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Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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C'est devant cette position que nous avons échoué le 30 ventôse.

Le plan d'attaque, excellent en lui-même, avait été insinué au général Menou par son chef d'état-major, qui avoua ingénument au général Lanusse, l'incapacité du général en chef et la sienne propre, en semblable occasion. D'après cette confidence, le plan d'attaque, conçu par les généraux Reynier et Lanusse, avait été remis au général Lagrange. Le général en chef soudain le rédige en ordre du jour, et les généraux le reçoivent à dix heures du soir, la veille de l'affaire. Nous eussions certainement eu l'avantage, malgré notre infériorité, sans la perte du brave général Lanusse, et sans le général en chef, qui, pour toute manœuvre, fit charger la cavalerie avant le jour sur des redoutes entourées de fossés, situées sur des mamelons presque à pic, et en détruisit ainsi les deux tiers. Après avoir laissé pendant deux heures les troupes exposées à un feu des plus meurtriers, sans prendre le parti d'organiser une nouvelle attaque, comme le général Reynier le lui proposa plusieurs fois, ou de se retirer, s'il ne voulait pas tenter ce moyen, le général en chef retourna dans Alexandrie, sans ordonner la moindre disposition pour placer l'armée, qui prit d'elle-même sa position.

En même temps qu'Abdallah, par les calomnies les plus absurdes, s'efforçait de ternir la réputation du général Reynier, l'armée, moins aveuglée par les intrigues que certaine de l'incapacité de son chef, se persuada que le général Reynier était lieutenant-général. On n'a pas su quelles pouvaient être les causes de cette persuasion, commune à toutes les armes; ce qu'il y a de très sûr, c'est que ce fut le bruit général parmi les troupes: il fait autant d'honneur à celui qui en est l'objet qu'à leur discernement. Villars fut aussi nommé lieutenant-général par ses soldats.

Si les généraux n'avaient pas pris le parti d'opposer aux tracasseries journalières de Menou le mépris qu'inspire sa personne, s'ils daignaient réfuter les inculpations extravagantes que, pour couvrir son crime, il a la maladresse de chercher à leur appliquer, il ne leur serait peut-être pas difficile de le convaincre de la plus noire perfidie. En effet, qu'on réfléchisse à sa conduite depuis que l'ancienneté l'a placé au premier poste de l'armée, au soin qu'il a constamment pris de la diviser, d'acheter les suffrages de plusieurs vils intrigans, par des qualifications et par des grades; on le verra laissant dépourvues d'approvisionnemens les places les plus importantes de l'Égypte, celles qui pouvaient se trouver exposées aux premières attaques des ennemis; négligeant de monter quatre cents hommes de notre cavalerie qui languissaient à pied dans les dépôts de Boulac; refusant de compléter le nombre de dromadaires nécessaires au régiment, pour l'achat desquels le chef de brigade Cavalier lui proposait de faire, au nom de son corps, l'avance de 20,000 fr.; donner l'ordre de faire couper les chevaux d'artillerie, exécuté peu de temps avant le débarquement; on le verra, prévenu de mille manières d'une invasion ennemie, loin de chercher à s'y opposer ou à s'en garantir, retirer les troupes des côtes et les faire remonter au Caire sans autre but apparent que celui de se faire des créatures et d'intriguer dans tous les corps à la fois; on le verra (entièrement opposé à la prudence du premier chef de l'armée d'Orient, qui, en thermidor an VII, présentait aux Égyptiens la descente des Osmanlis à Aboukir comme une invasion moscovite) annoncer dans une proclamation à ses frères les musulmans, l'arrivée d'une flotte de cent cinquante voiles, et d'une armée mahométane; retardant (sous le vain prétexte d'organiser un meilleur mode d'impositions) la rentrée du miry pendant les trois mois qui ont précédé le débarquement, et enlever ainsi au trésor public une ressource de trois millions; s'efforçant de hâter la destruction de l'armée en la disséminant, ne la réunir qu'à regret, et se priver comme à dessein des moyens d'artillerie qu'il était en son pouvoir d'employer pour foudroyer les ennemis, etc.; voilà des faits qu'attestera toute l'armée, des faits qui prouvent à l'évidence, ou l'ineptie la plus profonde ou la plus coupable trahison. Qu'à la suite de ce tableau révoltant d'opérations dont il est des milliers de victimes, on se rappelle les vociférations de l'Angleterre, qu'on se souvienne que l'armée d'Orient, cette armée perfide, doit servir d'exemple au monde, et l'on sentira que M. Dundas ne pouvait trouver un meilleur exécuteur de ses volontés, qu'il ne peut trop payer une si entière soumission à ses désirs.

Le visir n'arriva que le 20 germinal à Salêhiëh, il s'est depuis avancé à Belbéis, où il s'est retranché. Des canonniers anglais servent son artillerie, et des ingénieurs dirigent ses ouvrages. Le général Belliard a vainement sollicité le général en chef de lui donner le moyen d'aller l'attaquer; ce n'est que le 27 floréal que la retraite du corps de Rahmaniëh (pris le 19 par les Anglais et les Turcs, qui avaient débarqué dans le commencement de germinal, au nombre de cinq mille, à la Maison Carrée) lui fournit les moyens de partir du Caire pour marcher contre le visir. Il est douteux qu'il ait réussi.

Si la conduite de Jacques Menou pouvait inspirer autre chose que l'indignation, on serait tenté de sourire de pitié en le voyant, au milieu de ses revers, prodiguer des grades aux individus marquans dans l'armée par leur ignorance ou leurs bassesses. Les lieutenans-généraux Friant et Rampon, les généraux de division Robin, Destaing, Zayoncheck, les généraux de brigade Darmagnac et Delzons sont autant de soliveaux dont s'étaie le général Menou pour prévenir une chute qu'il redoute, mais qu'il ne saurait éviter.

Je ne doute pas que le premier consul ne prononce sur cette affaire importante de manière à satisfaire pleinement l'honneur de l'armée et celui des généraux. Le jugement de Latour-Foissac, appliqué au général Abdallah Menou doit encore se considérer comme une faveur.

Il suffit de connaître les troupes de terre anglaises pour sentir à quelle humiliation est réduite l'armée d'Orient.

Un Zayoncheck!.. connu par ses brigandages dans la Haute-Égypte, dont le seul mérite est d'avoir flatté la haine atroce de Menou, en lui répétant qu'au lieu d'inhumer le général Kléber on eût dû l'exposer à une potence pour servir de pâture aux oiseaux de proie!.. un Destaing, dont la rapacité a porté au-delà de 200,000 fr. le fruit de ses concussions!.. voilà quels sont les chefs actuels de l'armée d'Orient, les conseillers intimes du cabinet d'Alexandrie; voilà les nobles soutiens de cette morale qui découle abondamment de la plume du baron de Menou; mais qui ne purifia jamais son cœur infecté de crimes.

Les quatre combats qui ont précédé notre départ ont pu coûter à l'armée trois à quatre mille hommes hors de combat, tandis qu'une seule affaire, qui ne nous eût peut-être pas enlevé quinze cents hommes, aurait suffi pour anéantir l'armée anglaise et conserver l'Égypte à la France. Il est évident que si, au lieu de disséminer l'armée et d'agir avec autant de lenteur, on l'eût rassemblée, comme cela était possible, le 20 à Aboukir, 10,000 hommes d'infanterie, dix-sept cents chevaux, et soixante pièces de canon, eussent triomphé des troupes anglaises, qui ne venaient pas sans effroi combattre une armée couverte de gloire, et dont le nom seul inspirait à nos ennemis l'admiration et la crainte.

Personne mieux que le général Menou, n'avait une plus belle occasion de se faire en un moment, et à moins de frais, une réputation brillante, égale à celle de nos généraux les plus illustres. Quand on compare la situation de l'armée à l'époque où il l'a perdue par son ignorance ou sa perfidie, avec celle où le général Bonaparte, malgré ses faibles moyens et le découragement des troupes, triompha d'une armée d'Osmanlis, l'élite des milices ottomanes, c'est alors que, convaincu de la possibilité de repousser une invasion ennemie, on sent plus vivement la perte que fait la France, et qu'on déplore la honte que le général Menou déverse sur cette brave armée.

C'était peu que le général en chef abreuvât de dégoût les généraux qui se trouvaient en butte à ses intrigues. Il a encore répandu contre eux les calomnies les plus atroces. On l'a vu, s'efforçant de leur ravir l'estime et la confiance que leur accordent les troupes, tenter d'insinuer dans l'armée que le général Damas avait vendu l'Égypte à l'Angleterre, de concert avec le général Kléber; que le général Reynier faisait le commerce des grains avec le grand-visir, etc.; les généraux Belliard, Lanusse, Daure, ne sont pas plus épargnés. Le lendemain de notre arrestation, il faisait circuler dans le camp qu'on avait saisi sur les généraux embarqués, trois millions avec lesquels on allait payer l'arriéré de l'armée, et en même temps il offrait à un aide-de-camp resté à Alexandrie, de l'argent pour payer les dettes que le général Reynier y avait laissées.

Pourras-tu croire que, pendant un an, Jacques Menou n'ait pas quitté le Caire pour aller inspecter les côtes ou les forts de l'Égypte? que tandis que son armée agit dans l'intérieur, il soit sur la place d'Alexandrie, occupé à rédiger ses ordres du jour et ses plates proclamations! Cesse de t'étonner, mon cher Savary; apprends que le général Menou veut se conserver pour la France, à laquelle il espère rendre encore d'aussi éminens services. À l'affaire du 30, quoique toujours hors de portée du canon, il avait auprès de lui un aide-de-camp chargé seulement de veiller à sa sûreté. Général, lui disait-on, vous êtes aperçu; on tire sur vous; et le général en chef de l'armée d'Orient allait prudemment s'abriter derrière ses lignes.

Toutes les personnes qui jouissaient de l'estime du général Bonaparte et du général Kléber sont tombées en discrédit auprès du général Menou; témoins les généraux Belliard, Morand, Bertrand, Daure, l'ordonnateur de la marine Leroy, l'ordonnateur Laigle, qui, tout récemment, vient d'être suspendu de ses fonctions par un de ses caprices. Malheur à celui qui réclamerait la sauvegarde des lois: elles sont nulles à ses yeux. Un chef d'escadron du 15e, officier très estimé, est détenu depuis trois mois dans un fort, pour avoir émis son opinion sur le compte du général en chef: il se trouvait à Rahmaniëh avec trois ou quatre officiers de la 85e, un d'eux à la solde du général Menou, tenta de rejeter sur le général Reynier et sur le général Lanusse la perte de la bataille du 30. Cet officier, certain du contraire, impose silence à l'espion en lui disant qu'il ne souffrirait pas qu'on parlât ainsi devant lui des généraux qui jouissaient de la confiance de l'armée; le mouchard, fidèle à ses instructions, le dénonça à Menou, qui le fit arrêter pendant la nuit, et le retient au fort triangulaire.

 

Le même système de terreur qui dévasta la France en 1793 existait en Égypte à l'époque de notre départ. Des espions sont répandus dans tous les corps de cette malheureuse armée, et le général en chef correspond directement avec eux, les soudoie et les récompense par des grades; les dénonciations, les arrestations se renouvellent chaque jour, et rien n'est plus commun que la menace de vous faire fusiller. Enfin, par une subversion effrayante de tout esprit militaire, de tout principe de société, on a vu le chef de brigade d'un corps de l'armée se glisser furtivement la nuit près de la tente de ses propres officiers, recueillir leurs propos et leurs opinions, et désigner ensuite au général Menou les victimes de son infâme espionnage.

Qu'on ne s'imagine pas que le général Abdallah, en prostituant les grades dans son armée, ait eu l'intention de récompenser le mérite ou des actions d'éclat. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la plupart de ceux qui les occupent. Par un raffinement d'intrigues dont lui seul est capable, il a nommé généraux de brigade des chefs de corps qui le détestaient, pour leur substituer ses partisans, afin de changer en sa faveur l'esprit de ces demi-brigades. Cette raison l'avait engagé à enlever Maugras à la 75e; le brave Eppler est dans ce cas. Plein de mépris pour Menou, il voulut refuser un grade qu'il croyait au-dessus de ses forces, mais des menaces l'ont forcé d'accepter, et l'excellente 21e est devenue la proie d'un valet, d'un plat intrigant, d'une créature d'Abdallah.

Jacques Menou, en moins d'un an, a vomi en Orient assez de généraux pour composer l'état-major d'une armée de soixante mille hommes; deux lieutenans-généraux, quatre généraux de division, dix généraux de brigade, dont six en un seul jour; des adjudans-commandans et des officiers supérieurs, en proportion au moins double, composent le nouveau tableau de l'armée. Lorsqu'il reçut les brevets de Morand et du général Bertrand, il en fut presque scandalisé, et en témoigna son étonnement en pleine cour. En vérité, dit-il, le général Bonaparte n'y pense pas; il me donne des jeunes gens qui s'éloignent de moi, qui ne sont pas mes amis, plutôt que de confirmer de vieux officiers connus par leurs longs services. Le général Menou ne savait sans doute pas que ceux qui doivent leurs talens et leurs succès aux leçons, aux exemples de celui qui a sauvé la France, ne peuvent être les amis de l'ineptie et de l'intrigue; il ignorait que ceux qui servirent sous un héros n'obéissent qu'à regret à un jean f…

Tous deux, dans ces dernières affaires, se sont montrés dignes du choix du premier consul. Au combat de Rahmaniëh, Morand a déployé des talens et un courage dont les Turcs principalement ont eu beaucoup à souffrir. Au reste, quels que soient les déclamations et les mensonges de Menou, qu'on mette en balance les services continuels que les généraux qu'il calomnie ont rendus à la République pendant dix années de guerre et de succès, avec ceux de ce général perfide, avec sa déroute de la Vendée, sa lâche inaction devant une poignée de brigands parisiens, et l'on verra de quel côté doit être l'avantage. Que ceux qui furent de l'armée d'Orient se rappellent qu'au milieu des fatigues communes à ces généraux qu'il déchire, le général turc traînait dans son harem le poids de son inutile et lourde masse, qu'il ébranla enfin pour aller commander la Palestine, lorsque l'armée de Syrie revenait de son expédition; qu'on rapproche le caractère loyal et purement militaire de ceux-là, de l'esprit intrigant, astucieux et vil de celui-ci, et l'on verra si le pilier des antichambres de Versailles peut le disputer aux plus fermes soutiens de la gloire de leur pays.

Nous avons fait de bien grandes pertes: il en est d'irréparables; les généraux Lanusse, Roize et Baudot sont morts victimes de l'ineptie et de la lenteur de Menou; Baudot a été bien sincèrement regretté par nous tous; c'était un bien bon ami. Le général Reynier a été on ne peut pas plus sensible à la perte du brave général Lanusse; c'était un homme d'un grand caractère, doué d'une belle âme et d'excellentes qualités. Uni de sentimens et d'opinions au général Reynier, il s'est, on peut le dire, dévoué pour l'honneur de l'armée; car un seul mot dit au général en chef, qui le détestait et le craignait infiniment, lui eût procuré dans l'instant son passe-port pour la France, qu'il désirait revoir et où il eût été certainement employé par le premier consul; mais son attachement à l'armée, dont il voulait prévenir la ruine, et au général Reynier, l'a seul retenu en Égypte.

Peu de jours après l'affaire du 30, le général en chef craignant que (par suite de son imprévoyance) les magasins d'Alexandrie ne pussent pas suffire aux besoins des troupes, se détermine à faire sortir les bouches inutiles de cette place, aussitôt un ordre du jour: mais sur qui porte cette mesure? tu croiras peut-être qu'elle frappe les Turcs?.. Non, ces bouches inutiles sont vingt-cinq à trente Français, savans ou employés, qu'on arrache à la protection de l'armée, au milieu de laquelle ils étaient venus se réfugier, pour les exposer aux dangers d'une route pénible, et à la poursuite des Arabes, dont plusieurs ont été victimes.

Quelque temps avant l'arrestation du général Reynier, des officiers anglais, causant avec les nôtres aux avant-postes, leur dirent que le chef de brigade Clément, aide-de-camp du premier consul, avait été pris près du Marabou, et qu'il apportait le brevet de lieutenant-général au général Reynier; nous ignorons si cela a quelque fondement; je te prie de me le mander: ce bruit, qui circulait dans toutes les bouches, a surtout déterminé le général Menou à hâter son embarquement.

Ce que tu auras peine à croire, mon cher Savary, c'est qu'il puisse exister dans l'armée d'Orient des gens assez stupides pour faire une divinité de l'homme que je viens de te dépeindre. Il est vrai qu'il paie bien leurs adorations. Peu de jours avant l'apparition de la flotte anglaise, ces flagorneurs, certains que le propos lui serait rendu, assuraient à d'autres imbéciles qui les écoutaient de sang-froid, que la place de premier consul ne convenait à personne mieux qu'à Menou. Le général Bonaparte est bon militaire si vous voulez, disaient-ils, mais le général Menou, quel génie! quel administrateur!

Si quelque chose pouvait dédommager les généraux de se voir ainsi arrachés aux dangers, aux malheurs même d'une armée dont ils ont si long-temps dirigé les travaux et partagé les glorieuses fatigues, ce serait certainement la douleur et les regrets que leur ont témoignés les braves soldats, exécuteurs passifs de cette violence inouïe. Pour mieux s'assurer de leur obéissance, on leur avait déguisé cette expédition, en leur faisant prendre deux jours de vivres. Pouvaient-ils penser en effet que le général Menou ordonnât un crime à ces mêmes guerriers, auxquels Bonaparte et Kléber ne commandaient que la victoire.

Adieu, mon cher Savary; écris-moi souvent… Je t'embrasse.

P. S. Dans peu je compte t'envoyer un précis des opérations de l'armée d'Orient, en te développant les causes de ses malheurs. Le jour de la mort du général Kléber, jour doublement funeste à la France, le général Reynier eut avec le général Menou une vive discussion pour le commandement de l'armée, que refusait obstinément ce dernier, en protestant qu'il donnerait plutôt sa démission d'officier-général que d'accepter; ce sont ses expressions. Le général Reynier, qui ne connaissait pas alors le général Menou, s'opiniâtra de son côté à refuser un poste auquel il se croyait inférieur, et où l'appela constamment le vœu de l'armée. C'est là le seul reproche qu'il ait à se faire, et la source des désastres de cette même armée, qui condamne surtout en ce moment une modestie qui coûte cher à la France.

Au milieu des intrigues du général Menou, on s'étonne qu'il n'ait point eu l'adresse de se ménager les corps dont les suffrages peuvent avoir le plus d'influence. Le corps entier du génie, celui de l'artillerie, la Commission des arts, les membres de l'Institut, tous ont également à se plaindre, tous sont également vexés et maltraités par lui.

Le général Menou, dans ses rapports, a trompé indignement la bonne foi du gouvernement. Tout le bien qu'il se flatte d'avoir fait à l'armée, était le fruit des travaux du général Kléber. Il a écrit qu'il faisait construire des forts, creuser des canaux; qu'il envoyait des commissions au-delà de Sienne… Tout cela est faux, absolument faux; les preuves en existent, et seront, s'il le faut, mises au grand jour pour détromper la France entière abusée par ce vil scélérat.

Je ne finirais pas s'il fallait m'appesantir sur toutes les sottises de Menou; mais il est temps de terminer cette longue lettre; je désire que tu puisses la déchiffrer.

Ton Ami.

Nous sommes en ce moment au mouillage à Nice; nous devons faire la quarantaine à Toulon: je te prie de m'y adresser tes lettres.

Du 9 messidor an IX.

(№ 4.)

Au quartier-général du Caire, le 25 novembre 1800.
Menou, général en chef, au citoyen Carnot, ministre de la guerre

Citoyen Ministre, depuis que j'ai eu l'honneur de vous écrire, la position de l'armée du grand-visir n'a point changé; il est toujours de sa personne à Jaffa; de temps à autre, il fait faire quelque mouvement à une petite portion de troupes. Un détachement de cavalerie mameloucke et tartare est dernièrement venu jusqu'à Catiëh, à environ quinze lieues de nos avant-postes, qui sont à Salêhiëh. Il paraît que ce petit corps n'avait pour but que de faire quelque contrebande avec le canton de l'Égypte qui avoisine le lac Menzalëh. J'ai fait partir sur-le-champ le régiment des dromadaires, qui s'est porté rapidement à peu de distance d'El-A'rych, où il a enlevé à peu près deux cents chevaux ou dromadaires à une tribu arabe amie des Osmanlis; mais il n'a point vu de troupes de l'armée ottomane. Pour ajouter encore de la force à cet excellent régiment de dromadaires, je viens de lui faire donner deux pièces de canon de trois; chacune est attelée de quatre dromadaires, et douze autres portent leurs munitions et leur eau. Je vais les employer à chercher l'armée du grand-visir, et à lui enlever tous ses moyens de transport.

J'ai donné l'ordre de détruire le pont de Cantarah, à quatre lieues de Catiëh: il est situé sur un canal qui reste tellement bourbeux toute l'année, que rien ne peut y passer, surtout cavalerie et artillerie. Cette mesure obligerait le grand-visir, s'il voulait nous attaquer, à faire deux marches de plus dans le désert.

Il n'existe plus aucune croisière devant les ports d'Alexandrie et de Damiette. Il paraît, d'après les rapports les plus vraisemblables, que le capitan-pacha est toujours dans le golfe de Macri. Quant aux Anglais, leur marche m'est entièrement inconnue. Plusieurs bâtimens grecs entrent dans nos ports; mais ils savent peu les nouvelles, parce que comme ils viennent en contrebande, ils évitent tous les parages et îles où ils pourraient rencontrer les Turcs et les Anglais.

L'armée est dans le meilleur état, bien payée, bien nourrie, bien habillée; quelques hommes, qui devraient donner l'exemple, ont cherché à semer l'esprit d'insurrection parmi les troupes; mais partout ils ont trouvé une contenance fière, un attachement sans bornes à la République et au premier consul. Les officiers et chefs de corps se conduisent à merveille. La discipline est bonne. L'instruction est au point où on peut la désirer. Les généraux de division Friant et Rampon, le premier commandant à Alexandrie, le second à Damiette, sont des hommes excellens, prêts à tout sacrifier pour la chose publique, pour l'honneur de nos armes, et pour défendre la possession de l'Égypte jusqu'à la mort. Les généraux de brigade en général se conduisent ainsi qu'on doit l'attendre de braves militaires et de zélés républicains. Le général chef d'état-major Lagrange est un homme plein d'honneur, de talens, de courage et de probité.

 

La cavalerie est dans le meilleur état; les chevaux sont excellens; les hommes travaillent sans cesse à leur instruction, et manœuvrent avec beaucoup de célérité et de justesse. L'artillerie se perfectionne tous les jours. Le génie est dans la plus grande activité. Tous les forts environnant le Caire sont armés, ainsi que ceux qui bordent la côte.

Je joins ici, citoyen Ministre, une collection des ordres du jour, et de toutes les proclamations et arrêtés imprimés, ainsi que les états de plusieurs objets qui nous manquent, et que je vous supplie de nous faire parvenir.

Le général chef d'état-major vous adresse des états de situation.

Salut et respect, citoyen Ministre.

Abdallah Menou.

(№ 5.)

Au quartier-général du Caire, le 28 novembre 1800.
Menou, général en chef, au premier consul de la République française, le général Bonaparte

Citoyen Consul, depuis les dernières lettres que j'ai eu l'honneur de vous écrire par le brick le Lodi, et la corvette l'Héliopolis, l'armée du grand-visir n'a point changé de position; seulement un détachement d'environ trois cents mameloucks et Tartares est venu en reconnaissance jusqu'à Catiëh. Il paraît qu'il n'a eu d'autre projet que de favoriser quelque contrebande qui se fait par le lac Menzalëh et par le désert de Suez. J'ai sur-le-champ fait partir le régiment des dromadaires, qui s'est porté avec rapidité jusqu'auprès d'El-A'rych, passant par la vallée de Sababiar et par Bash-El-Ouady, laissant totalement à gauche Salêhiëh et le pont de Cantarah. Les dromadaires n'ont point rencontré d'Osmanlis; mais ils se sont emparés d'environ deux cents chameaux, appartenant à une tribu d'Arabes amie du grand-visir. Depuis le retour des dromadaires, j'ai appris par des espions que cette course avait inspiré une grande terreur dans le camp du grand-visir, où on a cru que toute l'armée française marchait pour l'attaquer. Je vais faire recommencer ces courses de dromadaires, afin d'enlever au grand-visir une grande partie de ses moyens de transport, et pour augmenter la force de notre excellent régiment d'éclaireurs, je lui ai fait donner deux pièces de trois; elles sont traînées par quatre dromadaires chacune; douze autres portent les munitions: tout cela va comme le vent, et porte pour douze jours de vivres. Actuellement nos soldats trouvent de l'eau partout.

La croisière anglo-turque a totalement disparu. Je n'ai pu rien apprendre sur les Anglais; quant aux Turcs, il paraît qu'ils sont avec le capitan-pacha dans le golfe de Macri.

Les Grecs nous apportent assez souvent du vin, de l'huile, un peu de fer, du savon, et autres productions de l'Archipel.

J'ai permis l'exportation du riz par mer. Les Grecs en enlèvent, et plusieurs négocians français font des spéculations pour en emporter en France. Les citoyens Thévenin, Thorin, Juard, Delmas, etc., sont de ce nombre. Leurs cargaisons sont composées de riz, café, sucre, encens, sel ammoniac, coton, indigo, etc. Je désire infiniment qu'ils arrivent à bien, et qu'on voie en France des productions de l'Égypte. Les douanes sont diminuées; aucune vexation ne se commet, et le commerce jouit de la plus grande liberté et protection. J'ai cru, citoyen Consul, remplir en cela vos intentions.

Des bâtimens chargés de café arrivent à Suez. Les Arabes sont étonnés, et extrêmement satisfaits de la sûreté qu'ils trouvent pour leur commerce. Je joins ici copie certifiée d'une lettre que j'ai écrite au chérif de la Mecque.

J'ai donné ordre de détruire le pont de Cantarah; vous savez, citoyen Consul, qu'il est placé à quatre lieues de Salêhiëh, sur un canal qui est assez bourbeux toute l'année pour empêcher la cavalerie et l'artillerie de le traverser. Cette mesure forcerait le grand-visir, s'il voulait nous attaquer, à faire deux marches de plus dans le désert.

Les travaux de l'artillerie et du génie se continuent avec beaucoup d'activité; toute la côte est armée depuis Omm-Faredje, sur le lac Menzalëh jusqu'à la tour du Marabou à l'ouest d'Alexandrie. Les forts qui entourent le Caire sont également armés.

Aboukir est en état de défense. On va construire une bonne tour pour protéger le passage du lac Maadiëh. Une autre est commencée à Élouah sur le canal d'Alexandrie; elle défendra tout ce canton contre les Arabes, et sera un excellent point de ralliement pour se porter soit sur Alexandrie, soit sur Rosette.

Je vais faire ouvrir un canal de Rosette au lac Bourlos. Il n'aura que cinq quarts de lieue de long. Je fais nettoyer et approfondir toute la partie du canal d'Alexandrie, depuis le point le plus ouvert du lac Maadiëh jusqu'à cette ville, sur la longueur de deux lieues environ. J'ai fait déboucher cette année un canal qui part du Nil près d'Ecreuth, à sept lieues au-dessus de Rosette. Il va se jeter dans le lac d'Edko, et ensuite dans celui de Maadiëh, de sorte qu'on pourra naviguer presque en tout temps depuis le Caire jusqu'à Alexandrie. Le lac Maadiëh fournira des eaux au canal qui avoisine cette ville. D'un autre côté, on pourra remonter de Damiette jusqu'à Semenhout, descendre de là dans le lac Bourlos par le canal de Tabariëh, navigable toute l'année, d'où on arrivera à Rosette par le canal que je vais faire ouvrir.

Je suis très content des habitans; ils prennent de jour en jour plus de confiance en nous; ceux des campagnes sentent tout l'avantage de n'être plus opprimés par les grands; ils commencent à respirer et à jouir tranquillement du fruit de leur travail. Les Cophtes, à l'exception de Malhem-Jacoub, ne nous voient pas d'aussi bon œil. Ils sentent que l'autorité leur échappe. Ce sont les plus grands fripons de l'univers; mais, citoyen Consul, Malhem-Jacoub se conduit à merveille. J'avais demandé une récompense pour lui: il est actuellement colonel de la légion cophte, a pris l'uniforme français. Bamelemi est devenu le plus mauvais sujet de l'Égypte.

J'ai établi une commission de comptabilité qui révise tous les comptes depuis que nous sommes en Égypte. Quelques individus ne sont pas contens de cette mesure; mais il faut que le règne des fripons finisse, et que celui des lois, de l'honneur et de la probité reprenne son empire: c'est une tâche pénible, citoyen Consul, que de réprimer les abus et l'immoralité; mais rien ne m'arrête quand il s'agit de servir mon pays et la république, et de suivre vos exemples.

L'armée est dans le meilleur état, bien soldée, bien nourrie, bien habillée; elle est entièrement dévouée à la république et à son premier consul. Ceux qui ont voulu troubler l'ordre ont trouvé partout la contenance la plus fière de la part des officiers et soldats, et l'attachement le plus prononcé pour leurs devoirs. C'est une justice que je leur dois, et que je ne cesserai de leur rendre. Je m'occupe sans cesse à concilier les intérêts de la république avec ceux de l'armée et des habitans. Je n'aurai plus rien à désirer si je puis réussir.

L'administration des finances est dans le meilleur ordre. Je ne puis trop me louer du citoyen Estève, pour lequel je vous demande instamment la confirmation de la place de directeur-général et comptable des revenus publics de l'Égypte. J'ai aussi beaucoup de bien à dire de ses préposés. Un mot de votre part les encouragerait infiniment; une seule marque d'intérêt de Bonaparte électrise les hommes et décuple leurs facultés.

Salut et respect.

Abdallah Menou.

(№ 6.)

Alexandrie, le 7 prairial an IX (27 mai 1800).
Le général en chef de l'armée d'Orient au général en chef Bonaparte

Citoyen premier Consul,