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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 4

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Par où l'on voit l'énorme absurdité de ce pays consommateur, s'il repousse le produit précisément parce qu'il est à bon marché; c'est comme s'il disait: «Je ne veux rien de ce que la nature donne. Vous me demandez un effort égal à deux pour me donner un produit que je ne puis créer qu'avec une peine égale à quatre; vous pouvez le faire, parce que chez vous la nature a fait la moitié de l'œuvre. Eh bien! moi je le repousse, et j'attendrai que votre climat, devenu plus inclément, vous force à me demander une peine égale à quatre, afin de traiter avec vous sur le pied de l'égalité

A est un pays favorisé, B est un pays maltraité de la nature. Je dis que l'échange est avantageux à tous deux, mais surtout à B, parce que l'échange ne consiste pas en utilités contre utilités, mais en valeur contre valeur. Or, A met plus d'utilités sous la même valeur, puisque l'utilité du produit embrasse ce qu'y a mis la nature et ce qu'y a mis le travail, tandis que la valeur ne correspond qu'à ce qu'y a mis le travail. – Donc B fait un marché tout à son avantage. En acquittant au producteur de A simplement son travail, il reçoit par-dessus le marché plus d'utilités naturelles qu'il n'en donne.

Posons la règle générale.

Échange, c'est troc de valeurs; la valeur étant réduite, par la concurrence, à représenter du travail, échange, c'est troc de travaux égaux. Ce que la nature a fait pour les produits échangés est donné de part et d'autre gratuitement et par-dessus le marché, d'où il suit rigoureusement que les échanges accomplis avec les pays les plus favorisés de la nature sont les plus avantageux.

La théorie dont j'ai essayé, dans ce chapitre, de tracer les lignes et les contours demanderait de grands développements. Je ne l'ai envisagée que dans ses rapports avec mon sujet, la liberté commerciale. Mais peut-être le lecteur attentif y aura-t-il aperçu le germe fécond qui doit dans sa croissance étouffer au-dessous de lui, avec la protection, le fouriérisme, le saint-simonisme, le communisme, et toutes ces écoles qui ont pour objet d'exclure du gouvernement du monde la loi de la CONCURRENCE. Considérée au point de vue du producteur, la concurrence froisse sans doute souvent nos intérêts individuels et immédiats; mais, si l'on se place au point de vue du but général de tous les travaux, du bien-être universel, en un mot, de la consommation, on trouvera que la concurrence joue, dans le monde moral, le même rôle que l'équilibre dans le monde matériel. Elle est le fondement du vrai communisme, du vrai socialisme, de cette égalité de bien-être et de conditions si désirée de nos jours; et si tant de publicistes sincères, tant de réformateurs de bonne foi les demandent à l'arbitraire, c'est qu'ils ne comprennent pas la liberté14.

V. – NOS PRODUITS SONT GREVÉS DE TAXES

C'est le même sophisme. On demande que le produit étranger soit taxé, afin de neutraliser les effets de la taxe qui pèse sur le produit national. Il s'agit donc encore d'égaliser les conditions de la production. Nous n'aurions qu'un mot à dire: c'est que la taxe est un obstacle artificiel qui a exactement le même résultat qu'un obstacle naturel, celui de forcer la hausse du prix. Si cette hausse arrive au point qu'il y ait plus de perte à créer le produit lui-même qu'à le tirer du dehors en en créant la contre-valeur, laissez faire. L'intérêt privé saura bien de deux maux choisir le moindre. Je pourrais donc renvoyer le lecteur à la démonstration précédente; mais le sophisme que j'ai ici à combattre revient si souvent dans les doléances et les requêtes, j'allais dire les sommations de l'école protectioniste, qu'il mérite bien une discussion spéciale.

Si l'on veut parler d'une de ces taxes exceptionnelles qui frappent certains produits, je conviendrai volontiers qu'il est raisonnable d'y soumettre le produit étranger. Par exemple, il serait absurde d'affranchir de l'impôt le sel exotique; non qu'au point de vue économique la France y perdît rien, au contraire. Quoi qu'on en dise, les principes sont invariables; et la France y gagnerait, comme elle gagnera toujours à éviter un obstacle naturel ou artificiel. Mais ici l'obstacle a été mis dans un but fiscal. Il faut bien que ce but soit atteint; et si le sel étranger se vendait sur notre marché, franc de droit, le Trésor ne recouvrerait pas ses cent millions, et il devrait les demander à quelque autre branche de l'impôt. Il y aurait inconséquence évidente à créer un obstacle dans un but pour ne pas l'atteindre. Mieux eût valu s'adresser tout d'abord à cet autre impôt, et ne pas taxer le sel français. Voilà dans quelles circonstances j'admets sur le produit étranger un droit non protecteur, mais fiscal.

Mais prétendre qu'une nation, parce qu'elle est assujettie à des impôts plus lourds que ceux de la nation voisine, doit se protéger par ses tarifs contre la concurrence de sa rivale, c'est là qu'est le sophisme, et c'est là que j'entends l'attaquer.

J'ai dit plusieurs fois que je n'entends faire que de la théorie, et remonter, autant que j'en suis capable, aux sources des erreurs des protectionistes. Si je faisais de la polémique, je leur dirais: Pourquoi dirigez-vous les tarifs principalement contre l'Angleterre et la Belgique, les pays les plus chargés de taxes qui soient au monde? Ne suis-je pas autorisé à ne voir dans votre argument qu'un prétexte? – Mais je ne suis pas de ceux qui croient qu'on est prohibitioniste par intérêt et non par conviction. La doctrine de la protection est trop populaire pour n'être pas sincère. Si le grand nombre avait foi dans la liberté, nous serions libres. Sans doute c'est l'intérêt privé qui grève nos tarifs, mais c'est après avoir agi sur les convictions. «La volonté, dit Pascal, est un des principaux organes de la créance.» Mais la créance n'existe pas moins pour avoir sa racine dans la volonté et dans les secrètes inspirations de l'égoïsme.

Revenons au sophisme tiré de l'impôt.

L'État peut faire des impôts un bon ou un mauvais usage: il en fait un bon usage quand il rend au public des services équivalents à la valeur que le public lui livre. Il en fait mauvais usage quand il dissipe cette valeur sans rien donner en retour.

Dans le premier cas, dire que les taxes placent le pays qui les paie dans des conditions de production plus défavorables que celui qui en est affranchi, c'est un sophisme. – Nous payons vingt millions pour la justice et la police, c'est vrai; mais nous avons la justice et la police, la sécurité qu'elles nous procurent, le temps qu'elles nous épargnent; et il est très-probable que la production n'est ni plus facile ni plus active parmi les peuples, s'il en est, où chacun se fait justice soi-même. – Nous payons plusieurs centaines de millions pour des routes, des ponts, des ports, des chemins de fer: j'en conviens. Mais nous avons ces chemins, ces ports, ces routes; et à moins de prétendre que nous faisons une mauvaise affaire en les établissant, on ne peut pas dire qu'ils nous rendent inférieurs aux peuples qui ne supportent pas, il est vrai, de budget de travaux publics, mais qui n'ont pas non plus de travaux publics. – Et ceci explique pourquoi, tout en accusant l'impôt d'être une cause d'infériorité industrielle, nous dirigeons nos tarifs précisément contre les nations qui sont les plus imposées. C'est que les taxes, bien employées, loin de les détériorer, ont amélioré les conditions de production de ces peuples. Ainsi, nous arrivons toujours à cette conclusion, que les sophismes protectionistes ne s'écartent pas seulement du vrai, mais sont le contraire, l'antipode de la vérité15.

Quant aux impôts qui sont improductifs, supprimez-les, si vous pouvez; mais la plus étrange manière qu'on puisse imaginer d'en neutraliser les effets, c'est assurément d'ajouter aux taxes publiques des taxes individuelles. Grand merci de la compensation! L'État nous a trop taxés, dites-vous. Eh! raison de plus pour ne pas nous taxer encore les uns les autres!

Un droit protecteur est une taxe dirigée contre le produit étranger, mais qui retombe, ne l'oublions jamais, sur le consommateur national. Or le consommateur, c'est le contribuable. Et n'est-ce pas un plaisant langage à lui tenir que de lui dire: «Parce que les impôts sont lourds, nous élèverons pour toi le prix de toutes choses; parce que l'État prend une partie de ton revenu, nous en livrerons une autre partie au monopole?»

Mais pénétrons plus avant dans un sophisme si accrédité parmi nos législateurs, quoiqu'il soit assez extraordinaire que ce soient précisément ceux qui maintiennent les impôts improductifs (c'est notre hypothèse actuelle) qui leur attribuent notre prétendue infériorité industrielle, pour la racheter ensuite par d'autres impôts et d'autres entraves.

 

Il me semble évident que la protection aurait pu, sans changer de nature et d'effets, prendre la forme d'une taxe directe prélevée par l'État et distribuée en primes indemnitaires aux industries privilégiées.

Admettons que le fer étranger puisse se vendre sur notre marché à 8 francs et non plus bas, le fer français à 12 francs et non au-dessous.

Dans cette hypothèse, il y a pour l'État deux manières d'assurer le marché national au producteur.

La première, c'est de frapper le fer étranger d'un droit de 5 francs. Il est clair qu'il sera exclu, puisqu'il ne pourrait plus se vendre qu'à 13 francs, savoir: 8 francs pour le prix de revient et 5 francs pour la taxe, et qu'à ce prix il sera chassé du marché par le fer français, que nous avons supposé être de 12 francs. Dans ce cas, l'acheteur, le consommateur aura fait tous les frais de la protection.

L'État aurait pu encore imposer au public une taxe de 5 francs et la donner en prime au maître de forge. L'effet protecteur eût été le même. Le fer étranger eût été également exclu; car notre maître de forge aurait vendu à 7 francs, ce qui, avec les 5 francs de prime, lui ferait son prix rémunérateur de 12 francs. Mais en présence du fer à 7 francs, l'étranger ne pourrait livrer le sien à 8.

Je ne puis voir entre ces deux systèmes qu'une seule différence: le principe est le même, l'effet est le même; seulement dans un cas la protection est payée par quelques-uns, dans l'autre par tous.

J'avoue franchement ma prédilection pour le second système. Il me semble plus juste, plus économique et plus loyal: plus juste, parce que si la société veut faire des largesses à quelques-uns de ses membres, il faut que tous y contribuent; plus économique, parce qu'il épargnerait beaucoup de frais de perception, et ferait disparaître beaucoup d'entraves; plus loyal enfin, parce que le public verrait clair dans l'opération et saurait ce qu'on lui fait faire.

Mais si le système protecteur eût pris cette forme, ne serait-ce pas une chose assez risible que d'entendre dire: «Nous payons de lourdes taxes pour l'armée, la marine, la justice, les travaux publics, l'université, la dette, etc.; cela passe un milliard. C'est pourquoi il serait bon que l'État nous prît encore un autre milliard pour soulager ces pauvres maîtres de forges, ces pauvres actionnaires d'Anzin, ces malheureux propriétaires de forêts, ces utiles pêcheurs de morue.»

Qu'on y regarde de près, et l'on s'assurera que c'est à cela que se réduit la portée du sophisme que je combats. Vous avez beau faire, messieurs, vous ne pouvez donner de l'argent aux uns qu'en le prenant aux autres. Si vous voulez absolument épuiser le contribuable, à la bonne heure; mais au moins ne le raillez pas, et ne venez pas lui dire: «Je te prends pour compenser ce que je t'ai déjà pris.»

On ne finirait pas si l'on voulait relever tout ce qu'il y a de faux dans ce sophisme. Je me bornerai à trois considérations.

Vous vous prévalez de ce que la France est accablée de taxes, pour en induire qu'il faut protéger telle ou telle industrie. – Mais ces taxes, nous avons à les payer malgré la protection. Si donc une industrie se présente et dit: «Je participe au paiement des taxes; cela élève le prix de revient de mes produits, et je demande qu'un droit protecteur en élève aussi le prix vénal,» que demande-t-elle autre chose, si ce n'est de se décharger de la taxe sur le reste de la communauté? Sa prétention est de recouvrer, par l'élévation du prix de ses produits, le montant de sa part de taxes. Or, le total des impôts devant toujours rentrer au Trésor, et la masse ayant à supporter cette élévation de prix, elle paie sa taxe et celle de cette industrie. – Mais, dites-vous, on protégera tout le monde. – D'abord cela est impossible; et, cela fût-il possible, où serait le soulagement? Je paierai pour vous, vous paierez pour moi; mais il ne faudra pas moins que la taxe se paie.

Ainsi, vous êtes dupes d'une illusion. Vous voulez payer des taxes pour avoir une armée, une marine, un culte, une université, des juges, des routes, etc., et ensuite vous voulez affranchir de sa part de taxes d'abord une industrie, puis une seconde, puis une troisième, toujours en en répartissant le fardeau sur la masse. Mais vous ne faites rien que créer des complications interminables, sans autre résultat que ces complications elles-mêmes. Prouvez-moi que l'élévation du prix due à la protection retombe sur l'étranger, et je pourrai voir dans votre argument quelque chose de spécieux. Mais s'il est vrai que le public français payait la taxe avant la loi et qu'après la loi il paie à la fois et la protection et la taxe, en vérité, je ne puis voir ce qu'il y gagne.

Mais je vais bien plus loin: je dis que, plus nos impôts sont lourds, plus nous devons nous empresser d'ouvrir nos ports et nos frontières à l'étranger moins grevé que nous. Et pourquoi? Pour lui repasser une plus grande partie de notre fardeau. N'est-ce point un axiome incontestable en économie politique, que les impôts, à la longue, retombent sur le consommateur? Plus donc nos échanges seront multipliés, plus les consommateurs étrangers nous rembourseront de taxes incorporées dans les produits que nous leur vendrons; tandis que nous n'aurions à leur faire, à cet égard, qu'une moindre restitution, puisque, d'après notre hypothèse, leurs produits sont moins grevés que les nôtres.

Enfin, ces lourds impôts dont vous arguez pour justifier le régime prohibitif, vous êtes-vous jamais demandé si ce n'est pas ce régime qui les occasionne? Je voudrais bien qu'on me dit à quoi serviraient les grandes armées permanentes et les puissantes marines militaires si le commerce était libre… Mais ceci regarde les hommes politiques,

 
Et ne confondons pas, pour trop approfondir,
Leurs affaires avec les nôtres16.
 

VI. – BALANCE DU COMMERCE

Nos adversaires ont adopté une tactique qui ne laisse pas que de nous embarrasser. Établissons-nous notre doctrine? ils l'admettent le plus respectueusement possible. Attaquons-nous leur principe? ils l'abandonnent de la meilleure grâce du monde; ils ne demandent qu'une chose, c'est que notre doctrine, qu'ils tiennent pour vraie, soit reléguée dans les livres, et que leur principe, qu'ils reconnaissent vicieux, règne dans la pratique des affaires. Cédez-leur le maniement des tarifs, et ils ne vous disputeront pas le domaine de la théorie.

«Assurément, disait dernièrement M. Gauthier de Rumilly, personne de nous ne veut ressusciter les vieilles théories de la balance du commerce.» – Fort bien; mais, monsieur Gauthier, ce n'est pas tout que de donner en passant un soufflet à l'erreur: il faudrait encore ne pas raisonner, immédiatement après, et deux heures durant, comme si cette erreur était une vérité.

Parlez-moi de M. Lestiboudois. Voilà un raisonneur conséquent, un argumentateur logicien. Il n'y a rien dans ses conclusions qui ne soit dans ses prémisses: il ne demande rien à la pratique qu'il ne justifie par une théorie. Son principe peut être faux, c'est là la question. Mais enfin il a un principe. Il croit, il proclame tout haut que, si la France donne dix pour recevoir quinze, elle perd cinq, et il est tout simple qu'il fasse des lois en conséquence.

«Ce qu'il y a d'important, dit-il, c'est qu'incessamment le chiffre de l'importation va en augmentant et dépasse le chiffre de l'exportation, c'est-à-dire que tous les ans la France achète plus de produits étrangers et vend moins de produits nationaux. Les chiffres en font foi. Que voyons-nous? en 1842, nous voyons l'importation dépasser de 200 millions l'exportation. Ces faits me semblent prouver, de la manière la plus nette, que le travail national n'est pas suffisamment protégé, que nous chargeons le travail étranger de notre approvisionnement, que la concurrence de nos rivaux opprime notre industrie. La loi actuelle me semble être une consécration de ce fait, qu'il n'est pas vrai, ainsi que l'ont déclaré les économistes, que, quand on achète, on vend nécessairement une portion correspondante de marchandises. Il est évident qu'on peut acheter, non avec ses produits habituels, non avec son revenu, non avec les fruits du travail permanent, mais avec son capital, avec les produits accumulés, économisés, ceux qui servent à la reproduction, c'est-à-dire qu'on peut dépenser, dissiper les profits des économies antérieures, qu'on peut s'appauvrir, qu'on peut marcher à sa ruine, qu'on peut consommer entièrement le capital national. C'est précisément ce que nous faisons. Tous les ans nous donnons 200 millions à l'étranger.»

Eh bien, voilà un homme avec lequel on peut s'entendre. Il n'y a pas d'hypocrisie dans ce langage. La balance du commerce y est avouée tout net. La France importe 200 millions de plus qu'elle n'exporte. Donc, la France perd 200 millions par an. – Et le remède? C'est d'empêcher les importations. La conclusion est irréprochable.

C'est donc à M. Lestiboudois que nous allons nous attaquer, car comment lutter avec M. Gauthier? Si vous lui dites: La balance du commerce est une erreur, il vous répondra: C'est ce que j'ai avancé dans mon exorde. Si vous lui criez: Mais la balance du commerce est une vérité, il vous dira: C'est ce que j'ai consigné dans mes conclusions.

L'école économiste me blâmera sans doute d'argumenter avec M. Lestiboudois. Combattre la balance du commerce, me dira-t-on, c'est combattre un moulin à vent.

Mais, prenez-y garde, la balance du commerce n'est ni si vieille, ni si malade, ni si morte que veut bien le dire M. Gauthier; car toute la Chambre, y compris M. Gauthier lui-même, s'est associée par ses votes à la théorie de M. Lestiboudois.

Cependant, pour ne pas fatiguer le lecteur, je n'approfondirai pas cette théorie. Je me contenterai de la soumettre à l'épreuve des faits.

On accuse sans cesse nos principes de n'être bons qu'en théorie. Mais, dites-moi, messieurs, croyez-vous que les livres des négociants soient bons en pratique? Il me semble que, s'il y a quelque chose au monde qui ait une autorité pratique, quand il s'agit de constater des pertes et des profits, c'est la comptabilité commerciale. Apparemment tous les négociants de la terre ne s'entendent pas depuis des siècles pour tenir leurs livres de telle façon qu'ils leur présentent les bénéfices comme des pertes, et les pertes comme des bénéfices. En vérité, j'aimerais mieux croire que M. Lestiboudois est un mauvais économiste.

Or, un négociant de mes amis, ayant fait deux opérations dont les résultats ont été fort différents, j'ai été curieux de comparer à ce sujet la comptabilité du comptoir à celle de la douane, interprétée par M. Lestiboudois avec la sanction de nos six cents législateurs.

M. T… expédia du Havre un bâtiment pour les États-Unis, chargé de marchandises françaises, et principalement de celles qu'on nomme articles de Paris, montant à 200,000 fr. Ce fut le chiffre déclaré en douane. Arrivée à la Nouvelle-Orléans, il se trouva que la cargaison avait fait 10 p. 0/0 de frais et acquitté 30 p. 0/0 de droits, ce qui la faisait ressortir à 280,000 fr. Elle fut vendue avec 20 p. 0/0 de bénéfice, soit 40,000 fr., et produisit au total 320,000 fr., que le consignataire convertit en coton. Ces cotons eurent encore à supporter, pour le transport, assurances, commission, etc., 10 p. 0/0 de frais: en sorte qu'au moment où elle entra au Havre, la nouvelle cargaison, revenait à 352,000 fr., et ce fut le chiffre consigné dans les états de la douane. Enfin, M. T… réalisa encore, sur ce retour, 20 p. 0/0 de profit, soit 70,400 fr.; en d'autres termes, les cotons se vendirent 422,400 fr.

Si M. Lestiboudois l'exige, je lui enverrai un extrait des livres de M. T… Il y verra figurer au crédit du compte de profits et pertes, c'est-à-dire comme bénéfices, deux articles, l'un de 40,000, l'autre de 70,400 fr., et M. T… est bien persuadé qu'à cet égard sa comptabilité ne le trompe pas.

Cependant, que disent à M. Lestiboudois les chiffres que la douane a recueillis sur cette opération? Ils lui apprennent que la France a exporté 200,000 fr. et qu'elle a importé 352,000 fr.; d'où l'honorable député conclut «qu'elle a dépensé et dissipé les profits de ses économies antérieures, qu'elle s'est appauvrie, qu'elle a marché vers sa ruine, qu'elle a donné à l'étranger 152,000 fr. de son capital

 

Quelque temps après, M. T… expédia un autre navire également chargé de 200,000 fr. de produits de notre travail national. Mais le malheureux bâtiment sombra en sortant du port, et il ne resta autre chose à faire à M. T… que d'inscrire sur ses livres deux petits articles ainsi formulés:

Marchandises diverses doivent à X fr. 200,000 pour achats de différents objets expédiés par le navire N.

Profits et pertes doivent à marchandises diverses fr. 200,000 pour perte définitive et totale de la cargaison.

Pendant ce temps-là, la douane inscrivait de son côté fr. 200,000 sur son tableau d'exportations; et comme elle n'aura jamais rien à faire figurer en regard sur le tableau des importations, il s'ensuit que M. Lestiboudois et la Chambre verront dans ce naufrage un profit clair et net de 200,000 fr. pour la France.

Il y a encore cette conséquence à tirer de là, c'est que, selon la théorie de la balance du commerce, la France a un moyen tout simple de doubler à chaque instant ses capitaux. Il suffit pour cela qu'après les avoir fait passer par la douane, elle les jette à la mer. En ce cas, les exportations seront égales au montant de ses capitaux; les importations seront nulles et même impossibles, et nous gagnerons tout ce que l'Océan aura englouti.

C'est une plaisanterie, diront les protectionistes. Il est impossible que nous disions de pareilles absurdités. – Vous les dites pourtant, et, qui plus est, vous les réalisez, vous les imposez pratiquement à vos concitoyens, autant du moins que cela dépend de vous.

La vérité est qu'il faudrait prendre la balance du commerce au rebours, et calculer le profit national, dans le commerce extérieur, par l'excédant des importations sur les exportations. Cet excédant, les frais déduits, forme le bénéfice réel. Mais cette théorie, qui est la vraie, mène directement à la liberté des échanges. – Cette théorie, messieurs, je vous la livre comme toutes celles qui ont fait le sujet des précédents chapitres. Exagérez-la tant que vous voudrez, elle n'a rien à redouter de cette épreuve. Supposez, si cela vous amuse, que l'étranger nous inonde de toutes sortes de marchandises utiles, sans nous rien demander; que nos importations sont infinies et nos exportations nulles, je vous défie de me prouver que nous en serons plus pauvres17.

14La théorie esquissée dans ce chapitre est celle qui, quatre ans plus tard, fut développée dans les Harmonies économiques. Rémunération exclusivement réservée au travail humain; gratuité des agents naturels; conquête progressive de ces agents au profit de l'humanité, dont ils deviennent ainsi le patrimoine commun; élévation du bien-être général et tendance au nivellement relatif des conditions: on reconnaît là tous les éléments essentiels du plus important des travaux de Bastiat. (Note de l'éditeur.)
15Voir Harmonies, ch. XVII. (Note de l'éditeur.)
16Voir, au tome V, le pamphlet Paix et Liberté. (Note de l'éditeur.)
17En mars 1850, l'auteur fut encore obligé de combattre le même sophisme, qu'il entendit produire à la tribune nationale. Il rectifia la démonstration précédente en excluant de ses calculs les frais de transport, etc. Voir la fin du tome V. (Note de l'éditeur.)