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Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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Cette lenteur du général Hutchinson ne peut être motivée que sur la crainte qu'il avait d'être battu par la réunion momentanée de toutes les forces françaises, avant que l'armée du visir ne divisât leur attention sur plusieurs points, et par le désir de mettre assez d'ensemble dans ses mouvemens et ceux des Turcs, pour que les Français ne pussent pas sortir du Caire, afin de combattre l'un, sans abandonner cette ville aux autres. Peut-être aussi voulait-il attendre la jonction des troupes de l'Inde. Elles étaient arrivées à Souez à la fin de germinal; une partie y avait débarqué en attendant les moyens nécessaires pour passer le désert. Ces troupes, descendues à terre, eurent des malades; la peste en fit périr un certain nombre. Le général Baird ne recevant pas assez de chameaux pour ses transports, et craignant peut-être que le visir ne fût défait par les Français, pendant qu'il passerait le désert, prit le parti de rappeler ses troupes et d'aller faire son débarquement à Cosséir. Des agens du visir furent envoyés dans la Haute-Égypte, afin d'engager les Arabes à lui fournir les chameaux nécessaires. Ce corps arriva à Cosséir le 3 prairial, à Kenëh le 19 prairial, et descendit fort lentement le Nil. Le général Baird était vers Siout, lorsque la convention pour l'évacuation du Caire fut signée.

Le général Hutchinson arriva le 28 floréal à Terranëh, avec son corps d'armée et le capitan-pacha; il y séjourna quelque temps. À Ouardan, il prit un nouveau séjour; ce fut là que les mameloucks vinrent le joindre. Il n'arriva que le 1er messidor près d'Embabëh, pour faire l'investissement de Gisëh, sur la rive gauche du fleuve. Les Anglais établirent aussitôt un pont de bateaux à Chobra, pour communiquer avec les Turcs, et placèrent sur chaque rive un corps de troupes pour le garder.

La position des troupes françaises au Caire devenait fort difficile: les ennemis, il est vrai, montraient toujours la même timidité; ils employaient des forces très considérables pour faire replier de faibles avant-postes; mais ils les resserraient successivement sans les réunir davantage, puisque nos troupes n'en étaient pas moins dispersées dans tous les forts et sur tous les points de l'enceinte immense de cette ville, de la citadelle, de Boulac, du Vieux-Caire et de Gisëh. Cette ligne de défense avait douze mille six cents toises de développement. Il fallait à la fois résister aux attaques extérieures de quarante-cinq mille hommes qui l'attaquaient, et contenir à l'intérieur une populace nombreuse, naturellement disposée aux émeutes, et qui, pouvant dès-lors prévoir que les Français évacueraient cette ville, devait chercher les moyens de se concilier le visir, pour éviter ses vengeances, et l'aider par un soulèvement à y pénétrer.

L'armée française ne pouvait faire une grande sortie avec des forces suffisantes, pour livrer bataille à l'une des armées ennemies sans dégarnir toute l'enceinte. Si elle avait agi contre l'armée anglaise, elle n'aurait pu empêcher les Turcs d'entrer dans le Caire; et si elle avait attaqué l'armée du visir, les Anglais se seraient emparés de Gisëh, où était une partie des magasins. Un pareil mouvement pouvait réussir, si les ennemis, trompés sur la faiblesse des postes restés devant eux, laissaient échapper cet avantage; mais aussi on perdait tout par un échec.

On ne pouvait donc plus espérer de battre les ennemis sous les murs du Caire; la retraite sur Damiette, où il aurait été possible de trouver des ressources et de prendre une position défensive, était aussi peu praticable, depuis que cette ville et Lesbëh étaient occupées par les Turcs. Celle sur Alexandrie ne l'était pas davantage: les troupes auraient eu beaucoup de peine à y parvenir, en perdant au Caire tous leurs équipages, et encore elles auraient accéléré la chute de cette place, par l'épuisement des magasins. Il ne restait d'autre parti, si on abandonnait le Caire, que celui de se retirer dans la Haute-Égypte; mais il aurait fallu pouvoir y transporter des munitions, et presque toutes les barques avaient été perdues à Rahmaniëh: d'ailleurs, quelles ressources espérer dans un lieu où la peste la plus affreuse dévorait les habitans?..

Si on ne trouvait pas qu'il y eût de l'avantage à abandonner le Caire, pour en sortir avec toutes les troupes disponibles, en laissant une garnison dans la citadelle, où elle se serait défendue aussi long-temps qu'il lui aurait été possible, on ne pouvait pas fonder plus d'espérance sur la ville du Caire, où il n'y avait que six mille hommes de troupes françaises en état de combattre, dispersées sur un développement immense, et trop faibles partout pour résister à une attaque sérieuse. La plupart des tours qui défendaient l'approche de l'enceinte, pouvaient être renversées par quelques décharges d'artillerie. Tous ces postes, toutes ces fortifications, qui semblaient si redoutables aux ennemis, n'étaient réellement susceptibles que d'une défense très courte. Les troupes avaient élevé avec la plus grande activité quelques redoutes plus solides entre le Caire et Boulac. Quelques flèches ou plutôt des fossés peu profonds, creusés en avant du mur d'enceinte de Gisëh arrêtaient les Anglais: ils ouvraient la tranchée pour les attaquer. Presque aucun point n'était à l'abri d'une attaque de vive force. Un seul étant forcé, tout tombait, la réunion des corps isolés devenait impossible, chacun deux restait à la merci des ennemis; et la révolte des habitans, qui se seraient alors déclarés, aurait doublé les embarras et les pertes des Français.

Les approvisionnemens avaient été négligés et même contrariés avant la campagne. Depuis, les rentrées avaient été peu considérables, parce qu'on ne pouvait pas envoyer dans les provinces des détachemens suffisans pour en protéger la perception.

Le directeur des revenus en nature, quoique l'ennemi fût aux portes du Caire, alla dans la Haute-Égypte avec une barque armée; mais les villages, ravagés par la peste étaient déserts; il n'avait pas de troupes pour pénétrer dans l'intérieur des terres, où Mulley-Mahammed était en force, et il dut rentrer au Caire.

Quelques fourrages, qu'on fit dans la province de Gisëh, où la récolte était à peine finie, ne suffisaient pas pour fournir à la consommation des troupes et aux envois qu'on expédiait à Rahmaniëh: on dut acheter des grains, et au moment du blocus, on n'avait des vivres que jusqu'à la fin de messidor.

Les caisses étaient vides au moment de l'entrée en campagne; depuis ce temps, on n'avait reçu que le produit de quelques droits levés au Caire: les officiers et diverses personnes attachées à l'armée, versèrent leurs épargnes pour subvenir aux dépenses journalières. Les magasins de l'artillerie avaient été épuisés, pour répondre aux demandes réitérées du général Menou, et tout avait été encombré à Rahmaniëh. Il ne restait pas au Caire 150 coups par pièce, et on y manquait d'affûts de rechange.

La peste s'était déjà déclarée au Caire, quelque temps avant la campagne; mais depuis elle y avait fait des progrès effrayans: les vieillards ne citaient que peu de grandes épidémies dont les ravages pussent lui être comparés. On estime à quarante mille le nombre des habitans qui en furent attaqués au Caire, dans l'espace de quatre mois. Le nombre des Français qui entraient au lazaret s'était élevé jusqu'à cent cinquante par jour. Mais les médecins, qui devaient leur expérience sur cette maladie à leur courageux dévoûment, guérissaient à peu près les deux tiers des malades. La peste commençait à diminuer en messidor; les hôpitaux étaient cependant encore remplis, un grand nombre de soldats s'y trouvaient retenus par la longue convalescence qui succède à cette maladie.

Le général Belliard n'avait reçu du général Menou que des lettres vagues. Le seul point sur lequel il insistât était la défense du Caire; mais il n'avait envoyé aucune instruction générale. Depuis la retraite de Rahmaniëh, la communication avait été difficile; néanmoins deux détachemens de dromadaires étaient arrivés par le désert. Comme ils n'apportaient aucune instruction, le général Belliard écrivit pour en demander. Ce défaut de communication avec Alexandrie conservait en partie, aux troupes du Caire, la tranquillité morale: la terreur, l'espionnage, les divisions n'y existaient pas comme à Alexandrie. Cependant le général Menou avait établi précédemment des correspondances avec des subalternes, et était parvenu à en fanatiser quelques uns. Au lieu d'entourer de la confiance des troupes les officiers qui les commandaient, on excitait les soupçons contre plusieurs d'entre eux; on s'attachait surtout à poursuivre ceux qui étaient trop francs pour déguiser l'estime et l'attachement qu'ils avaient pour le général Reynier. Quoique toutes ces manœuvres fussent de nature à décourager les troupes, elles ne purent effacer en elles ce zèle et ce dévoûment qu'elles avaient montré dans les circonstances les plus pénibles, et qui les disposait à tout souffrir, à tout entreprendre pour conserver l'Égypte, ou du moins différer sa perte; mais il aurait fallu des moyens, et nous avons vu qu'ils manquaient. On ne pouvait sortir, pour combattre les ennemis, sans s'exposer à de grands revers. La retraite dans la Haute-Égypte n'offrait aucune ressource. Si les ennemis tentaient une attaque contre l'une des parties de l'enceinte, ils devaient réussir à la forcer, et contraindre les troupes à se rendre à discrétion. Il ne restait donc d'autre parti, que d'imposer à des ennemis aussi pusillanimes, par une contenance fière et assurée, et de leur dicter les conditions de la retraite avant que des succès leur eussent appris à connaître leurs forces.

On proposa, le 3 messidor, une suspension d'armes. Les conférences durèrent jusqu'au 8. On avait réussi à intimider les ennemis; de faibles fortifications leur présentaient un aspect redoutable. On signa le 9 une convention par laquelle les troupes françaises devaient évacuer le Caire, avec des conditions pareilles à celles du traité d'El-A'rych. Elles emportaient leurs armes, leur artillerie, leurs équipages; emmenaient un certain nombre de chevaux et tout ce qu'elles jugeaient convenable, et devaient être conduites en France sur des bâtimens anglais. Comme on ignorait si les approvisionnemens d'Alexandrie permettraient d'en prolonger la défense, on inséra dans cette convention une clause, par laquelle cette place serait libre d'accepter, dans un délai limité, les mêmes conditions.

 

La garnison du Caire eut douze jours pour préparer cette évacuation; elle se rendit ensuite à Aboukir, où elle s'embarqua; dans sa marche du Caire à Rosette, elle était accompagnée par l'armée anglaise, le corps du capitan-pacha et les mameloucks. La plus parfaite union régnait entre toutes ces troupes, soumises, peu de jours avant, à l'obligation de s'entr'égorger.

L'armée ne pouvait laisser en Égypte les restes de Kléber, d'un général dont la perte était chaque jour plus vivement sentie. La cérémonie de leur translation du fort d'Ibrahim-Bey, où ils étaient déposés, jusqu'à la djerme qui devait les transporter, fut annoncée par des salves de tous les forts. Les Anglais et les Turcs, qui avaient été prévenus, pour que ce bruit d'artillerie, dans les circonstances où l'on était ne leur donnât pas d'inquiétude, voulurent concourir à ces honneurs funèbres, et répondirent, par des salves réitérées, à celles des Français.

CHAPITRE VI.
BLOCUS D'ALEXANDRIE JUSQU'À L'ENTIÈRE CONSOMMATION DES VIVRES; SON ÉVACUATION

Pendant que la moitié de l'armée anglaise et les deux armées turques agissaient dans l'intérieur de l'Égypte, et jusqu'après l'évacuation du Caire, il ne se passa aucun événement remarquable à Alexandrie. Les troupes étaient toujours campées sur les hauteurs de Nicopolis, et y remuaient beaucoup de terre. On enlevait des ouvrages de la place des pièces de gros calibre, pour armer ces retranchemens. Cette position trop étendue pour le nombre des troupes, avait encore le défaut de nuire au rassemblement de forces suffisantes pour s'opposer à l'établissement des Anglais au Marabou, qui devait être leur première opération offensive: au lieu que si on s'était borné à la seule défense des ouvrages et de l'enceinte de la place, on aurait pu les dégarnir momentanément pour opposer toutes les forces à l'ennemi, sur les points où il se serait présenté. La plus grande partie des ouvriers étant employée à ce retranchement, on ne pouvait travailler que lentement à perfectionner les fortifications d'Alexandrie. On acheva cependant de revêtir sa nouvelle enceinte, et le général Menou fit construire un nouveau front, sur le bord de la mer, pour fermer, du côté du port, la place, où il était campé avec son quartier-général. La nécessité de clore d'abord la ville, et de défendre son enceinte, avait fait retarder précédemment la construction de deux forts, l'un sur la hauteur dite de Cléopâtre, et l'autre sur celle de la colonne de Pompée: ils étaient nécessaires pour défendre les approches, parce que l'ennemi, une fois établi sur ces points, aurait de là commandé toute la ville d'Alexandrie, le port Neuf et la communication des postes, et qu'il aurait pu s'en rendre maître en moins de six jours. On avait plusieurs fois parlé au général Menou de l'importance de ces ouvrages; le général Reynier les lui avait recommandés en partant. Après le départ de cet officier, on y employa un plus grand nombre d'ouvriers, et ils furent rendus susceptibles de défense. L'inondation du lac Maréotis, qui venait baigner le pied des hauteurs de la colonne de Pompée et resserrait la position des Français, rendait l'occupation de ces hauteurs encore plus importante, parce qu'elle obligeait les ennemis à n'attaquer qu'un seul front d'Alexandrie, ou à diviser leur armée pour investir entièrement cette place. Les généraux Samson et Bertrand, commandant le génie, et le général Songis, commandant l'artillerie, dirigeaient, autant qu'il dépendait d'eux, ces ouvrages, d'après un bon système de défense: mais faisant d'inutiles efforts pour éclairer le général Menou, ils durent souvent se borner à exécuter les travaux et les dispositions ridicules qu'il leur prescrivait.

Le général Menou s'était fait illusion sur l'approvisionnement d'Alexandrie et sur l'état des magasins, jusqu'au moment où toute communication avec l'intérieur de l'Égypte lui fut interdite. Ce ne fut qu'en prairial qu'on s'occupa sérieusement de mettre de l'économie dans les consommations; on vit que les blés qui restaient en magasin seraient bientôt épuisés, et on y mêla du riz pour la fabrication du pain, d'abord dans la proportion de deux tiers de blé et d'un tiers de riz, ensuite d'une moitié de blé et d'une moitié de riz. Les Arabes, attirés par l'appât du gain, apportèrent des blés à Alexandrie. On acheta, à très haut prix, pour les magasins de l'armée, tout ce qu'ils apportèrent. Ces convois, dont quelques uns étaient assez considérables, fournirent pendant deux mois une partie du blé nécessaire à la consommation. Les caisses étant vides, les officiers, les administrateurs, les négocians, etc., versèrent l'argent qu'ils avaient; on s'en servit pour payer les grains apportés par les Arabes, et pour quelques autres dépenses.

Quoique le spectacle de tant d'opérations désastreuses, les jalousies, les délations, et la terreur qui en était la suite, dussent porter le découragement dans toutes les âmes, chacun était cependant résolu à souffrir pour l'honneur de l'armée; et on sentait généralement que pour donner le temps de terminer les négociations de la paix, il était nécessaire de prolonger la défense d'Alexandrie.

Le général Menou, en faisant partir le général Reynier, n'avait pas écrit directement contre lui; ensuite dans des dépêches subséquentes il annonça que ce départ avait éteint tous les partis qui paralysaient ses opérations; il renouvela l'engagement de conserver l'Égypte, et continua de tromper le gouvernement par de faux rapports sur la situation de l'armée et sur les événemens de la campagne; croyant détruire, par des espérances flatteuses, l'effet que devait produire l'annonce de toutes ses fautes. Quoique la conduite du général Menou envers le général Reynier ne pût être justifiée, des succès lui auraient cependant donné une excuse apparente; mais il fallait savoir se les procurer; il fallait pouvoir sentir que le moyen de les obtenir était la réunion de l'armée, et des manœuvres actives et audacieuses dans l'intérieur de l'Égypte; il fallait sentir qu'au lieu de rester campé dans Alexandrie, la place du général en chef était près du corps le plus considérable, qui se trouvait au Caire.

Les membres de l'Institut et de la Commission des Arts, qui, après les premiers événemens de la campagne, étaient venus à Alexandrie, comme à l'endroit le plus sûr pour des non-combattans, avaient obtenu, à la fin de floréal, l'autorisation de partir pour la France: ils s'étaient embarqués sur un petit bâtiment. Au moment où ils sortirent du port, les Anglais leur refusèrent le passage: ils voulurent y rentrer, on les menaça de les couler: enfin, après quelques jours d'anxiété, le général Menou leva sa défense, et ils revinrent à Alexandrie, où, incorporés dans une garde nationale composée d'employés et autres Français non militaires, ils firent le service intérieur de la place.

L'article du traité d'évacuation du Caire qui donnait au général Menou la faculté d'en profiter pour la garnison d'Alexandrie, lui fut notifié le 18 messidor. Étant prévenu des négociations de paix, il était nécessaire d'en prolonger la défense aussi long-temps que les approvisionnemens et la timidité des ennemis le permettraient. On savait aussi que la flotte de l'amiral Gantheaume était en route pour apporter des secours: la corvette l'Héliopolis, qui entra à la fin de prairial dans le port, avait été détachée de cette flotte, lorsqu'elle dut s'éloigner, ayant été aperçue par les Anglais à trente lieues d'Alexandrie; elle ne pouvait cependant encore y arriver et donner de nouveaux moyens de défense. On sentit généralement la force de ces motifs, et la proposition fut rejetée.

Il aurait peut-être convenu de se rendre alors un compte exact des approvisionnemens d'Alexandrie, et du temps qu'on pourrait encore y tenir; de prévoir que la première opération des Anglais serait de s'emparer du Marabou, et d'intercepter ainsi les vivres que les Arabes apportaient; de retarder le plus possible l'acceptation du traité par des négociations incidentes, et de se ménager ainsi les moyens de sauver les bâtimens qui se trouvaient encore dans le port d'Alexandrie.

Le général Menou se hâta d'expédier en France un bâtiment, pour dénoncer l'évacuation du Caire; il ne sentit pas que c'était se dénoncer lui-même, puisque cette évacuation était un résultat de ses mauvaises dispositions; puisque le principal corps de l'armée était là, lui, général en chef, aurait dû s'y trouver pour employer des moyens capables de prévenir cette évacuation. Il joignait à cette dénonciation l'annonce qu'il avait des vivres pour plusieurs mois, l'assurance de ne jamais capituler à Alexandrie, et la promesse de s'enterrer sous les ruines de cette ville. Lorsqu'on prend, à la face de l'Europe, de pareils engagemens, il faut savoir les tenir.

Les armées anglaise et turque avaient suivi la garnison du Caire jusqu'à Aboukir: dès que la plus grande partie en fut embarquée, leurs généraux, apprenant que les propositions relatives à l'évacuation d'Alexandrie avaient été rejetées, et que les Arabes y portaient des vivres; ignorant aussi combien de temps la garnison pourrait y subsister, se déterminèrent à entreprendre des opérations pour en accélérer la reddition.

Le 28 thermidor, ils augmentèrent la flottille qu'ils avaient dans le lac Maréotis, et y firent entrer un grand nombre de chaloupes et de petites barques pour le transport des troupes. Ils projetèrent de détourner l'attention des Français par une fausse attaque sur le camp des hauteurs de Nicopolis, tandis qu'ils débarqueraient près du Marabou, et s'établiraient sur la langue de terre qui sépare le lac de la mer. Nous avons vu plus haut qu'outre le défaut qu'avait la position de Nicopolis, d'être trop étendue pour un aussi petit nombre de troupes françaises, elle avait encore celui d'occuper toutes les forces disponibles, et qu'il n'en restait plus suffisamment pour opposer aux autres attaques.

Le 29 thermidor, avant le jour, une troupe de deux mille Albanais attaqua un mamelon qui domine le bord de la mer, en avant de la gauche du camp des Français, et travailla aussitôt à s'y retrancher. L'avant-poste qui l'occupait se retira dans les retranchemens, dont l'artillerie tira avec succès sur les ennemis; deux compagnies de grenadiers sortirent alors, coururent sur eux et les forcèrent à fuir en abandonnant plusieurs morts et blessés. Ils se réunirent près du camp des Anglais, et se bornèrent à tirailler, pendant le reste de la journée, avec les avant-postes. L'armée anglaise avait marché pendant ce temps; six mille hommes se déployèrent derrière la hauteur située entre les étangs et le premier pont du canal d'Alexandrie; l'avant-poste qui y était se retira vers ce point. Cette hauteur étant à portée de canon du camp des Français, les Anglais restèrent masqués derrière elle et ne firent paraître qu'un petit corps de troupes. Le général Menou envoya deux compagnies de grenadiers de la 25e, deux autres de la 75e, ainsi qu'un bataillon de cette demi-brigade, en tout quatre cents hommes, pour chasser ce corps de six mille hommes. Les soldats exécutèrent cet ordre avec toute la valeur qu'on pouvait attendre d'eux. Ils montèrent sur la hauteur au pas de charge, et chassèrent les premiers tirailleurs anglais; mais, arrivés vers la crête, ils reçurent la décharge de la ligne anglaise; et se voyant trop faibles, ils regagnèrent le camp sans que les ennemis fissent aucun mouvement pour les poursuivre; ils avaient de la cavalerie et n'en profitèrent pas pour couper la retraite à cette petite troupe.

On apercevait alors le lac Maréotis couvert de barques et de chaloupes remplies de troupes, protégées par cinquante chaloupes et barques canonnières. Toute cette flottille était déjà, au lever du soleil, en face de la colonne de Pompée; le vent contraire avait retardé sa marche et l'avait empêché d'arriver, au point du jour, au lieu du débarquement. On la voyait se diriger vers l'embouchure d'un canal comblé, par lequel le lac Maréotis communiquait autrefois avec la mer. C'était là que les dix-huit chaloupes qui composaient la flottille française étaient placées, sous la protection de trois pièces de 18, depuis qu'on avait évacué l'île de Mariout, quelques jours auparavant. Il était évident que cette flottille se dirigeait sur ce point, et qu'elle irait débarquer les troupes un peu plus loin, afin de s'établir sur la langue de terre du Marabou, et d'attaquer ce poste; mais on ne put jamais le faire comprendre au général Menou. Le général Songis, qui pénétra le premier le dessein des ennemis, lui dit vainement de ne pas s'inquiéter de leur fausse attaque sur le camp de Nicopolis, et de faire marcher des troupes pour s'opposer à l'exécution de leur attaque réelle. Il resta toujours, avec le principal corps, au camp de Nicopolis, et ne fit suivre la marche de la flottille que par un bataillon de la la 21e légère, cent guides à pied et cent vingt dragons. Ce corps, de cinq cents hommes seulement, marcha à la hauteur de la flottille jusque vers le Marabou, où les barques se divisèrent sur deux points différens. Il était trop faible pour empêcher les six mille hommes que portait cette flottille de s'établir sur une plage unie, commandée par le feu de toutes les chaloupes canonnières, et se retira vers les ravins de l'ancien canal. La flottille française était trop inférieure à celle des ennemis pour se maintenir sur le lac; il n'existait aucune anse où elle pût se mettre à l'abri, et devenait inutile. On voulut essayer de la convertir en brûlots lorsque la flottille anglaise passa, afin d'y mettre du désordre; mais le vent ne favorisait pas ce projet; elle brûla trop loin pour leur faire du mal.

 

Les Anglais, après s'être établis à terre, attaquèrent le poste du Marabou, et le canonnèrent vivement par terre et par mer. Ce poste, qui n'était qu'une ancienne mosquée bâtie sur un rocher détaché du continent, fut bientôt détruit; il capitula le 3 fructidor. De trois avisos qui étaient mouillés près de ce fort, deux furent coulés, et le troisième rentra, dès le 1er fructidor, à Alexandrie, fort endommagé.

Après la prise du Marabou, les Anglais firent entrer, le 4 fructidor, dans la partie est du port Vieux, une frégate, six corvettes et plusieurs bâtimens légers, et canonnèrent vivement le corps de troupes qui s'était posté, le 29 thermidor, sur les bords de l'ancien canal. Ils prenaient de revers sa droite, tandis que le feu de la flottille du lac Maréotis écrasait sa gauche. L'armée anglaise vint en même temps occuper cette position: elle était forte alors de plus de huit mille hommes, parce qu'elle avait reçu des renforts, entre autres, un régiment de dragons et cinq cents mameloucks. Malgré cette supériorité, elle ne poussa pas vivement le petit corps de six cents Français qui, parfaitement dirigés par le général Eppler, les arrêta un moment et se retira ensuite en bon ordre.

Les troupes françaises prirent alors position; la droite au fort Leturcq, et la gauche sur les hauteurs de la colonne de Pompée. On tira quelques troupes du corps de Nicopolis pour occuper ces dernières; il restait seulement deux mille deux cents hommes pour défendre ce front et les retranchemens du camp de Nicopolis contre l'armée anglaise. Le reste des troupes gardait les ouvrages d'Alexandrie, avec les marins, les invalides, les convalescens et la garde nationale.

Il était surtout nécessaire d'empêcher les ennemis de s'emparer du fort Leturcq, parce que, s'ils y avaient établi des batteries, ils pouvaient de là couler tous les bâtimens qui étaient dans le port Vieux.

Les Anglais restèrent quelques jours sans rien entreprendre; mais le 8, vers onze heures du soir, environ huit cents cavaliers anglais et mameloucks tournèrent les premiers avant-postes, et en enlevèrent quelques uns, tandis qu'une colonne d'infanterie suivait le bord de la mer. Les troisièmes bataillons des 18e et 21e l'arrêtèrent assez long-temps; mais se voyant pris en flanc par la cavalerie, ils se retirèrent sur le fort Leturcq. Les Anglais n'ayant pu réussir à enlever ce fort dans cette surprise, s'établirent auprès, et commencèrent des tranchées pour l'attaquer dans les règles.

Les troupes étaient disséminées autour d'Alexandrie, et partout trop faibles pour résister aux attaques des ennemis, qui, sur tous les points, pouvaient se présenter avec des forces infiniment plus nombreuses. Le seul parti à prendre pour en prolonger la défense, était de la considérer comme un grand camp retranché, de se renfermer dans les ouvrages, et de conserver toujours au centre un gros corps disponible, qu'on aurait opposé à l'ennemi sur les points où il aurait attaqué l'enceinte. Pour cet effet, il aurait fallu évacuer le camp de Nicopolis, et ne conserver en dehors de la place que le fort Leturcq, les hauteurs de la colonne de Pompée, une partie de l'enceinte des Arabes et la redoute de Cléopâtre. Par ce moyen, on aurait pu disputer encore quelque temps la prise d'Alexandrie contre des ennemis peu entreprenans; mais, lors même que le général Menou aurait su prendre ce parti, il n'était plus temps de l'adopter, parce que les vivres et l'eau allaient manquer: il n'en restait que jusqu'aux premiers jours de vendémiaire. Les soldats, qui ne recevaient depuis long-temps que du pain composé de moitié blé et moitié riz et un peu de viande de cheval, étaient épuisés par cette mauvaise nourriture; et l'eau, devenue saumâtre, donnait naissance à beaucoup de maladies, particulièrement au scorbut; les hôpitaux étaient encombrés de plus de deux mille malades: d'autres, convalescens ou éclopés, n'étaient en état de faire que le service des forts; il ne restait pas trois mille hommes en état de se battre, et ils étaient accablés par les privations et la fatigue des journées précédentes.

D'après ces réflexions, on fut convaincu que lors même qu'on pourrait encore défendre quelque temps Alexandrie, la famine forcerait bientôt à capituler, et qu'il valait mieux s'y résoudre avant que les Anglais eussent resserré davantage la place et obtenu quelque succès, parce qu'on pouvait encore leur dicter les conditions de l'évacuation; mais personne n'osait en parler au général Menou, qui ne savait ni comment combattre, ni comment capituler. Cependant quelques généraux et chefs de corps lui firent part de leur opinion le 9 fructidor. Le général Menou envoya aussitôt aux Anglais un parlementaire, pour demander une suspension d'armes de trois jours, pendant lesquels on traiterait de l'évacuation: elle lui fut accordée. Les généraux furent assemblés le lendemain en conseil de guerre: on y arrêta qu'il était inutile de prolonger la défense, et on fixa les conditions qu'on pourrait proposer. Le général Menou, toujours fidèle à son système de rejeter ses fautes sur les autres, dit que c'était l'évacuation du Caire qui entraînait celle d'Alexandrie, et ne parla plus de s'ensevelir sous les murs de cette place. Il fut dressé procès-verbal de ce conseil de guerre et des motifs qui déterminaient à traiter; la capitulation fut signée le 12, et ratifiée le 13 par les généraux en chef.

On remit, le 15 fructidor, les forts Leturcq et Duvivier et le camp de Nicopolis aux Anglais, qui s'engagèrent à fournir les bâtimens nécessaires au transport de la garnison en France: elle s'embarqua avec armes et bagages. Les trois frégates et les autres bâtimens qui se trouvaient dans le port d'Alexandrie furent remis aux ennemis. Le capitaine Villeneuve commandait ces frégates: il avait voulu, lorsqu'on se disposait à capituler, essayer de sortir pendant la nuit, afin de sauver ces bâtimens, s'il était possible, ou de ne les perdre au moins qu'après un combat; mais il n'avait pu en obtenir l'agrément du général Menou.