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Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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RÉSUMÉ DE L'ÉTAT SOCIAL DES PEUPLES DE L'ÉGYPTE

Depuis l'Arabe Bédouin jusqu'aux chefs du gouvernement, la force et les richesses sont la seule route qui conduise au pouvoir, et dès-lors l'unique objet de l'ambition. Tous sont peu délicats sur les moyens d'acquérir des trésors; tous cherchent à s'attacher des hommes qui leur soient dévoués, et dont ils puissent employer utilement le courage et l'adresse. Les beys et les mukhtesims achètent des esclaves blancs et quelques noirs; les cheiks arabes achètent des Nègres. Chacun s'entoure d'une milice plus ou moins redoutable. Se croit-il assez fort, il lutte et fait la guerre avec ses concurrens ou ses oppresseurs. Lorsqu'il n'existe pas dans le gouvernement une puissance capable d'imposer à toutes ces forces divisées, l'anarchie est complète; l'esprit de faction et les haines héréditaires se joignent aux querelles qui naissent journellement. Le cultivateur est presque toujours entraîné dans ces querelles; il en a aussi de personnelles, mais de quelque manière qu'elles se terminent, le produit de ses récoltes sert toujours à nourrir les combattans; il doit payer les profusions des chefs pour augmenter leur pouvoir: il n'est que le misérable instrument de leurs jouissances. Régi plutôt par les caprices des hommes puissans que par des lois fixes, il ne sait à qui du gouvernement de Constantinople, des beys, des mukhtesims ou des cheiks arabes il doit obéir. Obligé de les satisfaire tous, il exécute d'abord les ordres de celui dont, pour le moment, il redoute la vengeance; de là l'usage de mettre chaque année des troupes en campagne pour percevoir les contributions.

Les qualités morales et l'instruction ne conduisent à aucun emploi; elles ne procurent qu'une très faible considération, et nulle richesse; rien n'invite donc à les cultiver. La seule étude est celle de la dissimulation, cette arme de la faiblesse ambitieuse; elle est autant le partage de toutes les classes du peuple que la base de la conduite du gouvernement.

Des lois vagues, la vénalité des juges, l'absence d'une force spécialement destinée à poursuivre et à punir les coupables, les refuges qui leur sont toujours ouverts par l'hospitalité, déterminent le gouvernement à punir une famille, une corporation, un village, pour la faute d'un seul homme, souvent fugitif, plus souvent inconnu; il adopte ainsi l'usage des Arabes, d'étendre les vengeances personnelles à des familles entières: il reconnaît le territoire de chaque tribu pour exiger d'elle la restitution ou le paiement des vols qui s'y commettent. Dans un gouvernement mal organisé, cette méthode de punir une classe entière des fautes d'un seul homme, a du moins l'avantage d'intéresser tous les individus à se surveiller réciproquement. Les asiles sont une ressource que tous les habitans se procurent mutuellement contre l'oppression. Ce n'est pas par esprit d'ordre et de justice que les gouvernans, peu susceptibles de ces sentimens moraux, poursuivent le coupable, et cherchent à terminer les querelles; mais c'est que la culture, les récoltes et le paiement des contributions en souffrent; et que les accommodemens leur procurent toujours des présens ou des amendes.

Le peuple égyptien a été soumis dans presque tous les temps, a des conquérans étrangers dont il a successivement détesté le joug. Toujours prompt à se livrer aux apparences du succès, mais en proie aux haines, aux jalousies, effets de sa division en classes distinctes, jamais un concours simultané d'efforts n'exista pour briser ses chaînes; les soulèvemens partiels furent toujours sévèrement réprimés: il conserve encore le même esprit d'inquiétude. Le gouvernement des Osmanlis est celui qu'il déteste le plus; cette aversion est continuellement excitée par les mameloucks et les Arabes, dont l'esprit domine en Égypte: elle a sans doute contribué, malgré le fanatisme religieux, à l'attacher aux Français.

Les élémens de la société s'opposent, en Égypte, à toute espèce d'améliorations; aucun changement utile ne peut être opéré que par des étrangers appelés au gouvernement. Les Français se sont trouvés dans cette position; mais outre les difficultés d'un établissement, et celles qui naissent de l'état de guerre, combien d'obstacles moraux n'avaient-ils pas à surmonter? L'attachement aux anciens usages, l'orgueil de la superstition, et l'ignorance qui repousse toute idée nouvelle, la différence de langage et de culte, les mœurs et l'état social des différentes classes, etc., etc. Il fallait organiser la justice, établir des autorités municipales, une police générale et une administration uniquement occupées du bien public; effacer les distinctions politiques et religieuses, habituer les hommes de cultes différens à obéir aux mêmes lois, changer la nature des propriétés territoriales et l'état des fellâhs; il fallait intéresser les cultivateurs à perfectionner leurs cultures, les artisans et les commerçans à étendre leurs spéculations, par la certitude de jouir du fruit de leurs travaux; il fallait détruire les Arabes errans, ou saper, par des institutions, leurs préjugés contre la vie sédentaire; il fallait enfin lier tous les intérêts particuliers à l'intérêt général, perfectionner le système des impositions, améliorer la distribution des eaux et l'irrigation, développer la culture des plantes coloniales, creuser des canaux de navigation, etc., etc. Alors l'Égypte se serait élevée au plus haut degré de prospérité. Mais il était nécessaire d'étudier parfaitement ce peuple, de détruire ses préjugés, d'attirer sur les législateurs l'amour, l'estime et la vénération qui seuls pouvaient leur donner une force morale suffisante pour établir et consolider de nouvelles institutions. Cela ne pouvait être effectué que successivement et avec beaucoup de lenteur. C'est au moment où les Français avaient acquis en partie ces connaissances et l'ascendant moral d'où dépendait le succès, qu'ils ont abandonné l'Égypte. La paix, qui procure la tranquillité à tous les autres peuples, n'est pas un bienfait pour les Égyptiens; elle les rejette au sein des troubles et des dissensions intestines; elle les replonge dans la barbarie.

L'orgueilleux musulman connaissait les peuples de l'Europe, seulement par l'horreur que des barbares fanatiques avaient inspirée à ses ancêtres; il ignorait ou se refusait à penser que ces mêmes peuples, affranchis de leurs préjugés, avaient fait des pas immenses dans la carrière de la civilisation; tandis que lui, dégradé par ses propres institutions, peut à peine se compter au nombre des peuples civilisés. Lors de l'expédition de Bonaparte en Égypte, on vit pour la première fois les sciences et les arts s'unir à la marche d'un conquérant. Les Égyptiens apprécièrent dès-lors la puissance des Européens, la douceur de leurs lois, et l'étendue de leurs lumières; leurs braves admirèrent les exploits des Français: tous reconnurent leur supériorité.

L'armée d'Orient laisse en Égypte de grands souvenirs et des regrets. Ces impressions sont un germe que l'avenir et les événemens feront éclore.

DE L'ÉGYPTE APRÈS LA BATAILLE D'HÉLIOPOLIS

PREMIÈRE PARTIE.
DEPUIS LE MOIS DE FLORÉAL AN VIII, JUSQU'AU MOISDE BRUMAIRE AN IX

CHAPITRE PREMIER.
SITUATION DE L'ARMÉE D'ORIENT, ET PROJETS DE KLÉBER AVANT SA MORT

Après la bataille d'Héliopolis et le siége du Caire, l'armée se trouva dans la situation la plus brillante. Les troupes, bien habillées, bien nourries, et payées régulièrement, étaient satisfaites de leur sort. La mauvaise foi des Anglais, lors de la rupture du traité d'El-A'rych, avaient excité leur indignation; les Turcs n'étaient point pour elles des ennemis redoutables. Depuis le 18 brumaire, leur confiance dans le gouvernement ajoutait au désir de conserver une conquête dont elles sentaient toute l'importance, et qui leur plaisait depuis qu'elles y jouissaient de quelque agrément et supportaient moins de privations.

Les habitans, étonnés de voir le visir de la Porte (le plus grand personnage que leur ignorance leur permît de connaître) battu par les Français, étaient persuadés que tous les efforts des Turcs seraient désormais inutiles; ils regardaient l'Égypte comme la propriété de leurs nouveaux maîtres, et prenaient une grande confiance en eux. Ils avaient éprouvé dans plusieurs occasions combien leurs révoltes avaient été facilement dissipées par un petit nombre de troupes. Les charges de guerre auxquelles les rebelles avaient été imposés les avaient pour toujours dégoûtés de semblables soulèvemens. La paix avec Mourâd-Bey contribuait encore à maintenir les Égyptiens dans ces sentimens.

Les contributions extraordinaires imposées au Caire, en punition de la révolte, donnaient les moyens de payer l'arriéré, qui s'élevait alors à onze millions, y compris la solde, et d'attendre la saison où l'on perçoit les impositions ordinaires, pour fournir aux dépenses courantes. Les améliorations que l'état de guerre et les difficultés inséparables d'un nouvel établissement avaient empêché Bonaparte d'effectuer dans un pays où la langue, les mœurs, les usages, tout élevait des obstacles, Kléber pouvait les faire après la bataille d'Héliopolis; celles qu'il ordonna dans toutes les parties de l'administration apportèrent beaucoup d'économie dans les dépenses, diminuèrent les frais de perception, et mirent un frein à beaucoup de vexations et de dilapidations.

Le général Kléber voulant profiter des dispositions générales des habitans, fit sentir particulièrement aux Cophtes que s'ils avaient été armés pendant la révolte du Caire, leur quartier n'aurait pas été pillé par les Turcs, et qu'il était de leur intérêt de concourir, avec les Français, à la défense commune. Il les engagea à former un bataillon de cinq cents hommes, qu'il fit habiller à la française: il comptait l'augmenter autant que les circonstances le permettraient.

 

Cette formation d'un corps était un moyen de développer le goût du service militaire; mais il était encore plus avantageux d'engager les habitans du pays, chrétiens et musulmans, à s'enrôler dans les demi-brigades, où ils pouvaient prendre plus facilement le moral du soldat français. Kléber encouragea ces recrutemens. Ils réussirent dans la Haute-Égypte; la 21e demi-brigade fit, en très peu de temps, trois cents recrues, qui se formèrent assez vite. Les habitans de la Basse-Égypte y paraissaient moins disposés; cependant on aurait pu vaincre leur répugnance.

Les Grecs, d'un caractère plus belliqueux, se présentaient avec bien plus de zèle. Deux compagnies avaient déjà été formées précédemment par Bonaparte; celle qui se trouvait au Caire lors du siége s'était fort bien battue. Kléber forma une légion où l'on engagea beaucoup de Grecs nouvellement arrivés dans les ports: elle fut bientôt d'environ quinze cents hommes.

L'armée avait éprouvé beaucoup d'obstacles pour les transports dans les momens difficiles, parce qu'alors les Arabes qui louaient leurs chameaux s'éloignaient. Afin d'assurer ce service important, Kléber fit établir un parc de cinq cents chameaux toujours disponibles, et qu'on employait, en temps ordinaire, aux différens services; il ordonna une levée des chevaux et des chameaux nécessaires pour remonter la cavalerie et l'artillerie; il fit établir des ponts volans, pour faciliter les passages du Nil aux troupes qui auraient à marcher de la côte sur les frontières de Syrie, et ordonna des reconnaissances pour organiser des communications entre les divers postes occupés par l'armée.

Il arrêta, pour le Caire, un plan de travaux simples qui remplissaient deux objets importans; celui de contenir les habitans de cette grande ville, et celui de la clore, de manière qu'aucun parti ennemi ne pût s'y introduire. Il ordonna aussi les travaux nécessaires pour la défense des côtes.

Il établit un comité administratif composé de cinq membres, chefs des principales administrations, qui discutaient avec lui les améliorations que les circonstances rendaient possibles. Il arrêta beaucoup de dilapidations; ôta le moyen de spéculer sur le bien-être du soldat, et améliora le sort des troupes en faisant payer les rations de viande et de fourrage, et en mettant une partie de l'habillement au compte des corps.

La flotte turque, commandée par le capitan-pacha, avait paru, dans les premiers jours de prairial, devant Alexandrie. Kléber, ignorant si elle portait des troupes et méditait quelque débarquement, partit, dès qu'il en eut la nouvelle, avec une partie des troupes qui étaient au Caire, et donna des ordres pour réunir à Rahmaniëh celles du Delta. Il quitta le Caire le 14 prairial, apprit à Rahmaniëh que le capitan-pacha était seulement venu parader devant Alexandrie, afin d'entamer quelques négociations, défendit de recevoir à terre aucun parlementaire, et revint au Caire laissant dans le Delta, vis-à-vis Rahmaniëh, un camp volant de deux demi-brigades et de deux régimens de cavalerie disponibles, pour aller sur tous les points de la côte qui pourraient être menacés, ou sur la frontière de Syrie.

Le général Menou était arrivé au Caire à la fin de floréal; depuis six mois il avait l'ordre de s'y rendre, d'abord pour être employé aux négociations avec les Turcs, ensuite pour la campagne qui se préparait, et après la prise du Caire, afin d'y commander. Mais en écrivant toujours qu'il allait partir, qu'il ne désirait rien tant que de combattre, il était resté paisiblement à Rosette, jusqu'au moment où les Osmanlis sortis du Caire et rejetés dans le désert, on n'eut plus qu'à jouir d'une tranquillité due aux victoires de l'armée. Arrivé au Caire, il fit des difficultés pour en prendre le commandement: celui de la Haute-Égypte, où il paraissait désirer de voyager, lui fut offert; mêmes obstacles. Enfin, Kléber lui écrivit qu'après lui avoir offert les plus beaux commandemens, il ne lui restait plus qu'à lui offrir celui de l'armée; le général Menou choisit celui de la Haute-Égypte; mais il ne partit pas.

Lorsque le général Kléber partit pour Rahmaniëh, il écrivit au général Reynier, qui était en tournée dans le Kalioubëh, de venir au Caire pour en prendre le commandement et surveiller la Haute-Égypte ainsi que la frontière de Syrie, tandis que lui serait sur les côtes. L'exprès s'égara, et le général Reynier ne put arriver qu'après son départ. Pendant ce temps, le général Menou sollicita ce commandement: Kléber le lui accorda en lui recommandant de se concerter avec le général Reynier pour les dispositions de défense, s'il y avait quelque mouvement du côté de la Syrie. Ce dernier, de retour au Caire, lui donna tous les renseignemens qui pouvaient lui être nécessaires sur les fortifications, les troupes, les habitans et la police de cette ville, qu'il connaissait peu.

Kléber fut de retour le 21 de Rahmaniëh; le 23, il montra au général Reynier la note qu'il faisait écrire en réponse à une lettre que Morier, secrétaire de lord Elgin, lui avait envoyée de Jaffa. Il entra dans quelques détails sur la conduite qu'il devait tenir avec les Turcs, et dont il l'avait déjà entretenu plusieurs fois. Il voulait profiter de la rupture du traité d'El-A'rych et des arrangemens pris alors par les Anglais, à l'effet d'occuper Alexandrie, Damiette et Souez, pour exciter le ressentiment des Turcs contre eux; il voulait aussi éviter les communications avec les chefs de ces deux armées, en même temps qu'il tâcherait d'établir une correspondance directe avec Constantinople. Par ce moyen, il espérait correspondre avec le gouvernement français, et faire consentir les Turcs à la neutralité jusqu'à la paix générale. Un arrangement aurait donné à l'armée française l'assurance de n'être attaquée que par une expédition maritime, que les Anglais n'auraient sûrement pas tentée sans l'appui des Turcs; il aurait augmenté les ressources en rétablissant une partie du commerce.

CHAPITRE II.
ASSASSINAT DE KLÉBER. – LE GÉNÉRAL MENOU PREND LE COMMANDEMENT. – SA CONDUITE DANS LES PREMIERS TEMPS, ET JUSQU'EN FRUCTIDOR

Le 25 prairial, le général Kléber, après avoir passé, dans l'île de Raoudah, la revue de la légion grecque, vint au Caire voir les réparations qu'on faisait à sa maison. Il se promenait sur la terrasse de son jardin avec le citoyen Protain, architecte, lorsqu'il fut frappé de plusieurs coups de poignard. L'assassin, arrivé au Caire à la fin de floréal, avait suivi Kléber depuis Gisëh, s'était introduit dans la maison avec les ouvriers, et avait saisi le moment où ce général, occupé de sa conversation, ne pouvait l'apercevoir. Les généraux se réunirent dès qu'ils apprirent cette nouvelle. On fit la recherche de l'assassin, qui fut arrêté bientôt après, et on l'interrogea.

Les cheiks et les agas de la ville avaient été mandés; on voulait examiner si cet attentat n'était pas lié à quelque conspiration plus étendue. Un aide-de-camp vint demander s'ils devaient être introduits. Le général Reynier, à qui il porta la parole, lui dit de s'adresser au général Menou, qui le lui renvoya, et il s'établit entre eux une discussion sur le commandement de l'armée.

Le général Menou protesta que ce commandement ne lui convenait pas; que n'ayant pas fait la guerre activement, il était moins connu des troupes que le général Reynier, et qu'il l'avait déjà refusé dans d'autres occasions; il prodigua sa parole d'honneur qu'il donnerait plutôt sa démission d'officier-général que de l'accepter, et que même, si on l'y forçait, il s'en servirait pour ordonner au général Reynier de le prendre. Ce général lui observa qu'en pareilles circonstances les lois ordonnaient au plus ancien de grade de prendre le commandement provisoire, en attendant les ordres du gouvernement, et que s'il désirait avoir le temps de faire ses réflexions avant d'accepter, il ne pouvait du moins se dispenser de donner des ordres en sa qualité de commandant du Caire; que quant à lui, il croyait ce commandement trop délicat pour s'en charger légèrement. Voyant qu'il ne se décidait pas, il le prit à part, renouvela ses observations, en ajoutant qu'une pareille discussion devait être renvoyée à un moment plus calme.

Le général Menou répéta encore qu'il ne pouvait prendre le commandement; qu'il n'avait pas fait la guerre, et n'était pas connu des soldats, peut-être prévenus contre lui par son changement de religion. Le général Reynier lui dit qu'il ne devait point regarder ce changement comme un obstacle; que même il le rendrait plus agréable aux habitans du pays; qu'enfin, tous les généraux, et lui en particulier, l'appuieraient de tous leurs moyens et de leurs conseils. Il l'invita à répondre au moins comme commandant du Caire, et se retourna du côté de l'aide-de-camp; la discussion finit alors. On continua de faire des informations sur l'assassinat, et, dès le lendemain, le général Menou prit le titre de commandant l'armée par intérim. Il nomma le général Reynier président de la commission chargée de juger l'assassin.

Après les funérailles de Kléber et l'exécution du coupable, le général Menou prit le titre de général en chef. L'armée le vit avec beaucoup de peine succéder à ses anciens chefs. Plusieurs corps élevèrent des murmures; mais les généraux les apaisèrent; ils espéraient que son habitude des affaires suffirait pour bien diriger l'administration du pays, et qu'au moment du danger ils pourraient l'aider de leur expérience.

Le général Menou chercha pendant les premiers jours à se concilier les esprits: généraux, administrateurs, il les accueillit tous, leur fit de fréquentes visites; il sembla même aller au-devant de leurs avis. Mais bientôt des traits d'animosité contre son prédécesseur, des tracasseries pour sa succession, commencèrent à dévoiler au moins sa maladresse. Les murmures de l'armée et les reproches adressés au général Reynier de l'avoir engagé à prendre le commandement, excitèrent sa jalousie, quoique la conduite franche de ce général fût bien propre à le rassurer sur les suites de cette rivalité.

Le commandement de l'Égypte pouvait procurer à la fois les plus brillantes réputations, celles de militaire, de législateur et d'administrateur. Pour se les assurer, il fallait être confirmé par le gouvernement, et effacer le souvenir de la gloire de Kléber. Des partis coloniste et anti-coloniste furent inventés. Le général Menou se mit à la tête au premier, et proclama l'engagement de conserver l'Égypte. On répandit en France l'opinion que les autres généraux formaient le second, et voulaient renouveler le traité d'El-A'rych21. À cette époque l'Osiris fut expédié secrètement.

 

Convaincu qu'il ne pouvait pas aspirer à une réputation militaire, le général Menou tourna ses vues vers la carrière administrative; il affecta de s'occuper de tous les détails, et cherchant à donner une grande idée de sa moralité et de sa probité, il cria fortement contre les dilapidations; il promit enfin de détruire tous les abus, et cependant Bonaparte et Kléber en avaient peu laissé subsister. Pressé de donner des espérances favorables de son administration, et d'y intéresser l'armée, il publia l'engagement de tenir toujours la solde au courant, avant d'avoir assez étudié les finances de l'Égypte, pour en assurer les moyens; il mit beaucoup d'ostentation à créer une commission chargée de surveiller la fabrication du pain. Lorsqu'il crut apercevoir qu'on lui obéissait avec moins de répugnance, il changea de genre de vie, devint moins accessible; entouré de liasses de papiers, il avait l'air de travailler beaucoup, mais les affaires les plus pressées restaient en souffrance.

Sous Bonaparte et sous Kléber, l'armée d'Orient n'avait qu'un même esprit; tous étaient unis par les mêmes dangers et les mêmes espérances: un nouveau chef créa un nouvel esprit. Aisément il aurait pu se concilier l'armée, secondé par tous les généraux, qui, pénétrés de la nécessité d'être unis, agissaient de cœur; pour lui, il préféra de se faire quelques partisans par des menées sourdes; mais leur développement fut long-temps couvert d'un voile que ses démarches ostensibles rendaient plus difficile à soulever.

21La différence entre ces deux époques était bien appréciée par tous les individus de l'armée. Lors du traité d'El-A'rych, elle ne recevait de la France que des nouvelles affligeantes: les armées étaient battues, les frontières entamées. Les déclamations que le Directoire autorisait contre l'expédition d'Égypte faisaient regarder l'armée comme en exil. Ignorant encore le sort de Bonaparte et l'heureuse révolution qui rendit à la France son énergie et sa gloire, elle brûlait de porter ses armes victorieuses dans sa patrie. Kléber avait continué des négociations, afin d'éclairer les Turcs sur leurs véritables intérêts, de retarder leurs opérations et de gagner du temps, en attendant les ordres du gouvernement et des secours: n'ayant plus d'autre moyen de les prolonger, il avait proposé des conférences et une suspension d'armes. Les Anglais, qui avaient dû intervenir, surent retarder l'annonce de la suspension d'armes et le transport des plénipotentiaires envoyés à la conférence, de manière qu'El-A'rych fut attaqué et livré par surprise, tandis que les Français se reposaient sur la foi de l'armistice. El-A'rych pris, le général Desaix au pouvoir de l'armée turque, une partie de l'Égypte insurgée, on ne pouvait plus avoir que difficilement l'argent et les vivres nécessaires à l'armée; les villes des côtes étaient dans une situation à faire craindre des événemens semblables à celui d'El-A'rych. L'armée turque allait se répandre en Égypte; des corps de Russes et d'Anglais devaient se joindre à elle: l'armée d'Orient pouvait ne pas être victorieuse, ses victoires même devaient l'épuiser; ne recevant pas de secours, elle pouvait prévoir qu'elle succomberait après quelques attaques successives, et des auxiliaires européens, en aidant les Turcs, auraient acquis chez eux me influence politique dangereuse pour la France. Kléber, persuadé que le Directoire abandonnait tout projet sur l'Égypte, et que les vieilles bandes de l'armée d'Orient, arrivant en Europe au commencement de la campagne, pouvaient sauver leur pays, fit le sacrifice de la gloire qu'il pouvait acquérir contre les Turcs dans l'espoir d'être plus utile. Il voulait, par ce traité, séparer les Turcs des Russes et des Anglais, les déterminer à faire la paix avec la France, et à lui assurer dans le commerce des avantages équivalens à la restitution de l'Égypte. Mais le visir dépendait trop des Anglais pour y consentir ostensiblement; il ne donna que des assurances verbales que cela s'arrangerait après l'évacuation. Les négociations étaient trop avancées pour reculer, et le traité fut conclu: son exécution était commencée lorsqu'on apprit la révolution du 18 brumaire. L'armée pouvait alors espérer que le gouvernement s'occuperait d'elle, si elle restait en Égypte; mais Kléber était trop loyal et trop esclave de sa parole pour rompre un traité qu'il avait signé. Les faux calculs du gouvernement anglais, la mauvaise foi jointe à l'insulte, tournèrent contre lui; ils rendirent à l'armée d'Orient ses armes, et lui valurent une nouvelle conquête de l'Égypte. Lorsqu'on aurait cherché les circonstances les plus favorables pour procurer à cette armée une victoire complète, on n'aurait pu les mieux préparer qu'elles ne le furent par l'évacuation de la partie orientale de l'Égypte, la marche des Turcs et la réunion de l'armée française. Si, au lieu de signer la convention, on avait ouvert la campagne, il y aurait eu beaucoup d'affaires partielles, de privations, de marches pénibles, et on aurait peut-être fini par succomber. À Héliopolis les deux armées étaient réunies; aussi la victoire fut-elle brillante et décisive. Après cette bataille et la nouvelle de la révolution de 18 brumaire, la situation de l'armée était bien changée. Assurée au moins pour un an de la possession paisible de l'Égypte, elle pouvait espérer que le gouvernement, qui alors méritait toute sa confiance, veillerait sur elle. Les derniers dangers avaient attaché tous les individus de l'armée à la conservation de l'Égypte; et si on avait voulu y chercher des anti-colonistes, l'armée entière aurait désigné l'homme seul qui passait à Rosette, à déclamer contre les opérations de son chef, les époques où elle scellait de son sang cette nouvelle conquête.