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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 4

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Art. 1er. Il est ouvert, sur le budget de 1849, au ministre de l'agriculture et du commerce, un crédit de 10 millions destiné à faire des avances aux propriétaires et associations de propriétaires de fonds ruraux.

Avouez que si la langue législative se piquait d'exactitude, l'article devrait être ainsi rédigé:

Le ministre de l'agriculture et du commerce est autorisé, pendant l'année 1849, à prendre 10 millions dans la poche des laboureurs qui en ont grand besoin et à qui ils appartiennent, pour les verser dans la poche d'autres laboureurs qui en ont également besoin et à qui ils n'appartiennent pas.

N'est-ce pas là un fait communiste, et en se généralisant ne constitue-t-il pas le Communisme?

Tel manufacturier, qui se laisserait mourir plutôt que de dérober une obole, ne se fait pas le moindre scrupule de porter à la législature cette requête: «Faites une loi qui élève le prix de mon drap, de mon fer, de ma houille, et me mette à même de rançonner mes acheteurs.» Comme le motif sur lequel il se fonde est qu'il n'est pas content de son gain, tel que le fait l'échange libre ou le libre-échange (ce que je déclare être la même chose, quoi qu'on en dise), comme, d'un autre côté, nous sommes tous mécontents de notre gain et disposés à invoquer la législature, il est clair, du moins à mes yeux, que si elle ne se hâte de répondre: «Cela ne me regarde pas; je ne suis pas chargée de violer les propriétés, mais de les garantir,» il est clair, dis-je, que nous sommes en plein Communisme. Les moyens d'exécution mis en œuvre par l'État peuvent différer, mais ils ont le même but et se rattachent au même principe.

Supposez que je me présente à la barre de l'Assemblée nationale, et que je dise: J'exerce un métier, et je ne trouve pas que mes profits soient suffisants. C'est pourquoi je vous prie de faire un décret qui autorise MM. les percepteurs à prélever, à mon profit, seulement un pauvre petit centime sur chaque famille française. – Si la législature accueille ma demande, on pourra, si l'on veut, ne voir là qu'un fait isolé de spoliation légale, qui ne mérite pas encore le nom de Communisme. Mais si tous les Français, les uns après les autres, viennent faire la même supplique, et si la législature les examine dans le but avoué de réaliser l'égalité des fortunes, c'est dans ce principe, suivi d'effets, que je vois et que vous ne pouvez vous empêcher de voir le Communisme.

Que pour réaliser sa pensée la législature se serve du douanier ou du percepteur, de la contribution directe ou de l'impôt indirect, de la restriction ou de la prime, peu importe. Se croit-elle autorisée à prendre et à donner sans compensation? Croit-elle que sa mission est d'équilibrer les profits? Agit-elle en conséquence de cette croyance? Le gros du public approuve-t-il, provoque-t-il cette façon d'agir? En ce cas, je dis que nous sommes sur la pente du Communisme, soit que nous en ayons ou non la conscience.

Et si l'on me dit: L'État n'agit point ainsi en faveur de tout le monde, mais seulement en faveur de quelques classes, je répondrai: Alors il a trouvé le moyen d'empirer le communisme lui-même.

Je sens, Monsieur, qu'on peut jeter du doute sur ces déductions, à l'aide d'une confusion fort facile. On me citera des faits administratifs très-légitimes, des cas où l'intervention de l'État est aussi équitable qu'utile; puis, établissant une apparente analogie entre ces cas et ceux contre lesquels je me récrie, on me mettra dans mon tort, on me dira: Ou vous ne devez pas voir le Communisme dans la Protection, ou vous devez le voir dans toute action gouvernementale.

C'est un piége dans lequel je ne veux pas tomber. C'est pourquoi je suis obligé de rechercher quelle est la circonstance précise qui imprime à l'intervention de l'État le caractère communiste.

Quelle est la mission de l'État? Quelles sont les choses que les citoyens doivent confier à la force commune? quelles sont celles qu'ils doivent réserver à l'activité privée? Répondre à ces questions, ce serait faire un cours de politique. Heureusement je n'en ai pas besoin pour résoudre le problème qui nous occupe.

Quand les citoyens, au lieu de se rendre à eux-mêmes un Service, le transforment en Service public, c'est-à-dire quand ils jugent à propos de se cotiser pour faire exécuter un travail ou se procurer une satisfaction en commun, je n'appelle pas cela du Communisme, parce que je n'y vois pas ce qui fait son cachet spécial: le nivellement par voie de spoliation. L'État prend, il est vrai, par l'Impôt, mais rend par le Service. C'est une forme particulière, mais légitime, de ce fondement de toute société, l'échange. Je vais plus loin. En confiant un service spécial à l'État, les citoyens peuvent faire une bonne ou une mauvaise opération. Ils la font bonne si, par ce moyen, le service est fait avec plus de perfection et d'économie. Elle est mauvaise dans l'hypothèse contraire; mais, dans aucun cas, je ne vois apparaître le principe communiste. Dans le premier, les citoyens ont réussi; dans le second, ils se sont trompés, voilà tout; et si le Communisme est une erreur, il ne s'ensuit pas que toute erreur soit du Communisme.

Les économistes sont en général très-défiants à l'endroit de l'intervention gouvernementale. Ils y voient des inconvénients de toute sorte, une dépression de la liberté, de l'énergie, de la prévoyance et de l'expérience individuelles, qui sont le fonds le plus précieux des sociétés. Il leur arrive donc souvent de combattre cette intervention. Mais ce n'est pas du tout du même point de vue et par le même motif qui leur fait repousser la Protection. Qu'on ne se fasse donc pas un argument contre nous de notre prédilection, trop prononcée peut-être, pour la liberté, et qu'on ne dise pas: Il n'est pas surprenant que ces messieurs repoussent le régime protecteur, car ils repoussent l'intervention de l'État en toutes choses.

D'abord, il n'est pas vrai que nous la repoussions en toutes choses. Nous admettons que c'est la mission de l'État de maintenir l'ordre, la sécurité, de faire respecter les personnes et les propriétés, de réprimer les fraudes et les violences. Quant aux services qui ont un caractère, pour ainsi parler, industriel, nous n'avons pas d'autre règle que celle-ci: que l'État s'en charge s'il en doit résulter pour la masse une économie de forces. Mais, pour Dieu, que, dans le calcul, on fasse entrer en ligne de compte tous les inconvénients innombrables du travail monopolisé par l'État.

Ensuite, je suis forcé de le répéter, autre chose est de voter contre une nouvelle attribution faite à l'État sur le fondement que, tout calcul fait, elle est désavantageuse et constitue une perte nationale; autre chose est de voter contre cette nouvelle attribution parce qu'elle est illégitime, spoliatrice, et qu'elle donne pour mission au gouvernement de faire précisément ce que sa mission rationnelle est d'empêcher et de punir. Or, nous avons contre le Régime dit Protecteur ces deux natures d'objections, mais la dernière l'emporte de beaucoup dans notre détermination de lui faire, bien entendu par les voies légales, une guerre acharnée.

Ainsi, qu'on soumette, par exemple, à un conseil municipal la question de savoir s'il vaut mieux laisser chaque famille envoyer chercher sa provision d'eau à un quart de lieue, ou s'il est préférable que l'autorité prélève une cotisation pour faire venir l'eau sur la place du village; je n'aurai aucune objection de principe à faire à l'examen de cette question. Le calcul des avantages et des inconvénients pour tous sera le seul élément de la décision. On pourra se tromper dans ce calcul, mais l'erreur même qui entraînera une perte de propriété, ne constituera pas une violation systématique de la propriété.

Mais que M. le maire propose de fouler une industrie pour le profit d'une autre, d'interdire les sabots pour l'avantage des cordonniers, ou quelque chose d'analogue; alors je lui dirai qu'il ne s'agit plus ici d'un calcul d'avantages et d'inconvénients, il s'agit d'une perversion de l'autorité, d'un détournement abusif de la force publique; je lui dirai: Vous qui êtes dépositaire de l'autorité et de la force publiques pour châtier la spoliation, comment osez-vous appliquer l'autorité et la force publiques à protéger et systématiser la spoliation?

Que si la pensée de M. le maire triomphe, si je vois, par suite de ce précédent, toutes les industries du village s'agiter pour solliciter des faveurs aux dépens les unes des autres, si, au milieu de ce tumulte d'ambitions sans scrupule, je vois sombrer jusqu'à la notion même de Propriété, il me sera bien permis de penser que, pour la sauver du naufrage, la première chose à faire est de signaler ce qu'il y a d'inique dans la mesure qui a été le premier anneau de cette chaîne déplorable.

Il ne me serait pas difficile, Monsieur, de trouver dans votre ouvrage des passages qui vont à mon sujet et corroborent mes vues. À vrai dire, il me suffirait de l'ouvrir au hasard. Oui, si, renouvelant un jeu d'enfant, j'enfonçais une épingle dans ce livre, je trouverais, à la page indiquée par le sort, la condamnation implicite ou explicite du Régime Protecteur, la preuve de l'identité de ce régime, en principe, avec le Communisme. Et pourquoi ne ferais-je pas cette épreuve? Bon, m'y voilà. L'épingle a désigné la page 283; j'y lis:

«C'est donc une grave erreur que de s'en prendre à la concurrence, et de n'avoir pas aperçu que si le peuple est producteur, il est consommateur aussi, et que recevant moins d'un côté (ce que je nie, et vous le niez vous-même quelques lignes plus bas), payant moins de l'autre, reste alors, au profit de tous, la différence d'un système qui retient l'activité humaine, à un système qui la lance à l'infini dans la carrière en lui disant de ne s'arrêter jamais.»

 

Je vous défie de dire que ceci ne s'applique pas aussi bien à la concurrence qui se fait par-dessus la Bidassoa qu'à celle qui se fait par-dessus la Loire. – Donnons encore un coup d'épingle. C'est fait; nous voici à la page 325.

«Les droits sont ou ne sont pas: s'ils sont, ils entraînent des conséquences absolues… Il y a plus, si le droit est, il est de tous les instants; il est entier aujourd'hui, hier, demain, après-demain, en été comme en hiver, non pas quand il vous plaira de le déclarer en vigueur, mais quand il plaira à l'ouvrier de l'invoquer!»

Soutiendrez-vous qu'un maître de forges a le droit indéfini, perpétuel, de m'empêcher de produire indirectement deux quintaux de fer dans mon usine, qui est une vigne, pour l'avantage d'en produire directement un seul dans son usine, qui est une forge? Ce droit aussi est ou n'est pas. S'il est, il est entier aujourd'hui, hier, demain, après-demain, en été comme en hiver, non pas quand il vous plaira de le déclarer en vigueur, mais quand il plaira au maître de forges de l'invoquer!

Tentons encore le sort. Il nous désigne la page 63: j'y lis cet aphorisme:

«La Propriété n'est pas, si je ne puis la donner aussi bien que la consommer

Nous disons, nous: «La Propriété n'est pas, si je ne puis l'échanger aussi bien que la consommer.» Et permettez-moi d'ajouter que le droit d'échanger est au moins aussi précieux, aussi socialement important, aussi caractéristique de la propriété que le droit de donner. Il est à regretter que dans un ouvrage destiné à examiner la propriété sous tous ses aspects, vous ayez cru devoir consacrer deux chapitres au Don, qui n'est guère en péril, et pas une ligne à l'Échange, si impudemment violé sous l'autorité même des lois du pays.

Encore un coup d'épingle. Ah! il nous met à la page 47.

«L'homme a une première propriété dans sa personne et ses facultés. Il en a une seconde, moins adhérente à son être, mais non moins sacrée, dans le produit de ces facultés qui embrasse tout ce qu'on appelle les biens de ce monde, et que la société est intéressée au plus haut point à lui GARANTIR, car, sans cette garantie, point de travail, sans travail, pas de civilisation, pas même le nécessaire, mais la misère, le brigandage et la barbarie.»

Eh bien, Monsieur, dissertons, si vous le voulez, sur ce texte.

Comme vous, je vois la propriété d'abord dans la libre disposition de la personne, ensuite des facultés, enfin du produit des facultés, ce qui prouve, pour le dire en passant, qu'à un certain point de vue, Liberté et Propriété se confondent.

À peine oserais-je dire, comme vous, que la Propriété du produit de nos facultés est moins adhérente à notre être que celle de ces facultés elles-mêmes. Matériellement, cela est incontestable; mais qu'on prive un homme de ses facultés ou de leur produit, le résultat est le même, et ce résultat s'appelle Esclavage. Nouvelle preuve d'une identité de nature entre la Liberté et la Propriété. Si je fais tourner par force tout le travail d'un homme à mon profit, cet homme est mon esclave. Il l'est encore si, le laissant travailler librement, je trouve le moyen, par force ou par ruse, de m'emparer du fruit de son travail. Le premier genre d'oppression est plus odieux, le second est plus habile. Comme on a remarqué que le travail libre est plus intelligent et plus productif, les maîtres se sont dit: N'usurpons pas directement les facultés de nos esclaves, mais accaparons le produit plus riche de leurs facultés libres, et donnons à cette forme nouvelle de servitude le beau nom de protection.

Vous dites encore que la société est intéressée à garantir la propriété. Nous sommes d'accord; seulement je vais plus loin que vous, et si par la société vous entendez le gouvernement, je dis que sa seule mission, en ce qui concerne la propriété, est de la garantir; que s'il essaie de la pondérer, par cela même, au lieu de la garantir, il la viole. Ceci mérite d'être examiné.

Quand un certain nombre d'hommes, qui ne peuvent vivre sans travail et sans propriétés, se cotisent pour solder une force commune, évidemment ils ont pour but de travailler et de jouir du fruit de leur travail en toute sécurité, et non point de mettre leurs facultés et propriétés à la merci de cette force. Même avant toute forme de gouvernement régulier, je ne crois pas qu'on puisse contester aux individualités le droit de défense, le droit de défendre leurs personnes, leurs facultés et leurs biens.

Sans prétendre philosopher ici sur l'origine et l'étendue des droits des gouvernements, vaste sujet bien propre à effrayer ma faiblesse, permettez-moi de vous soumettre une idée. Il me semble que les droits de l'État ne peuvent être que la régularisation de droits personnels préexistants. Je ne puis, quant à moi, concevoir un droit collectif qui n'ait sa racine dans le droit individuel et ne le suppose. Donc, pour savoir si l'État est légitimement investi d'un droit, il faut se demander si ce droit réside dans l'individu en vertu de son organisation et en l'absence de tout gouvernement. C'est sur cette idée que je repoussais, il y a quelques jours, le droit au travail. Je disais: Puisque Pierre n'a pas le droit d'exiger directement de Paul que celui-ci lui donne du travail, il n'est pas davantage fondé à exercer ce prétendu droit par l'intermédiaire de l'État, car l'État n'est que la force commune créée par Pierre et par Paul, à leurs frais, dans un but déterminé, lequel ne saurait jamais être de rendre juste ce qui ne l'est pas. C'est à cette pierre de touche que je juge aussi entre la garantie et la pondération des propriétés par l'État. Pourquoi l'État a-t-il le droit de garantir, même par force, à chacun sa Propriété? Parce que ce droit préexiste dans l'individu. On ne peut contester aux individualités, le droit de légitime défense, le droit d'employer la force au besoin pour repousser les atteintes dirigées contre leurs personnes, leurs facultés et leurs biens. On conçoit que ce droit individuel, puisqu'il réside en tous les citoyens, puisse revêtir la forme collective et légitimer la force commune. Et pourquoi l'État n'a-t-il pas le droit de pondérer les propriétés? Parce que pour les pondérer il faut les ravir aux uns et en gratifier les autres. Or, aucun des trente millions de Français n'ayant le droit de prendre, par force, sous prétexte d'arriver à l'égalité, on ne voit pas comment ils pourraient investir de ce droit la force commune.

Et remarquez que le droit de pondération est destructif du droit de garantie. Voilà des sauvages. Ils n'ont pas encore fondé de gouvernement. Mais chacun d'eux a le droit de légitime défense, et il n'est pas difficile de voir que c'est ce droit qui deviendra la base d'une force commune légitime. Si l'un de ces sauvages a consacré son temps, ses forces, son intelligence à se créer un arc et des flèches, et qu'un autre veuille les lui ravir, toutes les sympathies de la tribu seront pour la victime; et si la cause est soumise au jugement des vieillards, le spoliateur sera infailliblement condamné. Il n'y a de là qu'un pas à organiser la force publique. Mais, je vous le demande, cette force a-t-elle pour mission, du moins pour mission légitime, de régulariser l'acte de celui qui défend, en vertu du droit, sa propriété, ou l'acte de celui qui viole, contre le droit, la propriété d'autrui? Il serait assez singulier que la force collective fût fondée non sur le droit individuel, mais sur sa violation permanente et systématique! Non, l'auteur du livre que j'ai sous les yeux ne peut soutenir une semblable thèse. Mais ce n'est pas tout qu'il ne la soutienne pas, il eût peut-être dû la combattre. Ce n'est pas tout d'attaquer ce Communisme grossier et absurde que quelques sectaires posent dans des feuilles décriées. Il eût peut-être été bon de dévoiler et de flétrir cet autre Communisme audacieux et subtil qui, par la simple perversion de la juste idée des droits de l'État, s'est insinué dans quelques branches de notre législation et menace de les envahir toutes.

Car, Monsieur, il est bien incontestable que par le jeu des tarifs, au moyen du régime dit Protecteur, les gouvernements réalisent cette monstruosité dont je parlais tout à l'heure. Ils désertent ce droit de légitime défense préexistant dans chaque citoyen, source et raison d'être de leur propre mission, pour s'attribuer un prétendu droit de nivellement par voie de spoliation, droit qui ne résidant antérieurement en personne ne peut résider davantage dans la communauté.

Mais à quoi bon insister sur ces idées générales? À quoi bon démontrer ici l'absurdité du Communisme, puisque vous l'avez fait vous-même (sauf quant à une de ses manifestations, et selon moi la plus pratiquement menaçante), beaucoup mieux que je ne saurais le faire?

Peut-être me dites-vous que le principe du Régime Protecteur n'est pas en opposition avec le principe de la Propriété. Voyons donc les procédés de ce régime.

Il y en a deux: la prime et la restriction.

Quant à la prime, cela est évident. J'ose défier qui que ce soit de soutenir que le dernier terme du système des primes, poussé jusqu'au bout, ne soit pas le Communisme absolu. Les citoyens travaillent à l'abri de la force commune chargée, comme vous dites, de garantir à chacun le sien, suum cuique. Mais voici que l'État, avec les plus philanthropiques intentions du monde, entreprend une tâche toute nouvelle, toute différente, et, selon moi, non-seulement exclusive, mais destructive de la première. Il lui plaît de se faire juge des profits, de décider que tel travail n'est pas assez rémunéré, que tel autre l'est trop; il lui plaît de se poser en pondérateur et de faire, comme dit M. Billault, osciller le pendule de la civilisation du côté opposé à la liberté de l'individualisme. En conséquence, il frappe sur la communauté tout entière une contribution pour faire un cadeau, sous le nom de primes, aux exportateurs d'une nature particulière de produits. Sa prétention est de favoriser l'industrie; il devrait dire une industrie aux dépens de toutes les autres. Je ne m'arrêterai pas à montrer qu'il stimule la branche gourmande aux dépens des branches à fruits; mais, je vous le demande, en entrant dans cette voie, n'autorise-t-il pas tout travailleur à venir réclamer une prime, s'il apporte la preuve qu'il ne gagne pas autant que son voisin? L'État a-t-il pour mission d'écouter, d'apprécier toutes ces requêtes et d'y faire droit? Je ne crois pas; mais ceux qui le croient doivent avoir le courage de revêtir leur pensée de sa formule et de dire: Le gouvernement n'est pas chargé de garantir les propriétés, mais de les niveler. En d'autres termes: il n'y a pas de Propriété.

Je ne traite ici qu'une question de principe. Si je voulais scruter les primes à l'exportation dans leurs effets économiques, je les montrerais sous le jour le plus ridicule, car elles ne sont qu'un don gratuit fait par la France à l'étranger. Ce n'est pas le vendeur qui la reçoit, mais l'acheteur, en vertu de cette loi que vous avez vous-même constatée à propos de l'impôt: le consommateur, en définitive, supporte toutes les charges, comme il recueille tous les avantages de la production. Aussi, il nous est arrivé au sujet de ces primes la chose la plus mortifiante et la plus mystifiante possible. Quelques gouvernements étrangers ont fait ce raisonnement: «Si nous élevons nos droits d'entrée d'un chiffre égal à la prime payée par les contribuables français, il est clair que rien ne sera changé pour nos consommateurs, car le prix de revient sera pour eux le même. La marchandise dégrévée de 5 fr. à la frontière française paiera 5 fr. de plus à la frontière allemande; c'est un moyen infaillible de mettre nos dépenses publiques à la charge du Trésor français.» Mais d'autres gouvernements, m'assure-t-on, ont été plus ingénieux encore. Ils se sont dit: «La prime donnée par la France est bien un cadeau qu'elle nous fait; mais si nous élevons le droit, il n'y a pas de raison pour qu'il entre chez nous plus de cette marchandise que par le passé; nous mettons nous-mêmes une borne à la générosité de ces excellents Français. Abolissons, au contraire, provisoirement ces droits; provoquons ainsi une introduction inusitée de leurs draps, puisque chaque mètre porte avec lui un pur don gratuit.» Dans le premier cas, nos primes ont été au fisc étranger; dans le second, elles ont profité, mais sur une plus large échelle, aux simples citoyens.

 

Passons à la restriction.

Je suis artisan, menuisier, par exemple. J'ai un petit atelier, des outils, quelques matériaux. Tout cela est incontestablement à moi, car j'ai fait ces choses, ou, ce qui revient au même, je les ai achetées et payées. De plus, j'ai des bras vigoureux, un peu d'intelligence et beaucoup de bonne volonté. C'est avec ce fonds que je dois pourvoir à mes besoins et à ceux de ma famille. Remarquez que je ne puis produire directement rien de ce qui m'est nécessaire, ni fer, ni bois, ni pain, ni vin, ni viandes, ni étoffes, etc., mais j'en puis produire la valeur. En définitive, ces choses doivent, pour ainsi dire, sortir, sous une autre forme, de ma scie et de mon rabot. Mon intérêt est d'en recevoir honnêtement la plus grande quantité possible contre chaque quantité donnée de mon travail. Je dis honnêtement, car je ne désire violer la propriété et la liberté de personne. Mais je voudrais bien qu'on ne violât pas non plus ma propriété ni ma liberté. Les autres travailleurs et moi, d'accord sur ce point, nous nous imposons des sacrifices, nous cédons une partie de notre travail à des hommes appelés fonctionnaires, parce que nous leur donnons la fonction spéciale de garantir notre travail et ses fruits de toute atteinte, qu'elle vienne du dehors ou du dedans.

Les choses ainsi arrangées, je m'apprête à mettre en activité mon intelligence, mes bras, ma scie et mon rabot. Naturellement j'ai toujours les yeux fixés sur les choses qui sont nécessaires à mon existence. Ce sont ces choses que je dois produire indirectement en en créant la valeur. Le problème est pour moi de les produire le plus avantageusement possible. En conséquence, je jette un coup d'œil sur le monde des valeurs, résumé dans ce qu'on appelle un prix courant. Je constate, d'après les données de ce prix courant, que le moyen pour moi d'avoir la plus grande quantité possible de combustible, par exemple, avec la plus petite quantité possible de travail, c'est de faire un meuble, de le livrer à un Belge, qui me donnera en retour de la houille.

Mais il y a en France un travailleur qui cherche de la houille dans les entrailles de la terre. Or, il est arrivé que les fonctionnaires, que le mineur et moi contribuons à payer pour maintenir à chacun de nous la liberté du travail, et la libre disposition de ses produits (ce qui est la Propriété), il est arrivé, dis-je, que ces fonctionnaires ont conçu une autre pensée, et se sont donné une autre mission. Ils se sont mis en tête qu'ils devaient pondérer mon travail et celui du mineur. En conséquence, ils m'ont défendu de me chauffer avec du combustible belge, et quand je vais à la frontière avec mon meuble pour recevoir la houille, je trouve que ces fonctionnaires empêchent la houille d'entrer, ce qui revient au même que s'ils empêchaient mon meuble de sortir. Je me dis alors: Si nous n'avions pas imaginé de payer des fonctionnaires afin de nous épargner le soin de défendre nous-mêmes notre propriété, le mineur aurait-il eu le droit d'aller à la frontière m'interdire un échange avantageux, sous le prétexte qu'il vaut mieux pour lui que cet échange ne s'accomplisse pas? Assurément non. S'il avait fait une tentative aussi injuste, nous nous serions battus sur place, lui, poussé par son injuste prétention, moi, fort de mon droit de légitime défense. Nous avions nommé et nous payions un fonctionnaire précisément pour éviter de tels combats. Comment donc se fait-il que je trouve le mineur et le fonctionnaire d'accord pour restreindre ma liberté et mon industrie, pour rétrécir le cercle où mes facultés pourront s'exercer? Si le fonctionnaire avait pris mon parti, je concevrais son droit; il dériverait du mien, car la légitime défense est bien un droit. Mais où a-t-il puisé celui d'aider le mineur dans son injustice? J'apprends alors que le fonctionnaire a changé de rôle. Ce n'est plus un simple mortel investi de droits à lui délégués par d'autres hommes qui, par conséquent, les possédaient. Non. Il est un être supérieur à l'humanité, puisant ses droits en lui-même, et parmi ses droits, il s'arroge celui de pondérer les profits, de tenir l'équilibre entre toutes les positions et conditions. C'est fort bien, dis-je, en ce cas, je vais l'accabler de réclamations et de requêtes, tant que je verrai un homme plus riche que moi sur la surface du pays. Il ne vous écoutera pas, m'est-il répondu, car s'il vous écoutait il serait Communiste, et il se garde bien d'oublier que sa mission est de garantir les propriétés, non de les niveler.

Quel désordre, quelle confusion dans les faits! et comment voulez-vous qu'il n'en résulte pas, du désordre et de la confusion dans les idées? Vous avez beau combattre le Communisme, tant qu'on vous verra le ménager, le choyer, le caresser dans cette partie de la législation qu'il a envahie, vos efforts seront vains. C'est un serpent qui, avec votre approbation, par vos soins, a glissé sa tête dans nos lois et dans nos mœurs, et maintenant vous vous indignez de ce que la queue s'y montre à son tour!

Il est possible, Monsieur, que vous me fassiez une concession; vous me direz, peut-être: Le régime protecteur repose sur le principe communiste. Il est contraire au droit, à la propriété, à la liberté; il jette le gouvernement hors de sa voie et l'investit d'attributions arbitraires qui n'ont pas d'origine rationnelle. Tout cela n'est que trop vrai; mais le régime protecteur est utile; sans lui le pays, succombant sous la concurrence étrangère, serait ruiné.

Ceci nous conduirait à examiner la restriction au point de vue économique. Mettant de côté toute considération de justice, de droit, d'équité, de propriété, de liberté, nous aurions à résoudre la question de pure utilité, la question vénale, pour ainsi parler, et vous conviendrez que cela n'est pas mon sujet. Prenez garde d'ailleurs qu'en vous prévalant de l'utilité pour justifier le mépris du droit, c'est comme si vous disiez: «Le Communisme, ou la spoliation, condamné par la justice, peut néanmoins être admis comme expédient.» Et convenez qu'un tel aveu est plein de dangers.

Sans chercher à résoudre ici le problème économique, permettez-moi une assertion. J'affirme que j'ai soumis au calcul arithmétique les avantages et les inconvénients de la protection au point de vue de la seule richesse, et toute considération d'un ordre supérieur mise de côté. J'affirme, en outre, que je suis arrivé à ce résultat: que toute mesure restrictive produit un avantage et deux inconvénients, ou, si vous voulez, un profit et deux pertes, chacune de ces pertes égale au profit, d'où il résulte une perte sèche, définitive, laquelle vient rendre ce consolant témoignage qu'en ceci, comme en bien d'autres choses, et j'ose dire en tout, Utilité et Justice concordent.

Ceci n'est qu'une affirmation, c'est vrai; mais on peut l'appuyer de preuves mathématiques.

Ce qui fait que l'opinion publique s'égare sur ce point, c'est que le Profit de la protection est visible à l'œil nu, tandis que des deux Pertes égales qu'elle entraîne, l'une se divise à l'infini entre tous les citoyens, et l'autre ne se montre qu'à l'œil investigateur de l'esprit.

Sans prétendre faire ici cette démonstration, qu'il me soit permis d'en indiquer la base.

Deux produits, A et B, ont en France une valeur normale de 50 et 40. Admettons que A ne vaille en Belgique que 40. Ceci posé, si la France est soumise au régime restrictif, elle aura la jouissance de A et de B en détournant de l'ensemble de ses efforts une quantité égale à 90, car elle sera réduite à produire A directement. Si elle est libre, cette somme d'efforts, égale à 90, fera face: 1o à la production de B qu'elle livrera à la Belgique pour en obtenir A; 2o à la production d'un autre B pour elle-même; 3o à la production de C.

C'est cette portion de travail disponible appliqué à la production de C dans le second cas, c'est-à-dire créant une nouvelle richesse égale à 10, sans que pour cela la France soit privée ni de A ni de B, qui fait toute la difficulté. À la place de A, mettez du fer; à la place de B, du vin, de la soie, des articles Paris; à la place de C, mettez de la richesse absente, vous trouverez toujours que la Restriction restreint le bien-être national111.

111Voy., au tome II, les articles Un profit contre deux pertes, Deux pertes contre un profit.