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L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès

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«Paris, ce 14 mai 1845.

«MONSIEUR,

«J'ai l'honneur de vous rappeler qu'au dernier banquet annuel des sourds-muets en commémoration de l'anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, banquet auquel la plupart d'entre vous avaient bien voulu s'empresser de prendre part, j'avais été chargé, comme président, d'annoncer qu'un de nos frères, M. Peyson, peintre d'histoire, par un élan spontané de son cœur reconnaissant, offrait à l'Institution royale de Paris son tableau représentant les derniers moments de ce grand homme de bien. Nous fûmes heureux de vous voir témoigner hautement que l'Institution, dont l'administration vous est confiée, serait fière de posséder dans son sein un souvenir d'un de nos artistes qui ont le mieux recueilli les précieux fruits de l'éducation qu'on reçoit dans cet établissement.

«Si un vœu de sa part avait quelque droit à être écouté de vous, il demanderait que son tableau figurât dans votre salle du conseil, car il ne serait pas à sa place dans celle des séances publiques, qui, par la disposition du jour, nuirait plutôt à son exposition, et qui, d'ailleurs, renferme déjà un grand tableau reproduisant un beau trait de la vie de l'abbé de l'Épée.

«Les sourds-muets osent espérer que vous voudrez bien faire apposer au bas du tableau une inscription constatant, à la fois, et le nom du donateur, et le motif de son offrande.

«Veuillez, le plus tôt que vous jugerez convenable, envoyer prendre le tableau, dans l'atelier du peintre, quai Bourbon, 39.

«Permettez-moi, Messieurs, de saisir cette occasion de vous prier d'agréer l'hommage de notre reconnaissance et de celle de tous les élèves, qui seront heureux de voir multiplier autour d'eux l'image de leur créateur intellectuel.

«Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

«A. LENOIR.»

(M) L'emplacement actuel de l'Institution des sourds-muets de Paris fut jadis la propriété d'une colonie de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, situé en Italie, dans le territoire de la république de Lucques, colonie connue sous le nom des religieux de cet hôpital ou de frères pontifes ou constructeurs de ponts.

Nous ignorons l'époque précise de cette fondation à Paris. Seulement des lettres de Charles-le-Bel, de l'année 1322, ainsi que d'autres lettres de Philippe de Valois, de l'année 1335, nous apprennent que ces religieux avaient la jouissance de la moitié d'un local nommé le Clos du roi; qu'ils y recueillaient les pèlerins de la Terre-Sainte, et portaient le signe du tan sur leurs habits. On les appelait aussi les frères hospitaliers.

Leur première chapelle fut bénie en 1350. Une autre plus vaste, dont les chefs avaient le titre de commandeurs, s'éleva en 1519, et fut érigée, dans le cours de 1566, en succursale de l'église paroissiale, malgré l'opposition des curés du voisinage.

«Avons permis et permettons, porte la Sentence de l'Official de Paris, aux manants et habitants desdits faubourgs de la porte Saint-Jacques et de Notre-Dame-des-Champs, avoir, à leurs dépens, autres personnes qui disent, chantent et célèbrent à haute voix, et avec chants, lesdits offices divins, etc.»

En 1572, il ne restait plus que deux religieux dans cet hôpital, presque abandonné. Catherine de Médicis s'étant fait bâtir un nouvel hôtel appelé Hôtel de la reine, et, plus tard, Hôtel de Soissons, sur l'emplacement qu'occupaient alors les Filles repenties, et où s'élève aujourd'hui la Halle au Blé, ces filles, dépossédées, vinrent s'installer dans le monastère des moines de Saint-Magloire, qui, par contre coup, prirent possession de la maison de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, emportant avec eux les reliques de leur patron. De là cette demeure prit le nom de leur ordre.

La chapelle du monastère vit, en 1584, s'édifier, à côté d'elle, une nouvelle succursale, consacrée aux besoins spirituels des fidèles du quartier, qui ne pouvaient guère s'accommoder des heures des religieux.

Mais cette église fut bientôt trouvée si petite, qu'on se vit forcé, dans l'année 1630, d'en entreprendre la reconstruction, qui ne put être terminée qu'en 1688. Monsieur, frère de Louis XIII, en avait posé la première pierre, et les libéralités du prince de Longueville contribuèrent à son achèvement.

Le bâtiment qui avait servi à l'ancien hôpital, et qui fut démoli en 1823, était séparé de l'église paroissiale par une ruelle connue, à cette époque, sous le nom de rue des Deux Eglises, auquel celui de rue de l'Abbé de l'Épée a été récemment substitué, à la demande de l'Institution des sourds-muets.

La vie que menaient les moines de Saint-Magloire, scandalisa tellement l'évêque de Paris, Henri de Gondi, qu'il résolut de les supprimer, et de donner leur établissement aux prêtres de l'Oratoire. Cette maison devint ainsi le premier séminaire dont la capitale ait été pourvue. Elle se maintint avec cette destination jusqu'à la révolution de 1792, qui y transféra, ainsi que nous l'avons dit, l'Institution des sourds-muets, fondée par l'abbé de l'Épée.

Voici la description exacte de cet édifice, tel qu'il existe aujourd'hui:

Il est situé au-dessus de l'église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Son portail, lourd et massif, disgracieux à l'œil, n'offre rien de remarquable comme œuvre architecturale. Les principaux corps de logis, formant les trois côtés de la grande cour, sont: le bâtiment des garçons, en face de l'entrée; à gauche, celui des filles; à droite, un autre bâtiment qui renferme un atelier (celui des menuisiers), la salle des séances publiques, communiquant à la Bibliothèque, l'infirmerie des garçons, outre les logements du médecin, de l'aumônier et des employés. Au nord, un vaste appendice a été consacré à tous les détails de l'administration et aux appartements du directeur, du professeur faisant fonctions de sous-directeur et du receveur-économe. La salle des séances de la Commission Consultative est attenante aux premiers. Du même côté, se déroulent trois jardins: le premier est destiné au directeur, le second au receveur-économe, le troisième à l'aumônier. Le niveau de ces trois jardins, qui côtoyent la rue de l'abbé de l'Épée, est élevé d'un mètre au-dessus de celui du grand jardin de la maison.

Comme les trois petits jardins qui l'avoisinent, le bâtiment en question donne sur la rue de l'abbé de l'Épée, et fait angle intérieurement, du côté du grand jardin, avec la façade du principal corps de logis.

Pour isoler complétement l'Institution des sourds-muets, on a démoli, il y a quelques années, une vieille masure formant l'angle des rues d'Enfer et de l'abbé de l'Épée, laquelle avait abrité jadis le quartier des filles, et tombait en ruine depuis long-temps.

L'ensemble de ces constructions, surmontées de paratonnerres, et élevées de quatre étages, réunit presque toutes les conditions de commodité et de salubrité désirables.

Le bâtiment des garçons, faisant face au grand portail, est situé entre le jardin, avec terrasse au couchant, et la cour au levant. Dans cette cour, on contemple un orme colossal, dont la tête domine majestueusement les plus hautes maisons du quartier Saint-Jacques, et s'aperçoit de toutes les éminences de Paris et des alentours. Ce géant végétal, dont l'existence remonte à plus de trois siècles, ombragea le bon La Fontaine, lorsqu'il vint passer deux ans dans une cellule du séminaire de Saint-Magloire. Il vit s'asseoir fréquemment aussi, sous son feuillage, l'éloquent auteur du Petit Carême.

Un bassin occupe le centre du jardin, à l'extrémité duquel règne un quinconce de beaux tilleuls, au milieu duquel s'élève un gymnase. Au fond de ce quinconce, un mur sépare d'une institution de jeunes parlants une longue file d'élégants parterres que nos jeunes sourds-muets se plaisent à cultiver à leurs heures de récréation. Le Jardin des Plantes leur envoie le superflu de ses richesses. A frais communs, ils y ont taillé, industrieux horticulteurs, des voûtes, des berceaux, des grottes de charmille. Là, faisant trêve à leurs jeux, ils se groupent pour étudier sur des tables éparses, et, dans leur libéralité, livrent ensuite, tout le reste du jour, leurs fraîches oasis à qui veut en jouir.

La maison des garçons est surmontée d'une horloge à deux cadrans tournés, l'un vers la cour, l'autre du côté du jardin. Cette horloge est abritée par un petit campanile que couronne une girouette. Tout le long de la grande façade de la cour règne, au rez-de-chaussée, une galerie couverte, intérieurement tapissée de tableaux extraits de revues pour les enfants; d'images reproduisant leurs jeux; de cartes géographiques; de tableaux synoptiques d'histoire; de gravures représentant les hauts-faits des annales de tous les peuples, les merveilles de la nature, les grands hommes de France, etc., etc. Ses piliers supportent, au premier étage, une autre galerie vitrée, faisant saillie sur le bâtiment. Le long du rez-de-chaussée s'ouvrent des salles d'étude, un atelier (celui des tourneurs), le réfectoire, la cuisine et l'office.

Il y a, dans l'établissement, deux escaliers conduisant aux divers étages. Le plus grand a des marches en pierre et une rampe en fer; l'autre est en bois.

Le premier étage est occupé par les classes et la chapelle; le second, par les salles de dessin et d'écriture et par les trois ateliers de lithographes, de cordonniers et de tailleurs; les troisième et quatrième, par les dortoirs. Celui des plus grands élèves est au troisième; celui des plus petits, au quatrième. Au troisième, tous les lits sont de fer, tandis que, au quatrième, il n'y a presque que des lits de bois. Au bout de chaque dortoir, on a pratiqué un vestiaire et un salon de toilette, avec lavabo. Les rez-de-chaussée sont pavés en dalles; le reste de l'établissement est parqueté.

 

Les classes sont au nombre de six, que domine une septième, dite de perfectionnement, fondée par feu le docteur Itard, ancien médecin de l'Institution. Les arrivants suivent, d'année en année et de classe en classe, le professeur respectif qui les a reçus à leur entrée dans la maison, lequel leur fait ainsi parcourir l'échelle graduelle du cours général d'études, fixé à six années par le règlement. C'est ce qu'on appelle le système de rotation. L'enseignement comprend les préceptes de la religion et les éléments de grammaire générale, d'histoire, de géographie et de calcul, sans compter la parole artificielle et la lecture sur les lèvres, enseignées par un professeur et son adjoint, dans deux salles d'étude, à tous les élèves qui font preuve de dispositions pour cette double spécialité.

Il y a, dans chaque classe, des tableaux noirs, sur lesquels la leçon est écrite à la craie, et une rangée de pupitres, devant lesquels les jeunes sourds-muets, assis, écrivent sur des ardoises les dictées qu'on leur fait par signes, ou les compositions dont on leur donne le sujet.

Les élèves de sixième année sont, en outre, admis à un concours annuel qui détermine l'admission de deux d'entre eux, pour trois années de plus, à la classe de perfectionnement dont nous avons parlé, et qui doit toujours se composer de six élèves.

Tous les exercices de la maison des garçons ont lieu au son de la caisse, qu'ils battent eux-mêmes, avec la précision, avec l'ensemble de vieux tambours de la ligne, et dont les moindres vibrations leur sont sensibles, soit par l'épigastre, soit par la plante des pieds ou la paume des mains.

Dans la chapelle, éclairée par cinq fenêtres percées dans le mur de droite et ornée de quatorze bas-reliefs en plastique, représentant le Chemin de la Croix, on remarque, derrière le maître-autel, un grand tableau de Steph. Barth. Garnier, qui représente Jésus-Christ rendant l'ouïe et la parole à un jeune sourd-muet.

Sur l'arc de la voûte qui couronne cette peinture, on lit cette inscription:

«Il a bien fait toutes choses. Il a fait entendre les sourds et parler les muets.»

«Saint-Marc, ch. VII, verset XXXVII.»

A gauche, on admire le beau tableau dont nous avons parlé, œuvre et don affectueux d'un sourd-muet vivant, Frédéric Peyson, ancien élève de l'École, et disciple de Léon Cogniet, représentant les derniers moments de l'abbé de l'Épée. A côté, un second autel avec la statue de la Sainte Vierge. A droite, enfin, une plaque de marbre portant cette inscription en lettres d'or:

«L'an 1805 et le 13 février, cette chapelle a été solennellement bénie et consacrée à Dieu, sous l'invocation de saint Roch et de saint Ambroise, par Sa Sainteté le pape Pie VII, lors de sa visite à cette Institution, sous le ministère de Son Excellence Monseigneur de Champagny; étant administrateurs, MM. Brousse-Desfaucherets, Mathieu de Montmorency, Bonnefoux, Duquesnoy, Sicard.

«Réédifiée en 1830, par A. – M. Peyre, architecte.»

Au-dessus de la porte du saint lieu règne une tribune destinée aux jeunes sourdes-muettes, et au-dessous un confessionnal.

Dans les classes et les études, toutes les prières sont faites, à tour de rôle, par un élève, à l'aide de la mimique.

Sous la chapelle est la cuisine, spacieuse et bien tenue, munie d'un réservoir qu'on remplit au moyen d'une pompe, et d'un grand fourneau de fonte, sur lequel est appendue une abondante batterie de cuisine. Par un perron de quelques marches on monte de cette pièce au réfectoire des garçons, dont la fontaine est de marbre, ainsi que les tables, qui reposent sur des pieds de fonte; au moyen d'un tour pratiqué dans l'office, la même cuisine dessert le réfectoire des filles, qui en est entièrement séparé, et occupe l'autre extrémité des bâtiments.

En arrivant dans la salle des séances publiques, qui se trouve dans l'aile de droite, en entrant par la rue Saint-Jacques, le regard s'arrête, tout d'abord, sur un grand tableau exécuté et donné à l'Institution, en 1835, par Ponce Camus. Cette peinture représente le jeune sourd-muet connu sous le nom du comte de Solar(sujet du drame de M. Bouilly, joué à la Comédie-Française), accompagné de son maître et protecteur, l'abbé de l'Épée, reconnaissant la maison où il a vu le jour, sur une des places publiques de Toulouse. Aux murs de droite et de gauche sont gravés les noms des anciens administrateurs de l'établissement, qu'on retrouve encore entre les bustes du fondateur et de son élève et successeur, l'abbé Sicard. Ces deux vénérables images ornent les deux côtés du tableau noir destiné aux exercices publics, sur lequel repose un autre buste plus grand de l'abbé de l'Épée, œuvre remarquable de M. Auguste Préault. Au-dessus du tableau noir on lit cette inscription:

«L'École des sourds-muets, en France, a été fondée par l'abbé de l'Épée, qui l'a établie à ses frais, en 1760, rue des Moulins, à la butte Saint-Roch. Elle a été érigée en Institution nationale par les lois des 24 et 29 juillet 1791.»

Devant le tableau règne une estrade consacrée aux exercices, d'où l'on descend, par un double perron, à une série de gradins disposés en amphithéâtre pour le public. Le long du mur de droite on lit, sur une pierre de marbre:

«Mme Suzanne-Elisabeth-Eulalie Champion, veuve Vignette, décédée à Paris, le 3 février 1831, a légué à l'Institution royale des sourds-muets trois fermes, sous la condition que, à perpétuité, huit enfants sourds-muets, pauvres, seraient admis gratuitement dans cette Institution.»

Le mur de gauche a pour pendant cette autre inscription:

«Jean-Marc-Gaspard Itard, chevalier de la Légion-d'Honneur, membre de l'Académie royale de médecine et de plusieurs Sociétés savantes, médecin, pendant trente-huit ans, de l'Institution, né à Oraison (Basses-Alpes), le 15 avril 1774, décédé le 5 juillet 1838, a, par son testament, fait à Paris, le 4 octobre 1837, légué a cette Institution huit mille francs de rente perpétuelle, 5 pour 100, pour y fonder une classe d'instruction complémentaire et six bourses triennales gratuites en faveur de six sourds-muets désignés au concours parmi les élèves qui ont atteint le terme ordinaire des études.

«Le conseil d'administration a voulu que ce marbre perpétuât le souvenir de ce bienfait et l'expression de la reconnaissance de l'Institut.»

L'uniforme des garçons est, à peu près, le même que celui des jeunes lycéens parlants. Les dimanches et jours fériés, il consiste en une tunique, un pantalon et un képi de drap bleu foncé, avec liséré rouge. Pendant la semaine, ils sont vêtus d'une blouse bleue.

Les élèves sont divisés en compagnies et en pelotons, ayant à leur tête un sergent-major, des sergents et des caporaux, portant fièrement, sur leurs manches, les marques distinctives de leurs grades respectifs.

Deux petits pavillons, élevés des deux côtés du grand portail, font saillie sur la cour. Dans l'un est le bureau du contrôleur du service; l'autre sert de logement au concierge.

Pour entrer dans le quartier des filles, on passe devant ce dernier pavillon, qui est contigu à la salle des bains, et l'on arrive à la loge spéciale de la portière de cette partie de la maison.

La distribution du quartier des filles reproduit, à peu de choses près, en diminutif, celle du quartier des garçons. Cette aile de l'édifice est composée de quatre étages.

Le rez-de-chaussée renferme une pièce d'entrée, avec une fontaine au fond, une salle de récréation et un réfectoire. De là on descend par quelques marches dans un jardin, clos de murs, contenant un bassin et un gymnase, sans compter les parterres des sous-maîtresses.

Le premier étage est occupé par les classes et par une grande salle d'étude, qui se transforme en ouvroir, à certaines heures du jour; le second, par les dortoirs; le troisième, par l'infirmerie et la lingerie; le quatrième, par les logements de la surveillante en chef et de ses subordonnées.

L'établissement entier, qui a coûté plus de 1,200,000 francs, a été élevé par la munificence du gouvernement, à la place des vieux bâtiments de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, qui, ainsi que nous l'avons dit plus haut, menaçaient ruine, ayant été construits en 1386, sous Philippe-le-Hardi.

Le personnel des deux établissements se compose comme suit: un directeur responsable, assisté d'une commission consultative de quatre membres, qui se renouvelle par quart; un receveur-économe et un aumônier.

Quartier des garçons: sept professeurs, dont quatre sourds-muets (un des professeurs parlants remplit les fonctions de sous-directeur; un autre, celles de bibliothécaire-archiviste).

Un professeur suppléant, un surveillant sourd-muet, un maître d'étude sourd-muet, des aspirants sourds-muets ou parlants, dont le nombre est fixé, chaque année, par le ministre; six chefs d'ateliers, dont un sourd-muet; un maître de dessin, un maître d'écriture, un contrôleur du service, un veilleur et cinq hommes de peine.

166 élèves, dont 100 à la charge du gouvernement, et 8 aux frais des familles.

Quartier des filles: une surveillante en chef, trois dames professeurs, trois répétitrices, des aspirantes dont le nombre est également fixé chaque année; deux maîtresses d'étude, dont une sourde-muette; une maîtresse de dessin, une maîtresse d'écriture, une infirmière, une portière, une veilleuse et deux servantes, dont une sourde-muette.

(N) Le 17 décembre, on lisait dans le NATIONAL:

«La lettre de M. Berthier, sur l'absence du portrait de l'abbé de l'Épée au Musée de Versailles, a inspiré à un jeune sourd-muet de Gourdon les vers suivants, que nous nous faisons un devoir d'insérer dans nos colonnes. Nous donnons rarement place à des vers, à cette époque peu poétique; mais on ne lira pas, sans en être vivement touché, cette nouvelle preuve des bienfaits de l'abbé de l'Épée. Son génie a rendu la vie morale à ceux dont l'âme aurait passé, sans guide et sans flambeau, de la nuit d'ici-bas dans la nuit de la tombe.»

LE SOURD-MUET
 
Et souvent je me dis: Pourquoi, sur cette terre,
Où l'homme n'a reçu qu'une vie éphémère,
Doit-il toujours pleurer, doit-il toujours gémir?
Est-ce un crime de naître, une loi de souffrir?
Bercé d'illusions, dévoré de rancune,
Revêtu de douleur, couronné d'infortune,
Pourquoi meurt-il éteint par la fatalité?
Que de maux ont pesé sur notre humanité!
Sans doute que, parmi ces brillantes planètes
Qui scintillent aux cieux et roulent sur nos têtes,
Un météore horrible, annonçant le malheur,
N'éclaire que misère, et souffrance, et douleur,
Qu'il embrase le monde, et, de son orbe immense,
Répand dans tous les lieux sa funeste influence.
 
 
Sous cet astre fatal ma mère me conçut;
Au cri de mes douleurs mon père me reçut.
Le malheur fut mon roi. Le cœur rongé d'envie,
Il m'avait attendu sur le seuil de la vie;
Et, quand, dans mon berceau, le double éclat des cieux,
Pour la première fois, resplendit à mes yeux,
Un plus épais nuage enveloppa mon âme.
Nulle voix d'harmonie, ou d'espoir, ou de flamme,
Ne vint me convier aux champs de l'avenir.
Orphelin, sans amis, ange déchu, martyr,
Sur le portail doré qui s'ouvre à l'existence,
Je n'ai pas lu ce mot, ce doux mot: Espérance!
Comme le nautonnier égaré dans les mers,
Errant de plage en plage, et, seul dans l'univers,
Moi, sur l'esquif brisé, pilote sans étoile,
Sans un souffle qui vînt, le soir, enfler ma voile,
Sur la mer de la vie, à la merci des flots,
J'ai vogué tristement à travers bien des maux.
 
 
Du moins, dans son naufrage, une voix le console.
C'est l'alcyon plaintif qui, sur l'eau, chante et vole;
C'est le vent qui soupire à l'oreille en passant;
C'est l'écume blanchâtre, au reflet caressant.
Ces vibrations d'air, musique aérienne,
Ces concerts, aussi doux qu'une âme éolienne,
Parlent au nautonnier: sensible à cet accord,
Captif lui-même, il chante, il s'oublie, il s'endort.
Moi, pauvre sourd-muet, dans ce désert immense,
Je n'eus pas une voix pour charmer ma souffrance.
Ma mère, en son amour, me berçant sur son sein,
Ne ferma pas mes yeux au souffle d'un refrain.
Dans mot isolement, jamais tendre parole
Qui fait bondir le cœur, qui ramène et console,
Sur mon âme captive, en sons mélodieux,
N'est descendue, hélas! messagère des cieux.
 
 
Hélas! je traversais, sans amis et sans guide,
Ce monde, ne m'offrant qu'un désert bien aride,
Ne sachant où j'allais et d'où j'étais venu,
Ignorant l'univers, à moi-même inconnu.
Amour, gloire, vertu, beaux-arts et poésie,
Grave inspiration, légère fantaisie,
Tous vos dons me manquaient pour exalter mon cœur,
Pour me guider au bien, au plaisir, au bonheur.
 
 
Ils passaient à mes yeux, ils passaient sur mon âme,
Comme un feu sous le vent, sans irriter la flamme.
Je t'ignorais encor, douce religion.
Trésor de dévoûment, de consolation,
De l'homme malheureux visible Providence,
Toi qui, dans cet enfer, lui portes l'espérance,
J'ignorais que l'on pût, sous tes blanches couleurs,
Épancher en silence et ses maux et ses pleurs,
Et qu'il me fût permis, à la fête d'Isaure109,
Écartant les douleurs qui m'agitent encore,
Sur un luth gracieux laissant glisser mes doigts,
Chanter, comme aujourd'hui, mes peines d'autrefois,
Mes rêves d'avenir, d'amour, de délivrance,
Dire l'hymne sacré de la reconnaissance,
Et, de la mélodie invoquant les faveurs,
Aspirer à cueillir la poésie en fleurs.
Et toi, lyre fidèle, aux paroles de flamme,
Délices de mon cœur, doux écho de mon âme,
Mon amour, mon souci, mon trésor et mon Dieu,
Il m'eût fallu te dire un éternel adieu!
 
 
Béni soit à jamais l'art divin de l'Épée!
Mon âme, par sa voix, se relève frappée;
Il l'a dit, et j'ai vu surgir à l'horizon
Le flambeau de l'esprit, l'astre de la raison;
Ces rayons bienfaisants, de leur vive lumière
Éclairent, à mes yeux, une vaste carrière.
L'ange de poésie, ange gardien du cœur,
Est descendu du ciel m'enivrer de douceur;
Sous son aile d'amour, à sa voix d'harmonie,
Je me suis abrité, devinant le génie:
Il m'ouvre, en souriant, un avenir heureux;
Il me prête son luth, et nous chantons tous deux.
Souvenir enivrant! à son réveil, mon âme
Se consume d'extase, et d'ivresse, et de flamme;
Ravi, hors de moi-même, en cet instant si doux,
Je bénis le bon ange, et fléchis les genoux.
Lui, soudain, agitant sa baguette magique,
A mes yeux, fait jaillir un univers mystique,
Univers idéal, monde mélodieux
Où mille doux échos, comme un essaim joyeux
D'esprits aériens, de légères sylphides,
Apportent à mon cœur des accents frais, splendides,
Des bruits surnaturels, de ravissants accords,
L'extase de la lyre et ses vagues transports,
Concerts délicieux, musique intérieure
Qui font qu'en écoutant, l'âme palpite et pleure.
Reprends ta harpe d'or, terrestre séraphin,
Poëte de l'espoir, chantre de Jocelyn!
Ouvre à nos pas errants tes lacs mélancoliques
Et sème notre ciel d'étoiles poétiques!
Dans mon exil moral, un Dieu m'a visité;
Il s'est fait mon ami, ce Dieu de charité;
Il a brisé mes fers… J'ai volé vers ta sphère;
J'ai senti ton éclat inonder ma paupière;
Ivre de ton ivresse et rempli de tes vers,
J'ai tenté mon essor, au bruit de tes concerts.
Une lyre à la main, guidé par ton génie,
J'ai, comme un rêve d'or, goûté ton harmonie,
Céleste volupté! charmante illusion!
Et, soudain, au flambeau de l'inspiration,
Ravi d'enthousiasme, en mes élans immenses,
J'ai secoué mon aile aux pures jouissances.
Pareil au jeune aiglon qui, dans son frêle essor,
Attiré par l'instinct, d'une aile faible encor
S'essaie, en se jouant, sur les profonds abîmes,
Ou, rasant des rochers les gigantesques cimes,
Va là-haut contempler l'astre de l'univers;
Long-temps se balançant dans l'empire des airs,
Aspirant, beau d'orgueil, à braver les orages,
Il monte, monte encor par dessus les nuages!
 
 
Gloire à toi, de l'Épée! Oh! si jamais ma voix,
Pour immortaliser le héros de mon choix,
Pouvait, dans ses accents, égaler mon délire,
Si jamais je pouvais demander à ma lyre
Des vers heureux, échos d'infinis sentiments,
C'est pour toi que j'aurais mes plus sublimes chants.
Pour toi, j'exhalerais honneur, reconnaissance.
Mes succès seraient doux et mon ivresse immense.
De quel nom te nommer, mon second créateur,
Et sur quel piédestal un transport de mon cœur
Doit-il placer ton buste, éterniser ta gloire,
Perpétuer ton œuvre et venger ta mémoire?
O tendre de l'Épée, ange de charité,
Sois à jamais béni dans la postérité!
Ton génie immortel, vainqueur de la nature,
Concevant l'impossible, a comblé la mesure
De l'abîme profond où m'avait relégué
Le malheur qu'en naissant, le sort m'avait légué.
Amour et gloire à toi! plein du Dieu qui m'anime,
Je redirai toujours ton dévoûment sublime.
 
PÉLISSIER, de Gourdon (Lot),
Professeur sourd-muet à l'Institution nationale de Paris.

(O) A Monsieur Dupin aîné, président de la Chambre des députés.

 

«MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

Les journaux ont bien voulu s'empresser de rendre public notre vœu relatif au monument de l'abbé de l'Épée, et ils sont prêts à nous ouvrir leurs colonnes à cet effet. Nous venons, au nom de nos frères, vous offrir la présidence de la commission qui surveillerait et dirigerait cette œuvre éminemment philanthropique. Elle se composerait de MM. le baron de Schonen, le baron Séguier, le vicomte de Chateaubriand, Chapuys-Montlaville, Eugène Garay de Monglave, l'abbé Olivier, Cavé, chef de la division des beaux-arts (de laquelle ressortissent les écoles des sourds-muets); Ferdinand Berthier, président de la Société centrale des sourds-muets; Forestier, vice-président, et Lenoir, secrétaire. L'intérêt que vous portez à nos frères ne nous permet pas de douter de votre assentiment.»

(P) Lettre de M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement, à M. Ferdinand Berthier, en date du 12 juin 1838.

«J'ai pour l'abbé de l'Épée la reconnaissance d'un fils: il a élevé mon frère avec vous, et j'ai pris l'habitude de me croire de la famille des sourds-muets.

«J'éprouve le plus vif désir de m'associer à votre pieuse intention de lui élever un monument durable comme ses bienfaits.

«Les fonds de la souscription détermineront le degré de richesse du monument; tâchez d'obtenir la statue assise, en bronze, de l'abbé de l'Épée, enseignant deux enfants attentifs à son regard, sinon un piédestal portant des bas-reliefs en bronze, et, sur le piédestal, un livre, signe de l'Évangile de l'apôtre des sourds-muets!

«J'offre à la commission de lui proposer divers projets, en lui soumettant les devis; je ne demande, ni honoraires, ni gloire, car je veux seulement signer mon œuvre de mon nom de frère d'un sourd-muet.

«Agréez tous mes compliments et mes amitiés!»

Autre lettre du même à M. Ferdinand Berthier et à
M. Alphonse Lenoir

«Mon cher ami, et mon cher frère, je vous renouvelle l'offre de m'associer à l'œuvre pieuse qui a pour but d'élever un monument à l'abbé de l'Épée, le père intellectuel de tous les sourds-muets.

«Je vous offre mon concours gratuit comme architecte du gouvernement. Les fonds de la souscription détermineront le caractère de richesse du monument. Tâchez d'obtenir qu'on fasse une statue en bronze, assise, et aux trois quarts de nature! A défaut, que des bas-reliefs et un médaillon, sur un piédestal en marbre, rappellent, au moins, les principaux traits de la vie la plus généreuse et la plus utile!

«Agréez mes embrassements de frère!»

(Q) Pièces à l'appui de la proposition de MM. Lassus, architecte, et Auguste Préault, statuaire.

DEVIS ESTIMATIF DE TROIS PROJETS
Concernant un Monument à élever, dans l'église Saint-Roch,
à la mémoire de l'abbé de l'Épée

PREMIER PROJET.


DEUXIÈME PROJET.


TROISIÈME PROJET.

DESCRIPTION

Ce monument, couronné par le buste en bronze de l'abbé de l'Épée, aurait, à droite et à gauche, un jeune sourd-muet représenté, à l'instar des statues antiques du silence, par une figure dont la bouche serait fermée par un anneau.

Ces deux enfants formuleraient un mot de reconnaissance dans le langage mimique inventé par le fondateur de l'Institution des sourds-muets.

Au-dessous serait placée une guirlande de fleurs funèbres, entourée d'un philactère, sur lequel serait gravée une inscription indiquant, par quelques mots, le lien que cet homme vertueux a su établir d'abord entre tous ces malheureux êtres que la nature semblait vouer à l'isolement, puis entre eux et la société dont ils étaient séparés.

Enfin le Christianisme, dominant et inspirant cet acte de dévoûment, serait représenté par la croix placée au-dessus.

Sous le buste le nom serait gravé en lettres d'or sur une plaque de marbre noir.

La grande plaque de marbre de même couleur, placée entre les deux enfants, recevrait une inscription composée de deux parties: la première, écrite en caractères ordinaires; la seconde, avec les signes employés par les sourds-muets.


DEVIS DES TRAVAUX.

109Allusion à une solennité de l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse.