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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 4

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(On sait que Platon a fait deux livres: l'un pour signaler la perfection idéale – communauté des biens et des femmes – c'est le livre de la République; l'autre pour enseigner les moyens de transition, c'est le Traité des lois.)

Robespierre peut être considéré, d'ailleurs, comme un enthousiaste de la calme, paisible et pure antiquité. Son discours même sur la Propriété abonde en déclamations du goût de celles-ci: «Aristide n'aurait pas envié les trésors de Crassus! La chaumière de Fabricius n'a rien à envier au palais de Crassus!» etc.

Une fois que Mirabeau et Robespierre attribuaient, en principe, au législateur la faculté de fixer la limite du droit de propriété, il importe peu de savoir à quel degré ils jugeaient opportun de placer cette limite. Il pouvait leur convenir de ne pas aller plus loin que le droit au travail, le droit à l'assistance et l'impôt progressif. Mais d'autres, plus conséquents, ne s'arrêtaient pas là. Si la loi, qui crée la propriété et en dispose, peut faire un pas vers l'égalité, pourquoi n'en ferait-elle pas deux? Pourquoi ne réaliserait-elle pas l'égalité absolue?

Aussi Robespierre fut dépassé par Saint-Just, cela devait être, et Saint-Just par Babeuf, cela devait être encore. Dans cette voie, il n'y a qu'un terme raisonnable. Il a été marqué par le divin Platon.

Saint-Just… mais je me laisse trop circonscrire dans la question de propriété. J'oublie que j'ai entrepris de montrer comment l'éducation classique a perverti toutes les notions morales. Convaincu que le lecteur voudra bien me croire sur parole, quand j'affirme que Saint-Just a dépassé Robespierre dans la voie du communisme, je reprends mon sujet.

Il faut d'abord savoir que les erreurs de Saint-Just se rattachaient aux études classiques. Comme tous les hommes de son temps et du nôtre, il était imprégné d'Antiquité. Il se croyait un Brutus. Retenu loin de Paris par son parti, il écrivait:

«Ô Dieu! faut-il que Brutus languisse, oublié, loin de Rome! Mon parti est pris, cependant, et si Brutus ne tue point les autres, il se tuera lui-même.»

Tuer! il semble que ce soit ici-bas la destination de l'homme.

Tous les hellénistes et latinistes sont convenus que le principe d'une république, c'est la vertu, et Dieu sait ce qu'ils entendent par ce mot! C'est pourquoi Saint-Just écrivait:

«Un gouvernement républicain a la Vertu pour principe, sinon la Terreur.»

C'est encore un opinion dominante dans l'antiquité que le travail est infâme. Aussi Saint-Just le condamnait en ces termes:

«Un métier s'accorde mal avec le véritable citoyen. La main de l'homme n'est faite que pour la terre et pour les armes.»

Et c'est pour que personne ne pût s'avilir à exercer un métier qu'il voulait distribuer des terres à tout le monde.

Nous avons vu que, selon les idées des anciens, le législateur est à l'humanité ce que le potier est à l'argile. Malheureusement, quand cette idée domine, nul ne veut être argile et chacun veut être potier. On pense bien que Saint-Just s'attribuait le beau rôle:

«Le jour où je me serai convaincu qu'il est impossible de donner aux Français des mœurs douces, sensibles et inexorables pour la tyrannie et l'injustice, je me poignarderai.

«S'il y avait des mœurs, tout irait bien; il faut des institutions pour les épurer. Pour réformer les mœurs, il faut commencer par contenter le besoin et l'intérêt. Il faut donner quelques terres à tout le monde.

«Les enfants sont vêtus de toile en toute saison. Ils couchent sur des nattes et dorment huit heures. Ils sont nourris en commun, et ne vivent que de racines, de fruits, de légumes, de pain et d'eau. Ils ne peuvent goûter de chair qu'après l'âge de seize ans.

«Les hommes âgés de vingt-cinq ans seront tenus de déclarer tous les ans, dans le temple, les noms de leurs amis. Celui qui abandonne son ami sans raison suffisante sera banni!»

Ainsi Saint-Just, à l'imitation de Lycurgue, Platon, Fénelon, Rousseau, s'attribue à lui-même sur les mœurs, les sentiments, les richesses et les enfants des Français, plus de droits et de puissance que n'en ont tous les Français ensemble. Que l'humanité est petite auprès de lui! ou plutôt elle ne vit qu'en lui. Son cerveau est le cerveau, son cœur est le cœur de l'humanité.

Voilà donc la marche imprimée à la révolution parle conventionalisme gréco-latin. Platon a marqué l'idéal. Prêtres et laïques, au dix-septième et au dix-huitième siècle, se mettent à célébrer cette merveille. Vient l'heure de l'action: Mirabeau descend le premier degré, Robespierre le second, Saint-Just le troisième, Antonelle le quatrième, et Babeuf, plus logique que tous ses prédécesseurs, se dresse au dernier, au communisme absolu, au platonisme pur. Je devrais citer ici ses écrits; je me bornerai à dire, car ceci est caractéristique, qu'il les signait Caïus Gracchus.

L'esprit de la révolution, au point de vue qui nous occupe, se montre tout entier dans quelques citations. Que voulait Robespierre? «Élever les âmes à la hauteur des vertus républicaines des peuples antiques.» (3 nivôse an III.) Que voulait Saint-Just? «Nous offrir le bonheur de Sparte et d'Athènes.» (23 nivôse an III.) Il voulait en outre «Que tous les citoyens portassent sous leur habit le couteau de Brutus.» (Ibid.) Que voulait le sanguinaire Carrier? «Que toute la jeunesse envisage désormais le brasier de Scævola, la ciguë de Socrate, la mort de Cicéron et l'épée de Caton.» Que voulait Rabaut Saint-Étienne? «Que, suivant les principes des Crétois et des Spartiates, l'État s'empare de l'homme dès le berceau et même avant la naissance.» (16 décembre 1692). Que voulait la section des Quinze-Vingts? «Qu'on consacre une église à la liberté, et qu'on fasse élever un autel sur lequel brûlera un feu perpétuel entretenu par de jeunes vestales.» (21 novembre 1794.) Que voulait la Convention tout entière? «Que nos communes ne renferment désormais que des Brutus et des Publicola.» (19 mars 1794.)

Tous ces sectaires étaient de bonne foi cependant, et ils n'en étaient que plus dangereux; car la sincérité dans l'erreur, c'est du fanatisme, et le fanatisme est une force, surtout quand il agit sur des masses préparées à subir son action. L'universel enthousiasme en faveur d'un type social ne peut être toujours stérile, et l'opinion publique, éclairée ou égarée, n'en est pas moins la reine du monde. Quand une de ces erreurs fondamentales, – telle que la Glorification de l'Antiquité, – pénétrant par l'enseignement dans tous les cerveaux avec les premières lueurs de l'intelligence, s'y fixe à l'état de conventionalisme, elle tend à passer des esprits aux actes. Qu'une révolution fasse alors sonner l'heure des expériences, et qui peut dire sous quel nom terrible apparaîtra celui qui, cent ans plus tôt, se fût appelé Fénelon? Il eût déposé son idée dans un roman, il meurt pour elle sur l'échafaud; il eût été poëte, il se fait martyr; il eût amusé la société, il la bouleverse.

Cependant il y a dans la réalité une puissance supérieure au conventionalisme le plus universel. Quand l'éducation a déposé dans le corps social une semence funeste, il y a en lui une force de conservation, vis medicatrix, qui le fait se débarrasser à la longue, à travers les souffrances et les larmes, du germe délétère.

Lors donc que le communisme eut assez effrayé et compromis la société, une réaction devint infaillible. La France se prit à reculer vers le despotisme. Dans son ardeur, elle eût fait bon marché même des légitimes conquêtes de la Révolution. Elle eut le Consulat et l'Empire. Mais, hélas! ai-je besoin de faire observer que l'infatuation romaine la suivit dans cette phase nouvelle? L'Antiquité est là, toujours là pour justifier toutes les formes de la violence. Depuis Lycurgue jusqu'à César, que de modèles à choisir! Donc, – et j'emprunte ici le langage de M. Thiers, – «nous qui, après avoir été Athéniens avec Voltaire, avons un moment voulu être Spartiates sous la Convention, nous nous fîmes soldats de César sous Napoléon.» Peut-on méconnaître l'empreinte que notre engouement pour Rome a laissée sur cette époque? Eh! mon Dieu, cette empreinte est partout. Elle est dans les édifices, dans les monuments, dans la littérature, dans les modes même de la France impériale: elle est dans les noms ridicules imposés à toutes nos institutions. Ce n'est pas par hasard, sans doute, que nous vîmes surgir de toute part des Consuls, un Empereur, des Sénateurs, des Tribuns, des Préfets, des Sénatus-Consultes, des Aigles, des Colonnes trajanes, des Légions, des Champs de Mars, des Prytanées, des Lycées.

La lutte entre les principes révolutionnaires et contre-révolutionnaires semblait devoir se terminer aux journées de Juillet 1830. Depuis cette époque, les forces intellectuelles de ce pays se sont tournées vers l'étude des questions sociales, ce qui n'a rien en soi que de naturel et d'utile. Malheureusement, l'Université donne le premier branle à la marche de l'esprit humain, et le dirige encore vers les sources empoisonnées de l'Antiquité; de telle sorte que notre malheureuse patrie en est réduite à recommencer son passé et à traverser les mêmes épreuves. Il semble qu'elle soit condamnée à tourner dans ce cercle: Utopie, expérimentation, réaction. – Platonisme littéraire, communisme révolutionnaire, despotisme militaire. – Fénelon, Robespierre, Napoléon! – Peut-il en être autrement? La jeunesse, où se recrutent la littérature et le journalisme, au lieu de chercher à découvrir et à exposer les lois naturelles de la société, se borne à reprendre en sous-œuvre cet axiome græco-romain: L'ordre social est une création du Législateur. Point de départ déplorable qui ouvre une carrière sans limites à l'imagination, et n'est que l'enfantement perpétuel du Socialisme. – Car, si la société est une invention, qui ne veut être l'inventeur? qui ne veut être ou Minos, ou Lycurgue, ou Platon, ou Numa, ou Fénelon, ou Robespierre, ou Babeuf, ou Saint-Simon, ou Fourier, ou Louis Blanc, ou Proudhon? Qui ne trouve glorieux d'instituer un Peuple? Qui ne se complaît dans le titre de Père des nations? Qui n'aspire à combiner, comme des éléments chimiques, la Famille et la Propriété?

 

Mais, pour donner carrière à sa fantaisie ailleurs que dans les colonnes d'un journal, il faut tenir le pouvoir, il faut occuper le point central où aboutissent tous les fils de la puissance publique. C'est le préalable obligé de toute expérimentation. Chaque secte, chaque école fera donc tous ses efforts pour chasser du gouvernement l'école ou la secte dominante, en sorte que, sous l'influence de l'enseignement classique, la vie sociale ne peut être qu'une interminable série de luttes et de révolutions, ayant pour objet la question de savoir à quel utopiste restera la faculté de faire sur le peuple, comme sur une vile matière, des expériences!

Oui, j'accuse le Baccalauréat de préparer, comme à plaisir, toute la jeunesse française aux utopies socialistes, aux expérimentations sociales. Et c'est là sans doute la raison d'un phénomène fort étrange, je veux parler de l'impuissance que manifestent à réfuter le socialisme ceux-là mêmes qui s'en croient menacés. Hommes de la bourgeoisie, propriétaires, capitalistes, les systèmes de Saint-Simon, de Fourier, de Louis Blanc, de Leroux, de Proudhon ne sont, après tout, que des doctrines. Elles sont fausses, dites-vous. Pourquoi ne les réfutez-vous pas? Parce que vous avez bu à la même coupe: parce que la fréquentation des anciens, parce que votre engouement de convention pour tout ce qui est Grec ou Romain vous ont inoculé le socialisme.

 
Vous en êtes un peu dans votre âme entiché.
 

Votre nivellement des fortunes par l'action des tarifs, votre loi d'assistance, vos appels à l'instruction gratuite, vos primes d'encouragement, votre centralisation, votre foi dans l'État, votre littérature, votre théâtre, tout atteste que vous êtes socialistes. Vous différez des apôtres par le degré, mais vous êtes sur la même pente. Voilà pourquoi, quand vous vous sentez distancés, au lieu de réfuter, – ce que vous ne savez pas faire, et ce que vous ne pourriez faire sans vous condamner vous-mêmes, – vous vous tordez les bras, vous vous arrachez les cheveux, vous en appelez à la compression, et vous dites piteusement: La France s'en va!

Non, la France ne s'en va pas. Car voici ce qui arrive: pendant que vous vous livrez à vos stériles lamentations, les socialistes se réfutent eux-mêmes. Ses docteurs sont en guerre ouverte. Le phalanstère y est resté; la triade y est restée, l'atelier national y est resté; votre nivellement des conditions par la Loi y restera. Qu'y a-t-il encore debout? Le crédit gratuit. Que n'en démontrez-vous l'absurdité? Hélas! c'est vous qui l'avez inventé. Vous l'avez prêché pendant mille ans. Quand vous n'avez pu étouffer l'Intérêt, vous l'avez réglementé. Vous l'avez soumis au maximum, donnant ainsi à penser que la propriété est une création de la Loi, ce qui est justement l'idée de Platon, de Lycurgue, de Fénelon, de Rollin, de Robespierre; ce qui est, je ne crains pas de l'affirmer, l'essence et la quintessence non-seulement du socialisme, mais du communisme. Ne me vantez donc pas un enseignement qui ne vous a rien enseigné de ce que vous devriez savoir, et qui vous laisse consternés et muets devant la première chimère qu'il plaît à un fou d'imaginer. Vous n'êtes pas en mesure d'opposer la vérité à l'erreur; laissez au moins les erreurs se détruire les unes par les autres. Gardez-vous de bâillonner les utopistes, et d'élever ainsi leur propagande sur le piédestal de la persécution. L'esprit des masses laborieuses, sinon des classes moyennes, s'est attaché aux grandes questions sociales. Il les résoudra. Il arrivera à trouver pour ces mots: Famille, Propriété, Liberté, Justice, Société, d'autres définitions que celles que nous fournit votre enseignement. Il vaincra non-seulement le socialisme qui se proclame tel, mais encore le socialisme qui s'ignore. Il tuera votre universelle intervention de l'État, votre centralisation, votre unité factice, votre système protecteur, votre philanthropie officielle, vos lois sur l'usure, votre diplomatie barbare, votre enseignement monopolisé.

Et c'est pourquoi je dis: Non, la France ne s'en va pas. Elle sortira de la lutte, plus heureuse, plus éclairée, mieux ordonnée, plus grande, plus libre, plus morale, plus religieuse que vous ne l'avez faite.

Après tout, veuillez bien remarquer ceci: quand je m'élève contre les études classiques, je ne demande pas qu'elles soient interdites; je demande seulement qu'elles ne soient pas imposées. Je n'interpelle pas l'État pour lui dire: Soumettez tout le monde à mon opinion, mais bien: Ne me courbez pas sous l'opinion d'autrui. La différence est grande, et qu'il n'y ait pas de méprise à cet égard.

M. Thiers, M. de Riancey, M. de Montalembert, M. Barthélemy Saint-Hilaire, pensent que l'atmosphère romaine est excellente pour former le cœur et l'esprit de la jeunesse, soit. Qu'ils y plongent leurs enfants; je les laisse libres. Mais qu'ils me laissent libre aussi d'en éloigner les miens comme d'un air pestiféré. Messieurs les réglementaires, ce qui vous paraît sublime me semble odieux, ce qui satisfait votre conscience alarme la mienne. Eh bien! suivez vos inspirations, mais laissez-moi suivre la mienne. Je ne vous force pas, pourquoi me forceriez-vous?

Vous êtes très-convaincus qu'au point de vue social et moral le beau idéal est dans le passé. Moi, je le vois dans l'avenir. «Osons le dire à un siècle orgueilleux de lui-même, disait M. Thiers, l'antiquité est ce qu'il y a de plus beau au monde.» Pour moi, j'ai le bonheur de ne pas partager cette opinion désolante. Je dis désolante, car elle implique que, par une loi fatale, l'humanité va se détériorant sans cesse. Vous placez la perfection à l'origine des temps, je la mets à la fin. Vous croyez la société rétrograde, je la crois progressive. Vous croyez que nos opinions, nos idées, nos mœurs doivent, autant que possible, être jetées dans le moule antique; j'ai beau étudier l'ordre social de Sparte et de Rome, je n'y vois que violences, injustices, impostures, guerres perpétuelles, esclavage, turpitudes, fausse politique, fausse morale, fausse religion. Ce que vous admirez, je l'abhorre. Mais enfin, gardez votre jugement et laissez-moi le mien. Nous ne sommes pas ici des avocats plaidant l'un pour l'enseignement classique, l'autre contre, devant une assemblée chargée de décider en violentant ma conscience ou la vôtre. Je ne demande à l'État que sa neutralité. Je demande la liberté pour vous comme pour moi. J'ai du moins sur vous l'avantage de l'impartialité, de la modération et de la modestie.

Trois sources d'enseignement vont s'ouvrir: celui de l'État, celui du Clergé, celui des Instituteurs prétendus libres.

Ce que je demande, c'est que ceux-ci soient libres, en effet, de tenter, dans la carrière, des voies nouvelles et fécondes. Que l'Université enseigne ce qu'elle chérit, le grec et le latin; que le Clergé enseigne ce qu'il sait, le grec et le latin. Que l'une et l'autre fassent des platoniciens et des tribuns; mais qu'ils ne nous empêchent pas de former, par d'autres procédés, des hommes pour notre pays et pour notre siècle.

Car, si cette liberté nous est interdite, quelle amère dérision n'est-ce pas que de venir nous dire à chaque instant: Vous êtes libres!

Dans la séance du 23 février, M. Thiers est venu dire pour la quatrième fois:

«Je répéterai éternellement ce que j'ai dit: La liberté que donne la loi que nous avons rédigée, c'est la liberté selon la Constitution.

«Je vous mets au défi de prouver autre chose. Prouvez-moi que ce n'est pas la liberté; pour moi, je soutiens qu'il n'y en a pas d'autre possible.

«Autrefois, on ne pouvait pas enseigner sans la permission du gouvernement. Nous avons supprimé l'autorisation préalable; tout le monde pourra enseigner.

«Autrefois on disait: Enseignez telles choses; n'enseignez pas telles autres. Aujourd'hui nous disons: Enseignez tout ce que vous voudrez enseigner.»

C'est une chose douloureuse de s'entendre adresser un tel défi et d'être condamné au silence. Si la faiblesse de ma voix ne m'eût interdit la tribune, j'aurais répondu à M. Thiers.

Voyons donc à quoi se réduit, au point de vue de l'instituteur, du père de famille et de la société, cette Liberté que vous dites si entière.

En vertu de votre loi, je fonde un collége. Avec le prix de la pension, il me faut acheter ou louer le local, pourvoir à l'alimentation des élèves et payer les professeurs. Mais à côté de mon Collége, il y a un Lycée. Il n'a pas à s'occuper du local et des professeurs. Les contribuables, moi compris, en font les frais. Il peut donc baisser le prix de la pension de manière à rendre mon entreprise impossible. Est-ce là de la liberté? Une ressource me reste cependant, c'est de donner une instruction si supérieure à la vôtre, tellement recherchée du public, qu'il s'adresse à moi malgré la cherté relative à laquelle vous m'avez réduit. Mais ici, je vous rencontre, et vous me dites: Enseignez ce que vous voudrez, mais, si vous vous écartez de ma routine, toutes les carrières libérales seront fermées à vos élèves. Est-ce là de la liberté?

Maintenant je me suppose père de famille; je mets mes fils dans une institution libre: quelle est la position qui m'est faite? Comme père, je paye l'éducation de mes enfants, sans que nul me vienne en aide; comme contribuable et comme catholique, je paye l'éducation des enfants des autres, car je ne puis refuser l'impôt qui soudoie les Lycées, ni guère me dispenser, en temps de carême, de jeter dans le bonnet du frère quêteur l'obole qui doit soutenir les Séminaires. En ceci, du moins, je suis libre. Mais le suis-je quant à l'impôt? Non, non, dites que vous faites de la Solidarité, au sens socialiste, mais n'ayez pas la prétention de faire de la Liberté.

Et ce n'est là que le très-petit côté de la question. Voici qui est plus grave. Je donne la préférence à l'enseignement libre, parce que votre enseignement officiel (auquel vous me forcez à concourir, sans en profiter) me semble communiste et païen; ma conscience répugne à ce que mes fils s'imprègnent des idées spartiates et romaines qui, à mes yeux du moins, ne sont que la violence et le brigandage glorifiés. En conséquence, je me soumets à payer la pension pour mes fils, et l'impôt pour les fils des autres. Mais qu'est-ce que je trouve? Je trouve que votre enseignement mythologique et guerrier a été indirectement imposé au collége libre, par l'ingénieux mécanisme de vos grades, et que je dois courber ma conscience à vos vues sous peine de faire de mes enfants des parias de la société. – Vous m'avez dit quatre fois que j'étais libre. Vous me le diriez cent fois, que cent fois je vous répondrais: Je ne le suis pas.

Soyez inconséquents, puisque vous ne pouvez l'éviter, et je vous concède que dans l'état actuel de l'opinion publique vous ne pouviez fermer les colléges officiels. Mais posez une limite à votre inconséquence. Ne vous plaignez-vous pas tous les jours de l'esprit de la jeunesse? de ses tendances socialistes? de son éloignement pour les idées religieuses? de sa passion pour les expéditions guerrières, passion telle, que, dans nos assemblées délibérantes, il est à peine permis de prononcer le mot de paix, et il faut prendre les précautions oratoires les plus ingénieuses pour parler de justice quand il s'agit de l'étranger? Des dispositions si déplorables ont une cause sans doute. À la rigueur ne serait-il pas possible que votre enseignement mythologique, platonicien, belliqueux et factieux y fût pour quelque chose? Je ne vous dis pas de le changer cependant, ce serait trop exiger de vous. Mais je vous dis: Puisque vous laissez naître à côté de vos Lycées, et dans des conditions déjà bien difficiles, des écoles dites libres, permettez-leur d'essayer, à leurs périls et risques, les voies chrétiennes et scientifiques. L'expérience vaut la peine d'être faite. Qui sait? Peut-être, sera-t-elle un progrès. Et vous voulez l'étouffer dans son germe!

Enfin, examinons la question au point de vue de la Société, et remarquons d'abord qu'il serait étrange que la société fût libre, en matière d'enseignement, si les instituteurs et les pères de famille ne le sont pas.

 

La première phrase du rapport de M. Thiers sur l'instruction secondaire, en 1844, proclamait cette terrible vérité:

«L'éducation publique est l'intérêt peut-être le plus grand d'une nation civilisée, et, par ce motif, le plus grand objet de l'ambition des partis

Il semble que la conclusion à tirer de là, c'est qu'une nation qui ne veut pas être la proie des partis doit se hâter de supprimer l'éducation publique, c'est-à-dire par l'État, et de proclamer la liberté de l'enseignement. S'il y a une éducation confiée au pouvoir, les partis auront un motif de plus pour chercher à s'emparer du pouvoir, puisque, du même coup, ce sera s'emparer de l'enseignement, le plus grand objet de leur ambition. La soif de gouverner n'inspire-t-elle pas déjà assez de convoitise? ne provoque-t-elle pas assez de luttes, de révolutions et de désordres? et est-il sage de l'irriter encore par l'appât d'une si haute influence?

Et pourquoi les partis ambitionnent-ils la direction des études? Parce qu'ils connaissent ce mot de Leibnitz: «Faites-moi maître de l'enseignement, et je me charge de changer la face du monde.» L'enseignement par le pouvoir, c'est donc l'enseignement par un parti, par une secte momentanément triomphante; c'est l'enseignement au profit d'une idée, d'un système exclusif. «Nous avons fait la république, disait Robespierre, il nous reste à faire des républicains; tentative qui a été renouvelée en 1848. Bonaparte ne voulait faire que des soldats, Frayssinous que des dévots, Villemain que des rhéteurs. M. Guizot ne ferait que doctrinaires, Enfantin que des saint-simoniens, et tel qui s'indigne de voir l'humanité ainsi dégradée, s'il était jamais en position de dire l'État c'est moi, serait peut-être tenté de ne faire que des économistes. Eh quoi! ne verra-t-on jamais le danger de fournir aux partis, à mesure qu'ils s'arrachent le pouvoir l'occasion d'imposer universellement et uniformément leurs opinions, que dis-je? leurs erreurs par la force? Car c'est bien employer la force que d'interdire législativement toute autre idée que celle dont on est soi-même infatué.

Une telle prétention est essentiellement monarchiste, encore que nul ne l'affiche plus résolument que le parti républicain; car elle repose sur cette donnée que les gouvernés sont faits pour les gouvernants, que la société appartient au pouvoir, qu'il doit la façonner à son image; tandis que, selon notre droit public, assez chèrement conquis, le pouvoir n'est qu'une émanation de la société, une des manifestations de sa pensée.

Je ne puis concevoir, quant à moi, surtout dans la bouche des républicains, un cercle vicieux plus absurde que celui-ci: D'année en année, par le mécanisme du suffrage universel, la pensée nationale s'incarnera dans les magistrats, et puis ces magistrats façonneront à leur gré la pensée nationale.

Cette doctrine implique ces deux assertions: Pensée nationale fausse, pensée gouvernementale infaillible.

Et s'il en est ainsi, républicains, rétablissez donc tout à la fois Autocratie, Enseignement par l'État, Légitimité, Droit divin, Pouvoir absolu, irresponsable et infaillible, toutes institutions qui ont un principe commun et émanent de la même source.

S'il y a, dans le monde, un homme (ou une secte) infaillible, remettons-lui non-seulement l'éducation, mais tous les pouvoirs, et que ça finisse. Sinon, éclairons-nous le mieux que nous pourrons, mais n'abdiquons pas.

Maintenant, je répète ma question: Au point de vue social, la loi que nous discutons réalise-t-elle la liberté?

Autrefois il y avait une Université. Pour enseigner, il fallait sa permission. Elle imposait ses idées et ses méthodes, et force était d'en passer par là. Elle était donc, selon la pensée de Leibnitz, maîtresse des générations, et c'est pour cela sans doute que son chef prenait le titre significatif de grand maître.

Maintenant tout cela est renversé. Il ne restera à l'Université que deux attributions: 1o le droit de dire ce qu'il faudra savoir pour obtenir les grades: 2o le droit de fermer d'innombrables carrières à ceux qui ne se seront pas soumis.

Ce n'est presque rien, dit-on. Et moi je dis: Ce rien est tout.

Ceci m'entraîne à dire quelque chose d'un mot qui a été souvent prononcé dans ce débat: c'est le mot UNITÉ; car beaucoup de personnes voient dans le Baccalauréat le moyen d'imprimer à toutes les intelligences une direction, sinon raisonnable et utile, du moins uniforme, et bonne en cela.

Les admirateurs de l'Unité sont fort nombreux, et cela se conçoit. Par décret providentiel, nous avons tous foi dans notre propre jugement, et nous croyons qu'il n'y a au monde qu'une opinion juste, à savoir: la nôtre. Aussi nous pensons que le législateur ne pourrait mieux faire que de l'imposer à tous, et, pour plus de sûreté, nous voulons tous être ce législateur. Mais les législateurs se succèdent, et qu'arrive-t-il? C'est qu'à chaque changement, une Unité en remplace une autre. L'enseignement par l'État fait donc prévaloir l'uniformité en considérant isolément chaque période; mais, si l'on compare les périodes successives, par exemple, la Convention, le Directoire, l'Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet, la République, on retrouve la diversité et, qui pis est, la plus subversive de toutes les diversités, celle qui produit dans le domaine intellectuel, comme sur un théâtre, des changements à vue, selon le caprice des machinistes. Laisserons-nous toujours descendre l'intelligence nationale, la conscience publique à ce degré d'abaissement et d'indignité?

Il y a deux sortes d'Unités. L'une est un point de départ. Elle est imposée par la force, par ceux qui détiennent momentanément la force. L'autre est un résultat, la grande consommation de la perfectibilité humaine. Elle résulte de la naturelle gravitation des intelligences vers la vérité.

La première Unité a pour principe le mépris de l'espèce humaine, et pour instrument le despotisme. Robespierre était Unitaire quand il disait: «J'ai fait la république; je vais me mettre à faire des républicains.» Napoléon était Unitaire quand il disait: «J'aime la guerre, et je ferai de tous les Français des guerriers.» Frayssinous était Unitaire quand il disait: «J'ai une foi, et par l'éducation je plierai à cette foi toutes les consciences.» Procuste était Unitaire quand il disait: «Voilà un lit: je raccourcirai ou j'allongerai quiconque en dépassera ou n'en atteindra pas les dimensions.» Le Baccalauréat est Unitaire quand il dit: «La vie sociale sera interdite à quiconque ne subit pas mon programme.» Et qu'on n'allègue pas que le conseil supérieur pourra tous les ans changer ce programme; car, certes, on ne pourrait imaginer une circonstance plus aggravante. Quoi donc! la nation tout entière serait assimilée à l'argile que le potier brise quand il n'est pas satisfait de la forme qu'il lui a donnée?

Dans son rapport de 1844, M. Thiers se montrait admirateur très-ardent de cette nature d'Unité, tout en regrettant qu'elle fût peu conforme au génie des nations modernes.

«Le pays où ne règne pas la liberté d'enseignement, disait-il, serait celui où l'État, animé d'une volonté absolue, voulant jeter la jeunesse dans le même moule, la frapper, comme une monnaie, à son effigie, ne souffrirait aucune diversité dans le régime d'éducation, et, pendant plusieurs années, ferait vivre tous les enfants sous le même habit, les nourrirait des mêmes aliments, les appliquerait aux mêmes études, les soumettrait aux mêmes exercices, les plierait, etc…

«Gardons nous, ajoutait-il, de calomnier cette prétention de l'État d'imposer l'unité de caractère à la nation, et de la regarder comme une inspiration de la tyrannie. On pourrait presque dire, au contraire, que cette volonté forte de l'État d'amener tous les citoyens à un type commun, s'est proportionnée au patriotisme de chaque pays. C'est dans les républiques anciennes, où la patrie était le plus adorée, le mieux servie, qu'elle montrait des exigences les plus grandes à l'égard des mœurs et de l'esprit des citoyens… Et nous qui, dans le siècle écoulé, avons présenté toutes les faces de la société humaine, nous qui, après avoir été Athéniens avec Voltaire, avons un moment voulu être Spartiates sous la Convention, soldats de César sous Napoléon, si nous avons un moment songé à imposer d'une manière absolue le joug de l'État sur l'éducation, c'est sous la Convention nationale, au moment de la plus grande exaltation patriotique.»

Rendons justice à M. Thiers. Il ne proposait pas de suivre de tels exemples. «Il ne faut, disait-il, ni les imiter ni les flétrir. C'était du délire, mais le délire du patriotisme.»