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Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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Depuis que j'ai eu l'honneur de vous écrire par la voliche l'Écrevisse, par le chebeck le Good-Union, et par le brick le Lodi, les ennemis n'ont rien tenté contre Alexandrie; mais le 29 du mois dernier, ils vinrent attaquer nos troupes à Rahmaniëh, où, après différentes entreprises dans lesquelles ils échouèrent, ils vinrent sérieusement, après le soleil couché, tenter d'emporter un retranchement par notre droite. Les Osmanlis et plusieurs Anglais se jetèrent avec audace dans ce retranchement, en faisant des cris et des hurlemens épouvantables. Les 2e, 13e et 83e demi-brigades les laissèrent approcher; puis se jetant sur cette colonne sans tirer un coup de fusil, elles l'ont détruite entièrement et en ont fait un carnage horrible. Les ennemis ont perdu quinze cents hommes; nous n'avons eu que dix hommes tués et trente blessés; mais la flottille ennemie, supérieure en nombre à la nôtre, avait déjà débordé Rahmaniëh; de sorte que le général Lagrange, qui commandait cette portion de l'armée, a cru prudent d'abandonner Rahmaniëh, dont deux jours auparavant il avait fait évacuer tous les magasins, qui avaient remonté le Nil. De Rahmaniëh, il s'est porté rapidement au Caire, où il s'est joint aux troupes qui y étaient stationnées; il a été attaquer l'armée turque près de Belbéis et l'a battue à plate-couture; actuellement il redescend sur les Anglais. Nous nous combinerons; nous les attaquerons, et j'espère que nous vous en rendrons bon compte. Si la fortune ne nous seconde pas, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir.

J'ai actuellement sur le lac Maréotis seize chaloupes ou djermes; six portant des pièces de deux. Tout cela a été transporté à force de bras. Les retranchemens les plus formidables couvrent Alexandrie. Je viens en dernier lieu de les réunir au canal, par un fossé de dix-huit pieds de largeur et dix de profondeur, sur un développement de cent cinquante toises; cinquante pièces de canon défendent ce retranchement. La nouvelle enceinte de la ville est achevée. La hauteur de Cléopâtre est fortifiée. Une autre éminence en avant de la porte de Rosette, est occupée par une forte redoute. Les hauteurs de Pompée sont couvertes de retranchemens. On travaille à force au Marabou. Je vous répète, citoyen Consul, que nous périrons s'il le faut pour sauver la colonie; mais les secours conduits par Gantheaume ou par d'autres, que sont-ils devenus? Il est vrai que deux petits bâtimens que nous avons pris, l'un anglais, l'autre turc, ont déposé qu'une armée navale française et espagnole est dans la Méditerranée. Quand arrivera-t-elle?

J'ai envoyé en Europe, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le mander, citoyen Consul, les généraux Reynier, Damas, l'inspecteur aux revues Daure, l'adjudant commandant Boyer et quelques autres. Ils n'étaient amis ni de la république, ni de son gouvernement, ni de la colonie. Peut-être aurais-je mieux fait de prendre cette mesure il y a plusieurs mois; mais j'ai cru que la modération ramènerait ces hommes aux principes de l'honneur et de la raison: je m'étais trompé.

La majeure partie des membres de l'Institut et de la Commission des Arts m'ont aussi demandé à partir. J'ai cru devoir céder à leurs instances réitérées. Ils auraient mieux fait d'attendre d'autres circonstances. J'ai retenu ici tous les monumens des arts, parce que, dans la persuasion que vous sauverez la colonie, je les ai crus plus en sûreté, et que ces objets sont un dépôt sacré.

Du secours, du secours, mon général; mais la république et les consuls peuvent compter sur le dévoûment sans bornes de l'armée d'Orient.

Salut et respect.

Abdallah Menou.

(№ 7.)

Au quartier-général du Caire, le 7 frimaire an IX
(28 novembre 1800).
Menou, général en chef, au citoyen Thibaudeau, conseiller d'état

Je ne veux perdre aucune occasion de vous donner de mes nouvelles et de vous demander des vôtres, mon cher Thibaudeau. J'ai vu dans les journaux que vous aviez été nommé conseiller d'état. Je félicite la chose publique et le premier consul de cette nomination. Tant qu'on ne fera que des choix de cette espèce, on peut compter que le gouvernement prospérera. Les dernières nouvelles de la signature des préliminaires de la paix avec l'Empereur ont comblé de joie l'armée d'Orient. Elle attend avec empressement la réponse des Anglais à la réponse du premier consul. Quant à notre position elle est toujours la même. Le grand-visir avec ses hordes asiatiques est à Jaffa. Il nous menace de nous attaquer. À chaque menace je fais marcher des troupes, et alors la moitié de son armée déserte. Je m'occupe jour et nuit d'organiser ici une sorte de gouvernement. Que je serais heureux, si j'avais avec moi un second Thibaudeau qui serait le législateur de l'Orient! J'ai à lutter ici contre toutes sortes d'obstacles; mais j'ai appris à me roidir contre les difficultés et à devenir barre de fer35. À propos de barre de fer, je viens de revomir à l'Europe le fameux Tallien, qui avait été vomi à l'Afrique. Il s'était occupé ici en s'amusant à vouloir insurger l'armée. Quelques individus qui, par leur grade et leur place, devaient donner l'exemple, avaient écouté et goûté sa théorie d'insurrection; mais les troupes, excellentes, braves et pleines d'honneur, ont été inébranlables. Bien payées, bien nourries, bien habillées, elles iraient au bout du monde pour servir la chose publique.

Les méchans ont été obligés à rentrer dans le devoir, et votre ami Tallien s'est embarqué pour aller porter ailleurs son souffle pestilentiel.

Si j'osais, je vous enverrais du vin de Chypre et le meilleur café du monde, mais les mers sont infestées d'Anglais et de Barbaresques; au reste, partie différée n'est pas perdue.

Faites mention de moi, mon ami, mon cher Thibaudeau.

Mes hommages à madame Thibaudeau.

Abdallah Menou.

(№ 8.)

Au quartier-général du Caire, le 7 février 1801.
Menou, général en chef, au général Berthier, ministre de la guerre

Je suis on ne peut plus sensible, mon cher Berthier, aux témoignages de bonté et d'intérêt que m'a fait donner le premier consul. Dites-lui bien, et je m'en rapporte totalement à votre amitié à cet égard, qu'il peut compter sur mon dévoûment absolu et sur celui de la grandissime majorité de l'armée, pour seconder ses vues sur la conservation de l'Égypte. Quelques individus qui auraient dû donner l'exemple de ce dévoûment et d'attachement à la chose publique, ont voulu exciter des mouvemens; mais nos braves vétérans, qui ne connaissent que la voix de l'honneur et de la patrie, ont été sourds à toutes leurs insinuations. Au reste, si vous voulez bien connaître, mon cher Berthier, tous les projets qu'avaient ces ennemis de la chose publique, faites-vous représenter le no. 1017 de la gazette de France, en date du quintidi, 5 vendémiaire an 9, article Allemagne; vous y trouverez le plan de tout ce qu'ils voulaient faire. Cette gazette m'a été adressée de France je ne sais par qui. Il paraît que ceux qui veulent remuer en Égypte, avaient trouvé le moyen de faire passer en Europe leurs projets, afin de savoir s'ils y trouveraient des partisans. Au total, soyez bien assuré que rien ne me dérangera de ma ligne; je ferai tête à tous les orages, et saurai les conjurer. D'ailleurs, ainsi que je vous l'ai dit, l'armée se conduit à merveille; vous pourrez entrer dans tous les détails à cet égard avec celui qui vous remettra cette lettre. (C'est le citoyen Costas.)

Vous avez donc repris les rênes du ministère, mon cher Berthier; vous êtes prompt et actif comme la foudre. On vous voit tantôt à Marengo, tantôt en Espagne, un instant après dirigeant les opérations militaires dans les bureaux de la guerre; toutes ces différentes missions sont confiées à d'excellentes mains.

Adieu! Rappelez-vous quelquefois du vieux soldat qui commande l'armée d'Orient; il vous a voué amitié franche et attachement inviolable.

Abdallah Menou.

(№ 9.)

Au quartier-général du Caire, le 8 ventôse an IX
(27 février 1801).
Menou, général en chef, au général, Bonaparte, premier consul de la République

Citoyen Premier Consul, j'ai l'honneur de vous offrir, au nom de l'armée d'Orient, des administrateurs, des savans et des artistes, l'hommage de leur respectueuse reconnaissance pour l'intérêt que vous voulez bien leur témoigner. Si quelque motif pouvait augmenter leur dévoûment pour la république, leur attachement pour le premier consul, et leur résolution de faire tous les sacrifices pour l'intérêt de la patrie, ce serait sans doute les éloges que vous avez bien voulu donner à leur conduite, dans le projet de décret envoyé le 19 nivôse au Corps Législatif.

Quant à moi personnellement, citoyen Premier Consul, je n'ai d'autre mérite que de marcher sur vos traces. Vous avez conquis l'Égypte, vous y avez ensuite tout organisé. Ce qui ne l'était pas définitivement, vous l'avez indiqué. Quant à la conservation du pays contre tout ennemi venu ou à venir, elle n'a été et ne sera due qu'à la valeur indomptable des troupes. Marchent-elles à l'ennemi, le général qui a l'honneur de les commander, n'a presque autre chose à faire que de les suivre. Vous leur avez appris à vaincre; mais, citoyen Premier Consul, ce qui rendra cette expédition à jamais mémorable, c'est le cortége de sciences qui environne l'armée; vous avez voulu que la civilisation et les arts fussent portés dans l'Orient, en même temps que la France y fondait une colonie. Tout aura son exécution. Alexandre aussi conduisit de savantes masses, lorsqu'il en fit la conquête avec sa fameuse phalange. Callisthènes trouva des monumens astronomiques dans le temple de Bélus à Babylone. Nos savans en ont trouvé à Denderah et Esnëh; ceux d'Esnëh et de Denderah passeront à la postérité, après avoir opéré une célèbre révolution dans le monde savant; ils vieillissent l'univers de plusieurs milliers de siècles. Salut et respect.

 
Abdallah Menou.

(№ 10.)

Alexandrie, le 17 juin 1801.
Au citoyen Chaptal, ministre de l'intérieur

Citoyen Ministre,

J'ai l'honneur de vous prévenir que le bâtiment qui portait la troupe de comédiens destinés pour l'Égypte a été pris par les Anglais, à peu de distance d'Alexandrie. Je dois vous remercier du soin que vous aviez bien voulu prendre de faire former cette troupe, qui devait contribuer à policer les habitans du pays, et à leur faire naître du goût pour les arts.

La corvette l'Héliopolis est entrée le 20 de ce mois dans le port vieux d'Alexandrie. Elle a été vivement poursuivie par les vaisseaux de l'armée ennemie, qu'elle a traversée. Elle a apporté plusieurs objets d'utilité majeure pour la colonie, et dont le rassemblement est dû à vos soins. Je vous offre, citoyen Ministre, l'hommage de la reconnaissance de l'armée d'Orient.

Il y a aujourd'hui trois mois et onze jours que les Anglais sont débarqués en Égypte. Ils n'ont encore rien osé entreprendre d'important contre la ville d'Alexandrie, qui est entourée de retranchemens formidables.

Les Turcs, qui nous ont attaqués du côté de la frontière de Syrie, viennent d'être battus deux fois de suite. Le grand-visir commandait en personne à la seconde bataille. Les Anglais viennent aussi d'être battus à Embabëh, à peu de distance du Caire; je n'ai pas encore de détails; mais les Anglais qui sont sous Alexandrie conviennent eux-mêmes que la perte a été très considérable. Il paraît que leur nouveau général en chef y a été tué.

Citoyen Ministre, l'armée d'Orient se battra jusqu'à la mort pour sauver une colonie qui, sous tous les rapports, serait une des plus belles propriétés de la France. Le commerce deviendrait un des plus florissans qui aient jamais existé, et Alexandrie serait encore une fois une des premières villes du monde. Quant aux sciences, je n'ai pas besoin de vous en parler, c'est votre domaine, et vous savez mieux que moi, citoyen Ministre, combien l'Égypte peut contribuer à leurs progrès.

Salut et respect.

Abdallah Menou.

(№ 11.)

Alexandrie, 19 juillet 1801.
Le général en chef de l'armée française d'Orient, à sir Sidney Smith, commandant une division de l'armée navale anglaise

Je vais, monsieur, répondre franchement et loyalement à la note que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser en date du 16 juillet 1801.

Vous dites, monsieur, que vous avez vu l'ordre du jour du 24 messidor; je dois commencer par vous féliciter d'avoir une correspondance sûre à Alexandrie, ce qui vous met à même de savoir ce qui s'y passe. Quant à moi, je n'ai pas le même bonheur; je n'ai jamais lu ni vu un seul ordre du jour de l'armée anglaise, et je vous déclare même que je n'ai pris aucun moyen de me le procurer, soit directement, soit indirectement.

Vous vous plaignez d'avoir trouvé dans cet ordre votre nom placé mal à propos, et d'une manière injurieuse. Je n'ai jamais eu, monsieur, de motif pour vous injurier. Ce mot même ne convient ni à vous ni à moi; mais j'ai dû être infiniment étonné d'apprendre que sir Sidney Smith, officier très distingué dans l'armée anglaise, se permît de venir causer avec les avant-postes de l'armée française, ou même avec les vedettes et officiers de ronde; car franchement, monsieur, que doit-on conclure de semblables conversations? Ou elles ont un but, ou elles n'en ont point. Si elles ont un but, elles sont dangereuses pour me servir du mot le plus honnête. Si elles n'en ont point, elles sont inutiles. Vous avez trop d'esprit pour ne pas tirer toutes les conséquences possibles de ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire. D'ailleurs, permettez-moi de vous rappeler certain envoyé qui vint de votre part, il y a à peu près un an de Syrie au Caire. Je crois qu'il se nommait Wright. Avec beaucoup de politesses il offrit de l'argent à plusieurs soldats qui le refusèrent avec peut-être un peu de rudesse. Il s'apitoyait très honnêtement sur leur sort, et leur disait qu'il ne tenait qu'à eux de retourner en France. C'était le synonyme de les engager à se déshonorer.

Votre conversation portait, dites-vous, monsieur, lorsque vous vîntes au camp, sur les derniers événemens. Desquels voulez-vous parler? Est-ce de la honteuse capitulation qu'a signée au Caire une partie de l'armée d'Orient? Elle est heureuse pour les Anglais; elle est infâmante pour les Français. Vous-même, sir Sidney Smith, je vous fais juge de la question, et je vous somme, au nom de l'honneur, de me répondre catégoriquement. Que penseriez-vous, que penserait votre général en chef, que penserait votre roi, que penserait votre parlement, que penserait la nation anglaise, si une portion d'une de vos armées avait fait ce que vient de faire au Caire une portion de l'armée française d'Orient? Je ne vous ferai pas le tort de douter un seul instant de votre réponse.

La conversation se portait encore, dites-vous, sur le désir qu'a chacun de voir terminer une lutte pénible pour tous, et trop long-temps prolongée. J'aurai encore l'honneur de vous demander, monsieur, si par là vous entendez parler de la lutte générale entre la France et l'Angleterre, ou seulement de la lutte particulière en Égypte. Si c'est de la première, cette question n'est pas de ma compétence; elle appartient tout entière à nos gouvernemens respectifs. Je me permettrai seulement de dire à cet égard que je donnerais la moitié de mon existence pour la voir terminée, et je suis certain, en vous parlant ainsi, de penser comme le premier consul, toujours grand et infiniment au-dessus de la politique vulgaire. Je sais même que la paix ne dépend que de l'Angleterre, et que le premier consul n'a voulu faire que des propositions également honorables pour les deux nations.

Si c'est de la lutte particulière en Égypte que vous avez voulu parler, oserais-je vous demander pourquoi vous êtes venus la commencer? Mais si vous avez cru de votre intérêt de venir nous attaquer, et de terminer promptement, pourquoi ne voulez-vous pas croire que ceux des Français qui ne sont pas mus par des passions déshonorantes, aient pensé, par la même raison que vous, qu'il était de l'intérêt de la république de se défendre avec opiniâtreté, et de prolonger la lutte?

Soyez donc juste, monsieur; c'est là tout ce que vous demande celui qui a l'honneur de commander l'armée française.

Au reste, monsieur, vous devez savoir par vous-même, puisque vous y étiez présent, et les rapports de vos généraux en font foi, que si, à l'affaire du 30 ventôse, tous les Français eussent été dirigés par l'honneur, les Anglais ne seraient plus aujourd'hui en Égypte, et la lutte aurait été promptement terminée, ainsi que vous paraissez le désirer. Ce n'est pas, monsieur, je le proteste hautement, que je veuille jeter quelques nuages sur la valeur de l'armée anglaise. Le 30 ventôse, deux nations belliqueuses combattaient l'une contre l'autre: il fallait bien que la fortune se décidât en faveur de l'une des deux; et de fait, ainsi que le disent vos généraux, elle se serait décidée pour les Français, si tous avaient fait leur devoir.

Je dois encore vous ajouter, monsieur, que si un événement tellement extraordinaire, tel que la postérité ne voudra pas y croire, ne fût pas arrivé au Caire, vos troupes, et celles des deux officiers de la Porte ottomane, se seraient morfondues et détruites devant cette place, sans pouvoir l'entamer. D'après tout ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire, convenez donc qu'il était extrêmement naturel que j'eusse quelque défiance de votre promenade devant le camp français, et que je cherchasse à prévenir les troupes que je commande contre des insinuations qui pouvaient avoir lieu, surtout après l'événement du Caire. Je ne crois pas, monsieur, qu'il soit arrivé à aucun général français d'aller faire de semblables conversations avec les avant-postes anglais. Je vous déclare que je ne l'eusse pas permis.

Vous vous plaignez, monsieur, que je vous ai attaqué en votre absence et avec la plume, quand j'ai dit qu'on ne devait s'attaquer que le sabre à la main; quant à votre absence, monsieur, je ne la connaissais pas, puisque vous étiez au camp, et que vous le déclarez vous-même; quant à la plume, il m'était difficile de me servir d'une autre arme. Au reste, monsieur, à moins que le sort de la guerre n'en décide autrement, nous ne serons pas toujours en Égypte, vous et moi, et alors je chercherai à mériter votre estime de près comme de loin.

Je ne connais point, monsieur, les petites passions, ou les fausses impressions, qui, m'assurez-vous, dictèrent le fameux ordre du jour du 30 germinal devant Acre, ainsi que les notes qui furent ajoutées à la narration du général Berthier. Je n'ai jamais lu cet ordre du jour; je n'en ai entendu parler que très vaguement, et je ne me mêle jamais de ce qui ne me regarde pas. Quant à moi, je déclare que je n'ai d'autre passion qu'un attachement inaltérable pour ma patrie et pour l'honneur, ainsi qu'un désir bien vif de mériter l'estime même des ennemis que les circonstances de la guerre me forcent à combattre.

Je ne sais, monsieur, si on ne se battra plus qu'une bonne fois pour toutes, ainsi que vous le dites, après quoi, ajoutez-vous, on finira par ne plus s'attaquer en aucune manière, et l'on vivra en paix et en bonne intelligence.

Si c'est encore, je le répète, de la guerre générale que vous me parlez, je le désire de toute mon âme. C'est le vœu de tout homme qui pense, et qui chérit l'humanité. Je me permettrai encore de vous dire que cela, suivant moi, ne dépend que de l'Angleterre.

Si c'est de l'Égypte que vous voulez parler, je dois vous assurer, monsieur, que les troupes françaises qui sont à Alexandrie, ne se conduiront pas comme celles du Caire: elles soutiendront leur réputation avec d'autant plus d'énergie qu'elles auront à lutter contre des généraux et des troupes faites pour être estimées sous tous les rapports.

Dans toute autre circonstance, monsieur, je n'aurais peut-être pas répondu à une lettre qui n'est que sous la forme d'une note; mais ici les circonstances sont telles que tout devient extrêmement intéressant, et qu'un jour tout ce qui s'est passé en Égypte devra être rendu public, parce que, sous tous les rapports, il faut que la vérité soit connue.

J'ai d'ailleurs saisi avec d'autant plus d'empressement, monsieur, l'occasion de vous témoigner mon estime, que j'ai su parfaitement, dans le temps, que c'était vous qui aviez averti avec beaucoup de loyauté le général en chef mon prédécesseur, que la capitulation d'El-A'rych allait être rompue, et qu'il devait prendre ses précautions.

J'ai l'honneur.

Abdallah Menou.

(№ 12.)

Caire, le 25 thermidor an VIII (13 juillet 1800).
Au général en chef Menou

Chacun, dans ce bas monde, suit, sans s'en douter, le chemin bon ou mauvais que le destin lui prescrit. Les uns font des conquêtes, les autres font des souliers; les uns font des constitutions, les autres font des enfans, des arrêtés, des processions, des tableaux, etc.; moi, citoyen Général, je fais des projets; c'est ma partie: de même que l'immortel Raphaël a placé le Père éternel, coiffé de son triangle équilatéral, au haut du firmament, pour juger les mortels; moi, je me place souvent de moi-même au-dessus du monde physique et moral. Là, du néant où le hasard m'a plongé depuis quelques années, je travaille tout à mon aise; et, si quelque obstacle ose s'opposer à mon pouvoir suprême, mon imagination le surmonte bientôt. Quelle belle chose que l'imagination! combien elle fait d'heureux! autrefois je l'étais; par elle je me figure l'être encore. Cette jouissance vaut bien la première, pour un philosophe qui n'a point su définir le bonheur.

 

Je pris la liberté de vous proposer dans le temps, citoyen Général, de contenir pour toujours l'Égypte par les effets contraires du fanatisme de ses habitans: vous n'avez cessé de rire de cette idée, qui aurait, dites-vous, fait crucifier Crébillon; mais vous rirez peut-être bien davantage, lorsque, dans un mémoire raisonné d'après toutes les règles de la logique et de l'hydraulique, sans autre dépense pour le gouvernement que cinq cent mille livres une fois payées, dix hommes par village, à mes frais pendant dix ans, cent quintaux de poudre par trimestre, et un brevet de folie, que déjà tout le monde m'accorde gratuitement, je rendrai le Nil si docile à vos ordres, que vous pourrez alors lui faire arroser, à votre bon plaisir et dans les divers temps de l'année, tous les terrains, même les plus élevés de l'Égypte. Cet ouvrage, digne des temps les plus reculés de ces contrées fameuses, procurera annuellement une inondation également bonne, en centuplant au moins la surface cultivable de l'Égypte. Je vous demande dès à présent, citoyen Général, la propriété des déserts que je rendrai cultivables. Cette marque de bonté de votre part me servira de stimulant nécessaire au travail qu'il me reste à faire encore, pour porter cette idée sublime à la perfection que je voudrais lui donner avant de la soumettre à votre approbation. Mais, comme je ne désire être riche que pour embellir l'Égypte, les revenus des déserts rendus comme ci-dessus à l'agriculture, seront par moi employés à l'édification de la nouvelle ville française.

À Batn-el-Bahra, deux mille toises environ au nord de l'angle sud du Delta, s'élèveront les murs de cette ville; sa droite défendue par la branche orientale, sa gauche par la branche occidentale du Nil. Un canal de soixante pieds de largeur sur trente de profondeur, apportera dans le centre de cette ville magnifique les productions du milieu de l'Afrique, que l'entière liberté de plus de mille lieues de navigation de ses fleuves y amènera sans cesse. Cette ville recevra dans son sein les marchandises de l'Europe et de l'Asie par deux autres canaux, qui, dérivés du premier ci-dessus au centre de la ville, aboutiront à la branche de Rosette et de Damiette. Les richesses de tout l'univers seront ainsi conduites par eau jusque dans les divers quartiers de cette ville unique: elles y seront vendues et expédiées par toute la terre. Deux superbes ponts, aboutissant chacun à un faubourg au-delà des deux branches du Nil, seront défendus par de bons ouvrages. Ils éloigneront ainsi toute hostilité de la ville centrale, qui, de trois côtés, sera ainsi rendue imprenable. Quant à son front vers le Delta, il offrira une longue ligne droite flanquée de bastions et autres ouvrages, dont les feux seront tellement croisés sur les approches, qu'il sera impossible à des assiégeans de la pénétrer.

Cette ville opulente couvrira bientôt les campagnes voisines de toutes les beautés que l'art et la nature s'efforceront à l'envi de produire. On y verra s'élever, comme par enchantement, des palais magnifiques, dont le Bédouin hideux ne pourra que convoiter les richesses; des jardins vastes et délicieux, des routes, des canaux plantés d'arbres de toute espèce. Là, sous un ciel toujours pur, et à l'ombre de bosquets verts et impénétrables aux ardeurs du soleil, les petites maîtresses de Paris que les affaires de commerce de leur maison, ou mille autres motifs, amèneront en Égypte, oubliant les plaisirs bruyans et passagers de la France, s'abandonneront aux charmes réels et constans de la douce volupté orientale, que l'influence des mœurs et du climat leur fera bientôt préférer: et si elles deviennent par la suite des épouses fidèles et laborieuses; si, entièrement occupées de l'intérieur de leur harem, elles écartent d'elles-mêmes tous les vices séducteurs, qui font en Europe la peste des familles, cette heureuse régénération du sexe français sera due au séjour charmant de Ménopolis.

Mais, citoyen Général, c'est, comme on le dit quelquefois fort élégamment, attacher la charrette avant les bœufs. Avant que vous soyez maître d'ordonner l'inondation du Nil, avant que moi-même j'élève les murs de la superbe Ménopolis, nous devons chercher à rendre la conquête de l'Égypte profitable à la patrie, soit que la paix générale nous assure ou nous prive de cette belle colonie.

Si elle nous l'assure, vous aurez vous-même, je l'espère, citoyen Général, le bonheur de la conduire à cet état de splendeur que votre patriotisme, vos lumières, et même un sentiment de commisération pour ces pauvres Égyptiens, promettent déjà à leur pays, digne d'un meilleur sort. Comme les ressources naîtront alors sous vos pas, et que tout nous prouve à présent que vous saurez bien en profiter à cette heureuse époque, je crois superflu de hasarder ici mes opinions particulières sur les moyens de porter cette colonie au plus haut point d'utilité pour la métropole.

Mais si la malheureuse Égypte, ou plus encore, si ses malheureux habitans ne doivent être considérés à la paix générale que comme un pur objet d'échange, et que nous soyons obligés de sortir d'ici; comme nous connaissons actuellement trop bien ce pays pour ne pas chercher à le revoir en son temps, je suis persuadé que la France l'aura alors ou de gré ou de force. Dans cette hypothèse, il serait très important d'y laisser un parti puissant, qui pût s'y maintenir armé pour y entretenir notre influence politique et commerciale, et seconder enfin les Français d'un côté, tandis qu'ils l'attaqueraient de l'autre.

Mais comment trouver ce parti? En quels lieux et comment pourrait-il se maintenir en force?

Ce parti est tout trouvé; il n'y a plus qu'à presser son organisation. L'Égypte, si on doit l'abandonner à la paix, ne pouvant retourner qu'à ses anciens maîtres, ils y extermineraient par vengeance ou par fanatisme toutes nos créatures. La sédition du Caire n'a que trop bien prouvé leurs sentimens sanguinaires; tous ceux qui ont à craindre leur retour en sont si persuadés, qu'ils deviendraient plutôt soldats contre eux que de s'exposer à leur ressentiment barbare. Il ne faut donc plus que seconder loyalement leurs généreux efforts, pour en recueillir nous-mêmes tous les avantages et les préserver ainsi de l'horrible boucherie dont toute la honte rejaillirait sur la France, si, comme on allait le faire, ces malheureuses victimes de leur dévoûment aux Français, pour prix des services qu'ils leur ont rendus, allaient par nous être livrées aux vengeances, aux haines particulières que nous avons suscitées, en un mot, au fanatisme général qui animera pour toujours les Osmanlis gouvernans, contre nos amis malheureux et abandonnés. Le voilà donc ce parti.

En quels lieux et comment pourrait-il se maintenir en force? Ceci est très simple: il n'a qu'à abandonner le midi de l'Égypte, et aller ainsi renforcer Mourâd-Bey, qu'un traité d'alliance nous oblige de soutenir en cas d'évacuation. Fort de ses mameloucks et de nos auxiliaires, que le séjour des Français en Égypte aguerrira toujours plus, il ne tardera pas d'en chasser les Osmanlis et de s'en rendre totalement maître. Dès-lors nos auxiliaires, par un traité secret conclu avec lui, seront considérés par Mourâd-Bey dans le Saïd, comme nous-mêmes nous l'y considérons aujourd'hui. Ils le tiendront, en quelque manière, dépendant de la France par le besoin qu'il aura d'en être étayé; ils maintiendront ainsi notre influence politique et commerciale dans ces contrées que d'autres puissances jalouses nous enlèveraient bientôt, si Mourâd gouvernait seul l'Égypte. Il est trop fin sans doute en ce moment pour ne pas paraître entièrement dévoué à nos intérêts tant qu'il devra nous craindre, ou attendre de nous sa réintégration définitive; mais qui peut nous répondre de lui, lorsque se voyant étayé par des alliances qu'il trouvera aisément contre nous, nous serons loin de lui et hors d'état de lui nuire?

Soutenir comme ci-dessus l'indépendance de nos créatures en Égypte, pour y conserver l'influence de la France et nous ménager ainsi des moyens faciles d'y rentrer, tels sont, citoyen Général, les avantages que vous pouvez aisément procurer de vous-même à la République, si, à la paix générale, elle doit renoncer à ce pays. Ceux qu'elle pourra obtenir en traitant elle-même son évacuation, et qui doivent être très considérables, ne peuvent plus se négocier qu'entre les puissances belligérantes, qui seules peuvent et doivent avoir ce droit. C'est une vérité hardie, qu'il était réservé à vous seul, citoyen Général, de proclamer à l'armée, à une époque difficile et mémorable, où moins de sagesse, de caractère et de dévoûment en son chef eût pu la perdre sans ressource.

J'ose donc, citoyen Général, appeler toutes vos sollicitudes sur l'augmentation, l'instruction militaire et l'armement de nos auxiliaires d'Égypte. Déjà par vos ordres, ils se rallient à un chef qui, soldat, prodigue, et français plus qu'aucun des scribes ses confrères, a manifesté son courage et ses talens en combattant avec nous pour la conquête du Saïd. Sans cesse entouré de dangers pour nous servir, il brave en ce moment les menaces des habitans du Caire, qu'il contraint d'expier leur révolte; il est revêtu de l'entière confiance des siens; comme eux il est issu de ces anciens Égyptiens qui étonnent encore l'univers par leurs monumens: quels souvenirs ces monumens rappellent! Quelles lumières! Quelle politique! En un mot, quelle civilisation ces pyramides, ces temples, ces lacs, ces canaux, annoncent chez les peuples qui les imaginèrent! Mais, ô vicissitude des temps! des hommes, maîtres de toute la terre sous le grand Sésostris, sont méconnaissables dans leurs descendans. Le Cophte, avili, abruti même par des milliers d'années d'esclavage, n'a su jusqu'ici que ramper servilement aux pieds de ses maîtres, sans cesse renaissans pour lui; mais si les Perses, les Grecs, les Romains, les Turcs, furent des tyrans barbares et fiers, les Français, dont la philosophie sait apprécier la dignité de l'homme, seront pour eux des vainqueurs généreux; et si des circonstances majeures font qu'on doive pour un temps les abandonner, ce ne sera qu'en les mettant à même, comme je l'ai dit ci-dessus, de pouvoir se garantir contre de nouveaux possesseurs sanguinaires et fanatiques, qui, en exterminant même par le conseil de leurs alliés, nos auxiliaires d'Égypte, rassureraient leurs craintes, en détruisant nos vues politiques sur ce pays.

35Dénomination sous laquelle on désignait Thibaudeau.