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Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même – Tome II

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NOUVELLE MODE
DE PRENDRE DES BAINS 13

Londres, le 28 juillet 1768.

J'approuve beaucoup l'épithète de tonique, que vous donnez, dans votre lettre du 8 juin, à la nouvelle méthode de traiter la petite vérole; et je saisis cette occasion, pour vous faire part de l'usage que j'ai moi-même adopté.

Vous savez que depuis long-temps les bains froids sont employés ici comme un tonique. Mais le saisissement que produit en général l'eau froide, m'a toujours paru trop violent; et j'ai trouvé plus analogue à ma constitution, et plus agréable de me baigner dans un autre élément, c'est-à-dire, dans l'air froid. Je me lève donc, tous les jours, de très-bon matin, et je reste alors sans m'habiller une heure ou une demi-heure, suivant la saison, m'occupant à lire, ou à écrire.

Cet usage n'est nullement pénible. Il est, au contraire, très-agréable; et si avant de m'habiller je me remets dans mon lit, comme cela m'arrive quelquefois, c'est un supplément au repos de la nuit, et je jouis une heure ou deux d'un sommeil délectable. Je ne crois point que cela puisse avoir aucun dangereux effet. Ma santé, du moins, n'en est point altérée; et j'imagine, au contraire, que c'est ce qui m'aide à la conserver. C'est pourquoi j'appelerai désormais ce bain, un bain tonique.

10 mars 1793.

Je ne tenterai pas d'expliquer pourquoi les vêtemens humides occasionnent des rhumes plutôt que les vêtemens mouillés; parce que j'en doute. J'imagine, au contraire, que ni les uns ni les autres n'ont un tel effet; et que les causes des rhumes sont absolument indépendantes de l'humidité et même du froid. Je me propose d'écrire une petite dissertation sur ce sujet, dès que j'en aurai le temps.

À présent, je me bornerai à vous dire que croyant mal fondée l'opinion commune, qui attribue au froid la propriété de resserrer les pores et d'arrêter la transpiration insensible, j'ai engagé un jeune médecin, qui fesoit des expériences avec la balance de Sanctorius, à examiner les différentes proportions de sa transpiration, en restant une heure entièrement nud, et une heure chaudement vêtu. Il a renouvelé cette expérience pendant huit jours consécutifs, et a trouvé que sa transpiration étoit deux fois plus considérable dans les heures qu'il étoit nud.

OBSERVATIONS
SUR LES IDÉES GÉNÉRALES
CONCERNANT LA VIE ET LA MORT 14

Vos observations sur les causes de la mort, et les moyens que vous proposez pour rappeler à la vie les personnes qui paraissent avoir été tuées par le tonnerre, prouvent également votre sagacité et votre humanité. Il paroît que les idées qu'on a sur la vie et sur la mort, sont en général peu exactes.

Un crapaud enseveli dans du sable, vit, dit-on, jusqu'au moment où ce sable se pétrifie; et alors l'animal étant renfermé dans une pierre, peut vivre encore pendant une longue suite de siècles. Les faits cités à l'appui de cette opinion, sont trop nombreux, et trop bien circonstanciés pour ne pas mériter un certain degré de créance.

Accoutumés à voir manger et boire tous les animaux qui nous sont familiers, nous avons de la peine à concevoir comment un crapaud peut exister dans une pareille prison. Mais si nous réfléchissons que, dans leur état ordinaire, les animaux n'éprouvent la nécessité de prendre de la nourriture, que parce que la transpiration leur fait perdre continuellement une partie de leur substance, il nous paroîtra moins impossible que ceux qui sont dans l'engourdissement, transpirant moins, parce qu'ils ne font point d'exercice, aient moins besoin d'alimens; et que d'autres, tels que les tortues de terre et de mer, les serpens, et quelques espèces de poisson, qu'on voit couverts d'écailles ou de coquilles, qui arrêtent la transpiration, puissent exister un temps considérable, sans prendre aucune espèce de nourriture.

Une plante, chargée de fleurs, se fane et meurt presqu'aussitôt qu'elle est exposée à l'air, si sa racine n'est point dans un sol humide, où elle pompe une assez grande quantité de substance pour remplacer celle qui s'exhale, et que l'air emporte continuellement. Mais, peut-être, que si elle étoit enveloppée de vif-argent, elle pourroit, pendant un très-long espace de temps, conserver sa vie végétale, son parfum et sa couleur. Alors, cette méthode seroit très-commode pour transporter, des climats lointains, ces plantes délicates, qui ne peuvent supporter l'air de la mer, et qui exigent un soin et des ménagemens particuliers.

J'ai vu un exemple de mouches communes, conservées d'une manière qui a quelque rapport avec celle-là. Elles avoient été noyées dans du vin de Madère, au moment où l'on l'avoit mis en bouteilles, en Virginie, pour l'envoyer à Londres. Lorsqu'on le déboucha, dans la maison d'un de mes amis, chez qui j'étois alors, il tomba trois mouches dans le premier verre qu'on remplit. Comme j'avois entendu dire que des mouches noyées pouvoient être rappelées à la vie, quand on les exposoit aux rayons du soleil, je proposai d'en faire l'expérience sur celles-là. En conséquence, on les mit au soleil, sur un petit tamis, qui avoir servi à passer le vin dans lequel elles étoient.

En moins de trois heures, deux de ces mouches commencèrent à recouvrer la vie par degrés. Elles eurent d'abord quelques mouvemens convulsifs dans les jambes; puis elles se levèrent, frottèrent leurs yeux avec leurs pieds de devant, battirent leurs ailes avec ceux de derrière, et bientôt après, commencèrent à voler, se trouvant dans la vieille Angleterre, sans savoir comment elles y étoient venues, La troisième ne donna aucun signe de vie jusqu'au coucher du soleil, et comme on n'avoit plus aucun espoir de la voir ressusciter, on la jeta.

Je désirerois que, d'après cet exemple, il fût possible d'inventer une méthode d'embaumer les noyés de manière à pouvoir les rappeler à la vie, à une époque très-éloignée, et comme je désire ardemment de voir quel sera l'état de l'Amérique dans cent ans d'ici, au lieu d'attendre une mort ordinaire, je me plongerois dans un tonneau de vin de Madère, avec un petit nombre d'amis, pour être, au bout d'un siècle, rappelé à la vie par le doux soleil de ma chère patrie.

Mais puisque très-probablement nous vivons dans un temps où les sciences sont encore trop dans l'enfance, pour voir un tel art porté à sa perfection, il faut que je me contente du plaisir, que vous me promettez, de voir ressusciter un poulet ou un coq d'Inde.

PRÉCAUTIONS
NÉCESSAIRES
DANS LES VOYAGES SUR MER

Quand on veut entreprendre un long voyage, il n'y a rien de mieux que de le tenir secret jusqu'au moment du départ. Sans cela, on est continuellement interrompu et tracassé, par des visites d'amis et de connoissances, qui font non-seulement perdre un temps précieux, mais oublier des choses importantes; de sorte que quand on est embarqué et qu'on cingle déjà en pleine mer, on se rappelle avec beaucoup d'inquiétude des affaires non terminées, des comptes non réglés, et un nombre infini de choses qu'on se proposoit d'emporter, et dont on sent, à chaque instant, la privation.

Ne seroit-il pas très-avantageux de changer la coutume de rendre visite aux gens qui vont voyager, de les laisser seuls et tranquilles pendant quelques jours, pour faire leurs préparatifs, et ensuite, prendre congé de leurs amis, et recevoir leurs vœux pour un heureux retour?

Il n'est pas toujours possible de choisir le capitaine avec lequel on doit s'embarquer; et cependant, le plaisir, le bonheur du voyage en dépend; car il faut, pendant un temps, vivre dans sa société, et être, en quelque sorte, soumis à ses ordres. Si c'est un homme spirituel, aimable et d'un caractère obligeant, on en est bien plus heureux.

On en rencontre quelquefois de tels: mais ils sont rares. Toutefois, si le vôtre n'est pas de ce nombre, il peut être bon marin, actif, très-vigilant, et vous devez alors le dispenser du reste; car ce sont les qualités les plus essentielles pour un homme, qui commande un vaisseau.

Quelque droit que, d'après votre accord avec lui, vous ayez à ce qu'il a embarqué pour l'usage des passagers, vous devez prendre toujours quelques provisions particulières, dont vous puissiez vous servir de temps en temps. Il faut donc avoir de bonne eau, parce que celle du vaisseau est souvent mauvaise. Mais mettez la vôtre en bouteilles; car autrement, vous courriez risque de la voir se gâter. Il faut aussi que vous emportiez du bon thé, du café moulu, du chocolat, du vin de l'espèce que vous aimez le mieux, du cidre, des raisins secs, des amandes, du sucre, du sirop de capillaire, des citrons, du rhum, des œufs dans des flacons d'huile, des tablettes de bouillon, et du biscuit. Quant à la volaille, il est presqu'inutile d'en emporter, à moins que vous ne vouliez vous charger du soin de lui donner à manger et de la soigner vous-même. L'on en prend ordinairement si peu de soin à bord, qu'elle est presque toujours malade, et que la viande en est aussi coriace que du cuir.

Tous les marins ont une opinion qui doit sans doute son origine à un manque d'eau, et à la nécessité où l'on a été de l'épargner. Ils prétendent que la volaille est toujours extrêmement altérée; et que quand on lui donne de l'eau à discrétion, elle se tue elle-même en buvant outre mesure. En conséquence, ils ne lui en donnent qu'une fois tous les deux jours, encore est-ce en petite quantité. Mais comme ils versent cette eau dans des auges inclinées, elle court du côté qui est le plus profond; alors les poules sont obligées de monter les unes sur les autres pour en attraper un peu, et il y en a quelques-unes qui ne peuvent pas même y tremper leur bec: dévorées de soif et éprouvant continuellement le tourment de Tantale, elles ne peuvent pas digérer la nourriture très-sèche qu'elles ont pris, et bientôt elles sont malades et périssent. On en trouve, chaque matin, quelqu'une de morte, qu'on jette à la mer, tandis que celles qu'on tue pour la table, valent rarement la peine d'être mangées.

 

Pour remédier à cet inconvénient, il est nécessaire de diviser les auges en petits compartimens, pour que chacun puisse contenir une certaine quantité d'eau: mais c'est un soin qu'on ne prend guère. Il est donc sûr que les cochons et les moutons sont les animaux qu'il est plus convenable d'embarquer, parce que la viande de mouton est en général très-bonne à la mer, et celle de cochon, excellente.

Il peut arriver qu'une partie des provisions, que je recommande de prendre, devienne inutile, par les soins qu'aura eus le capitaine, d'en mettre à bord une suffisante quantité. Mais, dans ce cas, vous pouvez en faire présent aux pauvres passagers, qui, payant moins pour leur passage, sont logés dans l'entre-pont avec l'équipage, et n'ont droit qu'à la ration des matelots.

Ces passagers sont quelquefois malades, tristes, abattus: on voit souvent, parmi eux, des femmes, des enfans, qui n'ont pas eu le moyen de se procurer les choses dont je viens de faire mention, et qui leur sont de la plus grande nécessité. En leur distribuant une partie de votre superflu, vous pouvez leur être du plus grand secours; vous pouvez leur donner la santé, leur sauver la vie, enfin les rendre heureux; avantage qui procure toujours les sensations les plus douces à une ame compatissante!

La chose la plus désagréable en mer, est la manière dont on y apprête à manger; car, à proprement parler, il n'y a jamais à bord de bon cuisinier15. Le plus mauvais matelot est ordinairement choisi pour cet emploi, et il est presque toujours fort mal-propre. C'est de là que vient ce dicton des marins anglais: – «Dieu nous envoie la viande et le diable les cuisiniers». – Cependant ceux qui ont meilleure opinion de la providence, pensent autrement. Sachant que l'air de la mer, et le mouvement que procure le roulis du vaisseau, ont un étonnant effet pour aiguiser l'appétit, il disent que Dieu a donné aux marins de mauvais cuisiniers, pour les empêcher de trop manger, ou bien que prévoyant qu'ils auroient de mauvais cuisiniers, il leur a donné un bon appétit, pour les empêcher de mourir de faim.

Mais si vous n'avez pas confiance dans ces secours de la providence, vous pouvez vous pourvoir d'une lampe à l'esprit-de-vin et d'une bouilloire, et vous apprêter vous-même quelques alimens, comme de la soupe, des viandes hachées, etc. Un petit fourneau de tôle est aussi très-commode à bord; et votre domestique peut vous y faire rôtir des morceaux de mouton ou de cochon.

Si vous avez envie de manger du bœuf salé, qui est souvent très-bon, vous trouverez que le cidre est la meilleure liqueur pour étancher la soif qu'occasionnent et cette viande et le poisson salé.

Le biscuit ordinaire est trop dur pour les dents de quelques personnes; on peut le ramollir en le fesant tremper: mais le pain cuit deux fois est encore meilleur; parce qu'étant fait de bon pain, coupé par tranches, et remis au four, il s'imbibe tout de suite, devient mou, et se digère facilement. Aussi est-ce une nourriture excellente, et bien préférable au biscuit qui n'a point fermenté.

Il faut que j'observe ici que ce pain remis au four étoit autrefois le biscuit qu'on préparoit pour les vaisseaux; car en français le mot biscuit signifie cuit deux fois. Les pois qu'on mange à bord, sont souvent mal cuits et durs. Alors il faut mettre dans la marmite un boulet de deux livres, et le roulis du vaisseau fait que les pois forment une espèce de purée.

J'ai souvent vu à bord que lorsqu'on servoit la soupe dans des plats trop peu profonds, elle étoit renversée de tous côtés par le roulis du vaisseau; et alors je désirois que les potiers d'étain divisassent les soupières en compartimens, dont chacun contiendroit de la soupe pour une seule personne. Par ce moyen, on seroit sûr que dans un roulis extraordinaire, ceux qui seroient à table ne courroient pas risque de voir la soupe tomber sur leur poitrine et les brûler.

Maintenant que je vous ai entretenu de ces choses peu importantes, permettez-moi de conclure ces observations, par quelques réflexions générales sur la navigation.

Quand nous considérons la navigation comme un moyen de transporter des denrées nécessaires, d'un pays où elles abondent dans les lieux où elles manquent, et de prévenir la disette, qui étoit jadis si commune, nous ne pouvons nous empêcher de la regarder comme un des arts qui contribuent le plus au bonheur du genre-humain. Mais quand la navigation n'est employée qu'à charier des choses inutiles, des objets d'un vain luxe, il n'est pas certain que les avantages qui en résultent, suffisent pour contre-balancer les malheurs qu'elle occasionne en mettant en danger la vie de tant d'hommes, qui parcourent sans cesse le vaste Océan; et lorsqu'elle sert à piller des vaisseaux et à transporter des esclaves, elle est, sans contredit, un moyen funeste d'accroître les calamités qui affligent la nature humaine.

On ne peut s'empêcher d'être étonné, quand on songe au nombre immense de vaisseaux et d'hommes, qui s'exposent tous les jours en allant chercher du thé à la Chine, du café en Arabie, du sucre et du tabac en Amérique; tous objets, sans lesquels nos ancêtres vivoient fort bien. Le seul commerce du sucre emploie mille vaisseaux, et celui du tabac presqu'autant. Pour l'utilité du tabac, on n'en peut presque rien dire; et quant au sucre, combien ne seroit-il pas plus glorieux de sacrifier le plaisir momentané que nous avons à en prendre deux fois par jour dans notre thé, que d'encourager les cruautés sans nombre qu'on exerce continuellement pour nous le procurer!

Un célèbre moraliste français, dit que quand il considère les guerres que nous fomentons en Afrique pour y acheter des nègres, le grand nombre qu'il en périt dans ces guerres, les multitudes de ces infortunés qui meurent, pendant la traversée, victimes de la maladie, de l'air empoisonné ou de la mauvaise nourriture, et enfin tous ceux qui succombent aux traitemens cruels qu'on leur fait souffrir dans leur état d'esclaves, il ne peut pas voir un morceau de sucre, sans s'imaginer qu'il est rempli de taches de sang humain. Mais s'il ajoutoit aux moyens qui le blessent, les guerres que nous nous fesons les uns aux autres pour prendre et reprendre les îles qui produisent cette denrée, il ne croiroit pas le sucre simplement taché de sang; il verroit qu'il en est entièrement trempé.

Ces guerres sont cause que les puissances maritimes de l'Europe, et les habitans de Paris et de Londres, payent leur sucre bien plus cher que les habitans de Vienne, encore que ceux-ci soient presqu'à trois cents lieues de la mer. Une livre de sucre coûte aux premiers, non-seulement le prix qu'ils donnent pour l'avoir, mais aussi les impôts nécessaires pour soutenir les flottes et les armées destinées à protéger et à défendre les contrées qui le produisent.

SUR
LE LUXE, LA PARESSE,
ET LE TRAVAIL

à Benjamin Vaughan16.

1784.

On ne peut s'empêcher d'être étonné, quand on voit combien les affaires de ce monde sont conduites à contre-sens. Il est naturel d'imaginer que l'intérêt d'un petit nombre d'individus devroit céder à l'intérêt général. Mais les individus mettent à leurs affaires beaucoup plus d'application, d'activité et d'adresse que le public n'en met aux siennes; de sorte que l'intérêt général est très-souvent sacrifié à l'intérêt particulier.

Nous assemblons des parlemens et des conseils, pour profiter de leur sagesse collective: mais en même-temps, nous avons nécessairement l'inconvénient de leurs passions réunies, de leurs préjugés et de leurs intérêts personnels. Par ce moyen, des hommes artificieux triomphent de la sagesse, et trompent même ceux qui la possèdent; et si nous en jugeons par les actes, les arrêts, les édits, qui règlent la destinée du monde et les rapports du commerce, une assemblée d'hommes importans, est le corps le plus fou qui existe sur la terre.

Certes, je n'ai encore rien trouvé pour remédier au luxe. Je ne suis même pas sûr qu'on puisse y réussir dans un grand état, ni que ce soit toujours un mal aussi dangereux qu'on le croit.

Supposons qu'on comprenne, dans la définition du luxe, toutes les dépenses inutiles. Examinons ensuite s'il est possible d'exécuter, dans un pays étendu, les loix qui s'opposent à ces dépenses; et si, en les exécutant, les habitans de ce pays doivent être plus heureux, ou même plus riches. L'espoir de devenir un jour en état de se procurer les jouissances du luxe, n'est-il pas un puissant aiguillon pour le travail et pour l'industrie? Le luxe ne peut-il pas, par conséquent, produire plus qu'il ne consomme, puisqu'il est vrai que, sans un motif extraordinaire, les hommes seroient naturellement portés à vivre dans l'indolence et dans la paresse? Cela me rappelle un trait que je vais vous citer.

Le patron d'une chaloupe, qui naviguoit entre le cap May et Philadelphie, m'avoit rendu quelque petit service, pour lequel il refusa toute espèce de paiement. Ma femme apprenant que cet homme avoit une fille, lui envoya en présent, un bonnet à la mode. Trois ans après, le patron se trouvant chez moi avec un vieux fermier des environs du cap May, qui avoit passé dans sa chaloupe, parla du bonnet envoyé par ma femme, et raconta combien sa fille en avoit été flattée. – «Mais, ajouta-t-il, ce bonnet a coûté bien cher à notre canton». – «Comment cela, lui dis-je». – «Oh! me répondit-il, quand ma fille parut dans l'assemblée, le bonnet fut tellement admiré, que toutes les jeunes personnes voulurent en faire venir de pareils de Philadelphie; et nous calculâmes, ma femme et moi, que le tout n'a pas coûté moins de cent livres sterlings». – «Cela est vrai, dit le fermier. Mais vous ne racontez pas toute l'histoire. Je pense que le bonnet vous a été de quelqu'avantage; parce que c'est la première chose qui a donné à nos filles l'idée de tricoter des gants d'estame pour vendre à Philadelphie, et se procurer, par ce moyen, des bonnets et des rubans; et vous savez que cette branche d'industrie s'accroît tous les jours et doit avoir encore de meilleurs effets».

Je fus assez content de cet exemple de luxe, parce que non-seulement les filles du cap May devenoient plus heureuses en achetant de jolis bonnets, mais parce que cela procuroit aussi aux Philadelphiennes, une provision de gants chauds.

Dans nos villes commerçantes, situées le long de la mer, les habitans s'enrichissent de temps en temps. Quelques-uns de ceux qui acquièrent du bien, sont prudens, vivent avec économie, et conservent ce qu'ils ont gagné pour le laisser à leurs enfans. Mais d'autres, flattés de faire parade de leur richesse, font des extravagances et se ruinent. Les loix ne peuvent l'empêcher; peut-être même n'est-ce pas un mal pour le public. Un schelling prodigué par un fou, est ramassé par un sage, qui sait mieux comment il faut en faire usage; et conséquemment, il n'est point perdu.

 

Un homme vain et fastueux bâtit une belle maison, la meuble avec élégance, y vit d'une manière splendide, et se ruine en peu d'années; mais les maçons, les charpentiers, les serruriers et d'autres ouvriers honnêtes qu'il a fait travailler, ont pu, par ce moyen, entretenir et élever leur famille. Le fermier a été récompensé des soins qu'il a pris, et le bien a passé en de meilleures mains.

Il est, à la vérité, des cas, où quelques modes inventées par le luxe peuvent devenir un mal public, comme il est lui-même un mal particulier. Par exemple, si un pays exporte son bœuf et sa toile pour payer l'importation du vin de Bordeaux et du porter, tandis qu'une partie de ses habitans ne vivent que de pommes de terre et n'ont point de chemises, cela ne ressemble-t-il pas à ce que fait un fou qui laisse sa famille souffrir la faim et vend ses vêtemens pour acheter de quoi s'enivrer? Notre commerce américain est, je l'avoue, un peu comme cela. Nous donnons aux Antilles de la farine et de la viande, pour nous procurer du rum et du sucre; c'est-à-dire, les choses les plus nécessaires à la vie pour des superfinités. Malgré cela, nous vivons bien, et nous sommes même dans l'abondance; mais si nous étions plus sobres, nous pourrions être plus riches.

L'immense quantité de terres couvertes de bois, que nous avons encore à préparer pour la culture, rendra long-temps notre nation laborieuse et frugale. Si l'on juge du caractère et des mœurs des Américains, par ce qu'on voit le long des côtes, on se trompe beaucoup. Les habitans des villes commerçantes peuvent être riches et adonnés au luxe, tandis que ceux des campagnes possèdent toutes les vertus qui contribuent au bonheur et à la prospérité publique. Ces villes commerçantes ne sont pas très-considérées par les campagnards. Ils les regardent à peine comme une partie essentielle de l'état; et l'expérience de la dernière guerre a prouvé, que quand elles étoient au pouvoir de l'ennemi, elles n'entraînoient pas la sujétion du reste du pays, qui continuoit vaillamment à défendre sa liberté et son indépendance.

Quelques calculateurs politiques ont compté que si tous les individus des deux sexes, vouloient travailler pendant quatre heures par jour à quelque chose d'utile, ce travail leur suffiroit pour se procurer les choses les plus nécessaires et les agrémens de la vie; le besoin et la misère seroient bannis du monde, et le reste des vingt-quatre heures pourroit être consacré au repos et aux plaisirs.

Qu'est-ce qui occasionne donc tant de besoin et de misère? C'est que beaucoup d'hommes et de femmes travaillent à des choses qui ne sont ni utiles, ni agréables, et consomment avec ceux qui ne font rien, les objets de première nécessité, recueillis par les gens utilement laborieux. Je vais expliquer ceci.

Le travail arrache du sein de la terre et des eaux les premiers élémens des richesses. J'ai de la terre, et je recueille du bled. Si, avec cela, je nourris une famille, qui ne fasse rien, mon bled sera consommé, et à la fin de l'année, je ne serai pas plus riche que je ne l'étois au commencement. Mais, si en nourrissant ma famille, j'en occupe une partie à filer, l'autre à faire des briques et d'autres matériaux pour bâtir, le prix de mon bled me restera, et au bout de l'an, nous serons tous mieux vêtus et mieux logés. Mais si au lieu d'employer un homme à faire des briques, je le fais jouer du violon pour m'amuser, le bled qu'il consomme s'en va, et aucune partie de son travail ne reste dans ma famille pour augmenter nos richesses et les choses qui nous sont agréables. Je serai, conséquemment, rendu plus pauvre par mon joueur de violon, à moins que le reste de ma famille n'ait travaillé davantage ou mangé moins, pour remplacer le déficit qu'il aura occasionné.

Considérez le monde, et voyez des millions de gens occupés à ne rien faire, ou du moins, à faire des choses qui ne produisent rien, tandis qu'on est embarrassé pour se procurer les commodités de la vie, et même le nécessaire. Qu'est-ce, en général, que le commerce pour lequel nous combattons et nous nous égorgeons les uns les autres? N'est-ce pas la cause des fatigues de plusieurs millions d'hommes, qui courent après des superfluités, et perdent souvent la vie, en s'exposant aux dangers de la mer? Combien de travail ne perd-on pas, en construisant et équipant de grands vaisseaux, pour aller chercher en Chine du thé, en Arabie du café, aux Antilles du sucre, et dans l'Amérique septentrionale, du tabac. On ne peut pas dire que ces choses sont nécessaires à la vie; car nos ancêtres vivoient fort bien sans les connoître.

On peut faire une question. Tous ceux qui sont maintenant employés à recueillir, à faire ou à charier des superfluités, pourroient-ils subsister en cultivant des denrées d'une nécessité première? – Je crois qu'oui. La terre est très-vaste, et une grande partie de sa surface est encore sans culture. Il y a en Asie, en Afrique, en Amérique, des forêts, qui ont plusieurs centaines de millions d'acres; il y en a même beaucoup en Europe. Un homme deviendroit un fermier d'importance, en défrichant cent acres de ces forêts; et cent mille hommes à défricher chacun cent acres, ne feroient pas une lacune assez grande pour être visible de la lune, à moins qu'on n'y eût le télescope d'Herschel; tant sont vastes les pays que les bois couvrent encore!

C'est, cependant, une sorte de consolation, que de songer que parmi les hommes, il y a encore plus d'activité et de prudence que de paresse et de folie. De là provient cette augmentation de beaux édifices, de fermes bien cultivées, de villes riches et populeuses, qui se trouvent dans toute l'Europe, et qu'on n'y voyoit autrefois que sur les côtes de la Méditerranée. Cette prospérité est même d'autant plus remarquable, que des guerres insensées exercent continuellement leurs ravages, et détruisent souvent en une seule année les travaux de plusieurs années de paix. Nous pouvons donc espérer, que le luxe de quelques marchands des côtes des États-Unis de l'Amérique ne causera pas la ruine de leur pays.

Encore une réflexion, et je termine cette vague et longue lettre. Presque toutes les parties de notre corps nous obligent à quelque dépense. Nos pieds ont besoin de souliers, nos jambes de bas, le reste du corps exige des habillemens, et notre estomac une bonne quantité de nourriture. Quoiqu'excessivement utiles, nos yeux, quand nous sommes raisonnables, demandent l'assistance peu coûteuse de lunettes, qui ne peuvent pas beaucoup déranger nos finances. Mais les yeux des autres sont les yeux qui nous ruinent. Si tout le monde étoit aveugle, excepté moi, je n'aurois besoin ni de magnifiques habits, ni de belles maisons, ni de meubles élégans.

13Ceci est extrait de quelques lettres adressées à M. Dubourg.
14Ceci est aussi tiré des lettres à M. Dubourg.
15Franklin n'a sans doute voulu parler que des navires marchands en général; car dans les vaisseaux de guerre français et anglais, on fait souvent très-bonne chère. (Note du Traducteur.)
16Membre du parlement d'Angleterre, pour le bourg de Calne, en Wiltshire. Il étoit lié d'une intime amitié avec Franklin.