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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2

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68. – PETITES AFFICHES DE JACQUES BONHOMME 108

12 Mars 1848.

I

SOULAGEMENT IMMÉDIAT DU PEUPLE

Peuple,

On te dit: «Tu n'as pas assez pour vivre; que l'État y ajoute ce qui manque.» Qui ne le voudrait, si c'était possible?

Mais, hélas! la caisse du percepteur n'est pas l'urne de Cana.

Quand Notre-Seigneur mettait un litre de vin dans cette urne, il en sortait deux; mais quand tu mets cent sous dans la caisse du buraliste, il n'en sort pas dix francs; il n'en sort pas même cent sous, car le buraliste en garde quelques-uns pour lui.

Comment donc ce procédé augmenterait-il ton travail ou ton salaire?

Ce qu'on te conseille se réduit a ceci: Tu donneras cinq francs à l'État contre rien, et l'État te donnera quatre francs contre ton travail. Marché de dupe.

Peuple, comment l'État pourra-t-il te faire vivre, puisque c'est toi qui fais vivre l'État?

Voici le mécanisme des ateliers de charité réduits en système109:

L'État te prend six pains, il en mange deux, et exige ton travail pour t'en rendre quatre. Si, maintenant, tu lui demandes huit pains, il ne peut faire autre chose que ceci: t'en prendre douze, en manger quatre, et te faire gagner le reste.

Peuple, sois plus avisé; fais comme les républicains d'Amérique: donne à l'État le strict nécessaire et garde le reste pour toi.

Demande la suppression des fonctions inutiles, la réduction des gros traitements, l'abolition des priviléges, monopoles et entraves, la simplification des rouages administratifs.

Au moyen de ces économies, exige la suppression de l'octroi, celle de l'impôt du sel, celle de la taxe sur les bestiaux et sur le blé.

Ainsi la vie sera à meilleur marché, et, étant à meilleur marché, chacun aura un petit reliquat sur son salaire actuel; – et au moyen de ce petit reliquat multiplié par trente-six millions d'habitants, chacun pourra aborder et payer une consommation nouvelle; – et chacun consommant un peu plus, nous nous procurerons tous un peu plus de travail les uns aux autres; – et puisque le travail sera plus demandé dans le pays, les salaires hausseront; – et alors, peuple, tu auras résolu le problème: gagner plus de sous et obtenir plus de choses pour chaque sou.

Ce n'est pas si brillant que la prétendue urne de Cana du Luxembourg, mais c'est sûr, solide, praticable, immédiat et juste.

II

FUNESTE REMÈDE

Quand notre frère souffre, il faut le soulager.

Mais ce n'est pas la bonté de l'intention qui fait la bonté de la potion. On peut très-charitablement donner un remède qui tue.

Un pauvre ouvrier était malade; le docteur arrive, lui tâte le pouls, lui fait tirer la langue et lui dit: Brave homme, vous n'êtes pas assez nourri. – Je le crois, dit le moribond; j'avais pourtant un vieux médecin fort habile. Il me donnait les trois quarts d'un pain tous les soirs. Il est vrai qu'il m'avait pris le pain tout entier le matin, et en avait gardé le quart pour ses honoraires. Je l'ai chassé, voyant que ce régime ne me guérissait pas. – L'ami, mon confrère était un ignorant intéressé. Il ne voyait pas que votre sang est appauvri. Il faut réorganiser cela. Je vais vous introduire du sang nouveau dans le bras gauche; pour cela il faudra que je vous le tire du bras droit. Mais pourvu que vous ne teniez aucun compte ni du sang qui sortira du bras droit ni de celui qui se perdra dans l'opération vous trouverez ma recette admirable.

Voilà où nous en sommes. L'État dit au peuple: «Tu n'as pas assez de pain, je vais t'en donner. Mais comme je n'en fais pas, je commencerai par te le prendre, et, après avoir satisfait mon appétit, qui n'est pas petit, je te ferai gagner le reste.»

Ou bien: «Tu n'as pas assez de salaires, paye-moi plus d'impôts. J'en distribuerai une partie à mes agents, et avec le surplus, je te ferai travailler.»

Et si le peuple, n'ayant des yeux que pour le pain qu'on lui donne, perd de vue celui qu'on lui prend; si, voyant le petit salaire que la taxe lui procure, il ne voit pas le gros salaire qu'elle lui ôte, on peut prédire que sa maladie s'aggravera.

69. – CIRCULAIRES D'UN MINISTÈRE INTROUVABLE

19 Mars 1848.

Le ministre de l'intérieur à MM. les commissaires du gouvernement, préfets, maires, etc.

Les élections approchent; vous désirez que je vous indique la ligne de conduite que vous avez à tenir; la voici: Comme citoyens, je n'ai rien à vous prescrire, si ce n'est de puiser vos inspirations dans votre conscience et dans l'amour du bien public. Comme fonctionnaires, respectez et faites respecter les libertés des citoyens.

Nous interrogeons le pays. Ce n'est pas pour lui arracher, par l'intimidation ou la ruse, une réponse mensongère. Si l'Assemblée nationale a des vues conformes aux nôtres, nous gouvernerons, grâce à cette union, avec une autorité immense. Si elle ne pense pas comme nous, il ne nous restera qu'à nous retirer et nous efforcer de la ramener à nous par une discussion loyale. L'expérience nous avertit de ce qu'il en coûte de vouloir gouverner avec des majorités factices.

Le ministre du commerce aux négociants de la République

Citoyens,

Mes prédécesseurs ont fait ou ont eu l'air de faire de grands efforts pour vous procurer des affaires. Ils s'y sont pris de toutes façons, sans autres résultats que celui-ci: aggraver les charges de la nation et nous créer des obstacles. Tantôt ils forçaient les exportations par des primes; tantôt ils gênaient les importations par des entraves. Il leur est arrivé souvent de s'entendre avec leurs collègues de la marine et de la guerre pour s'emparer d'une petite île perdue dans l'Océan, et quand, après force emprunts et batailles, on avait réussi, on vous donnait, comme Français, le privilége exclusif de trafiquer avec la petite île, à la condition de ne plus trafiquer avec le reste du monde.

Tous ces tâtonnements ont conduit à reconnaître la vérité de cette règle, dans laquelle se confondent et votre intérêt propre, et l'intérêt national, et l'intérêt de l'humanité: acheter et vendre là où on peut le faire avec le plus d'avantage.

Or, comme c'est là ce que vous faites naturellement sans que je m'en mêle, je suis réduit à avouer, que mes fonctions sont plus qu'inutiles; je ne suis pas même la mouche du coche.

C'est pourquoi je vous donne avis que mon ministère est supprimé. La République supprime en même temps toutes les entraves dans lesquelles mes prédécesseurs vous ont enlacés, et tous les impôts qu'il faut bien faire payer au peuple pour mettre ces entraves en action. Je vous prie de me pardonner le tort que je vous ai fait; et pour me prouver que vous n'avez pas de rancune, j'espère que l'un d'entre vous voudra bien m'admettre comme commis dans ses bureaux, afin que j'apprenne le commerce, pour lequel mon court passage au ministère m'a donné du goût.

Le ministre de l'agriculture aux agriculteurs

Citoyens,

Un heureux hasard m'a suggéré une pensée qui ne s'était jamais présentée à l'esprit de mes prédécesseurs; c'est que vous appartenez comme moi à l'espèce humaine. Vous avez une intelligence pour vous en servir, et, de plus, cette source véritable de tous progrès, le désir d'améliorer votre condition.

Partant de là, je me demande à quoi je puis vous servir. Vous enseignerai-je l'agriculture? Mais il est probable que vous la savez mieux que moi. Vous inspirerai-je le désir de substituer les bonnes pratiques aux mauvaises? Mais ce désir est en vous au moins autant qu'en moi. Votre intérêt le fait naître, et je ne vois pas comment mes circulaires pourraient parler à vos oreilles plus haut que votre propre intérêt.

Le prix des choses vous est connu. Vous avez donc une règle qui vous indique ce qu'il vaut mieux produire ou ne produire pas. Mon prédécesseur voulait vous procurer du travail manufacturier pour occuper vos jours de chômage. Vous pourriez, disait-il, vous livrer à ce travail avec avantage pour vous et pour le consommateur. Mais de deux choses l'une: ou cela est vrai, et alors qu'est-il besoin d'un ministère pour vous signaler un travail lucratif à votre portée? Vous le découvrirez bien vous-mêmes, si vous n'êtes pas d'une race inférieure frappée d'idiotisme; hypothèse sur laquelle est basé mon ministère et que je n'admets pas. Ou cela n'est pas vrai; en ce cas, combien ne serait-il pas dommageable que le ministre imposât un travail stérile à tous les agriculteurs de France, par mesure administrative!

Jusqu'ici, mes collaborateurs et moi nous sommes donné beaucoup de mouvement sans aucun résultat, si ce n'est de vous faire payer des taxes, car notez bien qu'à chacun de nos mouvements répond une taxe. Cette circulaire même n'est pas gratuite. Ce sera la dernière. Désormais, pour faire prospérer l'agriculture, comptez sur vos efforts et non sur ceux de mes bureaucrates; tournez vos yeux sur vos champs et non sur un hôtel de la rue de Grenelle.

 
Le ministre des cultes aux ministres de la religion

Citoyens,

Cette lettre a pour objet de prendre congé de vous. La liberté des cultes est proclamée. Vous n'aurez affaire désormais, comme tous les citoyens, qu'au ministre de la justice. Je veux dire que si, ce que je suis loin de prévoir, vous usez de votre liberté de manière à blesser la liberté d'autrui, troubler l'ordre, ou choquer l'honnêteté, vous rencontrerez infailliblement la répression légale, à laquelle nul ne doit être soustrait. Hors de là, vous agirez comme vous l'entendrez, et cela étant, je ne vois pas en quoi je puis vous être utile. Moi et toute la vaste administration que je dirige, nous devenons un fardeau pour le public. Ce n'est pas assez dire; car à quoi pourrions-nous occuper notre temps sans porter atteinte à la liberté de conscience? Évidemment, tout fonctionnaire qui ne fait pas une chose utile, en fait une nuisible par cela seul qu'il agit. En nous retirant, nous remplissons donc deux conditions du programme républicain: économie, liberté.

Le Secrétaire du ministère introuvable,
F. B.

70. – FUNESTES ILLUSIONS

Journal des Économistes, mars 1848.
Les citoyens font vivre l'État
L'État ne peut faire vivre les citoyens

Il m'est quelquefois arrivé de combattre le Privilége par la plaisanterie. C'était, ce me semble, bien excusable. Quand quelques-uns veulent vivre aux dépens de tous, il est bien permis d'infliger la piqûre du ridicule au petit nombre qui exploite et à la masse exploitée.

Aujourd'hui, je me trouve en face d'une autre illusion. Il ne s'agit plus de priviléges particuliers, il s'agit de transformer le privilége en droit commun. La nation tout entière a conçu l'idée étrange qu'elle pouvait accroître indéfiniment la substance de sa vie, en la livrant à l'État sous forme d'impôts, afin que l'État la lui rende en partie sous forme de travail, de profits et de salaires. On demande que l'État assure le bien-être à tous les citoyens; et une longue et triste procession, où tous les ordres de travailleurs sont représentés, depuis le roide banquier jusqu'à l'humble blanchisseuse, défile devant le grand organisateur pour solliciter une assistance pécuniaire.

Je me tairais s'il n'était question que de mesures provisoires, nécessitées et en quelque sorte justifiées par la commotion de la grande révolution que nous venons d'accomplir; mais ce qu'on réclame, ce ne sont pas des remèdes exceptionnels, c'est l'application d'un système. Oubliant que la bourse des citoyens alimente celle de l'État, on veut que la bourse de l'État alimente celle des citoyens.

Ah! ce n'est pas avec l'ironie et le sarcasme que je m'efforcerai de dissiper cette funeste illusion; car, à mes yeux du moins, elle jette un voile sombre sur l'avenir; et c'est là, je le crains bien, l'écueil de notre chère République.

D'ailleurs, comment avoir le courage de s'en prendre au peuple, s'il ignore ce qu'on lui a toujours défendu d'apprendre, s'il nourrit dans son cœur des espérances chimériques qu'on s'est appliqué à y faire naître?

Que faisaient naguère et que font encore les puissants du siècle, les grands propriétaires, les grands manufacturiers? Ils demandaient à la loi des suppléments de profits, au détriment de la masse. Est-il surprenant que la masse, aujourd'hui en position de faire la loi, lui demande aussi un supplément de salaires? Mais, hélas! il n'y a pas au-dessous d'elle une autre masse d'où cette source de subventions puisse jaillir. Le regard attaché sur le pouvoir, les industriels s'étaient transformés en solliciteurs. Faites-moi vendre mieux mon blé! faites-moi tirer un meilleur parti de ma viande! Élevez artificiellement le prix de mon fer, de mon drap, de ma houille! Tels étaient les cris qui assourdissaient la Chambre privilégiée. Est-il surprenant que le peuple victorieux se fasse solliciteur à son tour! Mais, hélas! si la loi peut, à la rigueur, faire des largesses à quelques privilégiés, aux dépens de la nation, comment concevoir qu'elle fasse des largesses à la nation tout entière?

Quel exemple donne en ce moment même la classe moyenne? On la voit obséder le gouvernement provisoire et se jeter sur le budget comme sur une proie. Est-il surprenant que le peuple manifeste aussi l'ambition bien humble de vivre au moins en travaillant?

Que disaient sans cesse les gouvernants? À la moindre lueur de prospérité, ils s'en attribuaient sans façon tout le mérite; ils ne parlaient pas des vertus populaires qui en sont la base, de l'activité, de l'ordre, de l'économie des travailleurs. Non, cette prospérité, d'ailleurs fort douteuse, ils s'en disaient les auteurs. Il n'y a pas encore deux mois que j'entendais le ministre du commerce dire: «Grâce à l'intervention active du gouvernement, grâce à la sagesse du roi, grâce au patronage des sciences, toutes les classes industrielles sont florissantes.» Faut-il s'étonner que le peuple ait fini par croire que le bien-être lui venait d'en haut comme une manne céleste, et qu'il tourne maintenant ses regards vers les régions du pouvoir? Quand on s'attribue le mérite de tout le bien qui arrive, on encourt la responsabilité de tout le mal qui survient.

Ceci me rappelle un curé de notre pays. Pendant les premières années de sa résidence, il ne tomba pas de grêle dans la commune; et il était parvenu à persuader aux bons villageois que ses prières avaient l'infaillible vertu de chasser les orages. Cela fut bien tant qu'il ne grêla pas; mais, à la première apparition du fléau, il fut chassé de la paroisse. On lui disait: C'est donc par mauvaise volonté que vous avez permis à la tempête de nous frapper?

La République s'est inaugurée par une semblable déception. Elle a jeté cette parole au peuple, si bien préparé d'ailleurs à la recevoir: «Je garantis le bien-être à tous les citoyens.» Et puisse cette parole ne pas attirer des tempêtes sur notre patrie!

Le peuple de Paris s'est acquis une gloire éternelle par son courage.

Il a excité l'admiration du monde entier par son amour pour l'ordre public, son respect pour tous les droits et toutes les propriétés.

Il lui reste à accomplir une tâche bien autrement difficile, il lui reste à repousser de ses lèvres la coupe empoisonnée qu'on lui présente. Je le dis avec conviction, tout l'avenir de la République repose aujourd'hui sur son bon sens. Il n'est plus question de la droiture de ses intentions, personne ne peut les méconnaître; il s'agit de la droiture de ses instincts. La glorieuse révolution qu'il a accomplie par son courage, qu'il a préservée par sa sagesse, n'a plus à courir qu'un danger: la déception; et contre ce danger, il n'y a qu'une planche de salut: la sagacité du peuple.

Oui, si des voix amies avertissent le peuple, si des mains courageuses lui ouvrent les yeux, quelque chose me dit que la République évitera le gouffre béant qui s'ouvre devant elle; et alors quel magnifique spectacle la France donnera au monde! Un peuple triomphant de ses ennemis et de ses faux amis, un peuple vainqueur des passions d'autrui et de ses propres illusions!

Je commence par dire que les institutions qui pesaient sur nous, il y a à peine quelques jours, n'ont pas été renversées, que la République, ou le gouvernement de tous par tous, n'a pas été fondé pour laisser le peuple (et par ce mot j'entends maintenant la classe des travailleurs, des salariés, ou ce qu'on appelait des prolétaires) dans la même condition où elle était avant.

C'est la volonté de tous, et c'est sa propre volonté, que sa condition change.

Mais deux moyens se présentent, et ces moyens ne sont pas seulement différents, ils sont, il faut bien le dire, diamétralement opposés.

L'école qu'on appelle économiste propose la destruction immédiate de tous les priviléges, de tous les monopoles, la suppression immédiate de toutes les fonctions inutiles, la réduction immédiate de tous les traitements exagérés, une diminution profonde des dépenses publiques, le remaniement de l'impôt, de manière à faire disparaître tous ceux qui pèsent sur les consommations du peuple, qui enchaînent ses mouvements et paralysent le travail. Elle demande, par exemple, que l'octroi, l'impôt sur le sel, les taxes sur l'entrée des subsistances et des instruments de travail, soient sur-le-champ abolis.

Elle demande que ce mot liberté, qui flotte avec toutes nos bannières, qui est inscrit sur tous nos édifices, soit enfin une vérité.

Elle demande qu'après avoir payé au gouvernement ce qui est indispensable pour maintenir la sécurité intérieure et extérieure, pour réprimer les fraudes, les délits et les crimes, et pour subvenir aux grands travaux d'utilité nationale, LE PEUPLE GARDE LE RESTE POUR LUI.

Elle assure que mieux le peuple pourvoira à la sûreté des personnes et des propriétés, plus rapidement se formeront les capitaux.

Qu'ils se formeront avec d'autant plus de rapidité, que le peuple saura mieux garder pour lui ses salaires, au lieu de les livrer, par l'impôt, à l'État.

Que la formation rapide des capitaux implique nécessairement la hausse rapide des salaires, et par conséquent l'élévation progressive des classes ouvrières en bien-être, en indépendance, en instruction et en dignité.

Ce système n'a pas l'avantage de promettre la réalisation instantanée, du bonheur universel; mais il nous parait simple, immédiatement praticable, conforme à la justice, fidèle à la liberté, et de nature à favoriser toutes les tendances humaines vers l'égalité et la fraternité. J'y reviendrai après avoir exposé et approfondi les vues d'une autre école, qui paraît en ce moment prévaloir dans les sympathies populaires.

Celle-ci veut aussi le bien du peuple; mais elle prétend le réaliser par voie directe. Sa prétention ne va à rien moins qu'à augmenter le bien-être des masses, c'est-à-dire accroître leurs consommations tout en diminuant leur travail; et, pour accomplir ce miracle, elle imagine de puiser des suppléments de salaires soit dans la caisse commune, soit dans les profits exagérés des entrepreneurs d'industrie.

C'est ce système dont je me propose de signaler les dangers.

Qu'on ne se méprenne pas à mes paroles. Je n'entends pas ici condamner l'association volontaire. Je crois sincèrement que l'association fera faire de grands progrès en tous sens à l'humanité. Des essais sont faits en ce moment, notamment par l'administration du chemin du Nord et celle du journal la Presse. Qui pourrait blâmer ces tentatives? Moi-même, avant d'avoir jamais entendu parler de l'école sociétaire, j'avais conçu un projet d'association agricole destiné à perfectionner le métayage. Des raisons de santé m'ont seules détourné de cette entreprise.

Mes doutes ont pour objet, ou, pour parler franchement, ma conviction énergique repousse de toutes ses forces cette tendance manifeste, que vous avez sans doute remarquée, qui vous entraîne aussi peut-être, à invoquer en toutes choses l'intervention de l'État, c'est-à-dire la réalisation de nos utopies, ou, si l'on veut, de nos systèmes, avec la contrainte légale pour principe, et l'argent du public pour moyen.

On a beau inscrire sur son drapeau Association volontaire, je dis que lorsqu'on appelle à son aide la loi et l'impôt, l'enseigne est aussi menteuse qu'elle puisse l'être, puisqu'il n'y a plus alors ni association ni volonté.

Je m'attacherai à démontrer que l'intervention exagérée de l'État ne peut accroître le bien-être des masses, et qu'elle tend au contraire à le diminuer;

Qu'elle efface le premier mot de notre devise républicaine, le mot liberté;

Que si elle est fausse en principe, elle est particulièrement dangereuse pour la France, et qu'elle menace d'engloutir, dans un grand et irréparable désastre, et les fortunes particulières, et la fortune publique, et le sort des classes ouvrières, et les institutions, et la République.

Je dis, d'abord, que les promesses de ce déplorable système sont illusoires.

Et, en vérité, cela me semble si clair, que j'aurais honte de me livrer à cet égard à une longue démonstration, si des faits éclatants ne me prouvaient que cette démonstration est nécessaire.

 

Car quel spectacle nous offre le pays?

À l'Hôtel-de-Ville la curée des places, au Luxembourg la curée des salaires. Là, ignominie; ici, cruelle déception.

Quant à la curée des places, il semble que le remède serait de supprimer toutes les fonctions inutiles, de réduire le traitement de celles qui excitent la convoitise; mais on laisse cette proie tout entière à l'avidité de la bourgeoisie, et elle s'y précipite avec fureur.

Aussi qu'arrive-t-il? Le peuple, de son côté, le peuple des travailleurs, témoin des douceurs d'une existence assurée sur les ressources du public, oubliant qu'il est lui-même ce public, oubliant que le budget est formé de sa chair et de son sang, demande, lui aussi, qu'on lui prépare une curée.

De longues députations se pressent au Luxembourg, et que demandent-elles? L'accroissement des salaires, c'est-à-dire, en définitive, une amélioration dans les moyens d'existence des travailleurs.

Mais ceux qui assistent personnellement à ces députations, n'agissent pas seulement pour leur propre compte. Ils entendent bien représenter toute la grande confraternité des travailleurs qui peuplent nos villes aussi bien que nos campagnes.

Le bien-être matériel ne consiste pas à gagner plus d'argent. Il consiste à être mieux nourri, vêtu, logé, chauffé, éclairé, instruit, etc., etc.

Ce qu'ils demandent donc, en allant au fond des choses, c'est qu'à dater de l'ère glorieuse de notre révolution, chaque Français appartenant aux classes laborieuses ait plus de pain, de vin, de viande, de linge, de meubles, de fer, de combustible, de livres, etc., etc.

Et, chose qui passe toute croyance, plusieurs veulent en même temps que le travail qui produit ces choses soit diminué. Quelques-uns même, heureusement en petit nombre, vont jusqu'à solliciter la destruction des machines.

Se peut-il concevoir une contradiction plus flagrante?

À moins que le miracle de l'urne de Cana ne se renouvelle dans la caisse du percepteur, comment veut-on que l'État y puise plus que le peuple n'y a mis? Croit-on que, pour chaque pièce de cent sous qui y entre, il soit possible d'en faire sortir dix francs? Hélas! c'est tout le contraire. La pièce de cent sous que le peuple y jette tout entière n'en sort que fort ébréchée, car il faut bien que le percepteur en garde une partie pour lui.

En outre, que signifie l'argent? Quand il serait vrai qu'on peut puiser dans le Trésor public un fonds de salaires autre que celui que le public lui-même y a mis, en serait-on plus avancé? Ce n'est pas d'argent qu'il s'agit, mais d'aliments, de vêtements, de logement, etc.

Or, l'organisateur qui siége au Luxembourg a-t-il la puissance de multiplier ces choses par des décrets? ou peut-il faire que, si la France produit 60 millions d'hectolitres de blé, chacun de nos 36 millions de concitoyens en reçoive 3 hectolitres, et de même pour le fer, le drap, le combustible?

Le recours au Trésor public, comme système général, est donc déplorablement faux. Il prépare au peuple une cruelle déception.

On dira sans doute: «Nul ne songe à de telles absurdités. Mais il est certain que les uns ont trop en France, et les autres pas assez. Ce à quoi l'on vise, c'est à un juste nivellement, à une plus équitable répartition.»

Examinons la question à ce point de vue.

Si l'on voulait dire qu'après avoir retranché tous les impôts qui peuvent l'être, il faut, autant que possible, faire peser ceux qui restent sur la classe qui peut le mieux les supporter, on ne ferait qu'exprimer nos vœux. Mais cela est trop simple pour des organisateurs; c'est bon pour des économistes.

Ce qu'on veut, c'est que tout Français soit bien pourvu de toutes choses. On a annoncé d'avance que l'État garantissait le bien-être à tout le monde; et la question est de savoir s'il y a moyen de presser assez la classe riche, en faveur de la classe pauvre, pour atteindre ce résultat.

Poser la question, c'est la résoudre; car, pour que tout le monde ait plus de pain, de vin, de viande, de drap, etc., il faut que le pays en produise davantage; et comment pourrait-on en prendre à une seule classe, même à la classe riche, plus que toutes les classes ensemble n'en produisent?

D'ailleurs, remarquez-le bien: il s'agit ici de l'impôt. Il s'élève déjà à un milliard et demi. Les tendances que je combats, loin de permettre aucun retranchement, conduisent à des aggravations inévitables.

Permettez-moi un calcul approximatif.

Il est fort difficile de poser le chiffre exact des deux classes; cependant on peut en approcher.

Sous le régime qui vient de tomber, il y avait 250 mille électeurs. À quatre individus par famille, cela répond à un million d'habitants, et chacun sait que l'électeur à 200 francs était bien près d'appartenir à la classe des propriétaires malaisés. Cependant, pour éviter toute contestation, attribuons à la classe riche, non-seulement ce million d'habitants, mais seize fois ce nombre. La concession est déjà raisonnable. Nous avons donc seize millions de riches et vingt millions sinon de pauvres, du moins de frères qui ont besoin d'être secourus. Si l'on suppose qu'un supplément bien modique de 25 cent. par jour est indispensable pour réaliser des vues philanthropiques plus bienveillantes qu'éclairées, c'est un impôt de cinq millions par jour ou près de deux milliards par an, nous pouvons même dire deux milliards avec les frais de perception.

Nous payons déjà un milliard et demi. J'admets qu'avec un système d'administration plus économique on réduise ce chiffre d'un tiers: il faudrait toujours prélever trois milliards. Or, je le demande, peut-on songer à prélever trois milliards sur les seize millions d'habitants les plus riches du pays?

Un tel impôt serait de la confiscation, et voyez les conséquences. Si, en fait, toute propriété était confisquée à mesure qu'elle se forme, qui est-ce qui se donnerait la peine de créer de la propriété? On ne travaille pas seulement pour vivre au jour le jour. Parmi les stimulants du travail, le plus puissant peut-être, c'est l'espoir d'acquérir quelque chose pour ses vieux jours, d'établir ses enfants, d'améliorer le sort de sa famille. Mais si vous arrangez votre système financier de telle sorte que toute propriété soit confisquée à mesure de sa formation, alors, nul n'étant intéressé ni au travail ni à l'épargne, le capital ne se formera pas; il décroîtra avec rapidité, si même il ne déserte pas subitement à l'étranger; et, alors, que deviendra le sort de cette classe même que vous aurez voulu soulager?

J'ajouterai ici une vérité qu'il faut bien que le peuple apprenne.

Quand dans un pays l'impôt est très modéré, il est possible de le répartir selon les règles de la justice et de le prélever à peu de frais. Supposez, par exemple, que le budget de la France ne s'élevât pas au delà de cinq à six cents millions. Je crois sincèrement qu'on pourrait, dans cette hypothèse, inaugurer l'impôt unique, assis sur la propriété réalisée (mobilière et immobilière).

Mais lorsque l'État soutire à la nation le quart, le tiers, la moitié de ses revenus, il est réduit à agir de ruse, à multiplier les sources de recettes, à inventer les taxes les plus bizarres, et en même temps les plus vexatoires. Il fait en sorte que la taxe se confonde avec le prix des choses, afin que le contribuable la paye sans s'en douter. De là les impôts de consommation, si funestes aux libres mouvements de l'industrie. Or quiconque s'est occupé de finances sait bien que ce genre d'impôt n'est productif qu'à la condition de frapper les objets de la consommation la plus générale. On a beau fonder des espérances sur les taxes somptuaires, je les appelle de tous mes vœux par des motifs d'équité, mais elles ne peuvent jamais apporter qu'un faible contingent à un gros budget. Le peuple se ferait donc complétement illusion s'il pensait qu'il est possible, même au gouvernement le plus populaire, d'aggraver les dépenses publiques, déjà si lourdes, et en même temps de les mettre exclusivement à la charge de la classe riche.

Ce qu'il faut remarquer, c'est que, dès l'instant qu'on a recours aux impôts de consommation (ce qui est la conséquence nécessaire d'un lourd budget), l'égalité des charges est rompue, parce que les objets frappés de taxes entrent beaucoup plus dans la consommation du pauvre que dans celle du riche, proportionnellement à leurs ressources respectives.

En outre, à moins d'entrer dans les inextricables difficultés des classifications, on met sur un objet donné, le vin, par exemple, un impôt uniforme, et l'injustice saute aux yeux. Le travailleur, qui achète un litre de vin de 50 c. le litre, grevé d'un impôt de 50 c., paye 100 pour 100. Le millionnaire, qui boit du vin de Lafitte de 10 francs la bouteille, paye 5 pour 100.

Sous tous les rapports, c'est donc la classe ouvrière qui est intéressée à ce que le budget soit réduit à des proportions qui permettent de simplifier et égaliser les impôts. Mais pour cela il ne faut pas qu'elle se laisse éblouir par tous ces projets philanthropiques, qui n'ont qu'un seul résultat certain: celui d'exagérer les charges nationales.

Si l'exagération de l'impôt est incompatible avec l'égalité contributive, et avec cette sécurité indispensable pour que le capital se forme et s'accroisse, elle n'est pas moins incompatible avec la liberté.

Je me rappelle avoir lu dans ma jeunesse une de ces sentences si familières à M. Guizot, alors simple professeur suppléant. Pour justifier les lourds budgets, qui semblent les corollaires obligés des monarchies constitutionnelles, il disait: La liberté est un bien si précieux qu'un peuple ne doit jamais la marchander. Dès ce jour, je me dis: M. Guizot peut avoir des facultés éminentes, mais ce serait assurément un pitoyable homme d'État.

108Parmi les nombreux journaux que fit éclore le 24 février 1848, et qui n'eurent qu'une existence éphémère, il faut compter le Jacques Bonhomme, à la rédaction duquel Bastiat donna son concours. Cette feuille, qui aspirait à éclairer le peuple, contenait un article final destiné à être affiché et mis ainsi gratuitement sous les yeux des passants. (Note de l'éditeur.)
109Jacques Bonhomme n'entend pas critiquer les mesures d'urgence.