Za darmo

Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Il aborde ensuite la question à l'ordre du jour, la distinction entre les deux sucres. Comme on devait s'y attendre, il déploie un grand luxe d'érudition biblique pour démontrer que le gouvernement n'a pas le droit d'imposer au consommateur une telle distinction; et malgré que tout semble avoir été dit par les précédents orateurs, M. Spencer ne laisse pas que d'opposer au projet du gouvernement une solide argumentation.

«Je suis convaincu, dit-il, que le maître que nous servons, notre Créateur, n'a pas entendu nous assujettir à examiner l'origine de toutes les choses dont nous nous servons. Ce livre (montrant le livre de prières) est fait avec du coton produit par le travail esclave. Dieu n'attend pas de nous que nous tremblions à chaque pas, et ne nous imputera pas à péché l'usage de tels objets. C'est pourquoi je pense que le gouvernement a tort de s'emparer de telles idées, momentanément dominantes dans le public, pour s'en faire des arguments de circonstance. Je ne doute pas que chacun des membres qui composent le cabinet a des idées plus justes; mais ils ne veulent pas froisser les sentiments de ceux qui pensent différemment. Il est à regretter que ce sentiment ait prévalu; il est à regretter qu'il existe dans l'esprit d'un grand nombre d'hommes honnêtes. Quand la pitié et la charité prennent dans l'esprit la place de la justice, il en résulte toutes sortes de méprises. Tout ce que je puis dire, c'est que la Bible ne sanctionne pas cette substitution de la charité à la justice. Elle dit: «Soyez justes,» et ensuite: «Aimez la pitié,» fondez toutes choses sur la vérité, sur l'honnêteté, sur la loyauté, sur l'équité; payez ce que vous devez; faites ce qui est bien, et ensuite, si vous en avez les moyens, montrez-vous généreux52. Et même encore la charité de la Bible n'est pas la charité moderne, – cette charité qui s'exerce aux dépens du public, – qui dit aux hommes: «Soyez bien vêtus, bien chauffés,» en ajoutant: «Adressez-vous à la paroisse;» non, la charité de la Bible est volontaire, et chacun la puise dans son cœur et dans sa bourse. (Applaudissements.) Je vous raconterai un acte de vraie charité dont j'ai eu hier connaissance. Un de mes amis me racontait qu'il voyageait dans une voiture publique, de compagnie avec un lord anglais, par une terrible nuit d'hiver. Il y avait sur la voiture la femme d'un soldat et son enfant exposés à une pluie battante et à un vent glacial. Le noble lord, dès qu'il apprit cette circonstance, et quoique le voyage fût long, établit la femme du soldat et son enfant dans sa bonne place de l'intérieur, et supporta pendant de longues heures les assauts d'une violente tempête. (Applaudissements.) Ce gentleman est un noble free-trader dont le nom est Radnor. (L'assemblée se lève en masse et applaudit à outrance.) – Le principe que je voulais établir devant vous est celui-ci: Quand la détresse règne dans le pays, il ne faut pas se contenter, selon le système moderne, de replâtrer, de corriger, de rapiécer, il faut aller à la source du mal et en détruire la cause.

Et ailleurs:

Je n'admets pas qu'on puisse revenir sans cesse sur une règle solidement établie. Si un homme, par exemple, après avoir examiné la Bible, s'est une fois assuré, par l'évidence intérieure et extérieure, que ses pages sont pures et authentiques, il ne peut être reçu à pointiller sur chaque expression particulière, et il doit adhérer à sa conclusion générale et primitive. (Écoutez! écoutez!) Chaque science prend pour reçus un certain nombre d'axiomes et de définitions. Euclide commence par les établir. Si vous les admettez à l'origine, vous devez les regarder comme établis pendant tout le cours de la démonstration. De même, sir Isaac Newton pose des axiomes et des propositions simples à l'entrée de son livre des Principes. Si nous les lui accordons une fois, il ne faut pas, plus tard, faire porter la discussion sur ce point. Il en est de même pour la liberté commerciale. Reconnaissons-nous que la liberté d'échanger est un des droits de l'homme; que chacun est admis à tirer pour lui-même le meilleur parti de ses forces dans le marché du monde; vous ne devez point ensuite dévier de ce principe à chaque occasion particulière. Vous ne pouvez plus dire au peuple: «Tu n'échangeras pas avec la Russie, parce que la conduite de son empereur envers les Polonais n'a pas notre approbation; tu n'échangeras pas avec tel peuple, parce qu'il est mahométan; avec tel autre, parce qu'il est idolâtre, et ne rend pas à Dieu le culte qui lui est dû.» Le peuple anglais n'est pas responsable de ces choses. Ma question est celle-ci: Sommes-nous tombés d'accord que la liberté des échanges est fondée sur la justice? Si cela est, adhérez virilement à ce que vous avez une fois approuvé, soyez conséquents et ne revenons pas sans cesse sur les fondements de cette croyance. (Applaudissements.)

Qu'il me soit permis de faire ici une réflexion. La question des sucres, telle qu'elle est posée en Angleterre, n'a pas pour le lecteur français un intérêt actuel. Nous n'en sommes pas à savoir si nous repousserons le sucre des Antilles comme portant la tache de l'esclavage. J'ai cru pourtant devoir citer quelques-uns des arguments qui se sont produits dans les meetings de la Ligue à ce sujet, et mon but a été principalement de faire connaître l'état de l'opinion publique en Angleterre. Nous autres Français, grâce à l'influence d'une presse périodique sans conscience, nous sommes imbus de l'idée que l'horreur de l'esclavage n'est point, chez les Anglais, un sentiment réel, mais un sentiment hypocrite, un sentiment de pure parade, mis en avant pour tromper les autres peuples et masquer les calculs profonds d'une politique machiavélique. Nous oublions que le peuple anglais est, plus que tout autre peuple, peut-être, sous l'influence des idées religieuses. Nous oublions que, pendant quarante ans, l'agitation abolitionniste a travaillé à susciter ce sentiment dans toutes les classes de la société. Mais comment croire que ce sentiment n'existe pas, quand nous le voyons mettre obstacle à la réalisation de la liberté commerciale, admise en principe par tous les hommes d'État éclairés du Royaume-Uni, quand nous voyons les chefs de la Ligue occupés, meeting après meeting, à en combattre l'exagération? À qui s'adressent tous ces discours, tous ces arguments, toutes ces démonstrations? Est-ce à nos journaux français qui ne s'occupent jamais de la Ligue et en ont à peine révélé l'existence? À qui fera-t-on croire que les monopoleurs, dans cette circonstance, se sont emparés, à leur profit, avec tant d'habileté, d'un sentiment public qui n'existe pas?

On peut faire la même réflexion sur l'agitation commerciale. Nos journaux n'en parlent jamais, ou, s'ils sont forcés par quelque circonstance impérieuse d'en dire un mot, c'est pour y chercher ce qu'ils appellent le machiavélisme britannique. À les entendre, on dirait que ces efforts presque surhumains, tous ces discours, tous ces meetings, toutes ces luttes parlementaires et électorales, n'ont absolument qu'un but: tromper la France, en imposer à la France, l'entraîner dans la voie de la liberté pour l'y laisser plus tard marcher toute seule. Mais, chose extraordinaire, la France ne s'occupe jamais de la Ligue, pas plus que la Ligue ne paraît s'occuper d'elle, et il faut avouer que, si l'agitation n'a que ce but hypocrite, elle s'enferre niaisement, car elle aboutit à faire opérer en Angleterre même ces réformes qu'on l'accuse de redouter, sans faire faire un pas à notre législation douanière.

Quand donc en finirons-nous avec ces puérilités? Quand le public français se fatiguera-t-il d'être traité par la Presse, par le Commerce, par le comité Mimerel, comme une dupe, comme un enfant crédule, toujours prêt à se blesser, à s'avilir lui-même, pourvu qu'on fasse retentir à ses oreilles ces grands mots: la France, la généreuse France; l'Angleterre, la perfide Angleterre? Non, ils ne sont pas Français ceux qui, par leurs sophismes, retiennent les Français dans une enfance perpétuelle; ils n'aiment pas véritablement la France, ceux qui l'exposent sciemment à la risée des nations et travaillent de tout leur pouvoir à abaisser notre niveau moral au plus bas degré de l'échelle sociale.

Que penserions-nous, si nous venions à apprendre que, pendant dix années, la presse et l'opposition espagnoles, profitant de ce que la langue française est peu répandue au delà des Pyrénées, ont travaillé et sont parvenues à persuader au peuple que tout ce qui se fait, tout ce qui se dit en France, a pour but de tromper, d'opprimer et d'exploiter l'Espagne? que nos débats sur l'adresse, sur les sucres, sur les fonds secrets, sur les réformes parlementaire et électorale, ne sont que des masques que nous empruntons pour cacher, à l'égard de l'Espagne, les plus perfides desseins? si, après avoir excité le sentiment national contre la France, les partis politiques s'en emparaient, comme d'une machine de guerre, pour battre en brèche tous les ministères? Nous dirions: Bons Espagnols, vous êtes des dupes. Nous ne nous occupons point de vous. Nous avons bien assez d'affaires. Tâchez d'arranger les vôtres, et croyez que tout un grand peuple n'agit pas, ne pense pas, ne vit pas, ne respire pas uniquement pour en tromper un autre. Faites rentrer vos journaux et vos hommes politiques dans une autre voie, si vous ne voulez être un objet de mépris et de pitié aux yeux de tous les peuples.

 

La question est toujours de savoir ce qui vaut le mieux, de la liberté ou de l'absence de liberté. Au moins ceux qui admettent que la liberté a des avantages doivent-ils admettre aussi que les Anglais la réclament de bonne foi; et n'est-ce point une chose monstrueuse et décourageante d'entendre nos libéraux mettre à la suite l'une de l'autre ces deux phrases contradictoires: La liberté est le fondement de la prospérité des peuples. – Les Anglais travaillent depuis vingt ans à conquérir la liberté, mais avec la perfide arrière-pensée de nous la faire adopter pour la répudier eux-mêmes l'instant d'après? – Se peut-il concevoir une absurdité plus exorbitante?

Nous terminerons le compte rendu de cette séance par le discours de M. Fox, dont nous ne traduisons que l'exorde et la péroraison.

M. W. J. Fox: La motion que l'honorable M. Ch. Pelham Villiers doit proposer mardi prochain, pour l'abrogation des lois-céréales, marque le terme d'une autre année de l'agitation de la Ligue. C'est le moment de constater les progrès de notre cause; et le résultat de cette motion fera connaître l'état de l'opinion du Parlement relativement à la liberté commerciale, comparée à ce qu'elle était l'année dernière. J'avoue que de ce côté je n'ai pas de grandes espérances. Le révérend ministre, qui m'a précédé à cette tribune, vous a fort à propos rappelé la prière qui se répète dans toute l'Angleterre pour la Chambre des communes. Mais avec quelque sincérité qu'elle soit offerte, je crains qu'elle ne soit à peu près aussi inefficace qu'une proposition qu'on faisait il y a quelques jours, dans un village agricole où les fermiers souffrent de cette sécheresse dont parlait M. Spencer. On invitait le curé à dire une prière pour demander la pluie. Il consulta un vieux fermier des environs et voulut savoir s'il acquiesçait à la requête de ses autres paroissiens: «Oh! monsieur le curé, dit le fermier, dans mon opinion, il est inutile de prier pour la pluie tant que le vent soufflera du nord-est.» (Rires.) Et pour moi, je crains que les prières de l'Église ne soient aussi inefficaces à amener l'établissement de la liberté commerciale sur les bases de la justice et de la vérité, par l'intervention de la Chambre des communes, tant que les vents régnants y souffleront des froides et dures régions du monopole. (Applaudissements.) J'attends peu de chose, dans une question qui s'agite entre une classe et le public, d'une assemblée fondée et élue par cette classe. Le mal est dans les organes vitaux, et il ne faut rien moins qu'une régénération du corps législatif pour que des millions de nos frères puissent espérer justice, sinon charité, de ceux qui se sont constitués les arbitres de nos destinées. Il y a d'ailleurs des symptômes propres à modérer notre attente sur le vote prochain du Parlement. Je ne serais pas surpris que nos forces parussent être diminuées depuis le dernier débat, et je ne me laisserai pas décourager par un tel phénomène; car il est à remarquer que toutes les fois que le parti whig a entrevu le pouvoir en perspective, des phrases et des expressions, que le progrès de cette controverse semblait avoir vieillies, ne manquent pas de se reproduire; et dans les récents événements parlementaires, il n'a pas plutôt aperçu la chance de supplanter le parti rival qu'on a vu la doctrine du droit fixe reparaître dans ses journaux. (Une voix: Ils ont le droit d'agir ainsi.) Sans doute, ils ont le droit d'agir ainsi; ils ont le droit de faire revivre le droit fixe comme vous avez le droit d'arracher un cadavre à la terre, si cette terre vous appartient. Mais vous n'avez pas le droit de jeter cette masse de corruption au milieu des vivants et de dire: Ceci est l'un de vous; il vient partager vos travaux et vos priviléges. (Applaudissements.) Il n'y a pas encore bien longtemps, qu'au grand jour de la discussion publique le droit fixe est mort, enseveli, corrompu et oublié pour toujours; et il ne reparaît sur la scène que parce qu'un certain parti parlementaire croit avoir amélioré sa position et s'être ouvert une brèche vers le pouvoir. Mais au droit fixe comme à l'échelle mobile, la Ligue déclare une guerre éternelle. (Écoutez!) L'intégrité de notre principe répugne à l'un comme à l'autre. Nous ne transigerons jamais avec une taxe sur le pain, quel qu'en soit le mode, et nous les repousserons tous les deux, comme des obstacles divers qui viennent s'interposer entre les dons de la Providence et le bien-être de l'humanité…

À propos des crises ministérielles que venaient d'occasionner coup sur coup la loi sur les sucres et le bill des dix heures, l'orateur s'écrie:

Des symptômes de nos progrès se révèlent dans la condition actuelle des partis qui nous sont hostiles. Où est cette phalange serrée qui se leva contre nous il y a deux ans? Où est cette puissance qui, aux élections de 1841, balayait tout devant elle comme un tourbillon? Divisée sur toutes les questions qui surgissent, tourmentée par une guerre intestine à propos d'un évêché dans le pays de Galles, à propos des chapelles des dissidents, à propos de la loi des pauvres, de celle du travail dans les manufactures, la voilà encore livrée à l'anarchie au sujet de la loi des sucres. (Applaudissements.) Les voilà! Église orthodoxe contre Église modérée; vieux Torys contre conservateurs modernes; vieille Angleterre contre jeune Angleterre. – Voilà la grande majorité dont sir Robert Peel a mis dix ans à amalgamer les ingrédients. (Rires et applaudissements.) L'état présent de la Chambre des communes est une haute leçon de moralité pour les hommes d'État à venir. Elle les avertit de la vanité des efforts qu'ils pourraient tenter pour former un parti sans un principe, ou, ce qui ne vaut guère mieux, avec une douzaine de principes antipathiques. Quand il était dans l'opposition, sir Robert Peel courtisait tous les partis, évitant, avec une dextérité merveilleuse, de se commettre avec aucun. Il leur donnait à entendre – confidentiellement sans doute – que la coalition tournerait à leur avantage. Il ne s'agissait que de déplacer les Whigs. Tout le reste devait s'ensuivre. Enfin la coalition a réussi; et voilà qu'elle montre le très-honorable baronnet dans la plus piteuse situation où se soit jamais trouvé, à ma connaissance, un premier ministre d'Angleterre. Accepté seulement à cause de sa dextérité, nécessaire à tous, méprisé de tous, contrarié par tous, il est l'objet de récriminations unanimes, et les reproches dont il est assailli de toutes parts se résument cependant avec une écrasante uniformité par le mot: «Trahison…»

C'était hier l'anniversaire de la bataille de Waterloo. Les guerriers qui triomphèrent dans cette terrible journée se reposent à l'ombre de leurs lauriers. Plusieurs d'entre eux occupent des positions élevées, et je désirerais que cette occasion leur suggérât l'idée de rechercher quelles furent les causes qui avaient affaibli la puissance sociale de Napoléon, longtemps avant que sa force militaire reçût un dernier coup sur le champ de Waterloo. Pour les trouver, je crois que, remontant le cours des événements, nous devrions revenir jusqu'au décret de Berlin qui déclara le blocus des îles Britanniques53. Les lois naturelles du commerce, on l'a dit avec raison, le brisèrent comme un roseau. L'opinion s'était retirée de lui, sa politique avait perdu en Europe tout respect et toute confiance avant le prodigieux revers que ses armes subirent le 18 juin. Lui-même s'était porté le premier coup par les proclamations antisociales auxquelles je fais allusion. Eh bien! que ces guerriers, qui renversèrent alors le blocus de la Grande-Bretagne, y songent bien avant de s'unir à une classe qui s'efforce de la soumettre à un autre blocus. (Écoutez!) La loi-céréale, c'est un blocus. Elle éloigne de nos rivages les navires étrangers; elle nous sépare de nos aliments; elle nous traite en peuple assiégé; elle nous enveloppe comme pour nous chasser du pays par la famine. Le blocus que rompit le duc de Wellington ne portait pas les caractères essentiels d'un blocus plus que celui que nous impose le monopole; seulement le premier prétendait se justifier par une grande politique nationale, et le second ne s'appuie que sur les misérables intérêts d'une classe. Il ne s'agit plus de l'empire du monde, mais d'une question de revenus privés. (Applaudissements.) Ce n'est plus la lutte des rois contre les nations; il n'y a d'engagés que les intérêts des oisifs propriétaires du sol, et c'est pour cela qu'ils font la guerre, et c'est pour cela qu'ils renferment dans leur blocus les multitudes industrieuses et laborieuses de la Grande-Bretagne. (Applaudissements.) Le système du monopole est aussi antinational que la politique commerciale de Napoléon était hostile aux vrais intérêts de l'Europe, et il doit s'écrouler comme elle. Il n'est pas de puissance, quels que soient ses succès passagers, qui puisse maintenir le monopole. Ce blocus nouveau aura aussi sa défaite de Waterloo, et la législation monopoliste son rocher de Sainte-Hélène, par delà les limites du monde civilisé. (Acclamations prolongées.) J'ai la confiance que les guerriers qui s'assemblèrent hier, contents de leurs triomphes passés, se réjouissent dans leur cœur de ce que l'occasion ne s'est plus offerte à eux de conquérir de nouveaux lauriers, et de ce que la paix n'a pas été rompue. Oh! puisse-t-elle durer toujours! (Écoutez! écoutez!) Mais, soit qu'il faille assigner la cessation de l'état de guerre à l'épuisement des ressources des nations, ce qui y est sans doute pour beaucoup, – ou au progrès de l'opinion, – et j'espère qu'elle n'y a pas été sans influence – (j'entends cette opinion qui repousse le recours aux armes dans les questions internationales, qui, avec de la bonne foi et de la tolérance, peuvent être amiablement arrangées); – quelles que soient ces causes, ou dans quelques proportions qu'elles se combinent, les principes qui sont antipathiques à la guerre sont également antipathiques au monopole. Si les nations ne peuvent plus combattre parce qu'elles sont épuisées, certainement, par le même motif, elles ne peuvent plus supporter le poids du monopole. – Si l'opinion s'est élevée contre les luttes de nation à nation, l'opinion se prononce aussi contre les luttes de classe à classe, et spécialement s'il s'agit pour les riches et les puissants de s'attribuer une part dans la rémunération des classes pauvres et laborieuses. (Applaudissements.) L'action de ces causes détruira, j'espère, l'un de ces fléaux comme elle a détruit l'autre. Leurs caractères sont les mêmes. Si la guerre appauvrit la société, si elle renverse le négociant des hauteurs de la fortune, si elle dissipe les ressources des nations, et si elle enfonce le pauvre dans une pauvreté de plus en plus profonde, le monopole reproduit les mêmes scènes et exerce la même influence. Si la guerre dévaste la face de la nature, change les cités en ruines, et transforme en déserts les champs que couvraient les moissons mouvantes, quelle est aussi la tendance du monopole, si ce n'est de faire pousser l'herbe dans les rues des cités autrefois populeuses, et de rendre solitaires et vides des provinces entières, qui, par la liberté des échanges, eussent préparé une abondante nourriture pour des milliers d'hommes laborieux, vivant sous d'autres cieux et dans des conditions différentes? Si la guerre tue, si elle imbibe de sang humain le champ du carnage, le monopole aussi détruit des milliers d'existences, et cela après une lente agonie plus douloureuse cent fois que le boulet et la pointe de l'épée. Si la guerre démoralise et prépare pour les temps de paix les recrues du cachot, le monopole ouvre aussi toutes les sources du crime, le propage dans tous les rangs de la société, et dirige sur le crime et la violence la vengeance et le glaive de la loi. (Applaudissements.) Semblables par les maux qu'ils engendrent, minés par l'action des mêmes causes, condamnés pour la criminalité qui est en eux, par la même loi morale, je m'en remets au même plan providentiel de leur complète destruction. (Applaudissements enthousiastes.)

Nous ne pouvons pas nous dissimuler que l'esprit de parti, cette rouille des États constitutionnels, fait en France, comme en Angleterre, comme en Espagne, d'épouvantables ravages. Grâce à lui, les questions les plus vitales, les questions dont dépendent le bien-être national, la paix des nations et le repos du monde, ne sont pas envisagées dans leurs conséquences et considérées en elles-mêmes, mais seulement dans leur rapport avec le triomphe d'un nom propre. La presse, la tribune, et enfin l'opinion publique, y cherchent des moyens de déplacer le pouvoir, de le faire passer d'une main dans une autre. Sous ce rapport, l'apparition au Parlement britannique d'un petit nombre d'hommes résolus à n'avoir en vue, dans chaque question, que l'intérêt public qui y est impliqué, est un fait d'une grande importance et d'une haute moralité. Le jour où un député français prendra cette position à la Chambre, s'il sait la maintenir avec courage et talent, ce jour-là sera l'aurore d'une résolution profonde dans nos mœurs et dans nos idées; car, il n'est pas possible que cet homme ne rallie à lui l'assentiment et la sympathie de tous les amis de la justice, de la patrie et de l'humanité. Pleins de cette idée, nous espérons ne pas fatiguer inutilement le public en traduisant ici l'opinion d'un des organes de la presse anglaise, sur le rôle qu'ont joué les free-traders dans la question des sucres.

 

«Ce qu'il s'agissait de démêler, c'était de savoir laquelle des deux propositions, celle de R. Peel et celle de M. Miles, s'approchait pratiquement le plus des principes de la liberté commerciale. Et cette question, M. Miles la résolvait lui-même en fondant son amendement sur ce que le plan ministériel n'accordait pas une suffisante protection au monopole des planteurs des Antilles. Dépouillée de ses artifices technologiques, elle était calculée pour accroître la protection en faveur du sucre colonial, et nous ne pouvons pas comprendre comment une pareille mesure aurait pu, sans inconséquence, recevoir l'appui de gens qui font profession de dénoncer toute protection comme injuste, et tout monopole comme funeste.»

«On dit que, selon les règles de moralité à l'usage des partis, le principe abstrait aurait dû céder devant les nécessités d'une manœuvre, et que la proposition de M. Miles aurait dû être soutenue, afin que sir R. Peel, perdant la majorité, fût forcé de résigner le pouvoir; on fait entendre que, dans la crise ministérielle, les free-traders auraient sans doute obtenu des avantages qu'on ne spécifie pas. Eh bien, même sur ce terrain abject des expédients, et mettant de côté toute considération de principe, nous sommes convaincus qu'en votant avec sir R. Peel, les free-traders ont adopté la ligne de conduite non-seulement la plus juste, mais encore la plus prudente qu'ils pussent choisir dans la circonstance. Il est bien clair qu'une majorité contre sir Robert Peel ne pouvait être obtenue que par la coalition des partis. Mais voyons avec qui les free-traders se seraient coalisés. Il suffit de jeter les yeux sur la liste des membres qui ont voté avec M. Miles, pour s'assurer qu'elle présente les noms des plus fanatiques monopoleurs de l'empire, des plus désespérés adhérents au vieux système de priviléges en faveur du sucre et des céréales, tels qu'ils existaient dans les plus beaux jours des bourgs-pourris; gens qui n'ont rien oublié ni rien appris, pour qui le flot du temps coule en vain, et dont les vœux non dissimulés sont le retour des vieux abus et la restauration de la corruption électorale. – Quel principe commun unit ces hommes aux free-traders? Absolument aucun. Leur concours fortuit n'eût donc été qu'une coalition en dehors des principes, et l'histoire d'Angleterre a été écrite en vain, si elle ne nous apprend pas que de telles coalitions ont toujours été funestes au pays. C'est là qu'a toujours été la pierre d'achoppement des Whigs, et la raison qui explique pourquoi les hommes d'État de ce parti n'ont jamais inspiré à l'opinion publique une pleine confiance dans l'honnêteté et la droiture de leur politique. La fameuse coalition de M. Fox avec lord North, qu'il avait si souvent dépeint comme quelque chose de pis qu'un démon incarné, fit reculer de plus d'un demi-siècle la cause de la réforme en Angleterre, et permit à notre oligarchie de nous plonger dans une guerre contre la France, dont les conséquences pèseront encore sur bien des générations futures. Dans le débat auquel donna lieu le traité de commerce avec la France, en février 1787, on vit M. Fox plaider formellement l'exclusion des produits français de nos marchés, se fondant sur ce que les Français étaient «nos ennemis naturels,» et qu'il fallait par conséquent éviter tout rapprochement commercial ou politique entre les deux nations. En se faisant, dans des vues spéciales et temporaires, le héraut de ce vieux préjugé, M. Fox rendit d'avance complétement inefficaces tous les efforts qu'il devait faire plus tard pour empêcher la guerre contre la France. De même, l'adoption temporaire de la bannière de la protection par les chefs des Whigs dans la question des sucres, les eût forcés, le jour où ils seraient arrivés aux affaires, à se mettre en état d'hostilité contre la liberté du commerce. – La récente coalition de lord John Russell avec lord Ashley, dont, pendant qu'il était au pouvoir, il avait traité les propositions de toute la hauteur de son mépris54, est un autre exemple du danger de subordonner les principes au triomphe réel ou imaginaire d'une manœuvre de parti; et s'il rentre au pouvoir, il s'apercevra qu'il s'est préparé une série d'embarras auxquels il ne pourra échapper qu'aux dépens de sa dignité. – Pour ne parler que du cabinet actuel, chacun sait que les plus grandes difficultés que rencontre l'administration de sir R. Peel proviennent des encouragements pleins de partialité qu'il donna aux démonstrations de lord Sandon, des calomnies prodiguées au clergé d'Irlande, des appels faits aux préjugés nationaux contre le peuple irlandais, et de l'acquiescement plus qu'implicite par lequel il seconda les clameurs des classes privilégiées contre les réformes commerciales, proposées par les Whigs en 1841. On dit proverbialement: «C'est l'opposition Peel qui tue le ministère Peel.» Avec de tels exemples sous les yeux, les free-traders se seraient montrés incapables de profiter des leçons de l'histoire et de l'expérience, s'ils fussent entrés dans une coalition immorale avec les fanatiques du monopole, dans le seul but de fomenter le désordre d'une crise ministérielle.»

«Les chefs des Whigs viennent de se coaliser, dans deux occasions récentes, avec les exaltés du parti opposé, pour renverser le ministère. Mais leur influence morale dans le pays y a-t-elle gagné? Bien au contraire, et ils se sont placés eux-mêmes dans cette situation que la victoire eût amené leur ruine, et qu'ils ont trouvé leur salut dans la défaite. S'ils avaient renversé le gouvernement à l'occasion du bill de lord Ashley, ils étaient réduits à se présenter devant le pays sous l'engagement d'imposer des restrictions à la liberté du travail. Vainqueurs avec M. Miles, ils étaient également engagés à imposer des restrictions à la liberté du commerce. On a dit que la Ligue avait sauvé sir R. Peel; mais on peut affirmer avec plus de raison qu'elle a affranchi le parti libéral de la honte de paraître en face de la nation, portant empreints sur son front les mots «restriction et monopole». Mais, après tout, ce sont là des conséquences de votes whigs ou torys, avec lesquelles les free-traders n'ont rien à démêler. Ils ont exposé et soutenu leurs principes, sans égard à aucune considération prise de l'esprit de parti; ils n'ont reculé devant aucun engagement; ils n'ont parlementé avec aucun monopole; ils n'ont abandonné aucun principe; ils ont adhéré simplement et pleinement à la vérité, refusant de transiger avec l'erreur. Quand viendra le jour de la justice, comme il viendra certainement, ils n'auront pas à payer la dette du déshonneur, et ne seront pas réduits à sacrifier, en tout ou en partie, l'intérêt national, pour racheter des antécédents factieux.»

On pourra soupçonner ce jugement de partialité, comme émané de la Ligue elle-même. Mais nous pourrions prouver ici, en invoquant le témoignage de la presse provinciale d'Angleterre, que l'opinion publique, un moment incertaine, a fini par sanctionner la conduite des free-traders. On comprend qu'au delà, comme en deçà du détroit, les journaux de la capitale doivent être beaucoup plus engagés dans les manœuvres des partis. Aussi vit-on le Morning-Chronicle, qui d'ordinaire soutient la Ligue, s'élever avec indignation contre M. Cobden et ses adhérents. D'après ce journal, les free-traders auraient dû considérer «qu'il ne s'agissait plus d'un droit sur le sucre un peu plus ou un peu moins élevé, mais de choisir entre sir Robert Peel et son échelle mobile d'un côté et lord John Russell et le droit fixe de l'autre, – et qui sait? peut-être entre sir Robert Peel et lord Spencer avec l'abolition totale

52À l'époque où ce discours fut prononcé, le parti qui soutenait le monopole des céréales et la cherté du pain proposait une foule de plans philanthropiques pour le soulagement du peuple.
53M. Fox aurait pu s'étayer ici de l'opinion de Napoléon lui-même. En parlant du décret de Berlin, il dit: «La lutte n'est devenue périlleuse que depuis lors. J'en reçus l'impression en signant le décret. Je soupçonnai qu'il n'y aurait plus de repos pour moi et que ma vie se passerait à combattre des résistances.» (Note du traducteur.)
54On sait que la motion de lord Ashley consiste à limiter à dix heures le travail des manufactures, et que sir Robert Peel, qui s'y oppose, en fait une question de cabinet.