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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 4

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Voulez-vous que nous sortions de cette pesante algèbre? je le veux bien. Vous ne nierez pas que si le régime prohibitif est parvenu à faire quelque bien à l'industrie houillère ce n'est qu'en élevant le prix de la houille. Vous ne nierez pas non plus que cet excédant de prix, depuis 1822 jusqu'à nos jours, n'ait occasionné une dépense supérieure, pour chaque satisfaction déterminée, à tous ceux qui emploient ce combustible, en d'autres termes, qu'il ne représente une perte. Peut-on dire que les producteurs de houille, outre l'intérêt de leurs capitaux et les profits ordinaires de l'industrie, ont recueilli, par le fait de la restriction, un extra-bénéfice équivalent à cette perte? Il le faudrait pour que la protection, sans cesser d'être injuste, odieuse, spoliatrice et communiste, fût au moins neutre au point de vue purement économique. Il le faudrait pour qu'elle méritât d'être assimilée à la simple Spoliation qui déplace la richesse sans la détruire. Mais vous affirmez vous-même, page 236, «que les mines de l'Aveyron, d'Alais, de Saint-Étienne, du Creuzot, d'Anzin, les plus célèbres de toutes, n'ont pas produit un revenu de 4 p. 100 du capital engagé!» Pour qu'un capital en France donne 4 p. 100, il n'a pas besoin de protection. Où est donc ici le profit à opposer à la perte signalée?

Ce n'est pas tout. Il y a là une autre perte nationale. Puisque, par le renchérissement relatif du combustible, tous les consommateurs de houille ont perdu, ils ont dû restreindre proportionnellement leurs autres consommations, et l'ensemble du travail national a été nécessairement découragé dans cette mesure. C'est cette perte qu'on ne fait jamais entrer en ligne de compte, parce qu'elle ne frappe pas les regards.

Permettez-moi encore une observation dont je suis surpris qu'on ne se soit pas plus frappé. C'est que la protection appliquée aux produits agricoles se montre dans toute son odieuse iniquité à l'égard de ce qu'on nomme les Prolétaires, tout en nuisant, à la longue, aux propriétaires fonciers eux-mêmes.

Imaginons dans les mers du Sud une île dont le sol soit devenu la propriété privée d'un certain nombre d'habitants.

Imaginons, sur ce territoire approprié et borné, une population prolétaire toujours croissante ou tendant à s'accroître112.

Cette dernière classe ne pourra rien produire directement de ce qui est indispensable à la vie. Il faudra qu'elle livre son travail à des hommes qui soient en mesure de lui fournir en échange des aliments, et même des matériaux de travail; des céréales, des fruits, des légumes, de la viande, de la laine, du lin, du cuir, du bois, etc.

Son intérêt évident est que le marché où se vendent ces choses soit le plus étendu possible. Plus elle se trouvera en présence d'une plus grande abondance de ces produits agricoles, plus elle en recevra pour chaque quantité donnée de son propre travail.

Sous un régime libre, on verra une foule d'embarcations aller chercher des aliments et des matériaux dans les îles et les continents voisins, et y porter en paiement des produits façonnés. Les propriétaires jouiront de toute la prospérité à laquelle ils ont droit de prétendre; un juste équilibre sera maintenu entre la valeur du travail industriel et celle du travail agricole.

Mais, dans cette situation, les propriétaires de l'île font ce calcul: Si nous empêchions les prolétaires de travailler pour les étrangers et d'en recevoir en échange des subsistances et des matières premières, ils seraient bien forcés de s'adresser à nous. Comme leur nombre croît sans cesse, et que la concurrence qu'ils se font entre eux est toujours plus active, ils se presseraient sur cette portion d'aliments et de matériaux qu'il nous resterait à exposer en vente, après avoir prélevé ce qui nous est nécessaire, et nous ne pourrions manquer de vendre nos produits à très-haut prix. En d'autres termes, l'équilibre serait rompu dans la valeur relative de leur travail et du nôtre. Ils consacreraient à nos satisfactions un plus grand nombre d'heures de labeur. Faisons donc une loi prohibitive de ce commerce qui nous gêne, et, pour l'exécution de cette loi, créons un corps de fonctionnaires que les prolétaires contribueront avec nous à payer.

Je vous le demande, ne serait-ce pas le comble de l'oppression, une violation flagrante de la plus précieuse de toutes les Libertés, de la première et de la plus sacrée de toutes les Propriétés?

Cependant, remarquez-le bien, il ne serait peut-être pas difficile aux propriétaires fonciers de faire accepter cette loi comme un bienfait par les travailleurs. Ils ne manqueraient pas de leur dire:

«Ce n'est pas pour nous, honnêtes créatures, que nous l'avons faite, mais pour vous. Notre intérêt nous touche peu, nous ne pensons qu'au vôtre. Grâce à cette sage mesure, l'agriculture va prospérer; nous, propriétaires, nous deviendrons riches, ce qui nous mettra à même de vous faire beaucoup travailler, et de vous payer de bons salaires. Sans elle nous serions réduits à la misère, et que deviendriez-vous? L'île serait inondée de subsistances et de matériaux de travail venus du dehors, vos barques seraient toujours à la mer; quelle calamité nationale! L'abondance, il est vrai, régnerait autour de vous, mais y prendriez-vous part? Ne dites pas que vos salaires se maintiendraient et s'élèveraient parce que les étrangers ne feraient qu'augmenter le nombre de ceux qui vous commandent du travail. Qui vous assure qu'il ne leur prendra pas fantaisie de vous livrer leurs produits pour rien? En ce cas, n'ayant plus ni travail ni salaires, vous périrez d'inanition au milieu de l'abondance. Croyez-nous, acceptez notre loi avec reconnaissance. Croissez et multipliez; ce qu'il restera de vivres dans l'île, au delà de notre consommation, vous sera livré contre votre travail, qui, par ce moyen, vous sera toujours assuré. Surtout gardez-vous de croire qu'il s'agit ici d'un débat entre vous et nous, dans lequel votre liberté et votre propriété sont en jeu. N'écoutez jamais ceux qui vous le disent. Tenez pour certain que le débat est entre vous et l'étranger, ce barbare étranger, que Dieu maudisse, et qui veut évidemment vous exploiter en vous offrant des transactions perfides, que vous êtes libres d'accepter ou de repousser.»

Il n'est pas invraisemblable qu'un pareil discours, convenablement assaisonné de sophismes sur le numéraire, la balance du commerce, le travail national, l'agriculture nourricière de l'État, la perspective d'une guerre, etc., etc., n'obtînt le plus grand succès, et ne fît sanctionner le décret oppresseur par les opprimés eux-mêmes, s'ils étaient consultés. Cela s'est vu et se verra.

Mais les préventions des propriétaires et des prolétaires ne changent pas la nature des choses. Le résultat sera une population misérable, affamée, ignorante, pervertie, moissonnée par l'inanition, la maladie et le vice. Le résultat sera encore le triste naufrage, dans les intelligences, des notions du Droit, de la Propriété, de la Liberté et des vraies attributions de l'État.

Et ce que je voudrais bien pouvoir démontrer ici, c'est que le châtiment remontera bientôt aux propriétaires eux-mêmes, qui auront préparé leur propre ruine par la ruine du public consommateur; car, dans cette île, on verra la population, de plus en plus abaissée, se jeter sur les aliments les plus inférieurs. Ici elle se nourrira de châtaignes, là de maïs, plus loin de millet, de sarrasin, d'avoine, de pommes de terre. Elle ne connaîtra plus le goût du blé et de la viande. Les propriétaires seront tout étonnés de voir l'agriculture décliner. Ils auront beau s'agiter, se réunir en comices, y ressasser éternellement le fameux adage: «Faisons des fourrages; avec des fourrages, on a des bestiaux; avec des bestiaux, des engrais; avec des engrais, du blé.» Ils auront beau créer de nouveaux impôts pour distribuer des primes aux producteurs de trèfle et de luzerne; ils se briseront toujours contre cet obstacle: une population misérable hors d'état de payer la viande, et, par conséquent, de donner le premier mouvement à cette triviale rotation. Ils finiront par apprendre, à leurs dépens, que mieux vaut subir la concurrence, en face d'une clientèle riche, que d'être investi d'un monopole en présence d'une clientèle ruinée.

Voilà pourquoi je dis: non-seulement la prohibition c'est du Communisme, mais c'est du Communisme de la pire espèce. Il commence par mettre les facultés et le travail du pauvre, sa seule Propriété, à la discrétion du riche: il entraîne une perte sèche pour la masse, et finit par envelopper le riche lui-même dans la ruine commune. Il investit l'État du singulier droit de prendre à ceux qui ont peu pour donner à ceux qui ont beaucoup; et quand, en vertu de ce principe, les déshérités du monde invoqueront l'intervention de l'État pour opérer un nivellement en sens inverse, je ne sais vraiment pas ce qu'il y aura à leur répondre. En tout cas, la première réponse, et la meilleure, serait de renoncer à l'oppression.

Mais j'ai hâte d'en finir avec ces calculs. Après tout, quelle est la position du débat? Que disons-nous et que dites-vous? Il y a un point, et c'est le point capital, sur lequel nous sommes d'accord: c'est que l'intervention du législateur pour niveler les fortunes en prenant aux uns de quoi gratifier les autres, c'est du communisme, c'est la mort de tout travail, de toute épargne, de tout bien-être, de toute justice, de toute société.

Vous vous apercevez que cette doctrine funeste envahit sous toutes les formes les journaux et les livres, en un mot le domaine de la spéculation et vous l'y attaquez avec vigueur.

 

Moi, je crois reconnaître qu'elle avait précédemment pénétré, avec votre assentiment et votre assistance, dans la législation et dans le domaine de la pratique, et c'est là que je m'efforce de la combattre.

Ensuite, je vous fais remarquer l'inconséquence où vous tomberiez si, combattant le Communisme en perspective, vous ménagiez, bien plus, vous encouragiez le Communisme en action.

Si vous me répondez: «J'agis ainsi parce que le Communisme réalisé par les tarifs, quoique opposé à la Liberté, à la Propriété, à la Justice, est néanmoins d'accord avec l'Utilité générale, et cette considération me fait passer par-dessus toutes les autres;» si vous me répondez cela, ne sentez-vous pas que vous ruinez d'avance tout le succès de votre livre, que vous en détruisez la portée, que vous le privez de sa force et donnez raison, au moins sur la partie philosophique et morale de la question, aux communistes de toutes les nuances?

Et puis, Monsieur, un esprit aussi éclairé que le vôtre pourrait-il admettre l'hypothèse d'un antagonisme radical entre l'Utile et le Juste? Voulez-vous que je parle franchement? Plutôt que de hasarder une assertion aussi subversive, aussi impie, j'aimerais mieux dire: «Voici une question spéciale dans laquelle, au premier coup d'œil, il me semble que l'Utilité et la Justice se heurtent. Je me réjouis que tous les hommes qui ont passé leur vie à l'approfondir en jugent autrement; je ne l'ai sans doute pas assez étudiée.» Je ne l'ai pas assez étudiée! Est-ce donc un aveu si pénible que, pour ne pas le faire, on se jette dans l'inconséquence jusqu'à nier la sagesse des lois providentielles qui président au développement des sociétés humaines? Car quelle plus formelle négation de la Sagesse Divine que de décider l'incompatibilité essentielle de la Justice et de l'Utilité! Il m'a toujours paru que la plus cruelle angoisse dont un esprit intelligent et consciencieux puisse être affligé, c'est de trébucher à cette borne. De quel côté se mettre, en effet, quel parti prendre en face d'une telle alternative? Se prononcera-t-on pour l'Utilité? c'est à quoi inclinent les hommes qui se disent pratiques. Mais à moins qu'ils ne sachent pas lier deux idées, ils s'effraieront sans doute devant les conséquences de la spoliation et de l'iniquité réduites en système. Embrassera-t-on résolument, et quoi qu'il en coûte, la cause de la Justice, disant: Fais ce que dois, advienne que pourra? C'est à quoi penchent les âmes honnêtes mais qui voudrait prendre la responsabilité de plonger son pays et l'humanité dans la misère, la désolation et la mort? Je défie qui que ce soit, s'il est convaincu de cet antagonisme, de se décider.

Je me trompe. On se décidera, et le cœur humain est ainsi fait qu'on mettra l'intérêt avant la conscience. C'est ce que le fait démontre, puisque partout où l'on a cru le régime protecteur favorable au bien-être du peuple, on l'a adopté, en dépit de toute considération de justice; mais alors les conséquences sont arrivées. La foi dans la propriété s'est effacée. On a dit comme M. Billault: Puisque la propriété a été violée par la Protection, pourquoi ne le serait-elle pas par le droit au travail? D'autres, derrière M. Billault, feront un troisième pas, et d'autres, derrière ceux-là, un quatrième, jusqu'à ce que le Communisme ait prévalu113.

De bons et solides esprits, comme le vôtre, s'épouvantent devant la rapidité de cette pente. Ils s'efforcent de la remonter; ils la remontent, en effet, ainsi que vous l'avez fait dans votre livre, jusqu'au régime restrictif, qui est le premier élan et le seul élan pratique de la société sur la déclivité fatale; mais en présence de cette négation vivante du droit de propriété, si, à la place de cette maxime de votre livre: «Les droits sont ou ne sont pas; s'ils sont, ils entraînent des conséquences absolues,» vous substituez celle-ci: «Voici un cas particulier où le bien national exige le sacrifice du droit;» à l'instant, tout ce que vous avez cru mettre de force et de raison dans cet ouvrage, n'est que faiblesse et inconséquence.

C'est pourquoi, Monsieur, si vous voulez achever votre œuvre, il faut que vous vous prononciez sur le régime restrictif, et pour cela il est indispensable de commencer par résoudre le problème économique; il faut bien être fixé sur la prétendue Utilité de ce régime. Car, à supposer même que j'obtinsse de vous son arrêt de condamnation, au point de vue de la Justice, cela ne suffirait pas pour le tuer. Je le répète, les hommes sont ainsi faits que lorsqu'ils se croient placés entre le bien réel et le juste abstrait la cause de la justice court un grand danger. En voulez-vous une preuve palpable? C'est ce qui m'est survenu à moi-même.

Quand j'arrivai à Paris, je me trouvai en présence d'écoles dites démocratiques et socialistes, où, comme vous savez, on fait grand usage des mots principe, dévouement, sacrifice, fraternité, droit, union. La richesse y est traitée de haut en bas, comme chose sinon méprisable, du moins secondaire; jusque-là que, parce que nous en tenons grand compte, on nous y traite, nous, de froids économistes, d'égoïstes, d'individualistes, de bourgeois, d'hommes sans entrailles, ne reconnaissant pour Dieu que le vil intérêt114. Bon, me dis-je, voilà de nobles cœurs avec lesquels je n'ai pas besoin de discuter le point de vue économique, qui est fort subtil et exige plus d'application que les publicistes parisiens n'en peuvent, en général, accorder à une étude de ce genre. Mais, avec ceux-ci, la question d'Intérêt ne saurait être un obstacle; ou ils le croiront, sur la foi de la Sagesse Divine, en harmonie avec la justice, ou ils le sacrifieront de grand cœur, car ils ont soif de Dévouement. Si donc ils m'accordent une fois que le Libre-Échange, c'est le droit abstrait, ils s'enrôleront résolument sous sa bannière. En conséquence, je leur adressai mon appel. Savez-vous ce qu'ils me répondirent? Le voici:

Votre Libre-Échange est une belle utopie. Il est fondé en droit et en justice; il réalise la liberté; il consacre la propriété; il aurait pour conséquence l'union des peuples, le règne de la fraternité parmi les hommes. Vous avez mille fois raison en principe, mais nous vous combattrons à outrance et par tous les moyens, parce que la concurrence étrangère serait fatale au travail national.

Je pris la liberté de leur adresser cette réponse:

Je nie que la concurrence étrangère fût fatale au travail national. En tout cas, s'il en était ainsi, vous seriez placés entre l'Intérêt qui, selon vous, est du côté de la restriction, et la Justice qui, de votre aveu, est du côté de la liberté! Or, quand moi, l'adorateur du veau d'or, je vous mets en demeure de faire votre choix, d'où vient que vous, les hommes de l'abnégation, vous foulez aux pieds les principes pour vous cramponner à l'intérêt? Ne déclamez donc pas tant contre un mobile qui vous gouverne, comme il gouverne les simples mortels.

Cette expérience m'avertit qu'il fallait avant tout résoudre cet effrayant problème: Y a-t-il harmonie ou antagonisme entre la Justice et l'Utilité? et, par conséquent, scruter le côté économique du régime restrictif; car, puisque les Fraternitaires eux-mêmes lâchaient pied devant une prétendue perte d'argent, il devenait clair que ce n'est pas tout de mettre à l'abri du doute la cause de la Justice Universelle, il faut encore donner satisfaction à ce mobile indigne, abject, méprisable et méprisé, mais tout-puissant, l'Intérêt.

C'est ce qui a donné lieu à une petite démonstration en deux volumes, que je prends la liberté de vous envoyer avec la présente,115 bien convaincu, Monsieur, que si, comme les économistes, vous jugez sévèrement le régime protecteur, quant à sa moralité, et si nous ne différons qu'en ce qui concerne son utilité, vous ne refuserez pas de rechercher avec quelque soin, si ces deux grands éléments de la solution définitive s'excluent ou concordent.

Cette harmonie existe, ou du moins elle est aussi évidente pour moi que la lumière du soleil. Puisse-t-elle se révéler à vous! C'est alors qu'appliquant votre talent éminemment propagateur à combattre le Communisme dans sa manifestation la plus dangereuse, vous lui porteriez un coup mortel.

Voyez ce qui se passe en Angleterre. Il semble que si le Communisme avait dû trouver quelque part une terre qui lui fût favorable, ce devait être le sol britannique. Là les institutions féodales plaçant partout, en face l'une de l'autre, l'extrême misère et l'extrême opulence, avaient dû préparer les esprits à l'infection des fausses doctrines. Et pourtant que voyons-nous? Pendant qu'elles bouleversent le continent, elles n'ont pas seulement troublé la surface de la société anglaise. Le Chartisme n'a pas pu y prendre racine. Savez-vous pourquoi? Parce que l'association qui, pendant dix ans, a discuté le régime protecteur n'en a triomphé qu'en jetant de vives lumières sur le principe de la Propriété et sur les fonctions rationnelles de l'État116.

Sans doute, si démasquer le Prohibitionisme c'est atteindre le Communisme, par la même raison, et à cause de leur étroite connexité, on peut aussi les frapper tous deux en suivant, comme vous avez fait, la marche inverse. La restriction ne saurait résister longtemps devant une bonne définition du Droit de Propriété. Aussi, si quelque chose m'a surpris et réjoui, c'est de voir l'association pour la défense des monopoles consacrer ses ressources à propager votre livre. C'est un spectacle des plus piquants, et il me console de l'inutilité de mes efforts passés. Cette résolution du comité Mimerel vous obligera sans doute à multiplier les éditions de votre ouvrage. En ce cas, permettez-moi de vous faire observer que, tel qu'il est, il présente une grave lacune. Au nom de la science, au nom de la vérité, au nom du bien public, je vous adjure de la combler, et vous mets en demeure de répondre à ces deux questions:

1o Y a-t-il incompatibilité, en principe, entre le régime protecteur et le droit de propriété?

2o La fonction du gouvernement est-elle de garantir à chacun le libre exercice de ses facultés et la libre disposition du fruit de son travail, c'est-à-dire la Propriété, ou bien de prendre aux uns pour donner aux autres, de manière à pondérer les profits, les chances et le bien-être?

Ah! Monsieur, si vous arrivez aux mêmes conclusions que moi; si, grâce à votre talent, à votre renommée, à votre influence, vous faisiez prévaloir ces conclusions dans l'opinion publique, qui peut calculer l'étendue du service que vous rendriez à la société française? On verrait l'État se renfermer dans sa mission, qui est de garantir à chacun l'exercice de ses facultés, et la libre disposition de ses biens. On le verrait se décharger à la fois et de ses colossales attributions illégitimes et de l'effrayante responsabilité qui s'y attache. Il se bornerait à réprimer les abus de la liberté, ce qui est réaliser la liberté même. Il assurerait la justice à tous, et ne promettrait plus la fortune à personne. Les citoyens apprendraient à distinguer ce qu'il est raisonnable et ce qu'il est puéril de lui demander. Ils ne l'accableraient plus de prétentions et d'exigences; ils ne l'accuseraient plus de leurs maux; ils ne fonderaient plus sur lui des espérances chimériques; et, dans cette ardente poursuite d'un bien dont il n'est pas le dispensateur, on ne les verrait pas, à chaque déception, accuser le législateur et la loi, changer les hommes et les formes du gouvernement, entasser institutions sur institutions et débris sur débris. On verrait s'éteindre cette universelle fièvre de spoliation réciproque par l'intervention si coûteuse et si périlleuse de l'État. Le gouvernement, limité dans son but et sa responsabilité, simple dans son action, peu dispendieux, ne faisant plus peser sur les gouvernés les frais de leurs propres chaînes, soutenu par le bon sens public, aurait une solidité qui, dans notre pays, n'a jamais été son partage, et nous aurions enfin résolu ce grand problème: Fermer à jamais l'abîme des révolutions.

 
FIN DU QUATRIÈME VOLUME
112Voy., au présent tome, la 3e lettre de l'opuscule Propriété et Spoliation, p. et suiv. (Note de l'éditeur.)
113Voy., au tome V, les dernières pages du pamphlet intitulé Spoliation et Loi. (Note de l'éditeur.)
114Voy. au tome II, la plupart des articles compris sous cette rubrique Polémique contre les journaux, et notamment l'article intitulé: Le Parti démocratique et le Libre-Échange. (Note de l'éditeur.)
115Ces deux petits volumes, que l'auteur envoya en effet à M. Thiers, étaient la première et la seconde série des Sophismes. (Note de l'éditeur.)
116Voy. au tome II, l'introduction. (Note de l'éditeur.)