Za darmo

Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 4

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

La Loi, c'est la Justice.

Et c'est sous la Loi de justice, sous le régime du droit, sous l'influence de la liberté, de la sécurité, de la stabilité, de la responsabilité, que chaque homme arrivera à toute sa valeur, à toute la dignité de son être, et que l'humanité accomplira avec ordre, avec calme, lentement sans doute, mais avec certitude, le progrès, qui est sa destinée.

Il me semble que j'ai pour moi la théorie; car quelque question que je soumette au raisonnement, qu'elle soit religieuse, philosophique, politique, économique; qu'il s'agisse de bien-être, de moralité, d'égalité, de droit, de justice, de progrès, de responsabilité, de solidarité, de propriété, de travail, d'échange, de capital, de salaires, d'impôts, de population, de crédit, de gouvernement; à quelque point de l'horizon scientifique que je place le point de départ de mes recherches, toujours invariablement j'aboutis à ceci: la solution du problème social est dans la Liberté.

Et n'ai-je pas aussi pour moi l'expérience? Jetez les yeux sur le globe. Quels sont les peuples les plus heureux, les plus moraux, les plus paisibles? Ceux où la Loi intervient le moins dans l'activité privée; où le gouvernement se fait le moins sentir; où l'individualité a le plus de ressort et l'opinion publique le plus d'influence; où les rouages administratifs sont les moins nombreux et les moins compliqués; les impôts les moins lourds et les moins inégaux; les mécontentements populaires les moins excités et les moins justifiables; où la responsabilité des individus et des classes est la plus agissante, et où, par suite, si les mœurs ne sont pas parfaites elles tendent invinciblement à se rectifier; où les transactions, les conventions, les associations sont le moins entravées; où le travail, les capitaux, la population, subissent les moindres déplacements artificiels; où l'humanité obéit le plus à sa propre pente; où la pensée de Dieu prévaut le plus sur les inventions des hommes; ceux, en un mot, qui approchent le plus de cette solution: Dans les limites du droit, tout par la libre et perfectible spontanéité de l'homme; rien par la Loi ou la force que la Justice universelle.

Il faut le dire: il y a trop de grands hommes dans le monde; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de sociétés, conducteurs de peuples, pères des nations, etc., etc. Trop de gens se placent au-dessus de l'humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s'occuper d'elle.

On me dira: Vous vous en occupez bien, vous qui parlez. C'est vrai. Mais on conviendra que c'est dans un sens et à un point de vue bien différents, et si je me mêle aux réformateurs c'est uniquement pour leur faire lâcher prise.

Je m'en occupe non comme Vaucanson, de son automate, mais comme un physiologiste, de l'organisme humain: pour l'étudier et l'admirer.

Je m'en occupe, dans l'esprit qui animait un voyageur célèbre.

Il arriva au milieu d'une tribu sauvage. Un enfant venait de naître et une foule de devins, de sorciers, d'empiriques l'entouraient, armés d'anneaux, de crochets et de liens. L'un disait: cet enfant ne flairera jamais le parfum d'un calumet, si je ne lui allonge les narines. Un autre: il sera privé du sens de l'ouïe, si je ne lui fais descendre les oreilles jusqu'aux épaules. Un troisième: il ne verra pas la lumière du soleil, si je ne donne à ses yeux une direction oblique. Un quatrième: il ne se tiendra jamais debout, si je ne lui courbe les jambes. Un cinquième: il ne pensera pas, si je ne comprime son cerveau. Arrière, dit le voyageur. Dieu fait bien ce qu'il fait; ne prétendez pas en savoir plus que lui, et puisqu'il a donné des organes à cette frêle créature, laissez ses organes se développer, se fortifier par l'exercice, le tâtonnement, l'expérience et la Liberté.

Dieu a mis aussi dans l'humanité tout ce qu'il faut pour qu'elle accomplisse ses destinées. Il y a une physiologie sociale providentielle comme il y a une physiologie humaine providentielle. Les organes sociaux sont aussi constitués de manière à se développer harmoniquement au grand air de la Liberté. Arrière donc les empiriques et les organisateurs! Arrière leurs anneaux, leurs chaînes, leurs crochets, leurs tenailles! arrière leurs moyens artificiels! arrière leur atelier social, leur phalanstère, leur gouvernementalisme, leur centralisation, leurs tarifs, leurs universités, leurs religions d'État, leurs banques gratuites ou leurs banques monopolisées, leurs compressions, leurs restrictions, leur moralisation ou leur égalisation par l'impôt! Et puisqu'on a vainement infligé au corps social tant de systèmes, qu'on finisse par où l'on aurait dû commencer, qu'on repousse les systèmes, qu'on mette enfin à l'épreuve la Liberté, – la Liberté, qui est un acte de foi en Dieu et en son œuvre.

PROPRIÉTÉ ET SPOLIATION

Première lettre 84

Juillet 1848.

L'assemblée nationale est saisie d'une question immense, dont la solution intéresse au plus haut degré la prospérité et le repos de la France. Un Droit nouveau frappe à la porte de la Constitution: c'est le Droit au travail. Il n'y demande pas seulement une place; il prétend y prendre, en tout ou en partie, celle du Droit de propriété.

M. Louis Blanc a déjà proclamé provisoirement ce droit nouveau, et l'on sait avec quel succès;

M. Proudhon le réclame pour tuer la Propriété;

M. Considérant, pour la raffermir, en la légitimant.

Ainsi selon ces publicistes, la Propriété porte en elle quelque chose d'injuste et de faux, un germe de mort. Je prétends démontrer qu'elle est la vérité et la justice même, et que ce qu'elle porte dans son sein, c'est le principe du progrès et de la vie.

Ils paraissent croire que, dans la lutte qui va s'engager, les pauvres sont intéressés au triomphe du droit au travail et les riches à la défense du droit de propriété. Je me crois en mesure de prouver que le droit de propriété est essentiellement démocratique, et que tout ce qui le nie ou le viole est fondamentalement aristocratique et anarchique.

J'ai hésité à demander place dans un journal pour une dissertation d'économie sociale. Voici ce qui peut justifier cette tentative:

D'abord, la gravité et l'actualité du sujet.

Ensuite, MM. Louis Blanc, Considérant, Proudhon ne sont pas seulement publicistes; ils sont aussi chefs d'écoles; ils ont derrière eux de nombreux et ardents sectateurs, comme le témoigne leur présence à l'assemblée nationale. Leurs doctrines exercent dès aujourd'hui une influence considérable, – selon moi, funeste dans le monde des affaires, – et, ce qui ne laisse pas d'être grave, elles peuvent s'étayer de concessions échappées à l'orthodoxie des maîtres de la science.

Enfin, pourquoi ne l'avouerais-je pas? quelque chose, au fond de ma conscience, me dit qu'au milieu de cette controverse brûlante, il me sera peut-être donné de jeter un de ces rayons inattendus de clarté qui illuminent le terrain où s'opère quelquefois la réconciliation des écoles les plus divergentes.

C'en est assez, j'espère pour que ces lettres trouvent grâce auprès des lecteurs.

Je dois établir d'abord le reproche qu'on adresse à la Propriété.

Voici en résumé comment M. Considérant s'en explique. Je ne crois pas altérer sa théorie, en l'abrégeant85.

«Tout homme possède légitimement la chose que son activité a créée. Il peut la consommer, la donner, l'échanger, la transmettre, sans que personne, ni même la société tout entière, ait rien à y voir.

«Le propriétaire possède donc légitimement non-seulement les produits qu'il a créés sur le sol, mais encore la plus-value qu'il a donnée au sol lui-même par la culture.

«Mais il y a une chose qu'il n'a pas créée, qui n'est le fruit d'aucun travail; c'est la terre brute, c'est le capital primitif, c'est la puissance productive des agents naturels. Or, le propriétaire s'est emparé de ce capital. Là est l'usurpation, la confiscation, l'injustice, l'illégitimité permanente.

«L'espèce humaine est placée sur ce globe pour y vivre et se développer. L'espèce est donc usufruitière de la surface du globe. Or, maintenant, cette surface est confisquée par le petit nombre, à l'exclusion du grand nombre.

«Il est vrai que cette confiscation est inévitable; car comment cultiver, si chacun peut exercer à l'aventure et en liberté ses droits naturels, c'est-à-dire les droits de la sauvagerie?

«Il ne faut donc pas détruire la propriété, mais il faut la légitimer. Comment? par la reconnaissance du droit au travail.

«En effet, les sauvages n'exercent leurs quatre droits (chasse, pêche, cueillette et pâture) que sous la condition du travail; c'est donc sous la même condition que la société doit aux prolétaires l'équivalent de l'usufruit dont elle les a dépouillés.

«En définitive, la société doit à tous les membres de l'espèce, à charge de travail, un salaire qui les place dans une condition telle, qu'elle puisse être jugée aussi favorable que celle des sauvages.

 

«Alors la propriété sera légitime de tous points, et la réconciliation sera faite entre les riches et les pauvres.»

Voilà toute la théorie de M. Considérant86. Il affirme que cette question de la propriété est des plus simples, qu'il ne faut qu'un peu de bon sens pour la résoudre, et que cependant personne, avant lui, n'y avait rien compris.

Le compliment n'est pas flatteur pour le genre humain; mais, en compensation, je ne puis qu'admirer l'extrême modestie que l'auteur met dans ses conclusions.

Que demande-t-il, en effet, à la société?

Qu'elle reconnaisse le Droit au travail comme l'équivalent, au profit de l'espèce, de l'usufruit de la terre brute.

Et à combien estime-t-il cet équivalent?

À ce que la terre brute peut faire vivre de sauvages.

Comme c'est à peu près un habitant par lieue carrée, les propriétaires du sol français peuvent légitimer leur usurpation à très-bon marché assurément. Ils n'ont qu'à prendre l'engagement que trente à quarante mille non-propriétaires s'élèveront, à leur côté, à toute la hauteur des Esquimaux.

Mais, que dis-je? Pourquoi parler de la France? Dans ce système, il n'y a plus de France, il n'y a plus de propriété nationale, puisque l'usufruit de la terre appartient, de plein droit, à l'espèce.

Au reste, je n'ai pas l'intention d'examiner en détail la théorie de M. Considérant, cela me mènerait trop loin. Je ne veux m'attaquer qu'à ce qu'il y a de grave et de sérieux au fond de cette théorie, je veux dire la question de la Rente.

Le système de M. Considérant peut se résumer ainsi:

Un produit agricole existe par le concours de deux actions:

L'action de l'homme, ou le travail, qui donne ouverture au droit de propriété;

L'action de la nature, qui devrait être gratuite, et que les propriétaires font injustement tourner à leur profit. C'est là ce qui constitue l'usurpation des droits de l'espèce.

Si donc je venais à prouver que les hommes, dans leurs transactions, ne se font réciproquement payer que leur travail, qu'ils ne font pas entrer dans le prix des choses échangées l'action de la nature, M. Considérant devrait se tenir pour complétement satisfait.

Les griefs de M. Proudhon contre la propriété sont absolument les mêmes. «La propriété, dit-il, cessera d'être abusive par la mutualité des services.» Donc, si je démontre que les hommes n'échangent entre eux que des services, sans jamais se débiter réciproquement d'une obole pour l'usage de ces forces naturelles que Dieu a données gratuitement à tous, M. Proudhon, de son côté, devra convenir que son utopie est réalisée.

Ces deux publicistes ne seront pas fondés à réclamer le droit au travail. Peu importe que ce droit fameux soit considéré par eux sous un jour si diamétralement opposé que, selon M. Considérant, il doit légitimer la propriété, tandis que, selon M. Proudhon, il doit la tuer; toujours est-il qu'il n'en sera plus question, pourvu qu'il soit bien prouvé que, sous le régime propriétaire, les hommes échangent peine contre peine, effort contre effort, travail contre travail, service contre service, le concours de la nature étant toujours livré par-dessus le marché; en sorte que les forces naturelles, gratuites par destination, ne cessent pas de rester gratuites à travers toutes les transactions humaines.

On voit que ce qui est contesté, c'est la légitimité de la Rente, parce qu'on suppose qu'elle est, en tout ou en partie, un paiement injuste que le consommateur fait au propriétaire, non pour un service personnel, mais pour des bienfaits gratuits de la nature.

J'ai dit que les réformateurs modernes pouvaient s'appuyer sur l'opinion des principaux économistes87.

En effet, Adam Smith dit que la Rente est souvent un intérêt raisonnable du capital dépensé sur les terres en amélioration, mais que souvent aussi cet intérêt n'est qu'une partie de la Rente.

Sur quoi Mac-Culloch fait cette déclaration positive:

«Ce qu'on nomme proprement la Rente, c'est la somme payée pour l'usage des forces naturelles et de la puissance inhérente au sol. Elle est entièrement distincte de la somme payée à raison des constructions, clôtures, routes et autres améliorations foncières. La rente est donc toujours un monopole.»

Buchanan va jusqu'à dire que «la Rente est une portion du revenu des consommateurs qui passe dans la poche du propriétaire.»

Ricardo:

«Une portion de la Rente est payée pour l'usage du capital qui a été employé à améliorer la qualité de la terre, élever des bâtisses, etc.; l'autre est donnée pour l'usage des puissances primitives et indestructibles du sol

Scrope:

«La valeur de la terre et la faculté d'en tirer une rente sont dues à deux circonstances: 1o à l'appropriation de ses puissances naturelles; 2o au travail appliqué à son amélioration. Sous le premier rapport, la Rente est un monopole. C'est une restriction à l'usufruit des dons que le Créateur a faits aux hommes pour leurs besoins. Cette restriction n'est juste qu'autant qu'elle est nécessaire pour le bien commun.»

Senior:

«Les instruments de la production sont le travail et les agents naturels. Les agents naturels ayant été appropriés, les propriétaires s'en font payer l'usage sous forme de rente, qui n'est la récompense d'aucun sacrifice quelconque, et est reçue par ceux qui n'ont ni travaillé ni fait des avances, mais qui se bornent à tendre la main pour recevoir les offrandes de la communauté.»

Après avoir dit qu'une partie de la Rente est l'intérêt du capital, Senior ajoute:

«Le surplus est prélevé par le propriétaire des agents naturels et forme sa récompense, non pour avoir travaillé ou épargné, mais simplement pour n'avoir pas gardé quand il pouvait garder, pour avoir permis que les dons de la nature fussent acceptés.»

Certes, au moment d'entrer en lutte avec des hommes qui proclament une doctrine spécieuse en elle-même, propre à faire naître des espérances et des sympathies parmi les classes souffrantes, et qui s'appuie sur de telles autorités, il ne suffit pas de fermer les yeux sur la gravité de la situation; il ne suffit pas de s'écrier dédaigneusement qu'on n'a devant soi que des rêveurs, des utopistes, des insensés, ou même des factieux; il faut étudier et résoudre la question une fois pour toutes. Elle vaut bien un moment d'ennui.

Je crois qu'elle sera résolue d'une manière satisfaisante pour tous, si je prouve que la propriété non-seulement laisse à ce qu'on nomme les prolétaires l'usufruit gratuit des agents naturels, mais encore décuple et centuple cet usufruit. J'ose espérer qu'il sortira de cette démonstration la claire vue de quelques harmonies propres à satisfaire l'intelligence et à apaiser les prétentions de toutes les écoles économistes, socialistes et même communistes88.

Deuxième lettre

Quelle inflexible puissance que celle de la Logique!

De rudes conquérants se partagent une île; ils vivent de Rentes dans le loisir et le faste, au milieu des vaincus laborieux et pauvres. Il y a donc, dit la Science, une autre source de valeurs que le travail.

Alors elle se met à décomposer la Rente et jette au monde cette théorie:

«La Rente, c'est, pour une partie, l'intérêt d'un capital dépensé. Pour une autre partie, c'est le monopole d'agents naturels usurpés et confisqués

Bientôt cette économie politique de l'école anglaise passe le détroit. La Logique socialiste s'en empare et dit aux travailleurs: Prenez garde! dans le prix du pain que vous mangez, il entre trois éléments. Il y a le travail du laboureur, vous le devez; il y a le travail du propriétaire, vous le devez; il y a le travail de la nature, vous ne le devez pas. Ce que l'on vous prend à ce titre, c'est un monopole, comme dit Scrope; c'est une taxe prélevée sur les dons que Dieu vous a faits, comme dit Senior.

La Science voit le danger de sa distinction. Elle ne la retire pas néanmoins, mais l'explique: «Dans le mécanisme social, il est vrai, dit-elle, que le rôle du propriétaire est commode, mais il est nécessaire. On travaille pour lui, et il paie avec la chaleur du soleil et la fraîcheur des rosées. Il faut en passer par là, sans quoi il n'y aurait pas de culture.»

«Qu'à cela ne tienne, répond la Logique, j'ai mille organisations en réserve pour effacer l'injustice, qui d'ailleurs n'est jamais nécessaire.»

Donc, grâce à un faux principe, ramassé dans l'école anglaise, la Logique bat en brèche la propriété foncière. S'arrêtera-t-elle là? Gardez-vous de le croire. Elle ne serait pas la Logique.

Comme elle a dit à l'agriculteur: La loi de la vie végétale ne peut être une propriété et donner un profit;

Elle dira au fabricant de drap: La loi de la gravitation ne peut être une propriété et donner un profit;

Au fabricant de toiles: La loi de l'élasticité des vapeurs ne peut être une propriété et donner un profit;

Au maître de forges: La loi de la combustion ne peut être une propriété et donner un profit;

Au marin: Les lois de l'hydrostatique ne peuvent être une propriété et donner un profit;

Au charpentier, au menuisier, au bûcheron: Vous vous servez de scies, de haches, de marteaux; vous faites concourir ainsi à votre œuvre la dureté des corps et la résistance des milieux. Ces lois appartiennent à tout le monde, et ne doivent pas donner lieu à un profit.

Oui, la Logique ira jusque-là, au risque de bouleverser la société entière; après avoir nié la Propriété foncière, elle niera la productivité du capital, toujours en se fondant sur cette donnée que le Propriétaire et le Capitaliste se font rétribuer pour l'usage des puissances naturelles. C'est pour cela qu'il importe de lui prouver qu'elle part d'un faux principe; qu'il n'est pas vrai que dans aucun art, dans aucun métier, dans aucune industrie, on se fasse payer les forces de la nature, et qu'à cet égard l'agriculture n'est pas privilégiée.

Il est des choses qui sont utiles sans que le travail intervienne: la terre, l'air, l'eau, la lumière et la chaleur du soleil; les matériaux et les forces que nous fournit la nature.

Il en est d'autres qui ne deviennent utiles que parce que le travail s'exerce sur ces matériaux et s'empare de ces forces.

L'utilité est donc due quelquefois à la nature seule, quelquefois au travail seul, presque toujours à l'activité combinée du travail et de la nature.

 

Que d'autres se perdent dans les définitions. Pour moi, j'entends par Utilité ce que tout le monde comprend par ce mot, dont l'étymologie marque très-exactement le sens. Tout ce qui sert, que ce soit de par la nature, de par le travail ou de par les deux, est Utile.

J'appelle Valeur cette portion seulement d'utilité que le travail communique ou ajoute aux choses, en sorte que deux choses se valent quand ceux qui les ont travaillées les échangent librement l'une contre l'autre. Voici mes motifs:

Qu'est-ce qui fait qu'un homme refuse un échange? c'est la connaissance qu'il a que la chose qu'on lui offre exigerait de lui moins de travail que celle qu'on lui demande. On aura beau lui dire: J'ai moins travaillé que vous, mais la gravitation m'a aidé, et je la mets en ligne de compte; il répondra: Je puis aussi me servir de la gravitation, avec un travail égal au vôtre.

Quand deux hommes sont isolés, s'ils travaillent, c'est pour se rendre service à eux-mêmes; que l'échange intervienne, chacun rend service à l'autre et en reçoit un service équivalent. Si l'un d'eux se fait aider par une puissance naturelle qui soit à la disposition de l'autre, cette puissance ne comptera pas dans le marché; le droit de refus s'y oppose.

Robinson chasse et Vendredi pêche. Il est clair que la quantité de poisson échangée contre du gibier sera déterminée par le travail. Si Robinson disait à Vendredi: «La nature prend plus de peine pour faire un oiseau que pour faire un poisson; donne-moi donc plus de ton travail que je ne t'en donne du mien, puisque je te cède, en compensation, un plus grand effort de la nature…» Vendredi ne manquerait pas de répondre: «Il ne t'est pas donnée, non plus qu'à moi, d'apprécier les efforts de la nature. Ce qu'il faut comparer, c'est ton travail au mien, et si tu veux établir nos relations sur ce pied que je devrai, d'une manière permanente, travailler plus que toi, je vais me mettre à chasser, et tu pêcheras si tu veux.»

On voit que la libéralité de la nature, dans cette hypothèse, ne peut devenir un monopole à moins de violence. On voit encore que si elle entre pour beaucoup dans l'utilité, elle n'entre pour rien dans la valeur.

J'ai signalé autrefois la métaphore comme un ennemi de l'économie politique, j'accuserai ici la métonymie du même méfait89.

Se sert-on d'un langage bien exact quand on dit: «L'eau vaut deux sous?»

On raconte qu'un célèbre astronome ne pouvait se décider à dire: Ah! le beau coucher du soleil! Même en présence des dames, il s'écriait, dans son étrange enthousiasme: Ah! le beau spectacle que celui de la rotation de la terre, quand les rayons du soleil la frappent par la tangente!

Cet astronome était exact et ridicule. Un économiste ne le serait pas moins qui dirait: Le travail qu'il faut faire pour aller chercher l'eau à la source vaut deux sous.

L'étrangeté de la périphrase n'en empêche pas l'exactitude.

En effet, l'eau ne vaut pas. Elle n'a pas de valeur, quoiqu'elle ait de l'utilité. Si nous avions tous et toujours une source à nos pieds, évidemment l'eau n'aurait aucune valeur, puisqu'elle ne pourrait donner lieu à aucun échange. Mais est-elle à un quart de lieue, il faut l'aller chercher, c'est un travail, et voilà l'origine de la valeur. Est-elle à une demi-lieue, c'est un travail double, et, partant, une valeur double, quoique l'utilité reste la même. L'eau est pour moi un don gratuit de la nature, à la condition de l'aller chercher. Si je le fais moi-même, je me rends un service moyennant une peine. Si j'en charge un autre, je lui donne une peine et lui dois un service. Ce sont deux peines, deux services à comparer, à débattre. Le don de la nature reste toujours gratuit. En vérité, il me semble que c'est dans le travail et non dans l'eau que réside la valeur, et qu'on fait une métonymie aussi bien quand on dit: L'eau vaut deux sous, que lorsqu'on dit: J'ai bu une bouteille.

L'air est un don gratuit de la nature, il n'a pas de valeur. Les économistes disent: Il n'a pas de valeur d'échange, mais il a de la valeur d'usage. Quelle langue! Eh! Messieurs, avez-vous pris à tâche de dégoûter de la science? Pourquoi ne pas dire tout simplement: Il n'a pas de valeur, mais il a de l'utilité? Il a de l'utilité parce qu'il sert. Il n'a pas de valeur parce que la nature a fait tout et le travail rien. Si le travail n'y est pour rien, personne n'a à cet égard de service à rendre, à recevoir ou à rémunérer. Il n'y a ni peine à prendre, ni échange à faire; il n'y a rien à comparer, il n'y a pas de valeur.

Mais entrez dans une cloche à plongeur et chargez un homme de vous envoyer de l'air par une pompe pendant deux heures; il prendra une peine, il vous rendra un service; vous aurez à vous acquitter. Est-ce l'air que vous paierez? Non, c'est le travail. Donc, est-ce l'air qui a acquis de la valeur? Parlez ainsi pour abréger, si vous voulez, mais n'oubliez pas que c'est une métonymie; que l'air reste gratuit; et qu'aucune intelligence humaine ne saurait lui assigner une valeur; que s'il en a une, c'est celle qui se mesure par la peine prise, comparée à la peine donnée en échange.

Un blanchisseur est obligé de faire sécher le linge dans un grand établissement par l'action du feu. Un autre se contente de l'exposer au soleil. Ce dernier prend moins de peine; il n'est ni ne peut être aussi exigeant. Il ne me fait donc pas payer la chaleur des rayons du soleil, et c'est moi consommateur qui en profite.

Ainsi la grande loi économique est celle-ci:

Les services s'échangent contre des services.

Do ut des; do ut facias; facio ut des; facio ut facias; fais ceci pour moi, et je ferai cela pour toi, c'est bien trivial, bien vulgaire; ce n'en est pas moins le commencement, le milieu et la fin de la science90.

Nous pouvons tirer de ces trois exemples cette conclusion générale: Le consommateur rémunère tous les services qu'on lui rend, toute la peine qu'on lui épargne, tous les travaux qu'il occasionne; mais il jouit, sans les payer, des dons gratuits de la nature et des puissances que le producteur a mises en œuvre.

Voilà trois hommes qui ont mis à ma disposition de l'air, de l'eau et de la chaleur, sans se rien faire payer que leur peine.

Qu'est-ce donc qui a pu faire croire que l'agriculteur, qui se sert aussi de l'air, de l'eau et de la chaleur, me fait payer la prétendue valeur intrinsèque de ces agents naturels? qu'il me porte en compte de l'utilité créée et de l'utilité non créée? que, par exemple, le prix du blé vendu à 18 fr. se décompose ainsi:


3 fr. pour l'air, la pluie, le soleil, la vie végétale, propriété illégitime?

Pourquoi tous les économistes de l'école anglaise croient-ils que ce dernier élément s'est furtivement introduit dans la valeur du blé?

84Elle parut dans le Journal des Débats, no du 24 juillet 1848. (Note de l'éditeur.)
85Voir le petit volume publié par M. Considérant sous ce titre: Théorie du Droit de propriété et du Droit au travail.
86M. Considérant n'est pas le seul qui la professe, témoin le passage suivant, extrait du Juif errant de M. Eugène Sue: «Mortification exprimerait mieux le manque complet de ces choses essentiellement vitales, qu'une société équitablement organisée devrait, oui, devrait forcément à tout travailleur actif et probe, puisque la civilisation l'a dépossédé de tout droit au sol, et qu'il naît avec ses bras pour seul patrimoine. «Le sauvage ne jouit pas des avantages de la civilisation, mais, du moins, il a pour se nourrir les animaux des forêts, les oiseaux de l'air, les poissons des rivières, les fruits de la terre; et, pour s'abriter et se chauffer, les arbres des grands bois. «Le civilisé, déshérité de ces dons de Dieu, le civilisé qui regarde la Propriété comme sainte et sacrée peut donc, en retour de son rude labeur quotidien qui enrichit le pays, peut donc demander un salaire suffisant pour vivre sainement, rien de plus, rien de moins.»
87Cette proposition se trouve plus amplement développée aux chapitres V et IX des Harmonies économiques, tome VI. (Note de l'éditeur.)
88Voy. à la fin de cet opuscule, la réclamation que provoqua cette première lettre, de la part de M. Considérant, et la réponse de F. Bastiat. (Note de l'éditeur.)
89Voy. le chap. de la Ire série des Sophismes. (Note de l'éditeur.)
90«Il ne suffit pas que la valeur ne soit pas dans la matière ou dans les forces naturelles. Il ne suffit pas qu'elle soit exclusivement dans les services. Il faut encore que les services eux-mêmes ne puissent pas avoir une valeur exagérée. Car qu'importe à un malheureux ouvrier de payer le blé cher, parce que le propriétaire se fait payer les puissances productives du sol ou bien se fait payer démesurément son intervention?» «C'est l'œuvre de la Concurrence d'égaliser les services sur le pied de la justice. Elle y travaille sans cesse.» (Pensée inédite de l'auteur.) Pour les développements sur la Valeur et la Concurrence, voy. les chap. V et X des Harmonies économiques, au tome VI. Voy., de plus, au présent volume, les exemples cités pag. et suiv. (Note de l'éditeur.)