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Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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Auriez-vous la noire intention de transformer en conspiration la démarche que firent près de vous, le 6 brumaire dernier, les cinq généraux de division, pour vous faire, sur vos innovations en tout genre, des représentations aussi sages qu'utiles au bien de l'armée? Il ne vous appartient pas, Général, de qualifier ainsi cette conduite; le Premier Consul, qui doit maintenant être instruit de la vérité, saura apprécier la pureté de nos intentions; il reconnaîtra que le vrai conspirateur est celui qui veut perdre les vieux soldats de la République, pour les punir de l'avoir trop bien servie. Une telle tactique est usée, et sur une seule inculpation de vous, aussi calomnieuse que ridicule, on ne croira pas complices du plus grand forfait, des enfans de la révolution, ceux qui l'ont servie avec le plus entier dévoûment, qui en donnent journellement des preuves à la République et à son premier magistrat que tous chérissent également, et qui sont pénétrés de reconnaissance pour les bienfaits dont leurs services ont été récompensés.

Par quelle méchante affectation désignez-vous dans l'armée deux partis que vous appelez colonistes et anti-colonistes? Personne, avant que vous les eussiez créés, ne les connaissait. Les vrais défenseurs de la colonie sont ceux qui, par leurs travaux guerriers, ont eu le plus de part à sa double conquête, et qui en ont cimenté les bases de leur sang.

Leur constance à rester ses soutiens, malgré les dégoûts dont vous les avez abreuvés pour les engager à l'abandonner, sont les preuves évidentes de leur attachement à la République; et s'il existe une faction, elle ne peut être que celle de l'intrigue du cabinet contre la loyauté du guerrier. Cette réfutation, aussi fortement exprimée que l'injure a été vivement sentie, vous fournira peut-être matière à de nouvelles calomnies, au lieu d'amener un désaveu digne de la franchise avec laquelle je m'explique. C'est alors que je ferai tout pour mettre au plus grand jour votre duplicité en opposition à ma loyauté, et que, de concert avec ceux que vous semblez désigner comme coupables, nous n'aurons pas de peine à faire reconnaître les vrais ennemis de la République aux moyens qu'ils emploient pour la bouleverser et la détruire.

Signé Damas.

(№ 4.)

Au Caire, le 26 pluviôse an IX (15 février 1801).
Le général de division Reynier au général en chef Menou

Votre lettre de ce jour ne répond pas entièrement, Général, à la mienne du 25. Je vous y demandais une dénégation formelle des calomnies qu'on a cherché à répandre dans l'armée, et que votre ordre du jour tend de la manière la plus perfide à accréditer.

Si ce sont les Anglais qui ont fait l'article inséré dans la Gazette de France, pour chercher à exciter des troubles dans l'armée d'Égypte, vous les servez complétement en lui donnant de la publicité; il est vrai que, par la manière dont vous l'avez amené, vous favorisez vos animosités et votre ambition particulière.

Je sais que les Anglais sont capables de tout pour parvenir à leurs desseins; qu'il est très probable qu'ils emploient toute espèce de moyens de perfidie et d'intrigues pour empêcher que l'Égypte ne reste à la république française. C'est à vous, Général en chef, à poursuivre et arrêter leurs agens; vous serez aidé avec zèle dans cette recherche par toute l'armée; mais ce n'est pas par des ordres du jour pareils à celui du 23 que vous y parviendrez.

Vous savez combien ma lettre du 25 est pleine de vérités, c'est à vous à leur rendre hommage par une réponse franche qui me satisfasse complétement.

L'injure a été publique, et ce serait peut-être servir les Anglais que de m'obliger à faire connaître toute son atrocité.

J'attends, Général, une réponse définitive.

Signé Reynier.

(№ 5.)

Au quartier-général d'Alexandrie, le 17 thermidor an VIII
(5 août 1800).
Lanusse, général de division, au général en chef Menou

Citoyen Général,

J'apprends avec peine que les bruits qui avaient été répandus sur mon compte dans le temps, et qui cessèrent bientôt de s'accréditer, parce que leur absurdité même ne le permettait pas, sont aujourd'hui remis en scène, accompagnés d'autres ni moins faux ni moins ridicules. J'avais d'abord regardé ces calomnies, et j'aurais continué de les regarder comme elles le méritent, c'est-à-dire avec l'œil du mépris, si je n'avais su que c'est de chez des personnes puissantes qu'elles sortent, et que ces personnes travaillent avec la plus grande activité à rassembler des matériaux qui puissent les mettre à même de m'attaquer directement. Qu'elles continuent, citoyen Général, à rassembler tout ce que pourront leur rapporter de vils adulateurs, ou des hommes timides qui sauront que le seul moyen d'être accueillis chez elles, est d'y paraître comme mes accusateurs. La calomnie s'est trop exercée sur mon compte, pour que je puisse retarder plus long-temps de faire éclairer ma conduite aux yeux de l'armée entière, par une autorité impartiale. Un conseil de guerre peut seul me rendre justice, et c'est de lui seul que je veux l'obtenir.

Je devine bien pourquoi mes persécuteurs veulent me perdre dans l'opinion de l'armée. Je sais qu'être sincère et franc, c'est être criminel à leurs yeux. Hé! que voulez-vous, citoyen Général? je ne crus jamais que je serais obligé de vivre dans les cours ou avec des courtisans. Voilà pourquoi je ne cherchai à en imiter ni le langage ni les maximes. Quoique je sois encore aujourd'hui à même de prendre une leçon de duplicité, je vous jure que je ne profiterai pas de ma position.

J'ai l'honneur de vous saluer.

Lanusse.

(№ 6.)

Au quartier-général d'Alexandrie, le 12 fructidor an VIII
(30 août 1800).
Lanusse, général de division, au général en chef Menou

J'ai reçu votre lettre du 6, citoyen Général; je suis tout aussi disposé que vous à faire une guerre implacable aux fripons; mais, comme je vous l'ai déjà dit, je n'attaquerai jamais quelqu'un, pas même en propos, avant d'avoir acquis des preuves certaines sur sa malversation.

Vous désirez, dites-vous, que la commission que j'ai nommée ne trouve point de coupable. Moi je désire que, s'il est vrai qu'il en existe, elle les trouve; il ne m'en coûtera pas de les faire punir.

Quand je n'aurais pas déjà su que vous aviez ici des personnes chargées de vous rendre compte de tout ce qui s'y passe, je n'aurais pas pu l'ignorer d'après votre lettre du 2 fructidor. Je n'ignore pas non plus que, depuis que vous avez pris le commandement de l'armée, vous avez envoyé ici des émissaires chargés de commissions dont ils étaient incapables de s'acquitter. Il n'est pas encore hors de ma connaissance que vous correspondez directement avec plusieurs chefs de service, et que vous leur transmettez des dispositions sans m'en prévenir, quoique cependant, jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, ils soient directement sous mes ordres. Je vous le demande, citoyen Général, est-ce là de la confiance? non certes. Ce n'est pas non plus l'ordre hiérarchique que tous dites aimer, et que je crois essentiel d'observer pour que chacun s'acquitte avec goût, zèle, exactitude, de ses devoirs.

Je ne fais partir que les bâtimens grecs au-dessous de cent tonneaux, et qui étaient venus spécialement pour faire le commerce, jusqu'à ce que vous m'ayez expliqué si la permission s'étend sur ceux qui étaient venus avec un firman du grand-seigneur, pour servir au transport de l'armée, et que vous m'ayez fait connaître quels sont ceux que vous mettez au rang des neutres. J'ai fait débarquer tout le riz qui se trouvait sur ceux qui avaient fait leur chargement, et ils mettront à la voile aussitôt qu'ils croiront pouvoir passer, malgré la croisière, qui est aujourd'hui au nombre de huit bâtimens dont deux vaisseaux.

La djerme que j'ai fait armer, protége dans ce moment les travaux du sauvetage à Aboukir; elle entrera en station dans la baie, dans tous les temps, parce que là elle est mieux postée que partout ailleurs, pour protéger le cabotage. Elle a à bord quatre bonnes pièces de canon et quinze soldats choisis: elle a d'abord une marche supérieure.

Deux petits bâtimens grecs, chargés de vin, etc., sont entrés à Aboukir. Le citoyen Martinet, qui s'y trouve, a acheté les cargaisons, par commissions de différens généraux, et il aurait voulu les faire remonter au Caire sur les mêmes bâtimens. Comme je ne savais si telles étaient vos intentions, je m'y suis opposé. Si pareille circonstance se présente à l'avenir, que pourrai-je faire?

J'ai l'honneur de vous saluer.

Lanusse.

(№ 7.)

Saléhiëh, le 24 frimaire an IX (15 décembre 1800).
Ch., chef de bataillon de la 85e demi-brigade, au général en chef Menou

J'ai cru, citoyen Général, qu'un homme obscur, confondu dans la foule, qui instruirait le Premier Consul de la République, de la véritable situation de l'armée lorsque vous en avez pris le commandement, de l'état où elle se trouve actuellement; qui l'instruirait des dégoûts, des oppositions sans nombre que vous avec eu à surmonter; j'ai cru, dis-je, que cet homme, organe de l'opinion publique, obtiendrait peut-être autant de confiance que vos propres écrits. De quel autre intérêt que celui du bien public pourrait-il être animé?

 

La lettre que j'ai l'honneur de vous envoyer, adressée au Premier Consul, a-t-elle atteint ce but? L'a-t-elle atteint sans inconvénient, je l'ignore?

J'ai hésité long-temps pour savoir si je ferais partir cette lettre sans vous la communiquer, j'ai hésité encore pour savoir si je devais vous la communiquer; l'un et l'autre parti me répugnent également; le premier, dans la crainte de vous compromettre; le second, dans la crainte que, ne vous rendant pas justice, vous ne preniez pour une basse adulation ce que j'ai dit sur votre compte: pouvais-je moins alarmer votre modestie? Je ne le crois pas. Si cette démarche n'a pas votre approbation, brûlez ma lettre26, Général, et pardonnez en faveur des sentimens qui l'ont dictée.

Salut et respect,

Signé Ch.

(№ 8.)

Au Caire, ce 1er brumaire an IX (23 octobre 1800).
Ch., chef de bataillon de la 85e, au Premier Consul

En quittant l'Égypte vous laissâtes l'armée dans le dénûment le plus absolu, vous le savez. Ce que vous ignorez peut-être, c'est que le général dont vous fîtes choix pour la commander fut reçu avec un enthousiasme universel: il n'existait pas un individu qui ne le regardât comme une divinité, comme un ange tutélaire. C'était l'homme dont on espérait le plus de grandes choses; il est difficile de parvenir à une place sous de plus heureux auspices. Investi d'une confiance sans bornes, qu'il est coupable, s'il a trompé l'attente générale.

… Il est mort!!.. Je laisse à l'impartiale postérité le soin de le juger, mais s'il n'est connu que par sa conduite en Afrique, la place qu'elle lui assignera sera en contradiction manifeste avec le monument que lui élèvent ses contemporains.

L'histoire n'oubliera pas qu'entouré de tous les moyens propres à réaliser les brillantes espérances qu'on avait fondées sur son compte, le général Kléber, au lieu de réformer les abus existans, en multiplia le nombre; qu'au lieu de punir les dilapidateurs de la fortune publique, il leur accorda sûreté et protection. Les voleurs, les concussionnaires étaient tellement sûrs de l'impunité qu'ils ne sauvaient pas même les apparences: à Sparte, au moins on punissait la maladresse.

Elle n'oubliera pas de transmettre à nos neveux qu'en Égypte, jadis le grenier du peuple romain, l'armée française a mangé la subsistance la plus mauvaise qu'il soit possible de concevoir; que le pain, surchargé de paille, de terre et d'autres matières étrangères, était tel que l'homme le plus avare n'en voudrait pas donner à ses chiens, pour me servir des expressions de l'honnête, du bienfaisant Menou. La solde, constamment arriérée de huit ou dix mois, ne laissait au soldat, à l'officier, aucune autre ressource pour se procurer une nourriture plus saine.

L'Égypte, écrasée sous des contributions exorbitantes, ne rendait presque rien au trésor public. Mille canaux divers en détournaient le cours. Le général Reynier dévastait la Charkié; le général L – , ce nom me rappelle sans cesse les rues de Padoue, que j'ai vues tapissées d'un jugement infamant contre lui; le général L – pressurait les riches provinces de Menouf et de Mansoura; Damiette, le reste du Delta, gémissaient sous les généraux Rampon et Verdier. Ceux qui reprochent au général Dugua d'avoir poussé trop loin sa collection de médailles et de pierres précieuses, ne font pas la réflexion satisfaisante qu'il enrichissait les sciences et les arts. Le général Destaing, l'adjudant-général Boyer, sont connus dans les lieux où ils ont été employés, par les exactions les plus criantes: ce dernier joint la scélératesse au brigandage pour s'approprier les caravanes qu'il sait appartenir à des Arabes amis; il en fait sans pitié massacrer les conducteurs; il évite par là toute réclamation.

Bien loin d'étendre les relations commerciales par une conduite sage et louable, tous les adjudans-généraux qui ont commandé Suez, s'y sont comportés de la manière la plus révoltante; ils ont commis les plus grandes avanies sur les bâtimens qui ont eu le malheur d'approcher ce port: ils ne rougissaient pas de détourner à leur profit la plus riche partie des cargaisons, et de jeter une forte imposition toujours à leur profit sur ce qu'ils voulaient bien laisser aux propriétaires. Le général Kléber ne pouvait ignorer ces faits; ils étaient connus de toute l'armée.

Espérons que l'adjudant-général Tarayre, estimé pour sa probité, sa valeur et ses talens, rendra au commerce son activité, et au nom français le lustre qu'on lui a fait perdre chez les peuples de l'Yemen.

Ces hommes sans pudeur, cette bande immorale, spoliatrice, de commissaires des guerres, d'employés en tout genre, l'écume, l'immondice de la France, que l'armée a charriée à sa suite, faisaient cause commune avec les hommes que je viens de citer: tous ensemble ils dévoraient notre substance, ils s'engraissaient de notre sang. L'officier, abreuvé d'humiliations, croupissait dans la plus profonde misère, et ces messieurs étalaient le luxe le plus effréné. Cette foule d'aides-de-camp, d'officiers d'état-major, qui jouissent des douceurs de la guerre sans en connaître les privations ni les dangers, et n'en ont pas moins obtenu tout l'avancement, qui dès-lors a cessé d'en être la récompense; tous ces officiers, dis-je, à l'instar de leurs généraux, faisaient parade de la plus somptueuse magnificence; leurs appointemens pouvaient-ils subvenir à de telles dépenses? Lorsque les chefs dépouillent le public, il est encore soumis à la cupidité de tous les subalternes, plus avides, plus insatiables que leurs maîtres. Les hôpitaux, cette partie si intéressante d'une armée, étaient, comme les autres branches de l'administration, livrés à la rapacité, au brigandage: les malades, entassés dans les salles, n'excitaient la pitié de personne; personne ne leur donnait le plus léger secours; sans soins, sans traitemens, ils périssaient en foule maudissant l'État qu'ils avaient défendu et l'atroce gouvernement qui les abandonnait.

Il y a plus, Général, pour justifier une honteuse capitulation, le général Kléber a calomnié l'armée; il a motivé la prétendue nécessité de traiter avec l'ennemi sur les insurrections partielles qu'il soudoyait peut-être. Il a paru redouter une action dans la crainte que l'armée ne se déshonorât par une lâcheté; mais l'armée a confondu ses détracteurs à la bataille d'Héliopolis, malgré le vice des dispositions prises dans cette journée. Si ses troupes eussent été bien placées, six mille Osmanlis ou mameloucks ne se seraient pas jetés dans le Caire, et les huit cents braves que cette ville a coûtés vivraient encore.

Dans les mêmes vues, le général Kléber a laissé prendre El-A'rych: je défie ses plus zélés partisans de nier ce fait. Il sacrifie impitoyablement six cents hommes à l'horreur qu'il avait conçue contre l'expédition d'Égypte et obtient à ce prix de nouveaux prétextes pour l'évacuer, et on lui élève un monument!.. Oui, sans doute, mais qu'il soit d'opprobre et d'infamie! qu'il éternise à jamais l'indignation que doit inspirer un semblable assassinat!

Telle a été la conduite du général Kléber en Égypte, dirigée par le général Damas, plus coupable peut-être que le général en chef, puisqu'il est notoire qu'il n'a usé de l'ascendant qu'il avait acquis sur son esprit, que pour l'entraîner dans des écarts funestes à l'armée, ruineux pour la France, qui perdait, avec la plus forte portion du globe, l'espoir consolant de parvenir bientôt à la paix générale. Telle était l'affreuse position de l'armée à l'époque où le général Menou en prit le commandement.

Lorsque la corruption attaque les premières personnes d'un État, lorsque, par un renversement de toute morale, elles s'engraissent des malheurs publics, il faut être doué d'une âme peu ordinaire pour oser entreprendre d'y rétablir l'ordre. Ce que vous avez fait en France, le général Menou l'a exécuté en Égypte: ses premiers pas dans l'administration annoncèrent un honnête homme, décidé à améliorer le sort de l'armée.

Effrayés de ces dispositions, tous les hommes que je viens de citer formèrent une ligue sacrilége pour en arrêter l'effet; ils ne négligeaient aucun des moyens propres à lui faire perdre la confiance qu'il méritait à tant de titres. Tous leurs discours tendirent sans cesse à déprécier sa personne ou ses actions; mais, comme l'observe judicieusement l'Éloge funèbre du général Desaix, il n'est pas toujours donné aux âmes communes d'offenser un grand homme; leurs injures même ne l'atteignent point.

Malgré les obstacles qu'ils lui opposaient à chaque instant, le général Menou marcha sans dévier avec une constance, une fermeté inébranlable, vers le but qu'il s'était proposé; il se tint des conciliabules secrets, tantôt chez le général Reynier, tantôt chez Daure ou Tevenin, mais plus souvent chez le général Damas. Supérieur aux petites passions, le général en chef ne voulut jamais voir ce qu'il y avait d'outrageant dans les propos injurieux qu'on ne cessait de tenir publiquement sur son compte. Cette bonté, prise pour de la faiblesse, leur fit concevoir le projet de le déposer. On envoya des émissaires à toutes les demi-brigades en garnison au Caire, pour sonder leur opinion. Un homme qui jouit de quelque considération, vint chez nous, chargé d'une si honteuse commission; il poussa la hardiesse jusqu'à nous dire, dans la chaleur de la discussion, qu'il ne reconnaissait pas le général Menou pour le représentant du gouvernement, et qu'en cas de scission, il ne recevrait des ordres que du général Reynier. Peut-on s'expliquer plus ouvertement? Votre arrêté du 19 fructidor a tout fait rentrer dans la poussière; mais ces hommes n'en sont pas moins les ennemis irréconciliables du général Menou, conséquemment ceux de l'armée; ils ne lui pardonneront jamais d'avoir révélé leurs turpitudes. L'armée, actuellement bien nourrie, bien payée, bien entretenue, prouve à l'évidence que l'esprit de rapine seul dirigeait la précédente administration. Ils ne lui pardonneront jamais cette infatigable activité qui les désespère, qui les épouvante au point de leur faire jouer un rôle pour lequel, j'en conviens, ils n'ont point de dispositions, celui d'honnête homme.

L'ennemi nous menace! Quelle confiance le général en chef peut-il leur accorder? Pour le perdre, je les crois capables de tout sacrifier, pourvu que leur sûreté personnelle ne soit pas compromise.

Général, l'armée apprit avec plaisir votre élévation. Moins séduits par l'éclat de la bataille de Marengo que par votre modération après la victoire, que par les heureux résultats qu'elle doit procurer à la République; touchés surtout par le tableau intéressant que présente l'intérieur de la France, nous avons tous oublié que le général Bonaparte, en Égypte, ne réprima pas le brigandage avec toute la force dont il pouvait disposer. Le bienfaiteur de ma patrie ne trouvera jamais un homme plus dévoué que moi.

Général, étendez votre sollicitude jusqu'à l'armée d'Orient! Ne la mérite-telle pas? ne lui devez-vous rien? Ah! vous n'oublierez jamais que les cadavres de Castiglione, d'Arcole, de Rivoli, d'Acre, forment les gradins qui conduisent jusqu'au Premier Consul.

Ce n'est pas en hommes que votre secours est nécessaire à l'armée; elle est assez forte pour écraser encore l'Orient conjuré; rappelez seulement trente individus qui s'opposent à son bien-être, qui entravent les opérations de son général, vous aurez tout fait pour elle; elle vous devra le bonheur.

Sans considération particulière, sans détour, j'ai attaqué les hommes qui, dans leur conduite, n'ont respecté ni leur dignité ni leurs personnes. Je ne puis offrir aucune preuve; je ne suis que l'organe de l'opinion publique invariablement fixée sur leur compte; ils sont flétris sans retour. Consultez l'armée, Général; si un cri général ne dépose pas contre eux, je consens à être poursuivi comme le plus vil des calomniateurs.

Salut et respect,

Signé Ch.

(№ 9.)

Au quartier-général d'Alexandrie, le 1er fructidor an IX
(19 août 1801).
Lanusse, général de division, au général en chef Menou

Je ne suis pas du nombre de ces hommes, citoyen Général, qui attaquent en l'air, sans remords et sans pudeur, la réputation des autres hommes. Je vous ai dit dans le temps que je n'avais pas pu me procurer des preuves certaines qui me missent à même d'attaquer aucun de ceux que l'on nomme dilapidateurs des marchandises arrivées dans Alexandrie; j'avais tenu le même langage au général Kléber. Cette déclaration avait suffi à votre prédécesseur, et je croyais qu'elle vous suffirait; mais puisqu'il en est autrement, vous m'avez mis parfaitement à mon aise en m'autorisant à prendre telle mesure qui me paraîtrait convenable pour découvrir et poursuivre les auteurs des déprédations; je vous envoie ci-joint l'arrêté qui crée la commission que j'ai nommée à ce sujet, que je vous prie de mettre à l'ordre du jour de l'armée, et ensuite le résultat des opérations de cette commission. Si la renommée publique vous a appris qu'il s'était commis des exactions à Alexandrie, une voix plus authentique doit faire connaître à cette renommée la vérité tout entière.

 

Les reproches que vous me faites sur ma manière de servir, sont les premiers que j'ai reçus. J'ai cependant obéi jusqu'à ce jour aux ordres de quelques généraux; fort de l'idée de ne les point mériter et de le prouver, je suis tranquille.

Si l'envie vous reste de faire fusiller le drogman Battus, je n'ai nullement besoin de lui. Vous pouvez le faire remonter au Caire, et là le faire exécuter plus à votre aise que vous ne l'eussiez pu, si vous fussiez resté à Alexandrie. Il est bien étonnant que cet homme vous ayant été dénoncé comme fripon, et l'ayant reconnu pour tel vous-même, vous ne m'ayez pas donné le moindre renseignement sur son compte, quand vous m'avez remis le commandement du 5e arrondissement.

Je n'eusse pas mieux demandé, et je ne demanderais pas mieux encore que de coopérer aux travaux de l'armée; mais une demi-confiance ne me saurait convenir. Je n'ai pas besoin de beaucoup de sagacité pour juger que je n'ai pas la vôtre tout entière.

J'ai l'honneur de vous saluer,

Lanusse.

(№ 10.)

Du 2 vendémiaire an IX (24 septembre 1800).
Au ministre des affaires étrangères

Citoyen Ministre,

J'ai l'honneur de vous adresser une copie certifiée du traité conclu entre Mourâd-Bey et le général Kléber. Les négociations pour ce traité ont eu lieu pendant le dernier siége du Caire.

Je joins à ce premier traité la copie d'un autre, qui a été fait entre Mourâd-Bey et moi: il a pour objet de céder à ce prince quelques villages qui lui avaient été promis par le général Kléber, et de le dispenser, pour l'an VIII, d'une partie du tribut qu'il s'était obligé de payer par le premier traité.

Je n'entrerai point ici dans la discussion relative à la paix conclue entre Mourâd-Bey et le général Kléber; je n'y ai pris aucune espèce de part. Lorsque les circonstances m'ont porté au commandement de l'armée, j'ai trouvé cette paix conclue, et j'ai pensé qu'il était de l'honneur français d'en exécuter fidèlement tous les articles.

Je dois cependant vous observer, citoyen Ministre, que, lorsque cette paix fut traitée et conclue, Mourâd-Bey était dans une position à nous faire beaucoup de mal: dix mille Osmanlis, commandés par Nassif-Pacha, et quinze cents mameloucks, commandés par Ibrahim-Bey, étaient dans le Caire. Si Mourâd-Bey s'y était encore jeté avec ses mameloucks, le crédit dont il jouissait parmi les habitans eut fait traîner en une extrême longueur le siége du Caire; le grand-visir eût eu le temps de rassembler de nouvelles troupes, de se jeter avec elles dans une partie quelconque de l'Égypte, et d'opérer par là une diversion très fâcheuse. Il eût encore été possible que la longueur du siége eût enhardi les habitans d'une grande partie de l'Égypte à se lever en masse: voilà quels sont vraisemblablement les motifs qui engagèrent le général Kléber à conclure la paix avec Mourâd-Bey.

Un des articles du traité, qui doit paraître le plus désavantageux, est celui qui accorde à Mourâd la possession de Cosséir. Ce port, situé sur la côte occidentale de la mer Rouge, pourrait offrir un abord trop facile à nos ennemis, si Mourâd-Bey était de mauvaise foi. Les Anglais, qui naviguent dans la mer Rouge; les Arabes de l'Yemen, qu'ils pourraient mettre dans leurs intérêts, y débarqueraient facilement avec l'aide de Mourâd-Bey; mais jusqu'à présent, ce prince, qui abhorre les Anglais et les Turcs, se conduit à merveille et avec beaucoup de bonne foi. Je le fais d'ailleurs surveiller avec beaucoup de soin par le général qui commande à Siout, et qui, sous tous les rapports, est plein de talens, de zèle et d'activité; il se nomme Donzelot.

Le prince chérif de la Mecque est jusqu'à présent dans nos intérêts. J'entretiens une correspondance avec lui, et je tâche par tous les moyens d'attirer à Suez tout le commerce de l'Arabie.

Un autre prince arabe, propriétaire de Moka et de Fana, au sud de la Mecque, m'a fait faire des offres d'amitié et de paix; j'en profiterai avec empressement.

Tous les cheiks arabes qui habitent l'espace compris entre Suez et Médine, ainsi qu'aux environs du mont Sinaï, sont venus ici ou ont envoyé pour faire alliance avec les Français. J'ai écrit à l'empereur d'Abissinie; j'ai fait faire des propositions d'alliance au roi de Sennaar, de Darfour et de Dongola. Des caravanes très nombreuses des deux premiers pays sont en chemin pour se rendre au Caire.

J'emploierai tous les moyens pour établir de grandes liaisons de commerce avec tous ces princes.

Des cheiks arabes du Fezzan et de plusieurs autres parties du Béled-El-Gerid ont fait demander aussi de traiter avec les Français, pour envoyer des caravanes. Je travaille également à établir quelques correspondances entre Tripoli et Tunis.

Les Turcs, divisés en deux partis, à la tête de chacun desquels sont le grand-visir et le capitan-pacha, me font demander la paix, chacun de son côté. Le grand-visir, moitié vil, moitié insolent, est l'ennemi juré du capitan-pacha, qui le lui rend bien. Dans le camp ottoman situé à Jaffa, est un envoyé russe, nommé M. Frankini. Cet homme, ennemi juré des Français, il y a sept ou huit mois, a changé de système et de manières depuis quatre mois. Il nous fait actuellement beaucoup de politesses; il cherche à nous prouver que sa cour voudrait se rapprocher de la République, se plaint des Anglais, et paraît avoir inspiré de la défiance au grand-visir. Celui-ci, de sa personne, est bien avec les Anglais, très mal avec Djezzar, pacha d'Acre, avec les Naplouzains, et surtout avec les Arabes, qui pillent tous ses convois. Le premier général ottoman paraît craindre de s'en retourner à Constantinople, où il présume qu'on lui ferait couper la tête.

Le capitan-pacha, beaucoup plus instruit, plus spirituel, et surtout beaucoup plus humain que le grand-visir, croise, avec une vingtaine de bâtimens, depuis Damiette jusqu'à Alexandrie. Il m'envoie fort souvent des parlementaires; je lui en envoie pareillement, et nous nous faisons mutuellement beaucoup de politesses. Il se nomme Houssein-Pacha; a été élevé mamelouck du grand-seigneur, dont il a la confiance et l'amitié. Il désirerait fort conclure un traité avec les Français qui sont en Égypte, afin de se donner encore plus d'importance vis-à-vis de son maître. Il craint surtout infiniment que je n'entame quelque traité avec le grand-visir, pour lequel il a haine et mépris. Sur toutes les propositions que ces deux grands officiers de la Porte me font, je traîne en longueur et tâche de leur inspirer beaucoup de méfiance contre les Anglais. J'entame dans le moment un traité d'échange avec le capitan-pacha pour tous les prisonniers français qu'ils ont, soit à Constantinople, soit dans l'Archipel, soit dans les différentes échelles du Levant. Nous avons en Égypte à peu près quatre mille Osmanlis prisonniers, et quoiqu'il n'y ait point de cartel entre la République et la Porte, j'ai cru qu'il était de l'humanité et de la générosité française de traiter ces prisonniers comme nous traiterions ceux d'une nation avec laquelle nous aurions un cartel d'échange.

Quant aux propositions sur le fond de la question, je fais sentir au grand-visir et au capitan-pacha qu'elles ne peuvent se traiter qu'à Paris et à Constantinople; mais je pense, citoyen Ministre, qu'il serait fort possible de s'arranger avec la Porte pour que nous conservassions l'Égypte, qui, j'ose l'assurer, peut devenir en très peu de temps une excellente et magnifique colonie.

Quant aux Anglais, ils me paraissent désespérés, pour ne pas dire enragés, d'avoir manqué leur coup lors de la rupture de la désastreuse capitulation d'El-A'rych. M. Smith est revenu prendre le commandement de la croisière anglaise. Elle ne consiste que dans un vaisseau de ligne, le Tigre, une corvette et un kirlanguich, petit bâtiment grec. Ces trois bâtimens courent continuellement sur nos djermes, dont ils prennent un très petit nombre, tandis que le capitan-pacha, avec ses vingt bâtimens, nous laisse très tranquillement faire notre cabotage. M. Smith m'envoie aussi des parlementaires, que j'ai fait recevoir avec beaucoup de hauteur, je devrais dire le mépris, que les Anglais, par leur conduite, méritent à tous égards. M. Smith se plaint des mauvais traitemens, dit-il, que j'ai employés contre M. Courtenay Boyle, capitaine anglais qui, étant venu s'échouer avec son bâtiment sur les côtes de l'Égypte, a été fait prisonnier. J'ose vous assurer, citoyen Ministre, que c'est une imposture manifeste. J'ai eu pour M. Courtenay Boyle toutes les attentions et tous les égards possibles; je l'ai échangé à Damiette, et lorsqu'il est parti, je l'ai comblé de présens; je lui ai fait donner tous les vivres et toutes les subsistances dont il pouvait avoir besoin: s'il est nécessaire, je ferai publier ma correspondance à cet égard. Il n'est point d'exemple d'une conduite aussi perfide et aussi déloyale que celle des Anglais.

26La lettre ne fut pas brûlée, mais expédiée à son adresse; c'est celle qui suit.