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Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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CHAPITRE III.
ÉVÉNEMENS POLITIQUES

La note que Kléber avait préparée pour accompagner le renvoi de la lettre de Morier, secrétaire de lord Elgin, n'était pas encore partie; le général Menou en adoucit quelques expressions, et l'expédia le 2 messidor, telle qu'elle a été imprimée dans les journaux.

Le 9 du même mois, M. Wright, lieutenant du Tigre, arriva en parlementaire par le désert, avec des dépêches du visir et de Sidney-Smith. Il annonçait que l'Angleterre avait délivré les passe-ports nécessaires pour l'exécution du traite d'El-A'rych. Il s'était déjà présenté à Alexandrie; mais, refusé d'après les ordres de Kléber, il avait passé par la Syrie. M. Wright avait appris en route l'assassinat de Kléber, et avait tenu à Salêhiëh divers propos pour engager les soldats à se révolter contre les généraux qui refuseraient de les ramener en France. Ses discours n'avaient produit d'autre effet que l'indignation. D'après sa conduite, on aurait pu l'arrêter comme espion; il fut renvoyé.

De nouvelles lettres du visir arrivèrent le 15; elles étaient relatives à la note envoyée à Morier; il lui fut répondu de s'adresser à Paris. Le 13 fructidor il fit passer encore une dépêche; il essayait toujours d'entamer quelques négociations et craignait d'être prévenu par le capitan-pacha. Ces deux premières autorités de la Porte rivalisaient d'activité pour renouer avec l'armée française et s'en faire un mérite à Constantinople.

Le capitan-pacha était venu à Jaffa, avec Sidney-Smith, au commencement de messidor, pour concerter avec le visir un plan d'opérations militaires ou de négociations. Ils n'avaient pas de forces qui leur permissent de rien entreprendre; aussi la conférence entre le chef suprême de toutes les forces ottomanes, alors sans armée, dont le crédit à sa cour avait beaucoup baissé depuis la bataille d'Héliopolis, et le capitan-pacha, son subordonné mais favori du sultan, se passa sans rien décider, à s'observer mutuellement; puis ils se séparèrent, déterminés à négocier chacun de son côté.

Le capitan-pacha reçut à son bord, à Jaffa, l'aide-de-camp Baudot, enlevé par surprise à Héliopolis, et retenu pour servir à l'échange de Moustapha-Pacha, que Kléber avait gardé comme otage: ce pacha étant mort subitement à la nouvelle de l'assassinat de Kléber, cet événement prolongea la captivité de Baudot, qui ne fut rendu à Damiette qu'à la fin de thermidor. Le capitan-pacha avait eu pour lui des égards qui contrastaient avec les mauvais traitemens du visir.

Avec quelque adresse, on aurait pu se servir de l'intérêt personnel de ces deux chefs de l'empire ottoman, pour renouer des négociations tendant non à leur céder l'Égypte, mais à paralyser leurs efforts, à les éloigner des Anglais, et peut-être même à les disposer à la neutralité pendant la guerre22; mais le général Menou répondit à toutes leurs propositions, qu'il fallait s'adresser à Paris pour les arrangemens relatifs à l'Égypte: les Turcs, qui sont accoutumés à voir les gouverneurs de province se rendre indépendans, regardèrent cette réponse comme une défaite, et se persuadèrent que toute négociation devenait inutile.

Baudot, d'après les entretiens qu'il avait eus avec le capitan-pacha, pensait qu'en lui insinuant que les négociations sont ordinairement entamées par des commissaires pour l'échange des prisonniers, et qu'après la conduite des Anglais, et l'intention qu'ils avaient manifestée de s'emparer des ports, si le traité d'El-A'rych avait eu son exécution, on éprouverait de leur part des obstacles à tout rapprochement de la France avec la Porte qui viendrait à leur connaissance, il aurait consenti à l'envoi d'un agent français à Constantinople, qui, sous le prétexte de l'échange des prisonniers, aurait traité directement des affaires relatives à l'Égypte.

Le capitan-pacha alla faire de l'eau en Chypre: lorsqu'il reparut en vendémiaire, le général Menou chargea le général Baudot de lui conduire Endjeah-Bey, fait prisonnier sur un vaisseau qui avait échoué vers Aboukir, et de tâcher de faire un traite pour l'échange des prisonniers. Il écrivit au capitan-pacha qu'il fallait d'abord s'en occuper, et qu'il pouvait s'adresser ensuite à Paris pour le reste. Le capitan-pacha ne s'arrêta pas long-temps devant Alexandrie, il retourna à Rhodes; Baudot ne put remplir sa mission, et Endjeah-Bey fut, peu de temps après, renvoyé sur un bâtiment grec.

CHAPITRE IV.
ESPRIT DES HABITANS DE L'ÉGYPTE. – ÉVÉNEMENS MILITAIRES JUSQU'AU MOIS DE BRUMAIRE

L'Égypte était fort tranquille; les contributions se payaient, dans toutes les provinces, sans qu'il fût besoin de forts détachemens pour les percevoir. La plupart des tribus arabes étaient soumises; celles qui ne l'étaient point encore avaient fui dans le désert, ou s'étaient dispersées dans les villages pour éviter les poursuites: convaincues de la puissance des Français, c'était moins des intentions hostiles, que leur caractère craintif et défiant qui les empêchait de se rapprocher d'eux. Le débordement prochain du Nil, et le mauvais état de l'armée du visir, garantissaient qu'avant plusieurs mois on n'aurait à redouter aucune attaque extérieure. Un parti de quatre cents cavaliers turcs, qui était venu à Catiëh pour servir d'escorte à M. Wright, ne pouvait donner aucune inquiétude. Des rapports annoncèrent, au commencement de thermidor, que l'armée du visir se préparait à marcher; cela n'était pas probable, cependant la garnison de Salêhiëh fut renforcée d'une demi-brigade, qui bientôt après rentra au Caire.

Mohamed-Bey-l'Elfy était venu de Syrie par désert, annonçant qu'il allait joindre Mourâd-Bey; mais il restait chez les Mahazi, tribu d'Arabes rebelles qui habite les déserts du Chark-Atfiëh. On le fit chasser par un détachement de dromadaires; d'autres partis se portèrent dans l'isthme de Souez pour l'arrêter, s'il cherchait à rétrograder. On le poursuivit long-temps; ses équipages furent pris; il fut même réduit à errer avec vingt-cinq cavaliers.

Le général Menou fit rentrer au Caire, à la fin de thermidor, la soixante-quinzième demi-brigade, que Kléber avait placée dans le Delta, pour y former un corps de réserve avec la vingt-cinquième et le vingt-unième régiment de dragons. Les ponts volans établis par Kléber à Rahmaniëh et à Semenhoud, pour faciliter les passages du Nil et les communications de l'armée depuis la côte jusqu'aux frontières de Syrie furent retirés.

Bientôt après, l'inondation couvrit les terres; l'armée ne pouvant être attaquée avant la retraite des eaux, aucune raison n'exigeait alors des mouvemens de troupes; cependant le général Menou ordonna à la division du général Friant d'aller relever à Alexandrie, Rosette et Rahmaniëh, celle du général Lanusse; qu'il voulait appeler au Caire. Des considérations très fortes auraient dû empêcher un pareil changement: Lanusse commandait depuis long-temps à Alexandrie, il connaissait très bien la défense de cette côte, et avait l'habitude des relations avec les habitans de la ville et ceux du Bahirëh; la peste régnant presque toujours à Alexandrie, il était à craindre que ce déplacement ne la portât au Caire; enfin ce mouvement ne pouvait s'opérer pendant l'inondation, qu'avec des barques, et c'était employer inutilement tous les moyens de transports, à la seule époque favorable pour approvisionner Alexandrie, etc. Mais le général Menou se souvenait que Kléber, fatigué de la prétention qu'il avait eue de commander Alexandrie et le Bahirëh sans sortir de Rosette, l'avait remplacé par Lanusse: il voulait aussi travailler l'esprit de ses troupes, et contraindre par des dégoûts cet officier qu'il n'aimait pas à demander son passe-port pour la France.

Trois tribus arabes des environs de Ghazah, les Tarabins, Teha et Anager, s'étaient réfugiées dans le désert, après une courte guerre contre les Osmanlis, qui avaient assassiné par trahison leurs principaux cheiks. Jamais les Arabes ne pardonnent cet attentat, dont les exemples sont si fréquens chez les Turcs. Ces tribus envoyèrent demander au général Reynier la permission de s'établir en Égypte, sous la protection des Français. Elles alléguaient en leur faveur que la cause de ces persécutions était leur alliance avec eux pendant la campagne de Syrie: c'était en effet le prétexte des Osmanlis; mais leur véritable motif était que Mahammed-Aboumarak, maître d'hôtel du grand-visir, qu'il venait de faire pacha de Ghazah, avait des haines de famille à satisfaire contre ces tribus, et qu'il profita de son élévation pour se venger.

Le général Reynier jugea que ces Arabes pouvaient être utiles; que, placés dans le désert entre la Syrie et l'Égypte, ils donneraient avis des mouvemens des Osmanlis. Il espéra qu'en éveillant leur intérêt, on les porterait à intercepter la contrebande de grains qui se faisait chaque jour sur cette étendue immense de désert; que, de plus, si l'on devait faire une nouvelle campagne en Syrie, ces Arabes pourraient servir. Il proposa au général Menou de leur accorder une partie de l'Occadi-Tomlat, et le désert qui le sépare de Catiëh et de Souez. Ces Arabes annonçaient être au nombre de sept mille, femmes, enfans et vieillards compris. Ils disaient avoir cinq cents cavaliers et huit cents hommes montés à dromadaire, ainsi que beaucoup de bestiaux; mais comme ils vinrent successivement et se dispersèrent dans le désert, on ne put pas juger exactement de leur nombre. Leurs principaux cheiks ayant été tués, il ne se trouvait plus parmi eux d'hommes influens dont on pût utiliser l'intelligence, et le général Menou les ayant reçus mesquinement, on n'en tira pas un grand parti.

 
CHAPITRE V.
INTRIGUES. – ORIGINE DES DIVISIONS

Les mois de thermidor et de fructidor offrent peu d'événemens remarquables; les intrigues étaient encore obscures: on s'étonnait cependant des atteintes portées à la mémoire de Kléber. Ces coups étaient dirigés dans l'ombre, à la vérité, mais ceux qui les frappaient étaient accueillis: on s'apercevait déjà que c'était le meilleur moyen d'obtenir des grâces.

Le général Menou, dont la haine pour Kléber rejaillissait sur le général Damas, voyant que, malgré toutes ces tracasseries, ce général ne songeait pas à quitter sa place de chef d'état-major, et se jugeant assez fort (c'était en fructidor), lui ordonna de cesser ses fonctions. Sa lettre n'alléguait aucun motif. Ce général, étonné, lui répondit qu'il ne voyait pas ce qui pouvait donner lieu à une telle mesure, et qu'il convenait d'attendre les ordres du gouvernement, à moins qu'il n'existât des motifs suffisans pour le traduire devant un conseil de guerre: il ne reçut pas de réponse; le général Menou refusa même de lui parler.

Les généraux de division Reynier et Friant, peinés de cette discussion, qui tendait à diviser l'armée, allèrent chez le général Menou afin de l'engager à surmonter ses haines personnelles, d'autant moins fondées que le général Damas avait cherché à lui rendre service auprès de Kléber. Il s'excusa en disant qu'il croyait s'être aperçu qu'il y avait entre eux incompatibilité d'humeur, qu'il ne pouvait travailler avec lui; protesta, sur sa parole d'honneur, qu'aucune animosité particulière n'influençait sa conduite, et termina par offrir sa démission. Cette menace empêcha le général Reynier d'insister; déjà, par délicatesse, il ne lui avait pas représenté que, commandant l'armée par intérim, il ne devait pas se permettre un pareil changement, excepté dans les cas de la plus urgente nécessité, avant de connaître les intentions du gouvernement. Il se borna à lui demander d'avoir une explication avec le général Damas, pour se concilier avec lui, si cela était encore possible, ou lui donner un emploi convenable. Ce général, pour ne laisser aucun prétexte à des troubles dans l'armée, en occupant la place de chef de l'état-major malgré celui qui la commandait, accepta le commandement des provinces de Benesouef et de Fayoum. L'ordre du jour du 21 fructidor annonça sa retraite, et des éloges y furent donnés à sa conduite. Le général Menou fut plusieurs jours avant de lui désigner un successeur; ensuite il choisit le général Lagrange; mais en paraissant lui accorder toute sa confiance, il se réserva également tout le travail, même le plus minutieux; aussi les affaires languirent comme auparavant.

Le général Reynier avait pénétré l'intention du général Menou, de se former un parti; il aurait pu le dissoudre en éclairant sur sa marche tortueuse plusieurs personnes qui, étrangères à toute duplicité, ne le jugeaient que sous le masque dont il s'était couvert; mais les désabuser eût été les éloigner du général Menou, c'eût été diviser l'armée; il préféra garder le silence.

Le général Menou trouvant que le parti qu'il voulait se former ne grossissait pas assez promptement; instruit aussi que, quoique la plus grande discipline régnât dans l'armée, la plupart des officiers et des corps ne l'aimaient pas, voulut se les concilier. Il nomma, le 1er vendémiaire, six généraux de brigade, et les officiers nécessaires pour les remplacemens des autres grades; quelques officiers, préférant rester à leurs corps, voulaient refuser, mais leurs réclamations furent rejetées; il les força d'accepter. La plupart de ses choix tombèrent sur des officiers que des services rendus ou l'ancienneté de leur grade appelaient à recevoir de l'avancement; mais on s'aperçut qu'il avait moins l'intention de donner des récompenses militaires, que de paralyser par des bienfaits ceux qu'il redoutait, ou d'élever aux places des hommes dont la loyauté ne pourrait soupçonner sa tortueuse politique. On vit qu'il n'était plus besoin de services militaires ni d'actions d'éclat pour mériter de l'avancement. Le général Menou se servit de cette prodigalité de grades pour engager des officiers à lui rapporter tout ce qui se disait de lui: il trouva peu d'hommes assez vils pour gagner sa bienveillance à ce prix, presque tous rejetèrent ses avances avec indignation. On ignorait au Caire cet espionnage: le général Lanusse en fut averti le premier, à Alexandrie, par des officiers qui avaient reçu de pareilles offres du général Menou.

CHAPITRE VI.
INNOVATIONS DANS L'ADMINISTRATION DU PAYS

Jusqu'en fructidor, le général Menou ne s'occupa que des détails de l'administration et de la police des hôpitaux, déjà réorganisées par Kléber après le siége du Caire; de la fabrication du pain, et de la rédaction de ses ordres du jour, qu'il remplissait de déclamations sur la morale, la probité, etc., afin de mieux séparer sans doute sa vie antérieure des circonstances où il se trouvait. Mais en fructidor, il entreprit d'organiser le gouvernement, ainsi que les finances de l'Égypte. Jetons un coup d'œil rapide sur son administration et sur ses nombreux arrêtés.

D'après un ancien usage, les mukhtesims, lorsqu'ils entrent en possession, confirment les cheiks existans ou en nomment d'autres, et les revêtent de béniches et de schals, cérémonie qui, dans les mœurs de l'Orient, annonce qu'ils demeurent investis de l'autorité. Les cheiks reconnaissent ce don par un présent de chevaux, chameaux ou bestiaux, d'une valeur ordinairement double de celle des vêtemens qu'ils ont reçus. Les propriétaires puissans renouvellent cette investiture toutes les fois qu'elle est conforme à leurs intérêts: quelques uns même l'ont convertie en une prestation en argent; et ce droit, qu'ils perçoivent tous les deux, trois ou quatre ans, est réparti sur tous les fellâhs.

Pour ne négliger aucun des moyens de retirer les impositions d'usage, et se procurer l'argent nécessaire aux dépenses de l'armée, il fallait percevoir ce droit: mais on devait saisir cette circonstance pour s'assurer de l'attachement des cheiks et les intéresser à la perception des contributions ordinaires. La continuation de l'usage de les revêtir, à de certaines époques, aurait donné dans la suite des débouchés aux produits de nos manufactures, et amené les habitans à se glorifier des marques distinctives des fonctions confiées par le gouvernement: c'était un pas vers la civilisation. Ceux qui avaient étudié, dans les provinces, l'organisation municipale des villages et l'influence des cheiks, savaient qu'il était nécessaire de les ménager, pour assurer la tranquillité intérieure du pays et la perception des impôts; ils savaient aussi que les cheiks, effrayés ou mécontens, abandonnent leurs villages et font déserter avec eux, ou même révolter les habitans, et qu'alors il devient impossible de percevoir les contributions, mais le général Menou fut séduit par l'espérance d'un produit de trois millions, qu'un faux calcul lui faisait apercevoir. Le payeur général, qui, par sa place, ne devait songer qu'à remplir ses caisses, sans entrer dans ces considérations politiques, adopta avec plaisir un projet qui lui promettait une augmentation de rentrées. On n'y vit qu'une opération de finances. L'arrêté fut mis à l'ordre du jour du 5 fructidor. Cependant rien n'en pressait la publication, puisqu'il ne pouvait être exécuté qu'après l'inondation.

Si un pareil droit avait plusieurs inconvéniens généraux, son administration était encore plus dangereuse. Les cheiks furent retirés de l'inspection des commandans de province, les seuls qui dussent, d'après les préjugés et les habitudes anciennes du pays, avoir de l'influence sur eux; ils passèrent sous la police du payeur général, et plus particulièrement sous celle d'inspecteurs turcs et d'un directeur général, que cette organisation faisait chef municipal de l'Égypte, qui, par sa place, avait le droit de correspondre avec tous les cheiks et pouvait soulever en même temps tout le pays, sur tous les points, sans qu'on s'en doutât. Cette place fut donnée à un cheik du Caire qui, déjà deux fois, avait trahi la confiance des Français.

Le général Menou nomma, le 12 fructidor, un directeur général et comptable des revenus de l'Égypte. Le citoyen Estève, payeur général, se prêta, par dévoûment au bien public, à son désir de changer le nom et les attributions de sa place; mais il fut constamment contrarié, et les projets qu'il forma furent estropiés.

L'ordre du jour du 20 fructidor nomma les directeurs et employés de cette nouvelle administration; ils furent plus nombreux et eurent des appointemens plus forts que sous Kléber.

L'ordre sur la marque des ouvrages d'or et d'argent, qui fut publié le 14 fructidor, était utile pour empêcher les friponneries des orfèvres et la fonte des monnaies; mais l'administration de ce droit coûta beaucoup plus qu'il ne pouvait rapporter.

Le général Menou se rappela qu'il y avait un conseil privé dans quelques colonies, et Kléber avait en partie imité cette institution, en formant un comité administratif de cinq membres. Il adjoignit d'abord plusieurs personnes à ce comité; ensuite il le supprima par son ordre du jour du 15 fructidor. Il lui substitua un conseil privé, composé de tous les chefs de l'armée résidant au Caire, et de quelques membres à son choix: mais qu'attendre d'une réunion de quarante à cinquante membres? Ce n'est pas une pareille assemblée qui travaille. Des discussions sur toutes les branches de l'administration auraient amené nécessairement la censure des mesures qu'il avait arrêtées; et lors même qu'on y aurait apporté tous les ménagemens possibles, elles auraient toujours excité, dans l'armée, une fermentation dangereuse pour la discipline: c'était enfin y créer un club. La plupart des chefs qui devaient composer ce conseil étaient déterminés à le faire dissoudre, en déclarant que les prédécesseurs du général Menou avaient administré l'Égypte sans une pareille institution, et qu'ils y voyaient trop d'inconvéniens. Soit qu'il les eût aperçus lui-même, ou qu'il n'eût publié son ordre que pour avoir l'air, en France, de s'entourer de l'opinion et des conseils de tous les chefs de l'armée, l'ouverture des séances fut retardée, puis on n'en parla plus.

On sait que, même en Europe, les innovations en fait d'impôts effraient le commerce. Tout nouveau droit rend peu les premières années, parce qu'on est obligé de mettre sa perception en régie, sujette à beaucoup de non-valeurs, puisqu'il ne peut être affermé d'une manière avantageuse avant que son produit soit bien connu. Ces inconvéniens sont bien plus forts dans un pays où les habitans s'effarouchent de la plus légère atteinte portée à leurs anciens usages. Ces considérations n'arrêtèrent pas le général Menou, qui publia, le 16 fructidor, un nouveau réglement sur les douanes. Il manifestait l'intention de favoriser le commerce avec la Syrie; mais il l'entrava de droits et de formalités qui rebutèrent les Arabes conducteurs des caravanes, et les décidèrent à faire la contrebande, que les frontières du pays leur rendaient très facile.

Kléber, afin d'encourager les bâtimens grecs à venir dans les ports d'Égypte, avait accordé des exemptions de droits et même des primes, pour l'importation des articles dont l'armée avait le plus grand besoin. Les droits furent rétablis, et on substitua aux primes des avis imprimés qui promettaient sûreté et protection à ceux qui viendraient; on les soumit en même temps à une foule de formalités pour la vente de leurs marchandises, et pour le chargement en retour.

Le commerce avec l'Arabie est fort avantageux à l'Égypte; elle y verse l'excédant des grains de la Haute-Égypte, et en tire en échange le café, les gommes, l'encens, des étoffes de l'Inde, etc., qui lui servent à solder les marchandises qu'elle tire d'Europe. Le port de Gosséir, qui, par sa proximité de ceux de l'Arabie, convient le mieux pour ce commerce, se trouvait dans l'apanage de Mourâd-Bey. Afin de forcer le commerce à refluer à Souez, fort occupé par les Français, on greva toutes les marchandises qui sortaient des terres de Mourâd-Bey, d'une douane excessive, sans offrir dans le port où l'on voulait attirer les Arabes, les articles dont ils ont besoin. Le commerce avec l'Arabie en souffrit, et le peu de bâtimens qui vinrent à Souez n'y trouvant pas de marchandises, vendirent en numéraire.

Le changement des droits de la douane établis à Siout, sur le commerce avec l'intérieur de l'Afrique, fit une mauvaise impression sur les caravanes, qui déjà se multipliaient d'après l'accueil que les premières qui virent les Français en avaient reçu.

 

Dans son ordre du jour du 20, le général Menou donna une nouvelle organisation, et fit des diminutions à un droit qui se percevait, depuis les temps les plus anciens, sur les successions, sous le nom de Beit-El-Mahl.

Les droits sur les consommations intérieures avaient été supprimés par l'ordre du 16 fructidor concernant les douanes; bientôt après, le général Menou les rétablit sous le nom d'octrois; mais l'organisation qu'il leur donna valait-elle l'ancienne? Dans les villes de commerce, les marchandises sont déposées dans de vastes bazars nommés okels. Les droits sur les consommations et sur les transits étaient affermés, chaque année, à des individus qui les percevaient à peu de frais et d'une manière fort simple à la porte de ces okels. L'état de guerre avait empêché de tirer un grand parti de ces fermages, dans les premiers temps de la conquête; mais la confiance s'étant rétablie, la concurrence des négocians en aurait beaucoup haussé le prix. Il y avait des droits particuliers sur certaines denrées, sur les consommations dans les petites villes, et sur les marchés dans quelques villages. Plusieurs abus, des vexations particulières et des non-valeurs, devaient être supprimés. Quelques portions de ces revenus étaient affectées par d'anciennes concessions, à des familles, des établissemens ou des mosquées. On pouvait améliorer le mode de leur recette et augmenter leur produit, sans s'exposer, par un changement total, aux incertitudes d'une innovation.

Ces droits ralentirent la circulation intérieure; toutes les denrées haussèrent de prix, et les troupes, dont les rations étaient payées en argent, en souffrirent. Il fallut une nuée d'employés pour les percevoir le premier mois. L'avidité et l'espoir d'être soutenus comme anciennement par l'autorité dans leurs vexations, déterminèrent plusieurs individus à se rendre fermiers. Ils promirent de très hauts prix; mais leurs espérances ayant été déçues, ils éprouvèrent des pertes sur la plupart des denrées.

Le divan du Caire s'était dissous après la convention d'El-A'rych, et Kléber n'avait pas jugé convenable de le rétablir avant l'entier paiement des dix millions auxquels cette ville avait été imposée. Mais après cette époque, ce corps devenait utile pour donner aux habitans une influence apparente dans le gouvernement, et les habituer aux affaires. L'idée d'en former en même temps une espèce de tribunal d'appel était bonne. La justice n'était pas rendue ou l'était mal, par des juges sans considération et sans autorité, guidés plutôt par leur intérêt personnel que par des lois invariables. Presque toujours les coupables échappaient aux recherches, les liaisons ou les haines de familles et de villages balançaient l'autorité; il n'existait aucune organisation municipale ni judiciaire.

Il y aurait eu un travail bien intéressant à faire pour préparer l'Égypte à un bon gouvernement: les progrès de la civilisation en dépendaient; on ne pouvait y conduire que par degrés un peuple ignorant, attaché servilement à ses anciens usages; il fallait beaucoup de ménagemens pour les opinions religieuses, afin d'amener des hommes divisés de culte, à obéir aux mêmes lois. Le général Menou avait nommé le 4 fructidor, une commission pour faire des recherches sur l'ancienne organisation de la justice et lui présenter un projet, mais il n'attendit pas que le travail qu'elle préparait fût achevé, et publia l'ordre du jour du 10 vendémiaire.

Bonaparte avait composé le divan d'hommes de toutes les religions, afin d'effacer la distinction des cultes. Le général Menou n'y admit, par ce nouvel arrêté, que des musulmans. Les chefs des autres religions, dont il se réservait le choix, n'eurent que le droit de séance, avec voix consultative. Il accorda aux musulmans des tribunaux investis du droit de les juger, non seulement entre eux, mais aussi dans leurs différends avec les chrétiens. Il laissait bien à ces derniers la faculté de terminer leurs procès par arbitrage; mais, dans certains cas, ils retombaient sous la police des kadis musulmans. Les ordres que Bonaparte avait donnés pour empêcher la corruption des juges furent renouvelés. Le général Menou défendit aussi le dieh ou rachat du sang, institution odieuse aux yeux de la raison, mais consacrée par l'usage, et que Mahomet lui-même a confirmée par le Koran. Rien de plus contraire aux lois des peuples civilisés; mais un usage aussi ancien et qui influait sur la tranquillité du pays, n'était pas de nature à être déraciné par un simple ordre du jour; il fallait d'abord se procurer les moyens d'arrêter les coupables, organiser une autorité dans les villages, et détruire les asiles qu'offrait l'hospitalité: mais ceux qui n'avaient jamais habité que le Caire et les autres grandes villes soumises à une police sévère, ignoraient que toutes les institutions nécessaires pour en établir une dans les campagnes manquaient à l'Égypte.

Les jurés peseurs, mesureurs et serafs percevaient un droit fixé par l'usage, d'après la nature des marchandises. Le général Menou porta leurs droits à deux et trois pour cent de la valeur. En un seul jour un peseur aurait pu faire sa fortune, s'il avait eu à livrer des objets de prix: les réclamations du commerce se multiplièrent à l'infini. Il avait aussi étendu cet ordre aux denrées que le gouvernement recevait pour impositions: c'était plus d'un dixième que l'on aurait perdu gratuitement, s'il n'avait pas modifié cet article après de nombreuses représentations.

Il était naturel de faire payer par l'armée les droits établis sur le commerce; il y aurait eu beaucoup d'inconvéniens à l'en exempter; mais l'ordre du 19 vendémiaire étendit aux successions des Français l'impôt appelé beit-el-mal. Cette extension était contraire aux lois de la République. Ce droit fut affermé à des habitans du pays; et pour en augmenter le produit à leurs yeux, on leur fit envisager, d'une manière indécente, ce qu'ils auraient à prélever sur la fortune des généraux et autres officiers qui viendraient à mourir… Cet ordre révolta généralement.

À peine les marchands du Caire et de Boulack, dont les magasins avaient été pillés ou confisqués lors de la prise de cette dernière ville, qui avaient ensuite payé au-delà de la moitié des douze millions des charges de guerre, commençaient-ils à respirer et ranimaient-ils leurs affaires qu'ils furent grevés d'une foule de droits. Ceux de Damiette, de Mehallëh-El-Kébir, de Tanta, etc., qui avaient également été imposés, eurent le même sort. L'espoir de vendre leurs marchandises plus cher aux individus de l'armée, presque seuls consommateurs à cette époque, leur avait fait surmonter ces difficultés; mais l'ordre du 20 vendémiaire, qui établissait des droits sur les corporations, acheva de les accabler. La plupart abandonnèrent leur commerce; quelques uns tournèrent leurs spéculations sur les fermages des nouveaux droits; d'autres, comme chefs de corporations, et chargés en cette qualité des répartitions, en s'exemptant eux-mêmes et faisant payer les pauvres, conservèrent seuls un peu d'aisance.

Il fallait certainement, pour fournir aux dépenses de l'armée, établir des impositions régulières sur les villes, mais elles devaient être réparties sur les riches, sur leurs propriétés, enfin sur le luxe. On pouvait conserver quelques droits anciens sur quelques corps de métiers, qui sont presque tous concentrés dans les mêmes quartiers. On pouvait aussi, par un droit modéré de patente, établir une surveillance, qui aurait pu devenir la source de quelque amélioration; mais il aurait fallu d'avance étudier les anciennes impositions, examiner mûrement celles qu'il convenait d'établir, et on prit à peine des renseignemens nécessaires sur les lieux où il existait des corporations.

Pour civiliser l'Égypte et y établir un bon système d'administration, on devait principalement s'attacher à détruire l'influence politique des opinions religieuses. L'arrêté qui fait suite à celui des corporations, créa des impôts particuliers sur chaque corps de nation désigné par son culte; on y voit même figurer les Cophtes comme tribu étrangère. Sans doute il convenait de faire peser les impositions sur les riches capitalistes cophtes, qui, chargés de la perception des impôts, vexent le peuple et enfouissent leurs richesses plutôt que de les mettre en circulation: ils pouvaient payer chaque année le million auquel ils étaient taxés; mais on aurait dû les atteindre d'une autre manière. Si l'on voulait conserver quelques traces de ces distinctions religieuses, on pouvait modifier la capitation qui pèse sur les chrétiens, dans tout l'empire Turc, en accordant des exemptions à ceux d'entre eux qui se dévoueraient au service militaire, et les engager ainsi à former une milice pour la défense du pays.

22Le général Menou reçut alors des lettres adressées à Kléber par le gouvernement; elles annonçaient que les Turcs n'étaient pas éloignés de consentir à cette neutralité.