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Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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On avait maladroitement inséré dans la capitulation un article relatif aux collections faites par les membres de l'Institut et de la Commission des Arts: les Anglais n'avaient pas voulu l'accorder, mais les naturalistes, par leur fermeté dans le refus d'abandonner leurs collections, et la menace de les brûler, surmontèrent ces difficultés: on ne laissa que quelques statues grossièrement sculptées et un sarcophage de granit.

Les troupes s'embarquèrent dans la première décade de vendémiaire. Quelques bâtimens quittaient les côtes d'Égypte lorsqu'on signait à Londres les préliminaires de la paix et l'article par lequel cette province devait être restituée aux Turcs.

Ainsi s'est terminée l'expédition d'Égypte. Tant il est vrai qu'un chef inhabile détruit par sa seule influence tous les ressorts qui lui sont confiés; mais peu d'armées sans doute ont plus de droits à l'admiration que celle d'Orient. Transportée sur un sol étranger, l'événement funeste du combat naval d'Aboukir pose une barrière entre elle et sa patrie; elle n'en est point abattue; une marche rapide la porte au centre du pays, tous ses pas y sont marqués par des victoires; chaque jour lui offrait des fatigues sans nombre, des dangers toujours renaissans, des privations de tous les genres, aucune de ces jouissances qui, avec les combats, partagent les momens du militaire et lui font oublier les fatigues de la guerre. Tous, officiers, soldats, supportaient volontiers cette existence pénible, appréciant, par l'opiniâtreté que les ennemis mettaient dans leurs attaques réitérées, combien la possession de l'Égypte serait utile à leur patrie; et cette idée compensait à leurs yeux tout ce qu'ils avaient à souffrir.

Les revers qu'elle a éprouvés dans la dernière campagne, n'atteignent point sa gloire. Disséminée par les dispositions de son chef, elle a long-temps imposé sur tous les points à des ennemis toujours supérieurs en nombre; et son attitude fière, dans les momens les plus difficiles, a constamment ralenti leur marche.

La seule opération qui fasse honneur aux Anglais, est leur débarquement, et ils en doivent la réussite à leur marine; car six mille hommes qu'elle parvint à jeter à la fois sur la côte, furent ébranlés par dix-sept cents hommes, obligés de veiller en même temps sur toute l'étendue de la baie d'Aboukir, et qui, par conséquent, ne purent agir ensemble sur le point d'attaque.

L'armée anglaise, après son débarquement, ne tenta que le 22 ventôse de s'approcher d'Alexandrie. Elle aurait dû y rencontrer l'armée française réunie; il n'y avait que quatre mille hommes qui lui disputèrent le terrain et l'intimidèrent au point qu'elle n'osa attaquer cette place; et loin de profiter de cet avantage, elle prend la défensive et se retranche.

Le 30 ventôse, les Français vont l'attaquer, dans une position resserrée qu'elle avait eu le temps de fortifier; des chaloupes canonnières sur la mer et sur le lac Maadiëh couvraient ses flancs; le nombre de ses troupes était double. L'obscurité de la nuit, la mort de plusieurs chefs jette du désordre dans l'armée française, et celui qui la commande se tenant à l'écart ne peut la réorganiser lui-même, et n'en veut confier le soin à personne; il fait écraser la cavalerie; l'armée est obligée de se retirer, et les Anglais manquent encore cette occasion de profiter de leurs succès.

Renfermés dans leurs retranchemens, ils n'essaient d'en sortir que vingt jours après, pour aller à Rosette, poste important pour eux, et que l'armée ne protégeait pas.

Ils y restent un mois avant de s'étendre du côté de Rahmaniëh, qu'il leur était également utile d'occuper pour intercepter toute communication entre Alexandrie et le Caire. Le corps de troupes françaises qu'ils y trouvent, trop faible pour leur résister, se retire sur le Caire: il était de leur intérêt d'en suivre rapidement la marche, et ils emploient quarante jours à parcourir un espace que les Français parcouraient ordinairement en quatre.

Ils arrivent enfin au Caire avec le capitan-pacha; là ils se joignent au visir, et ces armées réunies, six fois plus nombreuses que les Français, craignent encore les chances des combats, et reçoivent la loi plutôt qu'elles ne la dictent, dans le traité d'évacuation.

Ils redescendent ensuite vers Alexandrie; la même lenteur y préside à toutes leurs opérations, et c'est le défaut de vivres, bien plus que leur audace, qui en accélère la chute.

L'expédition des Anglais a réussi, mais ils n'y ont recueilli que la gloire du succès, parce que jamais ils ne surent commander la victoire, ni par leurs dispositions, ni par leur bravoure, ni par leur audace. Leur marche timide malgré leur énorme supériorité, dénote aisément quelle aurait été leur destinée, si le chef de l'armée d'Orient avait été digne d'elle.

EXTRAIT DU JOURNAL DUCHEF DE BRIGADE DU GÉNIE D'HAUTPOUL

PRISE DE ROSETTE PAR LES ANGLAIS. – MARCHE CONTRE LE VISIR. – CAPITULATION DU CAIRE

L'ennemi s'empara de Rosette vers le 15 germinal. Le bataillon de la 85e qui y était effectua sa retraite par le Delta, et se rendit à Rahmaniëh. On laissa dans le fort Julien une compagnie d'invalides pour le défendre.

Le général en chef, décidé à reprendre Rosette, fit partir d'abord le général Valentin, puis le général Lagrange, son chef d'état-major, qui vint camper à El-Aft, village qui se trouve à trois lieues au-dessous de Rahmaniëh, et à huit lieues de Rosette.

Le général Morand, d'après les ordres qu'il avait reçus du général en chef, avait laissé à Lesbëh deux cents hommes, et était arrivé à Rahmaniëh avec la 2e légère, et une compagnie d'artillerie légère.

Le camp était assis derrière des monticules formés par le curage successif du canal, sa droite appuyée sur le Nil; de l'autre côté du fleuve était la ville de Fouah, qui lui fournissait les vivres; sa gauche se prolongeait vers une plaine rase que l'ennemi pouvait facilement tourner: il pouvait en outre, venir à Birket par une très belle route qui partait d'Édraux; et en nous dérobant une marche de nuit, il pouvait être avant nous à Rahmaniëh. Malgré tous ces désavantages, le général Lagrange voulut conserver son camp.

Il avait avec lui la 2e et la 4e légère, la 13e, 69e et 85e de ligne, le 7e de hussards, le 20e de dragons, et des détachemens du 22e de chasseurs, et du 14e régiment de dragons.

Le général Bron vint le joindre quelques heures après avec le 15e de dragons, et le reste du 22e de chasseurs; ce qui lui faisait en tout sept à huit cents hommes de cavalerie, et près de trois mille hommes d'infanterie.

Dès le premier jour de son arrivée, il jugea par une reconnaissance qu'il fit lui-même, que l'ennemi était fort difficile à attaquer, et qu'en supposant qu'il le forçât à abandonner la position qu'il occupait à trois lieues en avant de Rosette, et à se replier sur cette ville, il lui serait impossible de déloger les Turcs une fois qu'ils se seraient placés dans les maisons de la ville. Il résolut donc d'attendre l'ennemi dans sa position, toute mauvaise qu'elle était.

On fit plusieurs batteries sur le Nil pour en défendre le passage aux chaloupes canonnières. On coula plusieurs barques, dans une seconde branche du côté du Delta, pour en rendre le passage également impossible. On forma, au moyen des monticules en avant du camp, et d'un village sur la droite, un camp retranché; mais la gauche était une plaine rase qu'on n'espérait défendre qu'au moyen de la cavalerie et de l'artillerie légère.

15 floréal.– ÉVACUATION DU CAMP D'EL-AFT

L'ennemi parut le 15 floréal, et se campa deux lieues en avant de nous; le Nil était couvert de chaloupes canonnières, de barques, et d'avisos qui pénétrèrent dans le Nil après la prise du fort Julien, qui se défendit vigoureusement, mais qui, n'ayant point été secouru, fut obligé de se rendre. Son avant-garde était placée au village de Peirouth, à trois quarts de lieue de notre camp: il fila un corps considérable d'Osmanlis qui pénétra en même temps par le Delta avec plusieurs pièces de canon, et vint s'emparer de Fouah.

Les barques qui nous apportaient journellement le pain de Rahmaniëh ne purent plus passer vis-à-vis Fouah. La fusillade et le canon des Osmanlis les en empêchèrent; nous n'avions aucun chameau à Rahmaniëh, en sorte que l'ennemi nous ôtant nos moyens de transport par eau, nous obligeait par une opération bien simple à nous retirer sur Rahmaniëh, ce que nous fîmes la nuit même.

Le général Lagrange n'avait pas voulu occuper Fouah, afin de ne point s'affaiblir.

Nous avions à El-Aft trois djermes armées, dont deux se sauvèrent, la troisième fut brûlée. Nous perdîmes aussi quelques barques chargées de grains qui ne purent passer sous le feu des batteries de Fouah.

Nous travaillâmes à terminer une batterie de gros calibre, placée dans l'île vis-à-vis Rahmaniëh, et qui devait défendre le passage du Nil. Nous fîmes plusieurs batteries pour défendre le village de Rahmaniëh, dans lequel nous avions près de quatre cents malades ou blessés, et notre munitionnaire. Nous appuyâmes notre droite à des hauteurs qui bordent le canal d'Alexandrie, sur lesquelles nous fîmes quelques batteries, la gauche était appuyée au village de Rahmaniëh; nous fîmes trois batteries sur le front.

Le camp était assis dans un bas-fond, ayant en avant de lui un rideau qui se défilait de la plaine; la redoute de Rahmaniëh était placée au centre, et flanquait les ouvrages que l'on avait faits sur le front.

Nous avions près de cent cinquante barques chargées de provisions, de blé, et de munitions de guerre, le tout destiné pour Alexandrie; mais le général en chef, qui avait gardé jusqu'au dernier moment toute sa cavalerie dans cette place, avait épuisé tous les magasins de fourrage, en sorte que les nombreuses caravanes qui arrivaient d'Alexandrie à Rahmaniëh n'étaient occupées qu'à transporter de l'orge et des fèves. Les cent cinquante barques étaient placées derrière la redoute de Rahmaniëh, dans une petite branche du Nil.

 

L'ennemi parut le 19 floréal au matin; il fit passer du côté du Delta un corps d'environ deux mille Osmanlis et un bataillon anglais; nous avions de l'autre côté du fleuve trois compagnies de grenadiers, qui, après s'être battues toute la matinée, furent obligées de céder au nombre et de repasser le Nil. Cependant l'ennemi marchait toujours sur Rahmaniëh, suivi d'une vingtaine d'avisos, de plusieurs djermes armées, de beaucoup de barques et de chaloupes canonnières, qui, malgré le feu de nos pièces de huit, se placèrent sur les derrières de notre camp, et nous inquiétèrent beaucoup. Vers midi, l'ennemi se déploya; les Anglais occupaient la droite, les Turcs la gauche, qui s'appuyait au Nil; la cavalerie était au centre. Les Anglais avaient environ six mille hommes, et trois escadrons de cavalerie. Les Turcs pouvaient également être six mille hommes, et huit cents chevaux: il est à remarquer que sur ces six mille Turcs, il y en avait près de trois mille qui faisaient l'exercice à l'européenne.

L'attaque commença par les Turcs, qui longeaient le fleuve et suivaient les chaloupes canonnières. Notre cavalerie, qui s'était portée en avant, se replia derrière le canal d'Alexandrie. Les Turcs et les Anglais envoyèrent beaucoup de tirailleurs; deux cents hussards et chasseurs leur tinrent tête.

Sur les trois heures, les Anglais firent un mouvement subit sur leur droite, pour s'emparer de deux ou trois villages fort éloignés de notre front; ils dégarnirent beaucoup leur centre par ce mouvement; mais obligés de garder Rahmaniëh, et craignant d'ailleurs que ce ne fût une feinte de leur part, nous nous bornâmes à repousser les Turcs sans les poursuivre. Le général Lagrange plaça sa cavalerie à la hauteur des villages qu'occupaient les Anglais pour éclairer leurs mouvemens. Trois fois les Turcs attaquèrent notre droite, et trois fois ils furent repoussés par le général Morand. Enfin, à huit heures du soir, la 2e légère les repoussa si vivement, que les Anglais furent obligés d'envoyer quelques compagnies à leur secours.

Toutes ces attaques nous faisaient perdre du monde inutilement; les chaloupes canonnières continuaient leur feu, et leurs boulets sillonnaient tout le camp. Nous avions déjà près de cent hommes hors de combat, et les Anglais n'avaient pas encore donné. Leur projet bien marqué était de nous tourner et de nous couper la retraite sur le Caire. Le général Lagrange, jugeant la position trop mauvaise pour la défendre contre des forces quadruples des siennes, effectua pendant la nuit sa retraite sur le Caire.

Le 18 floréal, l'ennemi avait paru du côté du Delta; prévoyant son attaque prochaine, on avait conseillé au général Lagrange de faire partir les barques chargées de provisions et de munitions, et de les envoyer sous la protection des djermes armées, trois ou quatre lieues au-dessus de Rahmaniëh: il s'y refusa, sous prétexte que cela produirait un mauvais effet sur le moral des troupes. Cette faible raison nous fit perdre un convoi qui valait plus de 800,000 livres, et des munitions de guerre de toute espèce, au moment où nous manquions de tout au Caire.

Le général en chef avait écrit au général Lagrange, dès le 11 floréal, qu'il allait partir d'Alexandrie pour le joindre avec deux mille hommes d'infanterie, et le reste de la cavalerie. Le général Rampon, qui venait d'être nommé, avec le général Friant, lieutenant-général, avait l'ordre à Alexandrie, depuis plus de douze jours, de se tenir prêt à partir. Si ce renfort nous était arrivé, la victoire aurait pu couronner nos efforts à Rahmaniëh.

Nous partîmes à deux heures du matin, le 20 floréal, de Rahmaniëh, et nous arrivâmes le 24, à dix heures du matin, au Caire. Nous eûmes pendant toute la route un kamsin affreux.

Le général Belliard ne sut notre arrivée qu'au moment où nous parûmes à Embabëh. Le soir du 24, le chef de bataillon Henry, premier aide-de-camp du général en chef, partit avec un détachement de dromadaires, pour se rendre à Alexandrie, par les lacs Natron, et prévenir le général en chef de l'évacuation de Rahmaniëh. On ne conçoit pas pourquoi le général Lagrange n'avait pas fait partir ce détachement de Rahmaniëh même. À la faveur de la nuit, il eût passé très facilement; et en faisant un léger crochet, il eût gagné la route ordinaire d'Alexandrie, et aurait prévenu la caravane que conduisait le chef de brigade des dromadaires-cavaliers. Cette caravane, composée de plus de six cents Français et quatre cents chameaux, ignorant la prise de Rahmaniëh, vint tomber elle-même au milieu des ennemis, et fut obligée de mettre bas les armes.

25 floréal.– PREMIER CONSEIL DE GUERRE

Le 25 floréal, le général Belliard, commandant la place du Caire, assembla un conseil de guerre composé des généraux de division Lagrange et Robin; des généraux de brigade Donzelot, Morand, Alméras, Valentin, Duranteau, et du général Bron, commandant la cavalerie; du chef de brigade d'Hautpoul, commandant le génie; du chef de bataillon Ruty, commandant l'artillerie; du citoyen Estève; du chef de bataillon Dermot, directeur du parc d'artillerie, et du commissaire-ordonnateur Duprat.

Le général Belliard, en ouvrant la séance, dit que, comme plus ancien général de division, il avait pris le commandement; mais que ne se sentant pas les forces suffisantes pour supporter ce fardeau, il demandait que les généraux de division Lagrange et Robin se réunissent à lui, pour n'agir que de concert. Cette proposition ne fut point appuyée; les généraux de division ne parlèrent pas, en sorte qu'elle fut regardée comme non avenue.

Trois questions furent discutées dans le conseil:

1o. Se retirera-t-on dans la Haute-Égypte?

2o. Se retirera-t-on à Damiette?

3o. Ou se défendra-t-on dans l'enceinte du Caire?

La retraite dans la Haute-Égypte ne fut pas long-temps discutée. Le général Donzelot, qui comptait beaucoup trop sur les mameloucks, en était le seul partisan.

La retraite sur Damiette, proposée et fortement appuyée par le commandant du génie, aurait peut-être été acceptée par le conseil, si, dès l'ouverture de la séance, le général Belliard n'avait dit que les chaloupes canonnières de l'ennemi étaient déjà à Terranëh, et qu'elles seraient au ventre de la Vache avant que tous nos moyens de transport pussent être rassemblés. Ce fait, qu'il avait avancé sur le rapport des espions, était inexact, puisque l'ennemi ne se trouva au ventre de la Vache que quinze jours après. Voici une partie des raisons alléguées en faveur de la retraite sur Damiette.

1o. On regardait comme une folie le projet de résister dans le Caire; il fallait, avec six ou sept mille hommes, défendre une enceinte de six lieues de tour, peu ou point fortifiée dans les trois quarts de son circuit; il fallait, en outre, contenir une population qui n'avait que trop prouvé son penchant à la révolte. Il eût été ridicule de vouloir enfermer près de douze mille Français, en y comprenant les malades et les blessés, dans la citadelle du Caire. On ne pouvait donc se retirer que sur Gisëh; mais les mameloucks, devenant nos ennemis, nous coupaient les vivres qui venaient journellement de la Haute-Égypte; on n'avait plus alors aucun moyen d'exister.

En outre, qu'était Gisëh? un espace renfermé par des murs de jardins, que trois ou quatre coups de canon auraient mis en brèche.

On proposait de se retirer dans la Haute-Égypte; mais à quoi servait une pareille retraite? Les Anglais et les Turcs, contens d'occuper le Caire et toute la Basse-Égypte, nous auraient lancé les mameloucks, les Arabes, et peut-être toute la cavalerie turque, qui se serait bornée à nous harceler et à nous couper les vivres. Ces troupes eussent été en cela bien secondées par les paysans des villages, qui étaient toujours prêts à se révolter. D'ailleurs, quel doit être le projet d'un faible corps d'armée qui veut se défendre contre des forces beaucoup plus considérables? c'est sans contredit de chercher une position militaire où il puisse avec avantage se défendre et arrêter son ennemi. Damiette offrait cette position, et il suffit de jeter les yeux sur une carte pour s'en convaincre.

Farescour est à environ cinq lieues de Damiette, et le chemin qui y conduit n'est, sur une étendue de deux lieues, qu'une simple digue de six pieds de large, bordée d'un côté par les eaux salées du lac Menzalëh, et de l'autre, par le Nil, des rivières et des marais impraticables. Il suffisait donc d'occuper cette digue, de former une forte batterie sur le Nil, peu large en cet endroit, et de faire retirer l'armée dans la presqu'île de Damiette.

Une forte avant-garde, placée à Farescour, aurait continuellement menacé la Charkié et aurait pu faire de fréquentes incursions pour fourrager et ramasser des impositions. Tout le monde sent que huit à neuf mille fantassins étaient inattaquables dans une pareille position.

On avait l'avantage de conserver Damiette, qui, après Alexandrie, est le seul point de contact que l'Égypte ait avec l'Europe.

La seule objection qu'on pouvait faire était celle des vivres; mais l'on répondait que la ville de Damiette était peut-être celle de toute l'Égypte où il y avait le plus de ressources. Les magasins étaient encombrés de riz, la récolte en blé venait de se faire, et le voisinage du lac Menzalëh produit une quantité de poissons étonnante, sans compter les buffles et les moutons, qui sont fort nombreux dans la campagne. Les bœufs employés aux manufactures de riz auraient seuls fourni de la viande pour plus de six mois à toute l'armée.

D'ailleurs, en proposant la retraite sur Damiette, on ne voulait point évacuer la citadelle du Caire; on y aurait laissé tous les malades et une garnison suffisante. L'armée serait venue prendre une position à Manzourah, et derrière le canal d'Achemoun; elle eût, chemin faisant, imposé les villages et les villes, et fait filer sur Damiette tous les grains et les fourrages, et cela, avec d'autant plus de sécurité, que les Turcs, naturellement avides, se seraient précipités dans le Caire, et nous auraient laissé fort long-temps tranquilles dans tout la Charkié. Les Anglais, craignant pour Rahmaniëh et Rosette, se seraient incontestablement rejetés sur ces deux points. On conçoit quel parti un général habile aurait pu tirer du Delta et de Menzalëh. Ou ose assurer, et l'on répondait sur sa tête, que l'on aurait ramassé assez d'argent pour payer l'armée pendant six mois, et assez de vivres pour la nourrir pendant un an.

On est fortement autorisé à croire que le général Belliard appréciait les avantages de ce projet, et qu'il penchait à se retirer sur Damiette. Mais il n'osa pas prendre sur lui d'ordonner l'évacuation du Caire; et il fut résolu, tout en disant et en convenant que c'était une folie, que l'on défendrait l'enceinte de cette place.

Le visir était à Belbéis. On convint de partir le lendemain pour aller le combattre. L'armée, commandée par le général Belliard, partit du Caire le 26 au matin, et alla coucher à El-Mênager le 27. Elle rencontra l'ennemi à deux lieues au-dessus d'El-Mênager. Le général Belliard avait formé trois carrés; l'un commandé par le général Robin, et les deux autres par le général Lagrange. La cavalerie était au centre en seconde ligne. Ces carrés pouvaient former en tout cinq mille hommes, et la cavalerie huit cents chevaux.

Nous marchions en côtoyant le désert. Arrivés à la hauteur d'un village (dont on ignore le nom), on aperçut un nombreux corps de cavalerie, qui déboucha de droite et de gauche, et se porta sur nos derrières; on vit également dans le lointain une nombreuse troupe qui paraissait marcher en ligne: nous continuâmes notre route; mais, arrivés à demi-portée de canon du village, nous fûmes assaillis par une batterie de six pièces qui donna en plein dans nos carrés. En même temps la cavalerie ennemie parut s'ébranler et vouloir exécuter une charge. Le général Belliard fit retirer ses carrés sur des hauteurs hors de la portée du canon; il canonna lui-même vigoureusement la cavalerie ennemie, et parvint à l'éloigner. Il se rapprocha un peu du village, et avec une pièce de 12 et quelques pièces de 8 de notre artillerie légère, il combattit les pièces ennemies, et fit bientôt cesser leur feu.

Peu de temps après l'on aperçut deux pièces ennemies qui filaient le long d'un canal, on ordonna au 6e régiment de hussards et au 20e de dragons de charger; ils prirent une des deux pièces; comme les chevaux qui la traînaient étaient blessés et fatigués, on fut obligé de la laisser, après l'avoir enclouée.

Il était environ dix heures du matin; les troupes, qui étaient sur pied depuis trois, étaient fatiguées et surtout mouraient de soif. Le général Belliard voulant les faire reposer, ordonna de se porter sur un village qui se trouvait à notre gauche. Ce mouvement de côté, très simple par lui-même, parut à l'ennemi un mouvement de retraite, et lui donna une audace inconcevable; il lui arriva du canon et des obusiers; bientôt il nous attaqua de toutes parts, et nous obligea à regagner promptement les hauteurs.

 

Si, au lieu de se porter sur le village vers la gauche, nous avions été au village en avant, notre marche, plus simple, n'aurait pu être mal interprétée par l'ennemi, et ne nous aurait pas obligés de quitter la ligne du désert et les monticules que nous occupions. Souvent, dans la guerre, le mouvement le plus simple est de la plus grande conséquence. L'ennemi pouvait avoir sept à huit mille hommes de cavalerie, douze à quinze cents hommes d'infanterie, et sept à huit pièces de canon, dont deux obusiers.

Le général Belliard était loin, sans doute, de craindre de pareilles forces; mais il lui était impossible de les joindre, et par conséquent de les battre; il ne pouvait atteindre de telles troupes qu'avec du canon: aussitôt qu'il faisait un mouvement en avant, toute cette cavalerie passait sur les derrières et sur les flancs. Faisait-il un mouvement rétrograde, elle voltigeait autour de lui, et menaçait de le tourner de toutes parts. Enfin, après avoir usé les deux tiers de ses munitions, le général Belliard craignant avec raison que l'ennemi ne se portât sur le Caire, où il aurait infailliblement pénétré, n'y ayant pas assez de troupes pour garder une aussi grande enceinte, se retira, vint coucher à Birket-el-Adji, et rentra le lendemain de bon matin au Caire.

L'ennemi nous suivit avec vigueur jusqu'à El-Anka: il nous abandonna à cette hauteur, et se retira du côté de Belbéis.

Il est impossible d'évaluer la perte de l'ennemi; les espions la portèrent à trois cents morts; de notre côté, nous eûmes une vingtaine d'hommes de tués ou blessés.

Il faut convenir que cette attaque fut résolue bien légèrement. On avait appris l'année dernière, lors de la bataille d'Héliopolis, la manière dont les Turcs combattaient: on devait savoir que leur cavalerie cernait nos carrés, toujours prête à profiter d'un faux mouvement, tandis que nous ne pouvions rien sur elle; leur infanterie, même en plaine, ne pouvait être atteinte par la nôtre, dont tous les mouvemens étaient subordonnés à ceux d'un énorme carré: on ne pouvait donc avoir pour but, en sortant du Caire, que d'aller attaquer Belbéis, où le visir avait son camp et toutes ses provisions: il fallait donc être conséquent, et ne point sortir du Caire dans la crainte que l'ennemi ne s'y jetât, ou bien une fois sorti, il fallait attaquer Belbéis, qui était le seul but raisonnable que l'on avait pu se proposer.

Notre retraite précipitée fit un assez mauvais effet dans la ville: cependant, comme on avait eu la précaution d'arrêter tous les chefs, et que le saccage de Boulac, et d'une partie du Caire était encore présent à tous les yeux, la ville ne bougea pas.

Aussitôt le départ du général en chef pour Alexandrie, on avait commencé la ligne retranchée qui devait fermer l'espace qui s'étend depuis le fort Camin au Nil, vis-à-vis Embabëh: on y travailla de nouveau avec la plus grande activité, ainsi qu'à toutes les fortifications qui se trouvaient à l'entour du Caire. On fit en avant de Gisëh cinq fossés ou lunettes, armées de trois pièces de canon chacune; mais ce fut principalement à la citadelle que l'on travailla le plus activement.

Le général Belliard avait envoyé le citoyen Pétrucy, payeur, dans la Haute-Égypte, auprès des mameloucks, qui étaient descendus jusqu'à Miniet; il devait leur demander des blés dont nous commencions à manquer, et pressentir leurs dispositions à notre égard: ils promirent quarante barques chargées de grains, firent les plus belles protestations d'amitié: cependant quinze jours s'écoulèrent, et les grains n'arrivèrent pas; bien plus, on répandit le bruit que les mameloucks venaient de se joindre aux Anglais, et deux ou trois jours après on en eut la certitude.

L'orgueil et l'apathie de l'ignorance, le fanatisme le plus féroce, la dissimulation la plus profonde, le tout couvert sous les dehors de simplicité et de bonhomie, tel est le Turc, que trois ans de la fréquentation la plus intime ne nous avaient pas fait connaître. À peine pouvions-nous nous flatter d'avoir quelques vrais amis dans le Caire, ville que nous avions toujours ménagée, et nous osions compter sur l'amitié des mameloucks que nous avions chassés de chez eux, et auxquels nous avions fait une guerre cruelle: la confiance sera toujours la base du caractère français. Nous pensions que Mourâd-Bey nous était dévoué: cependant l'on est certain qu'en même temps qu'il nous faisait les plus belles protestations d'amitié, il recevait des présens des Anglais, et traitait avec eux. Il mourut de la peste en floréal, et désigna pour son successeur Osman-Bey; mais les autres beys ne le reconnurent point.

Les Anglais et les Turcs parurent à la vue de Gisëh, dans les derniers jours de prairial; ils firent successivement trois campemens à une lieue de distance l'un de l'autre, et vinrent enfin se poster dans un rentrant que forme le Nil, la gauche appuyée au fleuve, et la droite, formée par le capitan-pacha, à un village du côté du désert. L'armée du visir était sur la rive droite, la droite appuyée au Nil et la gauche à un village du côté de la Koubé: les Anglais firent un pont de bateaux pour communiquer avec l'armée du visir; le 2 messidor ils vinrent avec le capitan-pacha cerner Gisëh; l'arrière-garde du visir se joignit à son corps d'armée.

On portait généralement la force de l'armée du visir à environ huit mille hommes de cavalerie, et huit à dix mille hommes d'infanterie, tous Arnautes ou Albanais; le reste, difficile à estimer, se composait d'Arabes, ou gens du pays, ou domestiques, ou says; le corps des Anglais était de six mille hommes et six cents cavaliers; le capitan-pacha pouvait avoir huit mille hommes d'infanterie, dont trois mille exercés à l'européenne, et deux mille cavaliers; les mameloucks de leur suite pouvaient former deux mille cavaliers.

Les Anglais attendaient, en outre, six mille Cipayes de l'Inde; une partie avait déjà paru à Souez, mais la peste les en avait chassés; ils s'étaient dirigés sur Cosséir, et les espions rapportaient qu'ils étaient en marche pour descendre de la Haute-Égypte.

D'après le relevé de l'état de situation des troupes qui étaient au Caire, nous avions cinq mille six cent trente-quatre hommes pour défendre Gisëh, l'île de Roda, l'Aquéduc jusqu'à la citadelle, le front, depuis la ligne de Boulac et la partie comprise depuis Boulac jusqu'à Ibrahim-Bey. La cavalerie, au nombre de mille trente-huit hommes, était campée en réserve derrière la ligne de Boulac; un bataillon d'infanterie, les invalides, les dépôts et les auxiliaires, le tout au nombre de seize cent dix-sept hommes, formait la garnison de le citadelle, celle des forts environnant la place du Caire et du quartier cophte.

Les troupes attachées à l'artillerie et au génie faisaient le service particulier à ces deux armes; les canonniers peu nombreux étaient suppléés par les marins.

Le 3 messidor les Anglais cernèrent de plus près Gisëh et commencèrent des batteries; il y avait près de quinze jours qu'Osman-Bey Bardisy, qui avait été, l'année dernière, député par Mourâd-Bey, au Caire, avait, sous un léger prétexte, écrit à Pétrucy, qu'il avait connu dans la Haute-Égypte; celui-ci répondit à Osman-Bey, qui était campé près d'Embabëh; il témoigna le désir de voir Pétrucy; le général Belliard lui permit d'aller le trouver, et le fit accompagner par son premier aide-de-camp Majou; il les chargea de s'informer adroitement de la force de l'ennemi et de ses projets.