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La Demoiselle au Bois Dormant

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XV

Aube était partie, mais elle n'était pas bien loin puisqu'elle se trouvait encore dans la société de Gillette.

Celle-ci avait fait en sorte d'escorter son amie jusqu'au bas du mont où Auberte devait monter en voiture. C'était une manière de retarder leur séparation. Quand elles atteignirent sur la grande route le point où elles devaient se dire au revoir, Laurent, qui était déjà en voiture avec sa mère, descendit pour saluer Mlle Droy et faire monter Aube. Mais Laurent était d'autant plus poli que sa politesse lui coûtait davantage, et le salut se prolongea.

Le landau s'éloigna lentement, suivi à quelques pas par Laurent et les jeunes filles.

Gillette était assez nerveuse et de médiocre affabilité, elle ne portait pas en elle comme Aube une source de joie silencieuse; elle ne pouvait pas deviner l'événement qui s'accomplissait en cette minute pour son frère aîné.

– Je ne sais pas ce qu'ils ont tous à la Maison, dit-elle, mais ils ont quelque chose. Stéphanie, qui a reçu des lettres de sa famille, exhibe une correction si exquise, observe un décorum si rigoureux, qu'elle doit certainement être bouleversée; c'est sa façon d'avoir la tête à l'envers. Et Hugues, qui n'a pas reçu de lettres, a un air…

Aube eut un heureux sourire à la pensée du bonheur dont Hugues recevait en ce moment la nouvelle.

Gillette se tourna vers Laurent et dit, comme si ces paroles étaient la suite logique des précédentes:

– Quant au plan que vous nous avez apporté pour l'arrangement de votre serre, je me dois à moi-même de vous déclarer qu'il est absurde; votre serre aura l'air d'un jardin chinois, il n'y manquera que des petites gens en porcelaine. En tout cas, ce ne sera qu'un à peu près, et puisque la Comtesse vous donne carte blanche… Ma poétique petite princesse, ces questions de pot-au-feu ne vous concernent pas, c'est bon pour moi de maçonner et de patauger dans les plâtras. Hugues se moque de mes labeurs.

Aube faillit dire gaiement:

– Mais c'est Hugues qu'il faudrait consulter.

– Enfin, je me dévoue à ce pauvre Menaudru et je défendrai jusqu'au bout la prison qui a de si jolies oubliettes.

Laurent répliqua d'un air fort civil:

– A moins de jucher la nouvelle bibliothèque sur la serre ou inversement, je ne vois pas le moyen de les établir toutes deux sur un emplacement de vingt mètres en leur donnant à chacune vingt mètres de superficie.

– Comme c'est sensé ce que vous dites, fit Gillette. Oui, naturellement, vous avez raison, mais moi, – (avec explosion):

– Je déteste les gens qui ont raison…

– Qui ont raison contre vous, acheva Laurent.

– Prenez garde, Laurent, dit Aube l'air amusé, ou elle dira encore qu'elle aimerait mieux mourir que d'être votre soeur et la mienne. Et, cependant, Palatin pourrait proclamer tous les égards que vous avez pour elle en la personne de son lapin favori; vous le faites vivre dans une telle abondance qu'il devient monstrueux.

Laurent était peu disposé à invoquer le témoignage de Palatin, car il dit précipitamment:

– Vous n'aurez votre serre… notre serre qu'en supprimant l'ancienne boulangerie.

– Et ses amours de fenêtres en trèfle… non pas.

– Alors écornons l'orangerie?

– Ah! mais non, et ces chers vieux nids de hiboux!

– Eh bien! démolissez la prison, Aube consent.

– Démolir, renverser, démolir, vous n'avez que ces mots à la bouche, vous n'êtes qu'un iconoclaste; sans moi, vous et Auberte vous bouleverseriez tout.

– Mais, dit Aube, vous aviez autrefois bien d'autres projets de réforme: quand vous vouliez percer tant de fenêtres, abattre les murs, couper, tailler, trancher dans le vif…

– Assez, assez! vous me faites mal.

– Et ce n'est pourtant qu'en moi que vous tranchez.

– Quelle langue affilée vous avez aujourd'hui! petite Aube. Si vous possédez de la malice, employez-la au moins à me servir, mettez-vous de mon parti et convenez qu'on a eu tort de ne pas s'en tenir au plan de M. Levraut, votre architecte.

Laurent remarqua du ton le plus naturel:

– M. Levraut nous a abandonnés; il est parti l'air bien abattu.

– Oui… oui… il est parti, fit Gillette avec insouciance et son visage rougissant, qu'elle détournait, prit une expression hautaine.

Un soupçon traversa l'esprit d'Auberte que ses dernières expériences rendaient perspicace. M. Levraut aurait-il voulu épouser Gillette?

– Oh! Gillette, est-ce possible!..

– Je ne vois pas ce qui vous confond, il n'y a pas lieu de pousser les hauts cris, votre ébahissement n'a rien de flatteur pour personne. Que reprochez-vous à M. Levraut? Il a de grandes qualités.

– Certes! fit Laurent; mais enfin il est parti, conclut-il d'un air conciliant, et ce n'est pas la faute d'Aube ni la mienne; je vous assure que je n'ai pas épargné mes instances pour le garder.

– Je vous reconnais bien là! s'écria Gillette, s'il n'avait tenu qu'à vous, il serait encore ici à m'em…

Elle s'aperçut à temps de son imprudence, se mordit les lèvres et reprit:

– Du reste, jamais personne n'a pu supporter ce malheureux garçon, et je me demande pourquoi. C'est un homme du plus grand mérite, un peu balourd, mais si instruit; point de tact, mais tant de coeur, des prétentions exorbitantes, mais…

– Mais cela s'explique si bien parce qu'il n'avait aucune raison plausible d'en conserver, acheva Laurent, secondant avec componction Gillette dans sa façon meurtrière de porter les gens aux nues. Quel dommage que nous n'ayons pas eu le temps d'apprécier tant de vertus…

– Ne me poussez pas à bout. C'est un être utile au moins! tandis que d'autres… remarquez que je ne nomme personne… Il travaille et vous ne comprendrez jamais cette sorte de vertu: vous êtes terriblement aristocrate, mon cousin, soupira-t-elle avec la conviction édifiante qu'elle échappait à cette impardonnable faiblesse. Je ne fais pas d'allusion, rendez-moi cette justice, mais enfin M. Levraut remplit sa place en ce monde, il joue son rôle, tandis que vous… non, je ne veux pas être mortifiante, mais vous, pourquoi vivez-vous et pour qui?

La voiture s'était arrêtée pour attendre les voyageurs; ceux-ci ne s'en apercevaient pas dans l'animation de leur causerie: ils avaient traversé, sans s'en apercevoir davantage, une bande de chiens courants qui, ayant sans doute perdu la trace du gibier qu'ils chassaient, s'étaient égarés hors de la portée de la voix et du cor de leur piqueur; ils suivaient la route tête basse et l'air harassé.

Gillette prit congé d'Aube et remonta dans la direction de Menaudru, les chiens l'entourèrent de fort près; Laurent voulut les écarter, mais elle le remercia d'un ton catégorique et pria Aube ainsi que son frère de ne pas faire attendre Mme de Menaudru.

Les chiens se rapprochèrent d'un mouvement si imprévu que Gillette, dans son premier élan irraisonné, franchit le fossé qui bordait la route afin de mettre un espace entre elle et les bêtes, et elle repoussa une barrière qui s'était trouvée ouverte devant elle; les chiens, sans manifester précisément d'intentions agressives, se groupèrent au bord du fossé. Mais cette barrière n'était que la défense avancée d'un clos; il y avait, derrière, une porte pleine dans un mur trop haut pour que Gillette pût le sauter, si elle avait été en goût de tenter l'aventure. Et les chiens restèrent assis ou couchés en un infranchissable demi-cercle, les yeux ardemment fixés sur Gillette, sans qu'il fût possible de savoir le motif de ce blocus, ni par quel caprice de leurs cervelles rudimentaires, ils avaient choisi Gillette pour but spécial de leurs attentions.

– Non, non, je m'en tirerai à merveille, je vous prie instamment de vous en aller, je suis fort bien ici et je veux me reposer, disait Gillette pendant que Mme de Menaudru mettait la tête à la portière pour démêler ce qui se passait.

Il ne se passait rien, malheureusement; Gillette, toujours debout, commençait à considérer d'un oeil effaré le cercle qui se rétrécissait. Un peu de frayeur empourpra ses joues. Laurent fut aussitôt au milieu des chiens, il les dispersa en un clin d'oeil. Les chiens, humant l'air, partirent du côté où retentissaient des appels de cor, et Gillette accepta l'aide de Laurent pour redescendre sur la route.

– Somme toute, ces chiens courants sont de bien stupides bêtes, dit Laurent sans la moindre allusion désobligeante à l'ignominieuse défaite de son adversaire.

Gillette dit quelques mots indifférents à Aube, puis, s'adressant à Laurent, elle murmura avec effort:

– Il fallait me laisser dans l'embarras puisque je vous le demandais, ou bien encore me réduire à implorer votre secours, à crier grâce. Pourquoi, au moins, ne triomphez-vous pas avec ostentation? Pourquoi êtes-vous si méchamment généreux? N'importe, je…

Les mots s'arrêtaient dans sa gorge.

– Je vous remercie, et j'ai pour vous toute la reconnaissance que je vous dois.

Et elle s'en alla. Aube se retourna vivement vers son frère pour le consoler, lui adoucir par sa sympathie l'injustice de cette algarade. Mais Laurent avait l'air radieux, et radieux il resta à sa manière tout le temps du voyage.

… M. de Gourville était gros, rouge et solennel quand son naturel colérique ne l'emportait pas sur sa solennité. Comme il trouvait rarement à Menaudru l'occasion de se mettre en colère, sa présence apportait d'ordinaire peu de variété dans l'existence uniforme qu'on menait au château.

Ainsi que le Comte en avait informé Hugues, M. de Gourville aimait beaucoup Laurent et Auberte. Auberte l'aimait aussi, elle lui était reconnaissante d'avoir toujours été si bon pour Laurent.

Aube devait rester à l'écart des différends qui allaient peut-être surgir entre le visiteur et ses hôtes, à propos de son mariage. Cette visite, interrompant pour quelques jours les préliminaires de ce mariage, lui apparaissaient comme une halte avant sa nouvelle vie et lui permettraient de se retremper.

 

Elle ne sut pas ce qui s'était passé dans l'entretien que ses parents eurent le même soir avec M. de Gourville, mais elle sentit tout de suite, et cela lui suffisait, que l'affection de son oncle pour elle n'avait pas diminué.

Le lendemain, elle tint compagnie au vieillard dans le petit salon qui faisait partie de son appartement, et tout annonçait entre eux une parfaite intelligence. M. de Gourville, enfoui dans un grand fauteuil au coin du feu, suivait de l'oeil Auberte qui rangeait un portefeuille de gravures dont il venait de lui faire cadeau. Il y avait un grand feu dans le cheminée, des chrysanthèmes et des azalées un peu partout: le jour était gris et froid, et Aube, vêtue de velours gris, remplissait l'antique petite pièce tendue de tapisseries, de la grâce languissante, patricienne, qui était dans chacun de ses mouvements.

– A propos, dit M. de Gourville, vous ne m'avez jamais parlé de ma nièce depuis que vous la connaissez?

– De votre nièce? répéta Auberte sans quitter des yeux la gravure qu'elle tenait. Je ne savais pas que vous ayez une autre nièce que moi et, encore, je ne le suis que parce que vous le voulez bien.

Et elle ajouta, les cils toujours abaissés, mais avec un sourire tendre qui erra une seconde sur sa bouche timide:

– Vous voulez bien être encore mon oncle?

– Oui, quand même… mais non, sensitive, pas de quand même avec vous, nous sommes trop heureux de faire votre volonté. Enfin, j'ai une autre nièce, ne vous déplaise, quoiqu'elle ait mis un peu d'empressement à vous apprendre le lien qui nous unit. Elle doit venir tout à l'heure me faire la visite qu'elle me rendait de loin en loin – de très loin en très loin – à Gourville, quand elle n'était pas encore votre voisine. Tenez, je gagerais que la voici.

Mme de Menaudru fit entrer Stéphanie d'Aumay et s'effaça.

Aube avait précipitamment quitté son siège.

– Oui, Mlle d'Aumay est ma nièce, dit M. de Gourville diverti par l'étonnement d'Auberte, au même titre que Laurent; seulement, elle ne m'a pas donné les mêmes satisfactions que votre frère et nos relations sont restées tièdes. Nous allons changer tout cela. Asseyez-vous, Stéphanie; ne vous sauvez pas, Auberte, vous entendrez des choses intéressantes et c'est un régal assez peu fréquent en ce pauvre monde pour qu'on n'en fuie pas l'occasion. Vous venez donc nous dire, Stéphanie, que vous capitulez. Vous avez réfléchi, ainsi que je vous en priais, et vous vous résignez de bonne grâce à être heureuse et riche en épousant mon neveu Laurent?

– Non, je ne peux pas, murmura Stéphanie, et le mouvement plus rapide de ses lèvres trahissait seul son agitation. Mais M. de Gourville n'avait pas entendu.

– Vous savez que, pour ma part, poursuivit-il, je n'étais pas enchanté de vous et que je me serais contenté sans murmure d'un seul héritier. Mais Laurent refuse, il dit que vos droits égalent les siens. Et Laurent de Menaudru…

– Laurent de Menaudru est l'honneur même, dit Stéphanie à demi-voix.

– Nous sommes d'accord. Je vous ai avisée par lettre que j'allais, moyennant une insignifiante condition, vous faire part à mon héritage, et, depuis que je suis à Menaudru, je vous ai fait savoir que la condition, c'était ce mariage. Si vous ne la trouvez pas insignifiante à première vue, c'est tout à la louange de Laurent. Mais nous arrivons à nous expliquer et vous acceptez d'être la femme de ce pointilleux gentilhomme.

Aube écoutait silencieuse, ses narines palpitaient un peu.

– Finissons-en d'un ridicule malentendu qui vous fait jouer le rôle de gouvernante. Vous habiterez Gourville avec moi, et, à ma mort, vous jouirez de mon héritage avec Laurent. C'est une excellente solution.

– Non, dit Stéphanie se contraignant à parler plus haut: c'est impossible, je ne peux pas.

Cette fois, il avait entendu.

– Vous ne pouvez pas? s'écria-t-il. Vous ne pouvez pas épouser mon neveu, Laurent de Menaudru? Qu'avez-vous contre lui?

– Rien. Je l'estime. Je puis même dire maintenant, fit-elle d'un ton un peu sec, qu'il est l'homme que j'estime le plus.

Même devant Auberte, Stéphanie ne pouvait contenir l'amertume que lui laissait la conduite de Hugues.

Elle ne connaissait pas plus que les autres, les circonstances qui avaient entraîné le consentement du jeune homme. Que Hugues eût renié les scrupules de sa fierté pour épouser la jeune héritière de Menaudru, c'était pour Stéphanie une déception quelle n'acceptait pas sans révolte; et il lui fallait constater, par surcroît, que Hugues trouvait une joie consolante dans l'affection d'Auberte.

– Vraiment? fit M. de Gourville enchanté. Vous aurez eu des désillusions avec les incomparables Droy.

– En tout cas, reprit-elle du même accent bref, je ne les mets plus en comparaison avec votre neveu.

– Et vous refusez celui-ci? Alors, fit M. de Gourville outré, vous êtes tout à fait folle.

La rougeur envahissait son front, une colère montait en lui tandis que Stéphanie restait maîtresse d'elle-même dans sa tristesse.

– Comprenez donc que si vous n'épousez pas Laurent…

– Il n'est pas dit que M. Laurent souscrive à votre "solution".

– Je me charge de lui faire entendre raison carrément, s'il en est besoin. Quand Menaudru appartiendra au mari de sa soeur, il sera bien aise d'avoir Gourville. Je lui ai tenu lieu de tous ses parents, il doit m'obéir et il m'obéira. Mais le refus ne viendra pas de lui. Vous ne comprenez pas du tout, fit-il, calmé par l'intense dédain que lui inspirait cette faiblesse d'intelligence féminine. Si vous vous obstinez, je ne changerai pas un iota aux dispositions que j'avais prises antérieurement pour vous et qui n'étaient pas libérales. Dites oui, au contraire, et Dieu sait si une femme raisonnable ne le crierait pas à votre place…

– Si vos bontés sont à ce prix, mon oncle, je… je les refuse.

M. de Gourville se tut et l'on n'entendit que le souffle un peu oppressé de Stéphanie.

– Vous me prouvez, reprit le vieillard, que j'ai agi sagement jusqu'ici, et que, sauf le respect que je dois à sa soeur, Laurent de Menaudru n'est qu'un nigaud quand il vous défend. Mais ce n'est pas lui qui me désappointerait dans un cas pareil. Je suis si sûr de sa soumission que je ne l'ai pas encore entretenu de mon projet, et, quand je m'en ouvrirai à lui, il n'aura pas assez de mots pour me bénir.

– Essayez, dit Stéphanie simplement.

Son assurance ébranla M. de Gourville, mais il reprit bien vite d'un ton amer:

– Je me rends aux remontrances de ce pauvre garçon, je mets tous mes griefs sous mes pieds, j'oublie qu'une fois déjà, vous m'avez préféré les Droy, que vous avez mieux aimé être institutrice chez ces gens-là… – (pardon, Auberte,) – plutôt que de venir à Gourville…

– Vous n'aviez nul besoin de moi, Mme Droy n'était pas bien portante à cette époque, et je ne pouvais m'éloigner de ses enfants. Je ne l'aurais pas voulu.

– A la bonne heure! voilà qui est net. Cette famille Droy est si rassise, si sensée… N'écoutez donc pas, Auberte.

– Pourquoi, fit Stéphanie avec révolte, Auberte n'écouterait-elle pas ce que vous me forcez à entendre?

Elle se domina, M. de Gourville continuait:

– Enfin, c'est donc bien agréable, Stéphanie d'Aumay, de vivre chez les autres, de travailler, de porter de vieilles robes, quand vous pourriez avoir un chez vous, être la femme d'un galant homme, vous installer à Gourville, y recevoir vos chers Droy tant qu'il vous plairait.

L'aîné, Hugues, est pour un temps indéfini à Besançon. Sa femme, quand il se mariera, sa femme et vous serez comme les deux doigts de la main, et vous vous verrez tous les jours.

Stéphanie ne répondit pas.

– Allons, vous avez eu un petit moment d'aberration. Aube et moi n'en répéterons rien.

– Oh! je vous en prie, gémit soudain Stéphanie, ayez pitié de moi, n'insistez pas…

Elle l'implorait de ses yeux désolés, son visage à la beauté classique et délicate était si pâle qu'il en fut un peu effrayé.

– Si vous vouliez comprendre, poursuivit-elle, que c'est impossible, que je ne consentirai pas, que toute discussion est vaine.

Comme elle lui tendait la main avant de se retirer, il se raidit pour dire en l'écartant:

– Pas d'amitié entre nous sans votre obéissance, et votre obéissance immédiate. Acceptez tout de suite, avant de sortir, ou il ne sera plus temps.

Mais elle sortit sans avoir répondu, ou plutôt donnant ainsi une trop claire réponse.

M. de Gourville prolongea d'une semaine son séjour à Menaudru; il se décidait avec peine à rentrer dans sa solitude, bien que son séjour au château lui eût apporté maint désappointement. Il n'avait pas rencontré en Laurent les consolations qu'il avait si fermement espérées et, le jour de son départ, comme Aube entrait dans le petit salon pour passer avec son oncle les dernières heures que celui-ci dût consacrer cet hiver à Menaudru, elle trouva l'oncle et le neveu absorbés par une discussion qui ressemblait à une véhémente dispute.

Ils se turent subitement tous deux devant le visage inquiet, déjà altéré de la jeune fille.

– Qu'avez-vous? demanda-t-elle d'un ton anxieux.

– J'ai… j'ai… commença M. de Gourville qui était cramoisi et respirait mal.

Laurent fit un geste, mais M. de Gourville n'avait pas besoin de cet avertissement pour voir qu'il effrayait Auberte. Il acheva en essayant de rire:

– Je n'ai rien du tout que le déplaisir de m'en aller tout seul.

Ici, un coup d'oeil furieux à l'adresse de Laurent.

Aube traversa la salle.

– Il y a autre chose, Laurent, dites-moi…

– Que voulez-vous qu'il vous dise? interrompit M. de Gourville.

– On ne me trompe pas, quand je suis entrée vous étiez en colère contre Laurent, mon pauvre Laurent.

– Vous ne disiez pas: pauvre Stéphanie… quand je chapitrais ma nièce, et votre pauvre Laurent a bec et ongles pour se défendre. Ah! votre pauvre Laurent… tel que vous le voyez, avec son air sage, il est le plus fou de la bande…

Le bras indigné de M. de Gourville semblait embrasser à la fois dans sa réprobation la Maison et la château.

– Vous voyez bien, dit Aube toute pâle, vous êtes fâché contre mon frère, vous ne voulez pas que je sois tout à fait heureuse.

– Moi? je ne veux pas! fit l'infortuné M. de Gourville étourdi par une si odieuse accusation.

– Comment le serais-je si vous vous brouilliez avec Laurent?

– Nous ne nous brouillons pas, nous sommes les meilleurs amis du monde, entendez-vous, Aube, êtes-vous contente?

– Oui, dit-elle avec douceur. Et, maintenant, il faut lui donner ce qu'il vous demande.

– Non, par exemple!.. – Enfant, voyons, voyons, ne vous bouleversez pas. Aube, ma petite Aube, je n'ai pas dit que je refusais…

– Dites que vous consentez.

– Jamais de la vie! Mais, Auberte, je plaisante, ne voyez-vous pas que nous nous moquons de vous? Pensez à vos petits pauvres, à vos nouvelles bonnes oeuvres, aux gentils miracles que vous accomplissez, et laissez-nous traiter nos affaires entre hommes; n'en fatiguez pas votre pauvre jolie tête. Laurent et moi nous sommes du même avis.

– Ainsi, vous le laissez libre d'agir à sa convenance?

– Morbleu! je le lui défends bien…

Aube s'appuya d'une main sur la table.

– Quel méchant je suis!.. Venez ça, ma petite Auberte. C'est ce mauvais garçon qui est cause de tout. Non, je n'en dirai point de mal; mais vous ne devriez pas être si sensible à son égard, maintenant que vous avez quelqu'un d'autre à aimer; on dirait que votre tendre coeur s'est encore élargi.

Elle répondit, baissant les yeux pour mieux regarder en elle-même:

– C'est vrai, j'aime tout le monde davantage.

Elle reprit, pesant ses mots:

– Laurent est mon frère, mon bon frère, je ne peux pas être heureuse s'il ne l'est pas.

– Mais, ma chère enfant, ce qu'il demande est insensé… je veux dire qu'il me faut le temps de m'habituer à son extravagance… à son idée, c'est-à-dire. En tant que folie, ne faisons que les plus indispensables, et je juge que pour l'instant une suffit. Oh! ce n'est nullement à votre mariage que je pense, Aube. J'approuve votre mariage, oui, je l'approuve.

– Et celui de Laurent aussi?

– Oui, avec Stéphanie.

– Ce n'est pas Stéphanie qu'il veut épouser, j'ai fini par y voir clair.

– Quelle personne judicieuse…

– Donnez-lui ce qu'il veut.

– Mais, pour le moment, il veut que je le déshérite en faveur de Mlle Stéphanie; il entend que je fasse d'immédiates largesses à cette jeune rebelle; il dit que ce ne serait pas juste de tout garder pour lui; il m'abreuve d'outrages (changeant de ton): Je veux dire qu'il me fait quelques petites observations amicales auxquelles je réponds par quelques autres du même genre. Je vous assure, Aube, que vous auriez pu écouter notre causerie sans avoir l'ombre d'un battement de coeur. Vous avez entendu Stéphanie, l'autre jour? c'est à qui me traînera dans la boue et ne voudra pas de mon argent. Je suis calme, il faut plus que cela pour me faire sortir de mon caractère. Mais encore ne faudrait-il pas que lorsque je veux bien dire Stéphanie, on me réponde Gillette.

 

Au nom de Gillette, Aube murmura: C'est donc vrai? – en regardant son frère.

Puis se retournant vers M. de Gourville:

– Pourquoi ne voulez-vous pas?

– Parce que c'est un diabolique caprice et qu'il trouvera à se marier cent fois mieux.

Aube répliqua lentement: Je ne le crois pas.

Elle parlait avec peine, comme si son intervention lui coûtait.

– Cela vous afflige peut-être un peu, pour commencer, de voir notre Laurent porter en dehors de nous une si grande part de son coeur; mais quand on souffre pour le bonheur des autres, c'est un si bon chagrin. Je me suis bien déjà dit qu'on ne pouvait avoir tout à la fois, et que tout abandonner serait peut-être le moyen de ne rien perdre. Mais que vais-je penser là, moi qui suis favorisée, au contraire! Je connais Gillette comme si elle était ma soeur, et je vous affirme que Laurent ne trouvera pas mieux.

Elle regarda encore Laurent pour lui demander si elle avait bien plaidé sa cause.

– Quand vous devriez me détester comme je déteste mon égoïsme, reprit-elle, je vous confesserai que j'aurais toujours voulu garder mon frère pour moi. Mais je ne peux pas être heureuse s'il ne l'est pas.

– Enfant, vous pleurez? Quelle petite entêtée, quelle petite folle… Laurent, vous ne rougissez pas de faire pleurer votre soeur?

– Je ne pleure pas, dit-elle leur montrant des yeux à peine humides. Et puis, ce n'est pas lui qui…

– C'est moi? Mais vous n'y songez pas, nous en reparlerons, tout s'arrangera…

– Vous ne vous opposez plus?

– Je n'ai pas dit cela.

– Qu'avez-vous dit?

– Que je ne voulais pas… attendez, mais que je pourrais consentir… oui, à une condition…

– Laquelle?

– Mon Dieu, je n'en sais rien… mettons par exemple que si Mlle Gillette avait la fortune qui convient à la future femme de Laurent…

– C'est une manière de refuser, dit sévèrement Auberte. Elle ajouta d'un air de profonde expérience:

– On ne devient pas riche ainsi.

– Je ne peux pourtant pas me rendre pieds et poings liés. On a sa fierté tout en n'étant qu'un oncle. Il faut au moins que ma défaite soit honorable. Je ne serai pas exigeant. Tenez, dit-il accueillant avec joie l'idée qui venait au secours de son imagination en détresse, je ne demanderai à votre amie que d'apporter en dot le lotus de Menaudru.

Et, profitant du désarroi où cette diversion imprévue jetait l'esprit d'Auberte, M. de Gourville s'échappa. Sa voiture était prête. Il fit ses adieux à la famille et se mit en route sans qu'Auberte, demi contente, demi déçue, pût lui adresser un autre mot.