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Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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Nous avons vu qu'on avait successivement envoyé des troupes à Rahmaniëh, mais trop tard pour empêcher les Anglais de s'établir à Rosette, et en trop petit nombre pour les en chasser. Les ennemis suivirent ce mouvement et augmentèrent leur corps de Rosette, à mesure qu'ils virent partir des troupes d'Alexandrie. Une partie de ces renforts occupa les hauteurs d'Aboumandour; l'autre joignit l'avant-garde établie à Hamat, et qui s'y retranchait.

Le général Valentin était parti de Rahmaniëh avec les 79e et 85e demi-brigades. Le 7e régiment de hussards et le 3e de dragons; quelques barques armées le suivaient sur le Nil. Il s'était arrêté à El-Aft, sans aller reconnaître de plus près l'avant-garde ennemie, non plus qu'une position resserrée entre ce fleuve et le lac d'Edko. Le général Lagrange arriva à Rahmaniëh le 28; il y trouva le général Morand, à qui le duplicata des ordres expédiés, dès le 1er germinal, était enfin parvenu. Ces généraux joignirent, le 29, le général Valentin à El-Aft: ils s'y établirent et commencèrent des retranchemens. Ce corps, composé d'environ trois mille neuf cents hommes, était trop faible pour attaquer les Anglais dans la position d'Hamat, où on ne pouvait arriver que par un chemin étroit, bordé et coupé de canaux, et par conséquent très difficile pour l'artillerie et la cavalerie.

L'armée se trouvait alors divisée en trois corps, tous inférieurs de beaucoup à ceux des ennemis. Il restait à Alexandrie quatre mille cinq cents hommes disponibles, qui ne pouvaient rien entreprendre contre le camp des Anglais, gardé par sept à huit mille hommes, et dont les retranchemens avaient été renforcés. À El-Aft, trois mille neuf cents hommes étaient opposés aux corps ennemis qui occupaient Rosette, et dont la force avait été graduellement portée à sept mille Anglais et six mille Turcs. Au Caire, après que le reste de la 21e légère, arrivé le 16 germinal, avec le général Donzelot, fut réuni aux garnisons de Belbéis et de Salêhiëh, et à celle de Souez, qui se retira par la vallée de l'Égarement, lorsque la flotte venue de l'Inde fut prête à débarquer, il y avait deux mille cinq cents hommes d'infanterie. Ce corps avait à défendre cette ville contre le visir, qui s'avançait avec une armée de vingt-cinq mille hommes. Le 10 floréal, il vint camper à Belbéis et s'y retrancha; son armée s'accrut avec assez de rapidité par des bandes qui partirent de la Syrie et des autres provinces de la Turquie asiatique aussitôt qu'elles surent qu'on pouvait franchir le désert sans danger, et se répandre dans l'Égypte pour la piller. Le corps anglais venu de l'Inde devait se joindre au visir. Le général Belliard recevait du général Menou des ordres très précis de garder le Caire, et n'avait pas assez de troupes pour marcher contre le visir sans l'abandonner. Il plaça ses troupes de manière à défendre les avenues de cette ville, afin d'empêcher les Osmanlis d'y pénétrer et d'en faire soulever les habitans. Il établit son corps principal entre le fort Camin et la tour du Nil, à Boulac; couvrit cet espace par quelques redoutes, et fit camper une colonne mobile entre la citadelle et la porte Kléber.

Cette séparation de l'armée en trois corps, tous trop faibles, ne pouvait produire que des revers. Puisque le général Menou s'obstinait à rester à Alexandrie avec une partie des troupes, au lieu de réunir l'armée, et qu'on n'avait pas assez de forces pour reprendre Rosette, on aurait dû abandonner un moment Rahmaniëh, dérober quelques marches aux Anglais, et se joindre aux troupes du Caire pour battre le visir avant qu'il eût eu le temps de s'organiser; et lorsqu'après l'avoir rejeté dans le désert, on n'aurait plus eu d'inquiétude pour le Caire, redescendre, à marches forcées, avec toutes les troupes, vers Rahmaniëh. Si, dans ces entrefaites, les Anglais s'étaient avancés jusque-là, l'armée française, plus faible en infanterie, mais supérieure en cavalerie, aurait eu beaucoup d'avantage à leur livrer bataille dans un pays ouvert; si, au contraire, ils avaient gardé leur position vers Rosette, on aurait eu de plus grands moyens pour s'opposer à leurs progrès. Il aurait été fort avantageux dans ce cas de remettre la garde du Caire à Mourâd-Bey, en conservant seulement garnison dans les forts, si on l'avait engagé plus tôt à se rapprocher; mais ces deux corps étaient divisés de commandement, et on ne pouvait exécuter un pareil mouvement que par les ordres du général Menou.

Les choses restèrent dans cet état jusqu'au 16 floréal, les deux armées se bornant à retrancher leur position. Dans cet intervalle de temps, des convois de quatre à cinq cents chameaux faisaient continuellement des transports de Rahmaniëh à Alexandrie; mais le grand nombre de chevaux qu'on y gardait très inutilement, obligeait à y porter des fourrages pour les nourrir, tandis qu'une grande quantité de vivres de diverse nature, et de munitions, qui avaient été expédiées du Caire par ordre du général Menou, restaient à Rahmaniëh, faute de moyens de transport suffisans.

Les eaux s'étendirent lentement dans le lac Maréotis; elles atteignirent Mariout le 5 floréal, et le 16, la tour des Arabes: alors, on établit à Mariout, où le lac est resserré et se divise en deux bras, des bateaux pour le passage, et on plaça dans l'île quelques pièces de canon pour les protéger: on y fit aussi porter des barques qui furent armées, pour former une petite flottille et observer celle que les Anglais y firent pareillement entrer du lac Maadiëh. Les convois devinrent alors plus difficiles.

La flottille que les Anglais avaient fait entrer dans le Nil fut portée successivement à quarante bâtimens armés. Le 19 floréal, ils reçurent, à Aboukir, un renfort de deux mille neuf cents hommes, qui remplaça leurs pertes.

La position prise par les troupes françaises à El-Aft était mauvaise; son front était fortifié, mais l'ennemi pouvait marcher entre sa gauche et le lac, et la tourner; il pouvait aussi faire passer entre les lacs d'Edko et Maadiëh un corps qui, se portant sur Rahmaniëh, aurait forcé à s'y reployer pour défendre les magasins. La droite de cette position, appuyée au Nil, était, il est vrai, flanquée par quelques chaloupes canonnières; mais les Anglais pouvaient placer sur la rive droite du fleuve des batteries pour protéger leur flottille, déjà beaucoup supérieure. Il aurait peut-être mieux valu laisser seulement une petite avant-garde vers El-Aft, pour observer les mouvemens des Anglais, et au lieu de s'enfermer dans de faibles retranchemens, tenir la campagne autour de Rahmaniëh, afin de saisir le moment où les Anglais seraient dans un pays plus ouvert, pour attaquer une de leurs ailes avec cette supériorité que donnait à l'infanterie française la rapidité de sa marche.

Les Anglais se décidèrent enfin à commencer de nouvelles opérations. Ils avaient divisé leur armée, afin de pouvoir garder leur position dans la presqu'île d'Aboukir, et agir en même temps dans l'intérieur de l'Égypte. Malgré l'avantage du nombre, ils craignaient encore qu'on ne profitât de ce moment pour réunir un corps d'armée et les combattre divisés: aussi tous leurs mouvemens annoncèrent de la timidité. Le 16 floréal, sept mille Anglais et six mille Turcs vinrent camper près de Dérout, et poussèrent une reconnaissance sur le camp d'El-Aft; leur flottille remonta le Nil jusqu'à la même hauteur.

Le 18, un corps d'Anglais et de Turcs passa sur la rive droite du Nil, à Fouah, avec de l'artillerie, qui de suite fut mise en batterie au-dessus d'El-Aft, tandis que l'armée anglo-turque s'avançait contre les Français.

Les défauts de cette position d'El-Aft ont été indiqués ci-dessus; ils furent alors bien sentis; on n'engagea pas le combat, et on se retira sur Rahmaniëh.

Les batteries établies sur la rive droite du Nil gênèrent la retraite de la flottille française; une chaloupe canonnière fut brûlée, d'autres coulées, mais quatre barques armées parvinrent à Rahmaniëh.

Le 19, les Anglo-Turcs marchèrent sur ce poste. La gauche, qui suivait le bord du Nil, était composée de Turcs; les Anglais marchaient en colonne à leur droite; un corps venant de Damanhour devait les joindre.

Si on avait voulu se déterminer sérieusement à combattre les Anglais à Rahmaniëh, il aurait fallu s'éloigner un peu du Nil, pour ôter aux ennemis l'avantage que leur donnait leur flottille, et se procurer celui des armes qui leur manquaient, la cavalerie et l'artillerie légère: il aurait fallu attaquer leur aile droite lorsqu'ils auraient passé le canal d'Alexandrie, et laisser insulter par les Turcs la redoute de Rahmaniëh, qui était à l'abri d'un coup de main; il aurait fallu, pour prévoir à tous les événemens, faire remonter le Nil à plus de deux cents barques chargées de vivres et de munitions, qui devaient être perdues aussitôt que les Anglais auraient établi des batteries sur la rive droite.

Les troupes françaises aux ordres du général Lagrange étaient placées autour de la redoute de Rahmaniëh et derrière les digues du canal d'Alexandrie; la cavalerie était au bord du Nil. Aussitôt qu'on aperçut l'ennemi, elle fut détachée à leur rencontre, et passa le canal sans l'appui de l'infanterie; elle ne pouvait rien contre les Anglais, qui marchaient en colonnes serrées: aussi dut-elle leur céder le terrain, et repasser le canal, où elle mit ses pièces en batterie; mais le corps qui avait passé par Damanhour, et de l'infanterie qu'ils détachèrent par le canal, la forcèrent bientôt à s'en éloigner. Les Anglais se déployèrent devant elle sur les bords du canal; ils se bornèrent jusqu'au soir à pousser des tirailleurs en avant. Le corps turc avançait éparpillé vers un canal d'irrigation dérivé du Nil; un petit nombre de tirailleurs français l'arrêta long-temps: les Turcs parvinrent cependant à s'y établir; mais deux cents hommes de la 2e légère et de la 13e les y attaquèrent vers trois heures du soir, et les forcèrent à s'éloigner avec une grande perte. Les Anglais n'avaient placé aucun corps pour les soutenir; le général Hutchinson arrêta même un mouvement que faisait le général Doyle, lorsqu'il s'aperçut du désordre des Turcs.

 

Un corps d'Anglo-Turcs avait marché sur la rive droite du Nil, et avait établi des batteries en face de Rahmaniëh et du bras du fleuve servant de port, où se trouvait toute la flottille française. Ces batteries servirent à protéger celle des Anglais, qui remontait le Nil. On vit alors que le lendemain on ne pourrait essayer, sans se compromettre, de résister aux nouvelles attaques d'ennemis trop supérieurs; que la flottille anglaise, protégée par les batteries établies sur la rive droite du Nil, prendrait en flanc et de revers les troupes françaises; et dès que la nuit fut venue, on exécuta la retraite sur le Caire. La flottille ne pouvait plus sortir du port de Rahmaniëh, parce que les batteries de la rive droite du Nil s'y opposaient; on dut l'abandonner, ainsi que les munitions d'artillerie et de vivres dont elle était chargée. Un convoi considérable d'artillerie et de vivres, parti du Caire, et qui passait par le canal de Menouf, n'étant pas prévenu de cette retraite, tomba aussi entre les mains des ennemis.

La redoute de Rahmaniëh n'était pas en état de résister long-temps; on y laissa une garde pour les malades qu'on ne pouvait évacuer: elle capitula le 20, à la première sommation des Anglais.

Les lettres qu'on avait écrites d'El-Aft au général Menou, l'avaient engagé à envoyer le général Délegorgue à Birket, avec un bataillon de la 18e, un de la 25e et cent dragons, pour s'opposer aux corps que l'ennemi pourrait diriger entre le lac Maadiëh et celui d'Edko, et par Damanhour, sur Rahmaniëh. Ce général partit d'Alexandrie le 19, et arriva le 21 à Birket; mais, sur la nouvelle qu'il y reçut de la perte de ce fort, il revint à Alexandrie. On ne pouvait plus alors recevoir aucun approvisionnement: on voulut essayer un fourrage dans les villages du Bahirëh, vers Amran. Tous les chevaux qui se trouvaient à Alexandrie furent réunis, et on les fit partir le 24, sous l'escorte des dromadaires, d'un bataillon de la 23e et de cent dragons; le tout commandé par le chef de brigade Cavalier.

La prise de Rahmaniëh, qui isolait Alexandrie du reste de l'Égypte, fit murmurer l'armée contre le général Menou, qui, refusant de croire à cet événement, n'avait pris aucune mesure pour en prévenir les suites. Ces murmures lui parvinrent, ainsi que les témoignages d'estime et de confiance que les troupes accordaient au général Reynier. Le bruit qui circulait alors, et qui fut accrédité par les Anglais, que ce général avait été nommé commandant de l'armée, et le général Menou restreint à l'administration de l'Égypte, augmentait encore sa jalousie contre lui: elle s'accrut d'autant plus violemment, qu'il ne pouvait se dissimuler que ce général lui avait annoncé tous les revers de l'armée, en lui indiquant les moyens de les prévenir. Il voulut alors écarter ce témoin de ses fautes, et la seule expédition militaire qui dans toute la campagne ait été bien combinée, eut lieu dans la nuit du 23 au 24 floréal. Trois cents hommes d'infanterie, cinquante de cavalerie, une pièce de canon et des sapeurs avaient été rassemblés et ignoraient leur destination, lorsqu'on leur fit investir la maison du général Reynier, afin de le conduire à bord d'un bâtiment prêt à partir, ainsi que le général Damas, l'ordonnateur en chef Daure, l'adjudant-commandant Boyer et plusieurs autres officiers. Le général Reynier craignait moins une pareille violence que d'autres événemens qui pourraient le conduire à prendre le commandement lorsqu'il n'y aurait plus que de faibles ressources, et que les chances les plus avantageuses seraient de retarder la capitulation: s'il avait dû la faire, il aurait donné une espèce de probabilité au bruit que le général Menou avait cherché à répandre sur un parti anti-coloniste. Il lui était avantageux, dans sa position, de retourner en France, mais sans avoir l'air d'abandonner l'armée, sans éviter de partager ses souffrances, et d'une manière qui annonçât ouvertement qu'il n'avait eu aucune part aux fautes du général Menou.

Le général Reynier, après s'être assuré qu'on n'avait d'autre projet que de le faire partir, laissa entrer les troupes, se rendit à bord du brick le Lodi avec les officiers désignés, et écrivit au général Menou, en lui donnant encore des conseils sur la défense d'Alexandrie. Le général Damas s'embarqua sur le Good-Union avec l'ordonnateur Daure. Les soldats témoignèrent les regrets qu'ils éprouvaient d'être chargés de l'exécution de pareils ordres. Ces bâtimens ne purent partir que le 29. Le Lodi arriva en France, après avoir été vivement poursuivi par beaucoup de bâtimens ennemis; le Good-Union fut pris par les Anglais, qui pillèrent la modique succession de Kléber, dont le général Damas était dépositaire.

Le général Menou avait négligé jusqu'alors d'expédier des bâtimens pour instruire le gouvernement de la situation de l'armée; sa jalousie seule contre le général Reynier le détermina à en faire partir, sans envoyer aucun rapport sur les événemens. Cependant on aurait pu y employer plusieurs bâtimens qui se trouvaient dans le port d'Alexandrie, notamment les frégates envoyées pour porter des secours, que le général Menou avait retenues, quoiqu'elles eussent reçu l'ordre de retourner dès que leur mission serait remplie.

CHAPITRE V.
MARCHE POUR RECONNAÎTRE L'ARMÉE DU VISIR. – PRISE D'UN CONVOI PARTI D'ALEXANDRIE. – ÉVACUATION DE LESBËH, DAMIETTE ET BOURLOS. – ESPRIT ET CONDUITE DES HABITANS DE L'ÉGYPTE ET DES MAMELOUCKS. – MORT DE MOURÂD-BEY. – INVESTISSEMENT DU CAIRE ET TRAITÉ POUR L'ÉVACUATION DE CETTE VILLE

Le général Lagrange arriva le 23 floréal au Caire, avec le corps qui s'était retiré de Rahmaniëh. Cette jonction donnait au général Belliard les moyens de marcher contre le visir, avant l'approche des Anglais. Si alors on était parvenu à le rejeter dans le désert, une faible garnison devenait suffisante pour contenir les habitans du Caire, et le corps de troupes qu'on aurait réuni, pouvait être opposé avec succès à l'armée anglo-turque qui marchait sur cette ville.

Les généraux anglais craignaient ce mouvement et avaient recommandé au visir, ainsi qu'aux officiers de leur nation qui dirigeaient son artillerie, d'éviter tout engagement, de céder le terrain; et, dans le cas où ils seraient pressés trop vivement, de faire leur retraite par le Delta pour se réunir à eux. Il est douteux que le visir eût adopté ce plan; il n'aurait pas trouvé convenable à sa dignité de fuir dans les villages du Delta avec une escorte dispersée; craignant aussi de se mettre au pouvoir du capitan-pacha en allant les joindre, il aurait préféré de repasser le désert, et les hommes rassemblés des diverses parties de l'Asie qui composaient son armée, auraient suivi le groupe de ses gardes aussitôt qu'ils lui auraient vu prendre la route de Syrie.

La lenteur que les Anglais avaient mise dans toutes leurs opérations, faisait présumer qu'on aurait le temps d'exécuter ce mouvement avant leur arrivée près du Caire. Peut-être aurait-il convenu d'abandonner entièrement cette ville et de garder seulement la citadelle de Gisëh; on aurait ainsi réuni un plus grand nombre de troupes; mais ce parti, bon lorsque les ennemis étaient éloignés, n'était pas à cette époque sans inconvéniens; l'affaire contre le visir pouvait ne pas être décisive; des partis de son armée pouvaient se jeter dans la ville, alors il ne serait plus resté que de faibles ressources; la communication avec Gisëh et la citadelle où étaient les magasins, serait devenue difficile; on aurait enfin perdu l'influence d'opinion attachée à la possession de la capitale; d'ailleurs, le général Belliard avait des ordres très précis du général Menou pour la conserver.

On organisa, le 24, le corps qui devait sortir du Caire, pour aller reconnaître s'il était encore possible d'attaquer le visir avec avantage. Le général Belliard y laissa le général Almeiras pour garder les forts et contenir les habitans; il avait sous ses ordres mille hommes d'infanterie et trois cents Cophtes et Grecs, les invalides, cavaliers non montés, canonniers, ouvriers, etc., qui formaient la garnison des forts, au nombre de treize cents hommes, non compris neuf cents malades aux hôpitaux, et les employés.

Le général Belliard se mit en marche le 25 avec quatre mille cinq cents hommes d'infanterie, neuf cents de cavalerie, et vingt-quatre pièces de canon. Après avoir chassé devant lui quelques partis de cavalerie ennemie, il fit halte pendant la nuit à El-Menayer.

Le 26, à la pointe du jour, il se mettait en mouvement, lorsqu'on aperçut, près du village d'El-Zouamëh, un corps ennemi d'à peu près neuf mille fantassins et cavaliers turcs, appuyés par environ cinq cents Anglais qui dirigeaient l'artillerie. Les troupes françaises s'avancèrent sur les hauteurs qui terminent le désert, à l'est d'El-Menayer. L'infanterie en carrés forma les deux ailes; le centre était occupé par la cavalerie. Le feu de l'artillerie française eut bientôt éteint celui de l'artillerie ennemie. La cavalerie chargea sur les pièces, en prit deux, et mit en fuite l'infanterie turque et les canonniers anglais; mais elle ne put les poursuivre, parce qu'en s'éloignant trop de la protection de l'infanterie, elle pouvait être écrasée par leur cavalerie, infiniment supérieure en nombre, et qui entourait déjà les troupes françaises. Les Osmanlis tentèrent quelques charges contre les carrés, mais sachant par l'expérience des campagnes précédentes, qu'il était impossible de les rompre, ils n'osèrent s'abandonner, et le feu de l'artillerie suffit pour les éloigner.

Les groupes des ennemis cédaient le terrain à mesure que les troupes françaises avançaient; depuis plusieurs heures que ces escarmouches se prolongeaient inutilement, les soldats, qui souffraient dans le désert d'une chaleur excessive, et surtout de la privation d'eau, commençaient à être fatigués, on les fit arrêter à des puits près d'El-Zouamëh. Pendant cette halte, l'armée du visir, qui arrivait de Belbéis, se répandit autour d'eux; ils se mirent en mouvement contre les groupes les plus serrés, sans pouvoir engager le combat décisif; quelques corps de cavalerie paraissaient dans l'éloignement prendre la route du Caire. On devait craindre à la fois qu'ils ne parvinssent à y pénétrer, et que les démarches du visir, qui évitait de s'engager, n'eussent pour but de laisser aux Anglais le temps d'y arriver et de s'en rendre maîtres, ainsi que de Gisëh. On jugea qu'il était nécessaire de se rapprocher de cette ville; les troupes y rentrèrent le 27, et furent réparties de manière à en défendre toutes les avenues.

Le chef de brigade Cavalier, envoyé pour faire un fourrage dans les villages du Bahirëh, était parti, le 24 floréal, d'Alexandrie, avec deux cent vingt hommes de la 25e demi-brigade, cent vingt-cinq dragons des 14e et 18e régimens, quatre-vingt-cinq dromadaires et une pièce de canon; il escortait six cents chameaux. Arrivé le 26 à El-Och, il trouva ce village abandonné et dépourvu de grains, la récolte n'étant pas encore achevée: il se rendit à Amran; même impossibilité de charger ses chameaux. Il forma la résolution de pousser jusqu'au Caire pour y chercher des vivres, qu'il conduirait ensuite à Alexandrie par le désert. Trompé par les rapports des habitans, il croyait que l'armée anglo-turque était encore à Rahmaniëh. N'ayant reçu, lors de son départ, des vivres que pour deux jours, il ne pouvait s'éloigner des villages, où ses troupes se procuraient toujours quelques subsistances, pour prendre la route des lacs de Natron; il suivit la lisière du désert et des terres cultivées. Arrivé près de Terranëh, il aperçut une flottille sur le Nil; à peine avait-il reconnu les pavillons anglais et turcs, qu'il vit des colonnes ennemies se diriger sur lui. Depuis son départ d'El-Och, il avait toujours été entouré de sept à huit cents cavaliers arabes, qui, sans l'inquiéter beaucoup, l'avaient cependant empêché d'éclairer sa marche par la cavalerie. Les chameaux, épuisés de fatigue, ne pouvaient s'éloigner assez rapidement; il essaya cependant de s'enfoncer dans le désert; mais il fut bientôt atteint par la cavalerie ennemie, et forcé de ralentir sa marche pour leur faire face et leur résister sans se rompre. Ce premier corps fut bientôt joint par plusieurs pièces d'artillerie légère et de l'infanterie. Ces quatre cent cinquante Français, attaqués par trois mille Anglais et embarrassés par un convoi, ne pouvaient se défendre; ils rejetèrent néanmoins avec beaucoup de fermeté les premières sommations qui leur furent faites de se rendre prisonniers. Leur contenance fière engagea les Anglais à signer avec le chef de brigade Cavalier, une convention par laquelle ce corps serait embarqué pour la France avec armes et bagages.

 

Dans le même temps, six mille Turcs occupèrent Damiette, tandis que mille autres débarquèrent à Dibëh; quatorze bâtimens anglais et turcs bloquaient le Boghaz: tout se disposait pour l'attaque de Lesbëh. Ce fort était bien garni d'artillerie, mais il y avait seulement douze canonniers pour servir toutes les pièces; son développement était aussi trop considérable pour la garnison chargée de le défendre. On prit le parti de l'évacuer, d'enlever les pièces, de jeter les munitions et les vivres dans le Nil et de couler les chaloupes canonnières. La garnison passa le fleuve le 20 floréal, et se retira avec les marins sur Bourlos, pour de là essayer de se réunir au corps de Rahmaniëh. Elle apprit que ce corps s'était replié sur le Caire, et ne pouvant rester à Bourlos faute de vivres, elle s'embarqua sur quatre bâtimens qui s'y trouvaient, dans l'intention de se jeter, si cela était possible, dans Alexandrie. Deux furent pris; les autres parvinrent à s'échapper, et gagnèrent les ports d'Italie.

Avant la bataille d'Héliopolis, les mouvemens des ennemis sur la frontière avaient toujours occasionné des soulèvemens en Égypte, et surtout dans les cantons qui n'étaient pas contenus par la présence des troupes; cette victoire, la prise du Caire, la clémence du vainqueur, qui borna le châtiment des révoltés à de fortes amendes, eurent une telle influence sur les habitans, que le débarquement d'une armée anglaise, ses premiers avantages, la présence du capitan-pacha et les préparatifs du grand-visir, ne détruisirent pas leur confiance et leur attachement aux Français. Tous faisaient des vœux pour le succès de leurs armes. Les musulmans même les plus fanatiques, qui, pour me servir de leurs expressions, étaient contens de voir des infidèles se détruire entre eux, préféraient le joug des Français à celui d'étrangers qu'ils ne connaissaient pas. Les firmans répandus par le visir et par le capitan-pacha n'avaient pu exciter aucun mouvement. À mesure que le visir pénétra en Égypte, les cheiks des villages, toujours fidèles à leur système d'obéir à l'ennemi présent, s'empressèrent d'aller lui faire leurs soumissions; mais ils se bornèrent à des protestations d'attachement, et ne fournirent de l'argent et des vivres qu'autant qu'ils y furent contraints. Les Arabes vinrent aussi, avec une partie de leurs cavaliers, joindre son armée, bien moins dans l'intention de lui servir d'auxiliaires que pour éviter ses poursuites, et surtout pour vivre, pendant la crise, aux dépens du pays, et piller les vaincus, s'il y avait une affaire.

Le Caire avait trop souffert pendant le siége qu'il avait eu à soutenir pour s'y exposer de nouveau. La plus grande tranquillité y régnait, malgré la proximité des armées ennemies; mais en même temps qu'ils promettaient de ne faire aucun mouvement, les habitans annonçaient avec franchise qu'ils seraient forcés de se joindre aux Osmanlis, s'ils parvenaient à s'introduire dans la ville, et que les premiers soins des Français devaient être d'en garder toutes les avenues. Le général Belliard, pour mieux les contenir, s'assura de la personne des principaux cheiks, et les garda en otages dans la citadelle.

Nous avons parlé précédemment des vexations que Mourâd-Bey et son envoyé Osman-Bey Bardisi, avaient éprouvées du général Menou, et de la manière dont ses secours avaient été refusés. Cette conduite devait l'indisposer contre le chef des Français, et lui ôter l'espérance d'être protégé par eux. Lorsque les circonstances forcèrent le général Belliard à rappeler les troupes qui occupaient la Haute-Égypte, il invita Mourâd-Bey à descendre avec ses mameloucks; ce bey effectua ce mouvement avec lenteur. Une peste horrible dévastait alors ces provinces; les mameloucks en étaient attaqués, et chaque bey s'isolait dans le désert avec les siens. N'ayant pas été entraîné par des démarches ostensibles à se prononcer ouvertement avant de connaître les résultats de la campagne qui s'ouvrait, il voulait en profiter pour garder une espèce de neutralité, afin de s'arranger avec le vainqueur. Déjà il avait appris le premier succès des Anglais; des agens envoyés par eux, le pressaient d'unir ses intérêts aux leurs. Ennemi juré des Turcs, dont il connaissait toute la perfidie, il savait qu'il ne devait en attendre qu'une vengeance, préparée d'abord par de bons traitemens; mais il pouvait espérer quelque avantage de la protection de leurs alliés; et on peut soupçonner qu'en cas d'événemens malheureux pour les Français, il s'y ménageait un appui. Ses projets éventuels n'ont cependant jamais influé sur sa conduite; il témoigna aux Français jusqu'à sa mort un attachement toujours égal, et même, à cette époque, il préparait pour eux des envois de grains dont il savait qu'ils manquaient. Leurs revers et l'inquiétude qu'il concevait pour son sort futur l'affectèrent vivement. Les chagrins ébranlèrent sa santé; il fut attaqué de la peste, et y succomba le 2 floréal, après trois jours de maladie.

Les beys et mameloucks sentirent vivement cette perte; les circonstances ne permettant pas de porter son corps au tombeau des mameloucks, où ils avaient désigné sa place près d'Aly-Bey, ils l'inhumèrent à Saouagui, près Tahta. Le plus bel hommage fut rendu à sa bravoure; ses compagnons d'armes brisèrent ses armes sur sa tombe, déclarant qu'aucun d'eux n'était digne de les porter.

Mourâd-Bey n'était pas un homme ordinaire; il possédait éminemment les défauts et les vertus qui tiennent au degré de civilisation où les mameloucks sont parvenus. Livré à toute l'impétuosité de ses passions, son premier moment était terrible, le second l'entraînait souvent dans un excès contraire. Doué par la nature de cet ascendant qui appelle certains hommes à dominer les autres, il avait l'instinct du gouvernement sans en connaître les ressorts. Également prodigue et rapace, il donnait tout à ses amis, et pressurait ensuite le peuple pour subvenir à ses propres besoins. Joignez à ces traits généraux une force extraordinaire, une bravoure à toute épreuve, et une constance dans le malheur qui, au milieu des crises fréquentes de sa vie agitée, ne l'a jamais abandonné.

Les beys, après sa mort, reconnurent pour chef Osman-Bey Tambourgi, qu'il leur avait désigné. Il fit faire au général Belliard des protestations d'attachement aux Français, et fit annoncer des envois de grains; mais il mit beaucoup de lenteur dans tous ses mouvemens, afin de mieux régler sa conduite sur les circonstances.

Après la retraite du corps de Rahmaniëh, et la rentrée de celui qui avait été reconnaître l'armée du visir, les beys voyant plusieurs armées s'avancer de concert contre le Caire, en même temps que le corps de l'Inde, arrivé à Kenëh, descendait le Nil, jugèrent les affaires des Français désespérées, et qu'il convenait à leurs intérêts d'abandonner ostensiblement leur cause. Ils allèrent camper auprès du capitan-pacha et des Anglais; mais ils chargèrent en même temps Hussein-Bey, leur envoyé chez les Français, de les prévenir de cette démarche, et de les excuser, en leur annonçant qu'ils ne commettraient aucune hostilité contre eux. En effet, ils tinrent parole.

L'armée d'Orient, lors de son arrivée en Égypte, était, huit jours après le débarquement, à Rahmaniëh, dix jours plus tard, elle livrait la bataille des Pyramides. Les soldats, encore fatigués de la traversée, avaient fait toute cette route sans moyens de transport, ni par terre ni par eau, avant qu'aucun service fût organisé pour leur fournir des subsistances, harcelés continuellement par les mameloucks, les Arabes et tous les fellâhs armés; ils avaient vécu de féves, de lentilles, de maïs, de blé et de quelques bestiaux abandonnés, qu'ils trouvaient dans les villages. L'armée anglaise ne fut à Rahmaniëh que soixante-trois jours après son débarquement, quoique secondée de tous les moyens qu'elle tirait de sa flotte, par un service de subsistances très bien organisé, par une flottille nombreuse sur le Nil et beaucoup de chameaux pour les transports, aidée encore de l'influence du capitan-pacha sur les habitans, qui les présentait comme les satellites de l'islamisme. Elle mit ensuite quarante jours à faire la route de Rahmaniëh à Embabëh, que les troupes françaises parcouraient ordinairement en moins de quatre.