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Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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CHAPITRE III.
ARRIVÉE DE L'ARMÉE À ALEXANDRIE. – AFFAIRE DU 30 VENTÔSE

On apprit ces détails en arrivant à Rahmaniëh. La situation de l'armée française devenait très difficile. Les Anglais, maîtres des digues, mettaient obstacle à la réunion des troupes sous Alexandrie, à moins qu'on ne parvînt à découvrir, dans le bassin du lac Maréotis, un chemin praticable pour l'artillerie; ils pouvaient même y faire entrer l'eau de la mer par une coupure à la digue qui le sépare du lac Maadiëh. Toutes les troupes disponibles n'avaient pas été réunies, et les affaires du 17 et du 22 ventôse avaient affaibli les corps qui y avaient combattu.

Le général Rampon arriva le 26 à Rahmaniëh. On reçut le 27, à Birket, le rapport d'une reconnaissance qui avait découvert une route praticable pour l'artillerie; on s'y dirigea en passant par Agazy, et on arriva vers le Marabou. L'armée fut enfin réunie le 29 à Alexandrie.

Pendant ce temps les Anglais avaient fait le siége d'Aboukir. Ce petit fort, bientôt écrasé par une artillerie supérieure et par les bombes, capitula le 28 ventôse, pour éviter d'être pris d'assaut. Les Anglais avaient pressé avec activité la confection des retranchemens de leur position; ils y avaient transporté beaucoup d'artillerie pour armer leurs redoutes. Ils ne firent d'autres mouvemens que de pousser quelques patrouilles à Bedah. Le 27, le 12e dragons légers rencontra, vers ce village, cinquante hussards du 7e régiment, détachés avec une compagnie de carabiniers de la 21e pour reconnaître leur position sur le canal. Les dragons chargèrent les hussards, qui se lancèrent en même temps sur eux, traversèrent leur escadron, puis retournant tout à coup leurs excellens chevaux arabes, prirent à dos les Anglais, qui, ne pouvant arrêter les leurs, furent ainsi poussés sur la compagnie de carabiniers, dont le feu acheva de les détruire.

Les troupes une fois réunies, il fallait attaquer aussitôt l'ennemi: une victoire assurait la possession de l'Égypte; elle donnait les moyens d'arrêter la marche du visir et celle du corps anglais venu de l'Inde. Un échec ne pouvait pas rendre la position beaucoup plus mauvaise que si, restant en présence des Anglais, on temporisait et consommait les faibles approvisionnement d'Alexandrie, tandis que l'armée du visir, répandue dans l'intérieur du pays, aurait le temps de prendre Damiette, Salêhiëh et les autres petits forts, d'en égorger les faibles garnisons, de soulever les habitans, etc. Il ne fallait pas non plus laisser à l'armée anglaise le temps de recevoir des renforts et de se fortifier davantage.

Si le lac Maréotis avait été praticable dans cette saison, il aurait mieux valu retarder l'attaque, afin d'essayer, par un mouvement rétrograde, d'engager les Anglais à se diviser pour faire le siége d'Alexandrie, et les attirer ainsi sur un champ de bataille plus étendu, où l'armée française, profitant de sa supériorité en artillerie légère et en cavalerie, aurait pu s'assurer la victoire, mais le sol marécageux du lac s'y opposait alors.

Les ennemis étaient tellement supérieurs en nombre, et dans une position si bonne, qu'il y avait peu d'apparence de succès; on ne pouvait en attendre que d'un coup de vigueur sur une de leurs ailes. L'embarras était de faire ordonner de bonnes dispositions par un général en chef qui n'avait pas fait la guerre, et qui fermait l'oreille à tous les avis. Le général Lanusse, à qui le général Menou fit demander indirectement un plan d'attaque, lui envoya, aussi par un tiers, un projet fait de concert avec le général Reynier. Il fut rédigé en ordre du jour, et donné à dix heures du soir aux généraux.

La position des Anglais n'avait pas plus de 1300 toises de développement; les deux ailes, appuyées, la droite à la mer et la gauche au lac Maadiëh, étaient flanquées par des chaloupes canonnières: la gauche était fortifiée par des redoutes construites sur la digue du canal d'Alexandrie, et couverte par des étangs. Les redoutes placées sur les hauteurs occupées par le centre de l'armée, prenaient des revers par toute cette gauche, et le centre était également flanqué, par la position de l'aile droite et par la redoute élevée à côté de l'ancien camp des Romains. Ces ouvrages contenaient beaucoup d'artillerie; les troupes étaient campées derrière, sur deux lignes; la réserve formait une troisième ligne en arrière de la gauche: l'attaque seule de la droite était praticable. On pouvait espérer de la culbuter par un grand effort, de la déborder par la marche supérieure de l'infanterie française; de faire ensuite agir toutes les troupes sur le centre, tandis que l'aile gauche serait occupée par une fausse attaque, de profiter enfin du moment favorable pour décider le succès avec la cavalerie, et acculer les ennemis au lac Maadiëh.

L'armée française, dont la force est détaillée par corps dans le tableau no 3, était de huit mille trois cent trente hommes d'infanterie, treize cent quatre-vingts de cavalerie, avec quarante-six pièces de canon. L'armée anglaise était de seize mille hommes d'infanterie, deux cents chevaux, douze pièces de canon attelées, et trente en position dans les redoutes, sans compter celles des chaloupes canonnières.

Les troupes françaises furent réunies une heure avant le jour31 aux avant-postes; le général Lanusse pensait que les redoutes des Anglais seraient facilement emportées par des grenadiers soutenus par la tête des colonnes. Il forma ses deux brigades en colonnes serrées, pour les déployer au-delà de la grande route et du camp des Romains, afin d'attaquer la droite de l'armée anglaise. La brigade du général Silly devait marcher directement sur la redoute; celle du général Valentin suivre le bord de la mer, et passer entre elle et le camp des Romains. Le centre aurait dû, pour bien suivre la disposition générale, marcher près de la droite de la brigade du général Silly, la suivre en seconde ligne, et après un premier succès, attaquer vivement avec l'aile droite, la position et les redoutes du centre des Anglais: mais sa division en deux corps ayant chacun son commandant, et subdivisés encore par la séparation des grenadiers, lui ôta l'unité d'action nécessaire pour suivre entièrement le plan qui avait été arrêté. L'aile droite devait se déployer entre les étangs et le centre, pour attaquer celui des ennemis, aussitôt que la gauche aurait enfoncé leur droite; elle devait aussi détacher un corps entre les deux lacs, pour occuper la gauche des Anglais, et les empêcher d'envoyer sur Alexandrie des troupes, qui, vu la supériorité de l'armée anglaise, auraient embarrassé les Français. Ce corps devait être secondé par le général Bron, détaché avec deux régimens de cavalerie, dans le bassin du lac Maréotis, et par une fausse attaque des dromadaires sur le canal, du côté de Bedah. On pouvait d'autant mieux espérer que cette fausse attaque occuperait beaucoup les Anglais, et y retiendrait leurs troupes, qu'ils ignoraient la réunion de l'armée à Alexandrie, et pouvaient craindre d'être attaqués de ce côté, ce qui donnait l'avantage d'agir sur leur droite avec égalité de force. La cavalerie devait marcher en seconde ligne derrière l'infanterie, jusqu'à ce que la gauche eût enfoncé la droite des Anglais, et qu'elle pût saisir l'instant de ce désordre, pour décider la victoire par une charge.

Les dromadaires commencent leur fausse attaque au crépuscule; ils surprennent la première redoute, font vingt prisonniers, se servent d'une pièce de canon qu'ils y trouvent pour tirer sur les autres redoutes, et attirent fortement l'attention des ennemis. Le général Lanusse se met alors en mouvement, ainsi que les autres divisions. Une compagnie de carabiniers de la 4e légère, enlève bientôt un premier redan, et y prend une pièce. La brigade du général Silly marche sur la grande redoute. Le général Lanusse s'aperçoit alors que le général Valentin avait quitté le bord de la mer et dirigé sa brigade dans le rentrant de la redoute et du camp des Romains, où les feux croisés qu'elle reçoit la font hésiter; il y court, la rallie et la ramène à la charge. Il reçoit alors une blessure mortelle. L'impulsion qu'il avait donnée se ralentit; on n'ordonne pas le déploiement de cette brigade, et le feu des ennemis force les soldats à se disperser derrière les mamelons. La 4e légère, qui formait la tête de la brigade du général Silly, rencontre, vers l'angle de la redoute, la 32e, qui, dans l'obscurité, s'était dirigée trop à gauche; ces deux corps se mêlent; il en naît un peu de désordre; la 4e légère ne peut franchir les fossés de la redoute; elle glisse sur leur flanc gauche, et est repoussée par la première ligne ennemie. La 18e, qui en avait été séparée par la 32e, ne peut forcer la redoute.

La 32e, ayant à sa tête le général Rampon, attaque ensuite la première ligne des Anglais; elle est repoussée; ce général est démonté et ses habits percés de balles. L'adjudant-commandant Sornet, en marchant aussi sur la ligne ennemie, est blessé mortellement, et les grenadiers qu'il commande ne peuvent pénétrer. Le général Destin suit la route d'Aboukir, et passe dans l'intervalle de la droite et du centre de la première ligne des Anglais; il y reçoit un feu très vif de la seconde ligne et des redoutes, et se retire après une blessure légère; le chef de bataillon Hausser, qui commandait sous ses ordres la 21e légère, avait eu la cuisse emportée; cette demi-brigade reste sans chef au milieu de l'armée anglaise; un régiment en est détaché pour lui couper la retraite: le second bataillon parvient à se retirer; mais trois compagnies du 3e bataillon, composé en grande partie de Cophtes enrôlés dans la Haute-Égypte, et qui étaient dispersées en tirailleurs, sont forcées de se rendre. Trente hommes qui gardaient le drapeau se font tuer avant de le céder aux ennemis. Le chef de brigade Eppler, qui avait marché un peu plus à droite, est blessé, et ses grenadiers sont repoussés. Les petits corps séparés qui formaient le centre s'étaient trop avancés avant d'avoir leur gauche appuyée par la prise de la grande redoute. Presque toutes les troupes avaient attaqué à la fois, isolément et sans seconde ligne. L'obscurité avait mis un peu de désordre dans leur marche, et les principaux chefs étaient hors de combat. Les soldats restant exposés à un feu très vif, sans recevoir d'ordres, se dispersèrent derrière les mamelons.

 

L'aile droite, d'après les dispositions arrêtées, attendait à petite portée de canon du centre des Anglais, le succès de la gauche pour commencer son attaque. Aussitôt que le général Reynier apprend la blessure du brave Lanusse et le désordre de la gauche et du centre, il fait avancer son aile pour les soutenir. Il charge le général Damas de rester, avec la 13e, entre les deux étangs, pour occuper la gauche des Anglais et pousser des tirailleurs vers le canal.

Après le non-succès de cette première attaque, la dispersion des troupes et la perte du général Lanusse, des efforts ultérieurs devenaient inutiles, puisque avant l'action on n'avait d'espérance que dans un premier choc: les trois cinquièmes de l'armée, dispersés, ne pouvaient se réunir et s'organiser de nouveau sous le feu de l'ennemi, pour entreprendre une nouvelle attaque, lorsqu'une partie des chefs était hors de combat. L'aile droite était trop inférieure pour attaquer seule le centre des Anglais, protégés par les feux de revers de la grande redoute du camp des Romains et de l'aile droite. Si on s'était retiré alors, la perte aurait été peu considérable; les Anglais auraient considéré cette affaire comme une grande reconnaissance, et l'armée restait encore assez forte pour tenir la campagne et pour tenter une nouvelle attaque à la première occasion favorable.

Le général Reynier voyant que le général Menou ne donnait aucun ordre, résolut de faire une nouvelle tentative avec l'aile droite sur celle des ennemis: sa réussite aurait donné les moyens de réunir les troupes dispersées, et de les faire agir de nouveau. Tandis que la division Friant et la 85e marchaient pour remplir cet objet; que l'artillerie légère avançait par son ordre, pour éteindre le feu des redoutes, ce général se porta sur des mamelons voisins de la grande route, afin de bien connaître les dispositions des ennemis, et celles qu'il convenait de faire pour les attaquer avec quelque apparence de succès.

Aussitôt que les Anglais s'aperçurent que la principale attaque était dirigée contre leur droite, ils y firent marcher leur réserve. Le général Hutchinson, qui commandait leur gauche, y resta cependant toujours avec six mille hommes, quoiqu'il n'eût devant lui que huit cents hommes de la 13e, trois cents chevaux du 7e régiment de hussards et du 22e de chasseurs, et cent dromadaires.

Pendant que cela se passait, le général Menou se promenait derrière l'armée: le général Lanusse, lorsqu'il fut blessé, l'avait fait prier de le remplacer par le général Damas; il n'avait rien répondu, et n'avait pris aucune mesure pour réorganiser les troupes. Ensuite, rencontrant la cavalerie, il lui ordonna de charger. Vainement on lui fit observer que ce n'était pas le moment, et qu'il la ferait détruire sans en tirer aucun avantage. Ce ne fut qu'au troisième ordre que le général Roize se mit en mouvement32. Cette cavalerie, en passant dans les intervalles des 61e et 73e, arrêta leur marche. Le général Reynier, après s'être convaincu qu'on ne pouvait réorganiser une attaque avec les troupes des divisions Lanusse et Rampon, revenait chercher la division Friant et la 85e pour en essayer une nouvelle, lorsqu'il rencontra cette cavalerie déjà sous le feu de l'infanterie des ennemis. Il était trop tard pour empêcher cette charge déplacée; la cavalerie aurait perdu presque autant de monde en restant en place qu'en achevant de l'exécuter. Le général Reynier fit accélérer le mouvement de ses troupes, afin qu'elles pussent la protéger; mais à peine la 61e arrivait-elle au pied de la redoute, que déjà la cavalerie était repoussée.

Le général Silly venait d'avoir la cuisse emportée; plusieurs chefs de corps étaient blessés; il ne restait auprès de la gauche et du centre aucun chef qui pût profiter de la proximité des ennemis, au moment du désordre que la cavalerie mit dans leur première ligne. Le général Baudot fut alors blessé mortellement devant la 85e.

Le général Roize et tous les chefs sous ses ordres sentaient la faute qu'on leur faisait commettre; mais tous se conduisirent en braves, animés par le désespoir d'être sacrifiés inutilement. La première ligne, commandée par le général Boussart, et composée des 3e et 14e de dragons, chargea la première ligne ennemie derrière la grande redoute; le 14e, arrêté par les fossés creusés sur le front du camp, fut obligé de les tourner; l'infanterie ennemie fut culbutée; les soldats se jetaient ventre à terre et se réfugiaient dans les tentes, où les chevaux s'embarrassaient. Le feu de flanc des redoutes et celui des secondes lignes ayant tué, blessé ou démonté un grand nombre d'officiers et de dragons, on fut obligé de se retirer. Le général Boussart avait été atteint de deux balles. L'infanterie anglaise reprit alors ses armes et fut renforcée par la réserve. Le général Abercombrie, qui s'y trouvait avec son état-major, fut blessé mortellement; le général Roize fut tué; un grand nombre d'officiers et de dragons eurent le même sort; d'autres furent blessés et démontés. Les débris de cette cavalerie durent se retirer en désordre; et lorsqu'elle fut reformée derrière l'infanterie, il n'y avait pas le quart de ceux qui avaient chargé.

La destruction de la cavalerie ne laissant aucun espoir de succès, on aurait dû prendre le parti de se retirer, pour éviter des pertes plus considérables, et réorganiser l'armée, afin d'être encore en état de tenter quelque entreprise. Le général Reynier alla chercher plusieurs fois le général Menou, pour lui faire sentir qu'il était nécessaire de prendre promptement un parti; qu'il fallait ou se retirer, ou tenter, avec les troupes de l'aile droite, qui étaient encore fraîches, une nouvelle attaque dont on pourrait tirer quelque avantage, si on parvenait à s'emparer de la grande redoute, à culbuter l'aile droite anglaise; qu'on pouvait essayer si la fortune ne favoriserait pas quelque entreprise audacieuse, quoiqu'il fût peut-être imprudent d'exposer les seules troupes qui pussent soutenir la retraite, etc. Il n'obtint aucune réponse précise. Les troupes restaient sous le feu des lignes et des batteries ennemies sans faire aucun mouvement, et perdaient à chaque instant une foule de braves. Les munitions de l'artillerie étaient épuisées. Les Anglais ayant fait avancer quelques corps qui prirent en flanc la 4e légère, la forcèrent d'abandonner les mamelons qu'elle occupait. Les tirailleurs qui étaient sous la grande redoute durent aussi se retirer. Enfin, après deux heures d'indécision, le général Menou ordonna la retraite: elle se fit dans le plus grand ordre. Les Anglais n'osèrent pas sortir de leurs retranchemens, et l'armée française reprit, à onze heures du matin, sa position sur les hauteurs de Nicopolis.

CHAPITRE IV.
DISPOSITION APRÈS L'AFFAIRE DU 30 VENTÔSE. – PRISE DE ROSETTE ET DE RAHMANIËH. – PASSAGE DU DÉSERT PAR LE VISIR

Le lendemain de l'affaire du 30, le général Reynier, voyant que le général Menou ne donnait aucun ordre pour faire occuper aux troupes une position plus avantageuse que celle de Nicopolis, et pour prendre, relativement aux divers corps disséminés en Égypte, les dispositions qu'exigeaient les circonstances, alla chez lui: il lui dit que la position sur les hauteurs de Nicopolis était trop étendue pour qu'il fût prudent d'y attendre les Anglais; que ces derniers, avec quinze mille hommes, pouvaient, par une attaque vigoureuse, y culbuter les troupes et entrer avec elles dans Alexandrie; qu'on pouvait prendre une meilleure position en plaçant la droite sur les hauteurs de la colonne de Pompée, le centre à l'enceinte des Arabes, et la gauche au Pharillon; mais que, néanmoins, des considérations majeures devaient faire préférer un plus grand parti. La réunion de toutes les troupes à Alexandrie épuisait les magasins, qui étaient peu considérables; l'armée du visir, ainsi que le corps venu de l'Inde, devaient être en marche; les Anglais pouvaient occuper Rosette, faire entrer une flottille dans le Nil et attaquer Rahmaniëh; il était nécessaire de s'y opposer. Enfin, le reste de l'armée étant dispersé dans plusieurs mauvais postes qui devenaient inutiles et qu'on ne pouvait plus secourir, ces détachemens isolés pouvaient être battus en détail, si on ne se déterminait pas à faire sauter ces forts, afin de réunir leurs garnisons à un corps d'armée. Pour parer à ces divers dangers, le général Reynier proposait de laisser à Alexandrie, à la citadelle du Caire, au fort Julien et à Lesbëh, des garnisons suffisantes, et de réunir l'armée à Rahmaniëh, afin de profiter des occasions favorables pour battre les Anglais, lorsqu'ils quitteraient leur position pour attaquer Alexandrie et Rosette; et, suivant les circonstances, marcher contre le visir aussitôt qu'il passerait le désert.

Le général Menou avait tant parlé de parti anti-coloniste, qu'il avait fini par se persuader que toute proposition d'abandonner des forts, pour réunir l'armée, avait pour but un projet d'évacuation de l'Égypte. Il ne prit que des demi-mesures, ne rappela que les postes de Mit-Khramr et de Menouf, n'envoya à Rahmaniëh et Rosette que la 85e, avec cent dragons du 3e régiment; donna ordre au général Belliard de faire partir pour Rahmaniëh douze cents hommes33; de réduire au strict nécessaire les garnisons de Belbéis et de Salêhiëh, et de presser le retour des troupes qui étaient encore dans la Haute-Égypte. Il envoya au général Morand l'ordre de laisser cent hommes à Lesbëh, autant dans les tours du Boghaz, de Dibëh et d'Omm-Faredje, et de venir à Rahmaniëh avec ce qui restait de la 2e légère, du 20e régiment de dragons, et l'artillerie. Ce dernier ordre fut porté par un Arabe qui n'arriva pas.

Le général Menou, pendant qu'il était au Caire, ne voulut pas croire que les Anglais pussent débarquer. Lorsqu'il fut à Alexandrie, il chercha à se persuader que le visir ne marcherait pas, que les Anglais ne pouvaient rien entreprendre; que, tant qu'il serait en face de leur armée, ils n'oseraient pas quitter leur position, ni faire de détachemens sur Rosette, et qu'ils se rembarqueraient bientôt.

Autant les troupes estiment le général instruit, homme intrépide, qui, ferme et constant au milieu des dangers qu'il brava souvent à leur tête, sait, dans une circonstance difficile, tirer de son expérience et de sa valeur les ressources qu'un vulgaire timide croit anéanties; autant elles méprisent le présomptueux qui, la main sur les yeux et l'oreille fermée, cherche à s'étourdir sur des périls dont il n'ose envisager l'étendue: fanfaron ignorant, qui, loin de l'ennemi, prédit avec emphase des succès qu'il n'a pas su préparer, qu'il ne saura point obtenir à son approche. C'est peu qu'un pareil chef aime à se tromper lui-même; on le voit encore en imposer à ses troupes sur la force de ceux qu'elles ont à combattre; méthode vicieuse, bonne tout au plus avec des soldats neufs, sans coup d'œil, sans habitude de la guerre; mais avec de vieux guerriers!.. c'est douter de leur courage, c'est outrager leur gloire, que de leur déguiser le nombre des ennemis. Celui qui adopte cette méthode, qui, par orgueil, ne veut point avouer ses fautes et cherche perfidement à les faire retomber sur les autres, se croit sûr de parer à tous les événemens s'il parvient à capter la bienveillance des troupes; et il ne s'occupe qu'à travailler leur esprit, au lieu de s'assurer des succès par de bonnes dispositions.

 

Toujours livré à ses inquiétudes personnelles, le général Menou n'avait d'espions que dans son armée, et aucun dans le camp ennemi. On n'apprit la mort du général Abercombrie que le 18 germinal, et encore ce fut par un déserteur. On répandit une foule de bruits, trop absurdes pour que ceux qui en étaient l'objet eussent besoin de les démentir; mais ceux qui les propageaient étaient protégés: on employa toute espèce de moyens pour intimider ceux qui refusaient d'y croire; plusieurs même furent arrêtés. La terreur s'empara des esprits… Les chefs, désunis par toutes sortes de manœuvres, ne pouvaient se concerter pour diriger le général en chef; aucun ne voyait assez d'apparence de succès pour se charger de la responsabilité… On ne pouvait prévoir les nouvelles fautes et la timidité des Anglais.

Un convoi de cinquante-sept bâtimens turcs, dont cinq vaisseaux de ligne et six frégates, sous les ordres du capitan-pacha, arriva, le 5 germinal, dans la rade d'Aboukir; il portait six mille hommes de troupes turques, qui débarquèrent le 10 à la Maison Carrée. Ce poste, qui aurait pu devenir important, avait été évacué et désarmé après le débarquement. On apprit le 14, à Alexandrie, que les Turcs s'y étaient établis; mais le général Menou ne voulut point croire cette nouvelle; les officiers qui les avaient reconnus et qui voulurent lui faire des rapports exacts, furent menacés. Il accueillit ceux qui eurent la faiblesse de lui dire qu'il n'y avait que sept à huit cents hommes, et ne prit aucune mesure pour les empêcher de faire des progrès ultérieurs. À cette époque, un corps d'armée réuni en campagne aurait facilement battu les Anglais et les Turcs au moment où ils auraient quitté la Maison Carrée pour se porter sur Rosette. Les Anglais, découragés par la mort d'un général en chef qui avait toute leur confiance, affaiblis par leurs pertes, dégoûtés du pays par les chaleurs de ce climat brûlant et par la disette d'eau douce, voyant que le visir n'avait pas encore passé le désert, et paraissait peu disposé à les seconder, auraient perdu tout espoir dès le premier échec; les étrangers qui composaient plusieurs de leurs corps auraient alors déserté et grossi l'armée française.

Le général Hutchinson croyant toujours que l'armée française se réunirait à Rosette, craignait d'y marcher; cependant, d'après les rapports des Arabes, il y envoya une reconnaissance de cinq cents hommes; et instruit du petit nombre des Français qui s'y trouvaient, il se détermina à occuper cette ville, qui lui était indispensable pour se procurer des approvisionnemens, de l'eau douce, et pour continuer ses opérations. Le 16, trois mille hommes de l'armée anglaise passèrent à la Maison Carrée; ils campèrent le 17 à Edko, et le 18, marchèrent à Rosette avec le corps des Turcs. Le 3e bataillon de la 85e, qui était dans cette ville avec trois compagnies de la 61e, ne pouvant résister à des forces si considérables, passa le Nil dès que les ennemis approchèrent, et se retira à Fouah. Le fort Julien resta livré à lui-même, avec une garnison de vingt-cinq hommes de la 61e, une compagnie d'invalides et quelques canonniers; trois barques armées, stationnées au Boghaz, devaient remonter vers ce fort dès qu'elles y seraient forcées.

Les Anglais et les Turcs campèrent sur la hauteur d'Aboumandour, et s'y retranchèrent; leur avant-garde se porta vers Hamat, dans un endroit resserré entre le Nil et le lac d'Edko. Ils entreprirent ensuite le siége du fort Julien, et attaquèrent le Boghaz; quelques jours après, ils firent entrer une flottille dans le Nil. Le fort Julien fut forcé de capituler le 29, après une résistance beaucoup plus opiniâtre qu'on ne pouvait l'espérer d'un aussi mauvais ouvrage, dont un front avait été détruit par la dernière inondation, et qui était écrasé par une artillerie supérieure: lorsque les Anglais virent sortir quelques invalides qui l'avaient défendu, ils demandèrent où était la garnison.

La prise de Rosette fut connue le 20 à Alexandrie; on reçut en même temps des nouvelles du Caire, qui annonçaient la marche du visir comme très certaine. Le général Belliard, d'après cette certitude, avait fait rentrer au Caire les six cents hommes qui avaient été demandés pour Rahmaniëh. Ces nouvelles étaient sues de toute l'armée, et le général Menou soutenait toujours qu'il n'en était rien. Il annonçait, tantôt que le grand-visir était mort, tantôt qu'il était rappelé à Constantinople; enfin, que les Anglais n'étaient pas à Rosette. Il ne put cependant se dispenser d'envoyer quelques troupes de ce côté-là; mais il crut qu'il suffisait, pour les battre, d'y envoyer le général Valentin, qui partit, dans la nuit du 20 au 21, avec la 69e, forte de sept cents hommes, et le 7e régiment de hussards, de cent cinquante chevaux.

Le général Reynier fut, le 23, chez le général Menou, afin d'essayer encore de lui démontrer les inconvéniens de la position prise en avant d'Alexandrie, de lui indiquer les travaux essentiels pour la défense de cette place, et de l'engager à assembler l'armée pour s'opposer aux progrès du corps ennemi qui occupait Rosette. N'ayant obtenu de bouche aucune réponse raisonnable, il lui réitéra ses observations par écrit.34

Les dromadaires, qui avaient été en reconnaissance du côté de Rosette, furent de retour le 24, et annoncèrent que cette ville était occupée par trois ou quatre mille Anglais et cinq à six mille Turcs, avec vingt pièces de canon; mais le général Menou ne voulut pas croire ce rapport; il dit au chef de brigade Cavalier, et au commissaire ordonnateur Sartelon, présent à cette reconnaissance, qu'il ferait fusiller quiconque dirait qu'il y avait plus de huit cents hommes. Cependant, comme le chef de brigade Cavalier affirmait que le général Valentin était hors d'état de reprendre cette ville, il fit partir cinq cents hommes de la 4e légère et cent soixante chasseurs du 22e régiment.

À cette époque, le général Menou nomma trois généraux de division, trois généraux de brigade, et fit plusieurs autres avancemens; quelques officiers voulurent refuser ces grades, mais ils furent contraints d'accepter.

Le 25, il fit partir encore pour Rahmaniëh, la 13e et le 20e de dragons, sous les ordres du général Lagrange. Cette demi-brigade était la seule de la division du général Reynier qui restât sous ses ordres directs; ce général reçut alors l'ordre de demeurer à Alexandrie sans troupes. Il voulut encore éclairer le général Menou, et lui faire sentir que ce n'était pas avec de petits détachemens successifs qu'on s'opposerait aux progrès des ennemis, mais en rassemblant l'armée. S'il avait pu le déterminer à faire de meilleures dispositions, il aurait insisté pour conserver ses troupes; ses représentations étant inutiles, il prit le parti d'aller demeurer à Alexandrie, et d'y rester simple spectateur des événemens malheureux qu'il prévoyait.

Les Anglais avaient coupé, le 24, la digue du lac Maadiëh, afin de faire entrer les eaux dans le lac Maréotis: ils espéraient empêcher les communications avec Rahmaniëh et le Caire; mais leur but ne fut pas entièrement rempli, les eaux s'étendirent lentement dans ce bassin: ils auraient agi bien plus militairement, s'ils avaient attaqué les convois, qui marchaient tous sous une faible escorte, et s'ils avaient avancé plus tôt à Rahmaniëh. On apprit alors à Alexandrie que l'armée du visir avait passé le désert; une colonne était arrivée le 19 germinal à Kantara-el-Khasnëh, et une autre à Saffabiar. Les faibles garnisons laissées à Belbéis et à Salêhiëh avaient ordre de faire sauter ces forts, de détruire les magasins et de se retirer sur le Caire, aux premiers avis de l'approche des ennemis. Du moment où on ne faisait aucune disposition pour secourir ces mauvais postes, aussitôt qu'ils seraient attaqués, il convenait beaucoup mieux de réunir à l'armée leurs garnisons, qui ne pouvaient opposer aucun obstacle à la marche des ennemis. D'ailleurs le principal objet de ces forts était de contenir des magasins pour l'armée, et sa répartition ne lui permettait pas d'en profiter.

Salêhiëh fut évacué le 19 après midi; la garnison se retira à Belbéis, dont elle fit sauter les ouvrages le 21, avant de se mettre en marche pour le Caire. Trente dragons du 14e, qui formaient l'arrière-garde, furent chargés le 22, près d'El-Menayer, par deux cents mameloucks et Osmanlis; cinquante dromadaires, qui retournèrent à leur secours, forcèrent les ennemis à se retirer avec perte. L'avant-garde de l'armée du visir se réunit à Belbéis le 22; il n'arriva qu'à la fin du mois à Salêhiëh avec une partie de son artillerie et des canonniers anglais.

31On agit au point du jour, afin que les trouves pussent parvenir à l'armée anglaise sans être beaucoup exposées au feu des redoutes et des chaloupes canonnières. Peut-être aurait-il été plus conforme au génie des troupes françaises de faire attaquer durant le jour; mais comme le succès dépendait du premier choc sur l'aile droite des Anglais, on espéra que les premiers mouvemens étant couverts par l'obscurité de la nuit, on les tromperait mieux sur le véritable point d'attaque. Il aurait été plus convenable aussi de confier l'action principale à des troupes fraîchement arrivées et qui n'avaient pas souffert dans les combats précédens; mais comment vaincre les jalousies du général Menou pour faire un changement dans l'ordre de bataille?
32Les observations sur de pareils ordres, qui dans les armées sont si répréhensibles et font perdre l'instant favorable, étaient excusables dans cette circonstance; chacun cherchait à aider l'inexpérience du chef et désirait l'empêcher de faire des fautes.
33Quelques jours après, il écrivit à ce général de n'en envoyer que six cents.
34Lettre du général de division Reynier, au général en chef Menou: Au camp d'Alexandrie, le 23 germinal an IX. Je crois nécessaire, citoyen Général, de vous rappeler la conversation que nous avons eue ce matin, afin que vous donniez des instructions précises sur les dispositions à faire si l'ennemi nous attaque. Je vous ai observé que depuis que notre gauche s'est un peu retirée pour prendre une position plus resserrée, mieux appuyée et moins exposée au feu des chaloupes canonnières, l'effort de l'ennemi aurait lieu sur la droite, qui est fort en l'air, et la 13e demi-brigade serait forcée de se retirer, ainsi que la cavalerie, si l'ennemi marchait, comme il le peut, avec des forces supérieures, le long du canal et par le lac Maréotis, les prenait de revers et menaçait de s'emparer des hauteurs voisines de la colonne de Pompée, qu'il faudrait bien aller défendre. Alors le flanc droit de la division Friant serait découvert; l'ennemi, avec trois fois plus d'infanterie qu'on ne peut lui en opposer, forcerait nos retranchemens; on pourrait même craindre que si nos troupes s'opiniâtraient à les défendre pied à pied, et si les Anglais étaient audacieux, ils ne prissent de suite une partie des ouvrages d'Alexandrie, parce que ceux qui doivent recevoir les troupes dans leur retraite ne sont ni achevés ni armés. Je ne pense pas que les Anglais nous attaquent de quelques jours dans cette position, parce que, d'après le plan qu'ils paraissent avoir adopté, il leur convient mieux d'attendre qu'ils aient achevé leur établissement à Rosette, pris Rahmaniëh, que le visir ait agi en Égypte, et que nos communications soient interceptées; mais à la guerre on doit tout prévoir. Pour appuyer l'aile droite, il faudrait pouvoir s'étendre jusqu'à la droite du canal, et y faire de bonnes redoutes; mais nous n'avons pas assez de troupes pour garnir tout ce terrain et le défendre. La seule bonne position qu'il y ait autour d'Alexandrie pour un corps faible, est, la droite au canal vers les hauteurs de la colonne de Pompée, le centre à l'enceinte des Arabes, et la gauche au Pharillon. Je vous en ai déjà parlé depuis l'affaire du 30. Elle est protégée par le fort Crétin et d'autres ouvrages de la place. Les travaux des troupes, pour la défense de cette place, auraient amélioré la place d'Alexandrie. La redoute de Cléopâtre, qui est de la plus grande importance, serait actuellement achevée et armée, et on en aurait pu construire une bonne près de la colonne de Pompée. Cette position est telle que l'ennemi ne pourrait l'attaquer sans faire de grandes pertes et sans être probablement repoussé. Ce qui me détermine à insister pour avoir des instructions, c'est que je prévois ce qui arrivera, si on nous attaque. Je serai forcé de faire replier la droite; l'armée sera battue, et on cherchera peut-être à m'en attribuer calomnieusement la faute; ce qu'aucun militaire ne croira. Dix années d'une guerre très active, où j'ai presque toujours été employé à diriger les mouvemens de grandes armées, m'ont donné assez l'habitude de juger les positions, les desseins des ennemis et les moyens de s'y opposer. Je croirais manquer au grade que j'occupe dans cette armée, et à l'intérêt que je prends à sa gloire, ainsi qu'à la conservation de l'Égypte, si je ne vous faisais pas part de mes idées. Je l'ai déjà fait, à la nouvelle de l'arrivée de la flotte anglaise, pour vous engager à marcher promptement à Alexandrie. Après la malheureuse affaire du 30, je vous ai proposé de réunir tous les corps isolés, de laisser à Alexandrie et à la citadelle du Caire des garnisons suffisantes, et de former un corps d'armée pour tenir la campagne. L'inaction des Anglais et la lenteur des Turcs auraient bien favorisé ce mouvement. Il aurait probablement été possible de battre le corps qui a marché sur Rosette; le visir marche, et il est peut-être trop tard pour faire ces mouvemens et en espérer des succès. Les mouvemens, à la guerre, doivent être d'autant plus promptement décidés et exécutés, qu'on est plus inférieur à l'ennemi. Lorsqu'on ne parvient pas à l'exécution de ses desseins, et qu'on divise ses forces, on est toujours battu. Partout où l'armée sera réunie, elle imposera toujours à l'ennemi; il ne nous reste plus que de faibles ressources; mais nous avons affaire à un ennemi peu entreprenant, et il est peut-être encore possible de gagner assez de temps pour recevoir des secours ou des ordres du gouvernement, et attendre l'issue des négociations entamées, s'il est vrai que Pitt soit renvoyé. Signé Reynier.