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Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 2

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§ VII

Les déserts sont habités par des tribus d'Arabes errants, vivant sous des tentes. On en compte environ soixante, toutes dépendantes de l'Égypte, et formant une population d'à peu près 120,000 ames, qui peut fournir 18 à 20,000 cavaliers. Elles dominent les différentes parties des déserts, qu'elles regardent comme leurs propriétés, et y possèdent une grande quantité de bestiaux, chameaux, chevaux et brebis. Ces Arabes se font souvent la guerre entre eux, soit pour la démarcation des limites de leurs tribus, soit pour le pacage de leurs bestiaux, soit pour tout autre objet. Le désert seul ne pourrait les nourrir, car il ne s'y trouve rien. Ils possèdent des oasis qui, semblables à des îles, ont, au milieu du désert, de l'eau douce, de l'herbe et des arbres. Ils les cultivent, et s'y réfugient à certaines époques de l'année. Néanmoins les Arabes sont en général misérables, et ont constamment besoin de l'Égypte. Ils viennent annuellement en cultiver les lisières, y vendent le produit de leurs troupeaux, louent leurs chameaux pour les transports dans le désert, et employent le bénéfice qu'ils retirent de ce trafic, à acheter les objets qui leur sont nécessaires. Les déserts sont des plaines de sable, sans eau et sans végétation, dont l'aspect monotone n'est varié que par des mamelons, des monticules ou des rideaux de sable. Il est rare cependant d'y faire plus de vingt à vingt-quatre lieues sans trouver une source d'eau; mais elles sont peu abondantes, plus ou moins saumâtres, et exhalent presque toutes une odeur alcaline. On trouve, dans le désert, une grande quantité d'ossements d'hommes et d'animaux, dont on se sert pour faire du feu. On y voit aussi des gazelles et des troupeaux d'autruches, qui ressemblent de loin à des Arabes à cheval.

Il n'y existe aucune trace de chemins; les Arabes s'accoutument, dès l'enfance, à s'y orienter par les sinuosités des collines ou rideaux de sable, par les accidents du terrain ou par les astres. Les vents déplacent quelquefois les monticules de sable mouvant, ce qui rend très-pénible et souvent dangereuse la marche dans le désert. Parfois le sol est ferme; parfois il enfonce sous les pieds. Il est rare de rencontrer des arbres, excepté autour des puits où se trouvent quelques palmiers. Il y a dans le désert des bas-fonds où les eaux s'écoulent et séjournent plus ou moins long-temps. Auprès de ces mares, naissent des broussailles d'un pied à dix-huit pouces de hauteur, qui servent de nourriture aux chameaux; c'est la partie riche des déserts. Quels que soient les désagréments de la marche dans ces sables, on est souvent obligé de les traverser pour communiquer du sud au nord de l'Égypte; suivre les sinuosités du cours du Nil, triplerait la distance.

§ VIII

Il y a telle tribu d'Arabes de 1,500 à 2,000 ames, qui a 300 cavaliers, 1,400 chameaux et occupe cent lieues carrées de terrain. Jadis ils redoutaient extrêmement les Mamelucks. Un seul de ces derniers faisait fuir dix Arabes, parce que non-seulement ils avaient sur eux une grande supériorité militaire, mais aussi une supériorité morale. Les Arabes d'ailleurs devaient les ménager, puisqu'ils en avaient besoin pour leur vendre ou louer leurs chameaux, pour obtenir d'eux du grain et la liberté de cultiver la lisière de l'Égypte.

Si la position extraordinaire de l'Égypte, qui ne peut devoir sa prospérité qu'à l'étendue de ses inondations, exige une bonne administration, la nécessité de réprimer 20 à 30,000 voleurs, indépendants de la justice, parce qu'ils se refugient dans l'immensité du désert, n'exige pas moins une administration énergique. Dans ces derniers temps, ils portaient l'audace au point de venir piller des villages et tuer des fellahs, sans que cela donnât lieu à aucune poursuite régulière. Un jour que Napoléon était entouré du divan des grands-scheicks, on l'informa que des Arabes de la tribu des Osnadis avaient tué un fellah et enlevé des troupeaux; il en montra de l'indignation, et ordonna d'un ton animé, à un officier d'état-major, de se rendre de suite dans le Baireh avec 200 dromadaires et 300 cavaliers pour obtenir réparation et faire punir les coupables. Le scheick Elmodi, témoin de cet ordre et de l'émotion du général en chef, lui dit en riant: «Est-ce que ce fellah est ton cousin, pour que sa mort te mette tant en colère?» – «Oui, répondit Napoléon, tous ceux que je commande sont mes enfants.» – «Taïb![2] lui dit le scheik, tu parles là comme le prophète.»

§ IX

L'Égypte a, de tout temps, excité la jalousie des peuples qui ont dominé l'univers. Octave, après la mort d'Antoine, la réunit à l'empire. Il ne voulut point y envoyer de proconsul, et la divisa en douze prétures. Antoine s'était attiré la haine des Romains, parce qu'il avait été soupçonné de vouloir faire d'Alexandrie la capitale de la république. Il est vraisemblable que l'Égypte, du temps d'Octave, contenait 12 à 15,000,000 d'habitants. Ses richesses étaient immenses; elle était le vrai canal du commerce des Indes, et Alexandrie, par sa situation, semblait appelée à devenir le siége de l'empire du monde. Mais divers obstacles empêchèrent cette ville de prendre tous ses développements. Les Romains craignirent que l'esprit national des Arabes, peuple brave, endurci aux fatigues et qui n'avait ni la mollesse des habitants d'Antioche, ni celle des habitants de l'Asie mineure, et dont l'immense cavalerie avait fait triompher Annibal de Rome, ne fît de leur pays un foyer de révolte contre l'empire romain.

Sélim avait bien plus de raisons encore de redouter l'Égypte. C'était la terre sainte, c'était la métropole naturelle de l'Arabie et le grenier de Constantinople. Un pacha ambitieux, favorisé par les circonstances et par un génie audacieux, aurait pu relever la nation arabe, faire pâlir les Ottomans, déja menacés par cette immense population grecque, qui forme la majorité de Constantinople et des environs. Aussi Sélim ne voulut-il pas confier le gouvernement de l'Égypte à un seul pacha. Il craignit même que la division en plusieurs pachaliks ne fût pas une garantie suffisante, et chercha à s'assurer la soumission de cette province, en confiant son administration à vingt-trois beys, qui avaient chacun une maison composée de 400 à 800 esclaves. Ces esclaves devaient être leurs fils ou originaires de Circassie, mais jamais de l'Arabie ni du pays. Par ce moyen, il créa une milice tout-à-fait étrangère à l'Arabie. Il établit en Égypte le systême général de l'empire, des janissaires et des spahis, et mit à la tête de ceux-ci un pacha qui représentait le grand-seigneur, avec une autorité sur toute la province comme vice-roi, mais qui, contenu par les Mamelucks, ne pouvait travailler à s'affranchir.

Les Mamelucks, ainsi appelés au gouvernement de l'Égypte, cherchèrent des auxiliaires. Ils étaient trop ignorants et trop peu nombreux pour exercer l'emploi de percepteurs des finances; mais ils ne voulurent point le confier aux naturels du pays, qu'ils craignaient, par le même esprit de jalousie qui portait le sultan à redouter les Arabes. Ils choisirent les Cophtes et les Juifs. Les Cophtes sont, il est vrai, naturels du pays, mais d'une religion proscrite. Comme chrétiens, ils sont hors de la protection du Koran, et ne peuvent être protégés que par le sabre; ils ne devaient donc causer aucun ombrage aux Mamelucks. Ainsi cette milice de 10 à 12,000 cavaliers, se donna pour agents, pour hommes d'affaires, pour espions, etc., les 200,00 °Cophtes qui habitent l'Égypte. Chaque village eut un percepteur Cophte, toute la comptabilité, toute l'administration furent entre les mains des Cophtes.

La tolérance qui règne dans tout l'empire ottoman, et l'espèce de protection accordée aux chrétiens, sont le résultat d'anciennes vues. Le sultan et la politique de Constantinople aiment à défendre une classe d'hommes dont ils n'ont rien à craindre, parce que ces hommes forment une faible minorité dans l'Arménie, dans la Syrie et dans toute l'Asie mineure, parce qu'en outre ils sont dans un état naturel d'opposition contre les gens du pays, et ne pourraient, dans aucun cas, se liguer avec eux pour rétablir la nation syriaque ou arabe. Toutefois, ceci ne peut s'appliquer à la Grèce où les chrétiens sont en nombre supérieur. Les sultans ont fait une grande faute en laissant réunis un nombre si considérable de chrétiens. Tôt ou tard, cette faute entraînera la perte des Ottomans.

La situation morale résultant des différents intérêts, des différentes races qui habitent l'Égypte, n'échappa pas à Napoléon, et c'est sur elle qu'il bâtit son systême de gouvernement. Peu curieux d'administrer la justice dans le pays, les Français ne l'eussent pas pu, quand même ils auraient voulu le faire, Napoléon en investit les Arabes, c'est-à-dire les scheicks, et leur donna toute la prépondérance. Dès lors, il parla au peuple par le canal de ces hommes, qui étaient tout à la fois les nobles et les docteurs de la loi, et intéressa ainsi à son gouvernement l'esprit national arabe et la religion du Koran. Il ne faisait la guerre qu'aux Mamelucks; il les poursuivait à outrance, et après la bataille des Pyramides il n'en restait plus que des débris. Il chercha, par la même politique, à s'emparer des Cophtes. Ceux-ci avaient de plus avec lui les liens de la religion, et seuls ils étaient versés dans l'administration du pays. Mais quand même ils n'auraient pas possédé cet avantage, la politique du général français était de le leur donner, afin de ne pas dépendre exclusivement des naturels arabes, et de n'avoir pas à lutter avec 25 ou 30,000 hommes contre la force de l'esprit national et religieux. Les Cophtes, qui voyaient les Mamelucks détruits, n'eurent d'autre parti à prendre que de s'attacher aux Français; et par là, notre armée eut, dans toutes les parties de l'Égypte, des espions, des observateurs, des contrôleurs, des financiers, indépendants et opposés aux nationaux. Quant aux janissaires et aux Ottomans, la politique voulait que l'on ménageât en eux le grand-seigneur; l'étendard du sultan flottait en Égypte, et Napoléon était persuadé que le ministre Talleyrand s'était rendu à Constantinople, et que des négociations sur l'Égypte étaient entamées avec la Porte. Les Mamelucks d'ailleurs s'étaient attachés à humilier, à annuler et désorganiser les milices des janissaires qui étaient leurs rivaux; de l'humiliation de la milice ottomane était née la déconsidération totale du pacha et le mépris de l'autorité de la Porte, à tel point que souvent les Mamelucks refusaient le miry; et cette milice se fût même déclarée tout-à-fait indépendante, si l'opposition des scheicks ou des docteurs de la loi ne les eût rattachés à Constantinople par esprit de religion et par inclination. Les scheicks et le peuple préféraient l'influence de Constantinople à celle des Mamelucks; souvent même ils y adressaient leurs plaintes, et quelquefois réussissaient à adoucir l'arbitraire des beys.

 

Depuis la décadence de l'empire ottoman, la Porte a fait des expéditions contre les Mamelucks, mais ceux-ci ont toujours fini par avoir le dessus, et ces guerres se sont terminées par un arrangement qui laissait le pouvoir aux Mamelucks, avec quelques modifications passagères. En lisant avec attention l'histoire des évènements qui se sont passés en Égypte depuis deux cents ans, il est démontré que si le pouvoir, au lieu d'être confié à 12,000 Mamelucks, l'eût été à un pacha, qui, comme celui d'Albanie, se fut recruté dans le pays même, l'empire arabe, composé d'une nation tout-à-fait distincte, qui a son esprit, ses préjugés, son histoire et son langage à part, qui embrasse l'Égypte, l'Arabie et une partie de l'Afrique, fût devenu indépendant comme celui de Maroc.

MÉMOIRES DE NAPOLÉON

ÉGYPTE. – BATAILLE DES PYRAMIDES

Marche de l'armée sur le Caire. – Tristesse et plaintes des soldats. – Position et forces des ennemis. – Manœuvre de l'armée française. – Charge impétueuse de Mourah-Bey, repoussée. – Prise du camp retranché. – Quartier-général français à Gizeh. – Prise de l'île de Rodah. – Reddition du Caire. – Description de cette ville.

§ Ier

Le soir du combat de Chebreiss (13 juillet 1798), l'armée française alla coucher à Chabour. Cette journée était très-forte: on marcha en ordre de bataille et au pas accéléré, dans l'espérance de couper quelques bâtiments de la flottille ennemie. En effet, les Mamelucks furent contraints d'en brûler plusieurs. L'armée bivouaqua à Chabour, sous de beaux sycomores, et trouva des champs pleins de pastèques, espèce de melons d'eau qui forment une nourriture saine et rafraîchissante. Jusqu'au Caire nous en rencontrâmes constamment, et le soldat exprimait combien ce fruit lui était agréable, en le nommant, à l'exemple des anciens Égyptiens, sainte pastèque.

Le lendemain, l'armée se mit en marche fort tard; on s'était procuré quelques viandes qu'il fallait distribuer. Nous attendîmes notre flottille, qui ne pouvait remonter le courant avant que le vent du nord ne fût levé; et nous couchâmes à Kouncherick. Le jour suivant, nous arrivâmes à Alkam. Là, le général Zayoncheck reçut l'ordre de mettre pied à terre sur la rive droite, avec toute la cavalerie démontée, et de se porter sur Menouf et à la pointe du Delta. Comme il ne s'y trouvait aucun Arabe, il était maître de tous ses mouvements, et nous fut d'un grand secours pour nous procurer des vivres. Il prit position à la tête du Delta, dite le ventre de la vache.

Le 17, l'armée campa à Abounochabeck; le 18, à Wardam. Wardam est un gros endroit; les troupes y bivouaquèrent dans une grande forêt de palmiers. Le soldat commençait à connaître les usages du pays, et à déterrer les lentilles et autres légumes, que les fellahs ont coutume de cacher dans la terre. Nous faisions de petites marches, en raison de la nécessité où nous nous trouvions de nous procurer des subsistances et afin d'être toujours en état de recevoir l'ennemi. Souvent, dès dix heures du matin, nous prenions position, et le premier soin du soldat était de se baigner dans le Nil. De Wardam nous allâmes coucher à Omedinar, d'où nous aperçûmes les Pyramides. A l'instant, toutes les lunettes furent braquées contre ces monuments les plus anciens du monde. On les prendrait pour d'énormes masses de rochers; mais la régularité et les lignes droites des arêtes décèlent la main des hommes. Les Pyramides bordent l'horizon de la vallée sur la rive gauche du Nil.

§ II

Nous approchions du Caire, et nous étions instruits, par les gens du pays, que les Mamelucks réunis à la milice de cette ville, et à un nombre considérable d'Arabes, de janissaires, de spahis, nous attendaient entre le Nil et les Pyramides, couvrant Gizeh. Ils se vantaient que là finiraient nos succès.

Nous fîmes séjour à Omedinar. Ce jour de repos servit à réparer les armes et à nous préparer au combat. La mélancolie et la tristesse régnaient dans l'armée. Si les Hébreux, dans le désert de l'Égarement, se plaignaient et demandaient avec humeur à Moïse les oignons et les marmites pleines de viande de l'Égypte, les soldats français regrettaient sans cesse les délices de l'Italie. C'est en vain qu'on leur assurait que le pays était le plus fertile du monde, qu'il l'emportait même sur la Lombardie; le moyen de les persuader! ils ne pouvaient avoir ni pain ni vin. Nous campions sur des tas immenses de bled, mais il n'y avait dans le pays ni moulin, ni four. Le biscuit apporté d'Alexandrie, était mangé depuis long-temps; le soldat était réduit à piler le bled entre deux pierres et à faire des galettes cuites sous les cendres. Plusieurs grillaient le bled dans une poêle, après quoi ils le faisaient bouillir. C'était la meilleure manière de tirer parti du grain, mais tout cela n'était pas du pain. Chaque jour, leurs craintes augmentaient, au point qu'une foule d'entre eux disaient qu'il n'y avait pas de grande ville du Caire; que celle qui portait ce nom, était, comme Damanhour, une vaste réunion de huttes, privées de tout ce qui peut nous rendre la vie commode et agréable. Leur imagination était tellement tourmentée que, deux dragons se jetèrent tout habillés dans le Nil et se noyèrent. Il est vrai de dire pourtant que, si on n'avait ni pain, ni vin, les ressources qu'on se procurait avec du bled, des lentilles, de la viande et quelquefois des pigeons, fournissaient du moins à la nourriture de l'armée. Mais le mal était dans l'exaltation des têtes. Les officiers se plaignaient plus haut que les soldats, parce que le terme de comparaison était plus à leur désavantage. Ils ne trouvaient pas en Égypte les logements, les bonnes tables et tout le luxe de l'Italie. Le général en chef, voulant donner l'exemple, avait l'habitude de prendre son bivouac au milieu de l'armée et dans les endroits les moins commodes. Personne n'avait ni tente, ni provisions; le dîner de Napoléon et de l'état-major consistait dans un plat de lentilles. La soirée du soldat se passait en conversations politiques, en raisonnements et en plaintes; Que sommes-nous venus faire ici? disaient les uns; le Directoire nous a déportés. Caffarelli, disaient les autres, est l'agent dont on s'est servi pour tromper le général en chef. Plusieurs s'étant aperçus que partout où il y avait des vestiges d'antiquité, on les fouillait avec soin, se répandaient en invectives contre les savants, qui, pour faire leur fouilles, avaient, disaient-ils, donné l'idée de l'expédition. Les quolibets pleuvaient sur eux, même en leur présence. Ils appelaient un âne un savant, et disaient de Cafarelly-Dufalga, en faisant allusion à sa jambe de bois, Il se moque bien de cela, lui, il a un pied en France; mais Dufalga et les savants ne tardèrent pas à reconquérir l'estime de l'armée.

§ III

Le 21, on partit de Omedinar, à une heure du matin. Cette journée devait être décisive. A la pointe du jour, on vit, pour la première fois depuis Chebreiss, une avant-garde de Mamelucks d'un millier de chevaux, qui se replièrent avec ordre et sans rien tenter; quelques boulets de notre avant-garde les tinrent en respect. A dix heures, nous aperçûmes Embabeh et les ennemis en bataille. Leur droite était appuyée au Nil, où ils avaient pratiqué un grand camp retranché, armé de quarante pièces de canons, et défendu par une vingtaine de mille hommes d'infanterie, janissaires, spahis et milice du Caire. La ligne de cavalerie des Mamelucks appuyait sa droite au camp retranché, et étendait sa gauche dans la direction des Pyramides, à cheval sur la route de Gizeh. Il y avait environ 9 à 10,000 chevaux, autant qu'on en pouvait juger. Ainsi l'armée entière était de 60,000 hommes, y compris l'infanterie et les hommes à pied qui servaient chaque cavalier. Deux ou trois mille Arabes tenaient l'extrême gauche, et remplissaient l'intervalle des Mamelucks aux Pyramides. Ces dispositions étaient formidables. Nous ignorions quelle serait la contenance des janissaires et des spahis du Caire, mais nous connaissions et redoutions beaucoup l'habileté et l'impétueuse bravoure des Mamelucks. L'armée française fut rangée en bataille, dans le même ordre qu'à Chebreiss, la gauche appuyée au Nil, la droite à un grand village. Le général Desaix commandait la droite, et il lui fallut trois heures pour se former à sa position et prendre un peu haleine. On reconnut le camp retranché des ennemis, et on s'assura bientôt qu'il n'était qu'ébauché. C'était un ouvrage commencé depuis trois jours, après la bataille de Chebreiss. Il se composait de longs boyaux, qui pouvaient être de quelque effet contre une charge de cavalerie, mais non contre une attaque d'infanterie. Nous vîmes aussi, avec de bonnes lunettes, que leurs canons n'étaient point sur affût de campagne, mais que c'étaient de grosses pièces en fer, tirées des bâtiments et servies par les équipages de la flottille. Aussitôt que le général en chef se fut assuré que l'artillerie n'était point mobile, il fut évident qu'elle ne quitterait point le camp retranché, non plus que l'infanterie; et que, si cette dernière sortait, elle se trouverait sans artillerie. Les dispositions de la bataille devaient être une conséquence de ces données; on résolut de prolonger notre droite, et de suivre le mouvement de cette aile avec toute l'armée, en passant hors de la portée du canon du camp retranché. Par ce mouvement, nous n'avions affaire qu'aux Mamelucks et à la cavalerie; et nous nous placions sur un terrain où l'infanterie et l'artillerie de l'ennemi ne devaient lui être d'aucun secours.

Footnote_2Mot dont les Arabes se servent pour exprimer une grande satisfaction.