plusieurs généraux, il assura de n'avoir point donné sa parole; ensuite il promit de la tenir. Daure voyant qu'il ne pourrait faire le bien en conservant la place d'ordonnateur, accepta celle d'inspecteur en chef. Le général Menou ne songea plus dès-lors à organiser ce corps.

CHAPITRE IX.
MURMURES DE L'ARMÉE CONTRE LE GÉNÉRAL MENOU. – LES GÉNÉRAUX DE DIVISION LUI FONT DES REPRÉSENTATIONS. – SA CONFIRMATION

Les innovations du général Menou, sa conduite envers plusieurs personnes, ses déclamations triviales, les leçons de morale et de probité, si souvent répétées dans ses nombreux ordres du jour, et qu'il semblait adresser à une armée démoralisée et sans honneur, excitaient un murmure presque général.

Les habitans, effrayés de tant d'innovations, se plaignaient de ce qu'un général musulman23 dont ils auraient dû beaucoup espérer, les forçait à regretter un général chrétien. Ils étaient habitués, sous le gouvernement des Turcs et des mameloucks, à souffrir tous leurs caprices; ils auraient de même souffert ceux du général Menou, si les deux généraux qui l'avaient précédé, ne leur avaient pas fait connaître la douceur des lois européennes.

 

La conduite du général Menou ouvrait un vaste champ aux réflexions, et les questions suivantes se présentaient naturellement aux individus de l'armée, même les moins observateurs.

Quel but peut avoir un général qui, n'exerçant sa place que par intérim, bouleverse toute l'administration du pays pour y substituer des innovations évidemment contraires aux intérêts de l'armée, contraires aux vrais principes de l'administration du pays, aux usages invétérés des habitans, et aux moyens de civilisation? Pourquoi débuter par des expériences d'un succès incertain, à une époque où les besoins de l'armée exigent des ressources promptes et assurées?

Pourquoi, dans toutes les occasions, proclamer l'Égypte colonie, avant d'en avoir reçu l'ordre du gouvernement? Pourquoi contredire ce que Bonaparte et Kléber avaient toujours dit aux Turcs, que l'Égypte serait gardée en dépôt jusqu'à la paix? N'est-il pas démontré qu'il force lui-même la Porte à redoubler d'efforts et à réclamer les secours de toutes les puissances?

La responsabilité personnelle du chef qu'il met en avant, n'est-elle pas illusoire? la sûreté de l'armée ne peut-elle pas être compromise sous ce prétexte? Un homme, novateur par caractère, destructeur par système de tout ce qu'ont fait ses prédécesseurs, cherchant à éloigner les généraux et les administrateurs instruits, n'expose-t-il pas l'armée à des revers inévitables? Ne l'expose-t-il pas même à perdre une conquête précieuse, acquise au prix de son sang et de ses travaux?.. Et à quoi servira cette responsabilité?

Quel malheur ne peut-on pas prévoir pour l'armée, si elle vient à être attaquée sous les ordres d'un chef sans habitude de la guerre, qui anéantit ses ressources, refuse de former des magasins, divise les généraux, les abreuve de dégoûts et excite contre eux les soupçons des troupes?

Tout ce qu'il a fait ne présage-t-il pas ce qu'il peut faire encore? Les murmures ne doivent-ils pas faire craindre des troubles? la discipline une fois violée, la sûreté de l'armée, la conservation du pays même ne sera-t-elle pas évidemment compromise? Y a-t-il des moyens de prévenir ces désastres?

De quelle manière, vu la presque impossibilité de correspondre avec la France, détourner tous les maux que peut attirer sur l'armée un homme devenu son chef par les circonstances et l'ancienneté seulement?

Beaucoup de personnes jugeaient le général Menou incapable de commander l'armée, et croyaient qu'il fallait engager le général Reynier à en prendre le commandement. D'autres proposaient de lui faire son procès. D'autres, plus modérés, pensaient que les généraux devaient seulement se réunir pour lui faire des représentations.

Les généraux de division qui se trouvaient au Caire sentirent la justesse de ces réflexions. Ils pensèrent que, placés par leur grade sur la seconde ligne de l'autorité, ils devaient prévenir les malheurs que la conduite du général Menou, ou l'insurrection des troupes contre lui, pourrait occasionner; qu'éloignés du gouvernement, n'ayant que des moyens lents, incertains et difficiles de l'instruire de la vérité, ils devaient veiller au salut de l'armée; et de tous les moyens proposés, ils choisirent le dernier, qui leur parut avoir le moins d'inconvéniens.

La position du général Reynier devenait fort délicate; en engageant le général Menou à prendre le commandement de l'armée, il lui avait promis de l'aider de ses moyens et de ses conseils; ensuite il se trouva en butte à ses intrigues, et les méprisa. Il craignait l'influence que des partis pouvaient avoir sur les destinées de l'armée, et quoiqu'il évitât de les exciter, la foule des mécontens avait les yeux fixés sur lui. Il sentait qu'un autre chef devenait nécessaire à l'armée; mais il était fort délicat de succéder au général Menou. Le bouleversement de toute l'administration du pays, les dissensions qu'il avait fomentées, les économies de Kléber dissipées, tandis que les dépenses avaient augmenté, les promesses qu'il multipliait chaque jour de tenir la solde au courant, difficiles à réaliser; enfin, les espérances qu'il cherchait à inspirer de son administration; toutes ces causes réunies devaient avoir des résultats qui ne pouvaient encore être aperçus, mais dont les effets désastreux auraient été attribués à son successeur. À ces considérations se joignaient la probabilité de sa confirmation, le danger d'un tel exemple pour la discipline, etc. Ces réflexions déterminèrent le général Reynier à éviter de prendre part à toute résolution qui tendrait à le porter au commandement; il les communiqua aux autres généraux de division, et convint avec eux d'empêcher le général Menou, par leurs conseils, d'achever de diviser l'armée, et de désorganiser l'administration du pays.

Ils se disposaient à se rendre chez lui dans cette intention, le 4 brumaire, lorsqu'on annonça l'arrivée d'un officier dépêché de Toulon. Ils retardèrent leur démarche pour savoir s'il apportait la décision du gouvernement sur le commandement de l'armée; mais les dépêches étaient encore adressées à Kléber. En annonçant ces nouvelles de France à l'ordre du jour du 6 brumaire, le générai Menou proclama qu'il existait des dissensions dans l'armée; ce n'était pas sans doute le moyen de les apaiser. Cela détermina plus fortement encore les généraux de division Reynier, Damas, Lanusse, Belliard et Verdier, à la démarche qu'ils se proposaient de faire; et le même jour ils se rendirent chez lui. Le général Menou fut fort troublé de cette visite; ces généraux lui dirent qu'ayant constamment vécu aux armées, ils y avaient vu régner l'union et la bonne intelligence, parce que les intrigues y étaient inconnues; que l'armée d'Orient avait joui de la plus grande tranquillité sous Bonaparte et sous Kléber; qu'ils voyaient avec peine des germes de division s'élever, et qu'en recherchant leur cause, ils la trouvaient dans sa conduite, depuis qu'il avait pris le commandement; que le meilleur moyen de rétablir l'harmonie serait de revenir sur quelques mesures contraires à l'intérêt général, de se régler à l'avenir sur les lois de la République et sur les principes de la hiérarchie militaire, et surtout de mettre fin à toutes les intrigues. Ils s'appesantirent sur les inconvéniens des innovations en général, sur ceux d'une partie de ses arrêtés, tels que l'organisation du droit des cheiks et de celui sur les successions. Ils lui firent sentir qu'il ne pouvait, dans aucun cas, se mettre au-dessus des lois françaises; que s'il représentait le gouvernement par rapport à l'administration de l'Égypte, il n'était pour l'armée que général en chef, et qu'il avait en cette qualité une assez grande latitude pour faire le bien; que si l'Égypte était déclarée colonie, le gouvernement déterminerait son administration, et que ce devait être un motif pour lui de ne pas se hâter de tout innover. Ils ajoutèrent qu'il était imprudent de proclamer publiquement l'Égypte colonie, avant que le gouvernement se fût prononcé. Ils lui citèrent la politique de Bonaparte et de Kléber sur cet objet, et cherchèrent à lui faire sentir quelle inquiétude inspirerait aux Turcs cette dénomination. Ils l'invitèrent à suivre, dans sa conduite, l'exemple des généraux ses prédécesseurs, qui avaient toujours été réservés sur les innovations, afin de ne pas effrayer les habitans par des changemens trop précipités; à rédiger ses ordres du jour dans des termes plus convenables, et à supprimer ses déclamations sur la morale et la probité, qui tendaient à persuader que l'armée n'était qu'un amas de brigands, que Bonaparte et Kléber n'avaient pas su discipliner. Ils lui demandèrent aussi de ne pas correspondre directement avec les officiers subalternes, ce qui était contraire à la hiérarchie militaire. Ils l'invitèrent à ne faire, à l'avenir, que les nominations accordées aux généraux en chef, sur le champ de bataille, et pour les remplacemens nécessaires. Les généraux de division lui observèrent encore que pour le bien du service, et pour ne pas refroidir le zèle des individus chargés de fonctions publiques, il devait s'astreindre à la règle de ne destituer personne d'un emploi confié par le gouvernement, sans le faire juger par un conseil de guerre.

On lui parla de la souscription pour un monument à élever à Kléber, ainsi que de l'étonnement qu'avait dû produire son refus d'y souscrire, et même de l'annoncer à l'ordre du jour, en même temps que celle pour Desaix. Il donna d'abord sa parole d'honneur qu'on ne lui en avait jamais parlé; mais on lui cita des témoins de son refus, et promit d'en ordonner l'insertion. Il convint du renchérissement des denrées, occasionné par ses nouveaux droits d'octroi, et promit de mettre les troupes en état de se procurer des vivres avec leur indemnité. On évita de parler d'objets personnels. La discussion s'anima un peu sur quelques articles; le général Menou, embarrassé, ne fit que des réponses vagues; il finit par demander un jour de réflexion, annonçant une réponse par écrit. Il ne l'envoya pas; mais le lendemain, il dit à l'un des généraux qu'il avait trouvé leurs représentations fondées; qu'il désirait cependant ne revenir que successivement sur ses mesures, pour ne pas montrer trop d'instabilité. Le 10, il y eut une nouvelle entrevue avant la cérémonie funèbre pour Desaix. Il convint encore de la nécessité des changemens demandés, et dit qu'il avait déjà donné au payeur l'ordre de ne pas percevoir dans l'armée les droits sur les successions, ajoutant qu'il en ferait insérer l'annonce à l'ordre du jour; il promit de nouveau de se conformer en tout aux demandes qui lui avaient été faites.

Les troupes furent réunies le 10 brumaire pour rendre un hommage funèbre à Desaix; la cérémonie fut silencieuse. Cette perte était vivement sentie; mais il aurait fallu un chef militaire pour offrir dignement à l'un de nos plus estimables guerriers, l'expression des regrets de cette brave armée… Le lieu redoublait le sentiment de la double perte qu'elle avait faite le même jour; c'était à la vue d'Héliopolis, de ce champ de bataille où Kléber avait reconquis l'Égypte, qu'était placé le cénotaphe. Il eût été naturel de jeter aussi quelques fleurs sur sa tombe… Mais la haine du général Menou avait commandé le silence. Les généraux se turent pour ne pas aigrir les esprits déjà très exaspérés.

Vers cette époque, le général Menou fit proposer aux généraux Damas, Lanusse et Verdier, leurs passe-ports pour la France; mais zélés pour la conservation de l'Égypte, voyant l'armée en de débiles mains, ils espéraient lui être encore utiles; ils refusèrent.

Le général Menou n'avait rien adressé au gouvernement depuis le départ de l'Osiris, qui avait porté la nouvelle de la mort de Kléber; mais enfin, la crainte qu'il ne fût instruit du mécontentement de l'armée, et le besoin d'en prévenir l'effet, le déterminèrent à écrire. Il fit tout ce qui était en son pouvoir pour se concilier les porteurs de ses dépêches; mais pour mieux se prémunir contre les rapports que pourraient faire, au gouvernement, ceux qui obtinrent la permission de partir, il ne négligea pas d'envoyer des notes particulières contre eux, et d'annoncer que c'étaient des personnes au moins inutiles, pour ne pas dire plus.

Il annonça qu'il avait beaucoup de peine à faire le bien, et à lutter contre le prétendu parti anti-coloniste. Il multiplia à l'infini les obstacles qu'il disait éprouver à mettre de l'ordre dans l'administration et les finances; écrivit qu'il se faisait des ennemis, parce qu'il attaquait les intérêts particuliers; et tâcha, de cette manière, de prévenir en faveur de sa personne et de son administration, en ajoutant de grandes déclamations sur son dévoûment à la chose publique, et sur sa résolution de défendre l'Égypte.

Le rapport du général Kléber sur la campagne d'Héliopolis, continué après sa mort par le général Damas, fut envoyé; mais le général Menou y supprima tout ce qui était relatif à l'état de l'armée lors de la mort de ce général, et notamment à la formation des corps de troupes auxiliaires. Il avança ensuite que sa situation brillante n'était due qu'aux soins qu'il avait pris de l'administration, et que les habitans bénissaient sa justice et ses innovations. Enfin il trompa le gouvernement par de faux aperçus des ressources du pays et des dépenses qu'elles devaient couvrir. Il le trompa encore en lui parlant de fortifications, de travaux, d'encouragemens donnés aux sciences, de voyages et de recherches scientifiques dont il n'était nullement question en Égypte24. Les généraux de division, voulant attendre l'effet de leurs représentations, n'écrivirent pas au gouvernement par le premier bâtiment.

 

Un officier arriva de France le 12; des lettres particulières annoncèrent au général Menou qu'il était confirmé. L'officier porteur des dépêches donnait la nouvelle de la prise de Malte et de la paix avec les puissances barbaresques.

Le même jour, les généraux eurent une nouvelle entrevue avec le général Menou, qui promit encore de s'occuper des changemens qu'on lui demandait, mais en témoignant toujours le désir de ne les faire que successivement; il observa que déjà il avait suspendu l'arrêté sur les successions, qu'il avait mis à l'ordre du jour un surcroît d'indemnité pour les rations de viande des troupes, ainsi qu'une augmentation de solde pour les lieutenans et sous-lieutenans. Cette augmentation de solde et d'indemnité de rations grevait le trésor de l'armée d'une dépense de six cent mille francs par an. Il aurait été possible d'assurer le bien-être du soldat d'une manière moins onéreuse.

23Ces plaintes ont été faites dans ces termes par des principaux habitans du pays, et notamment par El-Mohdi, l'un des premiers cheiks du Caire.
24Les officiers qui arrivèrent de France furent très surpris de ne pas trouver les canaux navigables toute l'année, ainsi que les routes et les forts dont ils avaient vu l'énumération dans sa correspondance imprimée; ils s'informèrent du succès des voyages qu'il avait également annoncés. Loin d'encourager les sciences, le général Menou a contrarié les recherches des membres de l'Institut et de la Commission des Arts; il affectait toujours d'en parler avec intérêt, mais il ne se déterminait à rien. Plusieurs savans et artistes l'ont persécuté pour obtenir l'agrément de parcourir la Haute-Égypte. Ils se désolaient de perdre leur temps au Caire, tandis que la tranquillité dont on était assuré, au moins pendant l'inondation, donnait les moyens de disposer des escortes nécessaires pour beaucoup de reconnaissances intéressantes. Il n'y eut que deux voyages qu'on parvint à lui faire approuver lorsqu'ils furent déterminés; celui des citoyens Coutelle et Rosière au mont Sinaï, et celui du chef de bataillon Berthe au Gebel-Doukhan. On s'occupait de projets de voyage aux oasis lorsque la campagne commença. Les fouilles aux Pyramides ne furent ordonnées par le général Menou que d'après les recherches que le général Reynier y avait faites, avec quelques membres de l'Institut, et qu'il se proposait de continuer. Si, pendant ce temps, les recherches générales furent contrariées, les membres de l'Institut et de la Commission des Arts ne travaillèrent pas avec moins de zèle et de persévérance à acquérir des connaissances sur tout ce qui était remarquable; et n'obtenant pas les moyens de voyager, ils rédigèrent, dans leur cabinet, les observations qu'ils avaient faites sous Bonaparte et Kléber.