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Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 2

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§ III

L'escadre française était composée, à son départ de Toulon, de treize vaisseaux de ligne, de six frégates et d'une douzaine de bricks, corvettes ou avisos. L'escadre anglaise était forte de treize vaisseaux, dont un de 50 canons, tous les autres de 74. Ils avaient été armés très à la hâte, et étaient en mauvais état. Nelson n'avait pas de frégates. On comptait, dans l'escadre française, un vaisseau de 120 canons et trois de 80. Un convoi de plusieurs centaines de voiles, était sous l'escorte de cette escadre. Il était particulièrement sous la garde de deux vaisseaux de 64, de quatre frégates de 18, de construction vénitienne, et d'une vingtaine de bricks ou avisos. L'escadre française, profitant du grand nombre de bâtiments légers qu'elle avait, s'éclairait très au loin; de sorte que le convoi n'avait rien à craindre, et pouvait, aussitôt qu'on aurait reconnu l'ennemi, prendre la position la plus convenable, pour rester éloigné du combat. Chaque vaisseau français avait à son bord 500 vieux soldats, parmi lesquels une compagnie d'artillerie de terre. Depuis un mois qu'on était embarqué, on avait, deux fois par jour, exercé les troupes de passage à la manœuvre du canon. Sur chaque vaisseau de guerre, il y avait des généraux, qui avaient du caractère, l'habitude du feu, et étaient accoutumés aux chances de la guerre.

L'hypothèse d'une rencontre avec les Anglais, était l'objet de toutes les conversations. Les capitaines de vaisseaux avaient l'ordre, en ce cas, de considérer, comme signal permanent et constant, celui de prendre part au combat et de soutenir ses voisins.

L'escadre de Nelson était une des plus mauvaises que l'Angleterre eût mises en mer dans ces derniers temps.

§ IV

L'escadre française reçut l'ordre d'entrer à Alexandrie; elle était nécessaire à l'armée et aux projets ultérieurs du général en chef. Lorsque les pilotes turcs déclarèrent qu'ils ne pouvaient faire entrer des vaisseaux de 74, et à plus forte raison de 80 canons, dans le port vieux, l'étonnement fut grand. Le capitaine Barré, officier de marine très-distingué, chargé de vérifier les passes, déclara positivement le contraire. Les vaisseaux de 64 et les frégates entrèrent sans difficulté; mais l'amiral et plusieurs officiers de marine persistèrent à penser qu'il fallait faire une nouvelle vérification, avant d'y exposer toute l'escadre. Comme les vaisseaux de guerre avaient à bord l'artillerie et les munitions de l'armée, et que la brise était assez forte, l'amiral proposa de tout débarquer à Aboukir, déclarant que trente-six heures suffiraient pour cela, tandis qu'il lui faudrait cinq à six jours pour faire cette opération, en restant à la voile.

Napoléon, en partant d'Alexandrie pour marcher à la rencontre des Mamelucks, réitéra, à l'amiral l'ordre d'entrer dans le port d'Alexandrie, et, dans le cas où il le croirait impossible, de se rendre à Corfou, où il recevrait de Constantinople, des ordres du ministre français Talleyrand, et de se porter de là à Toulon, si ces ordres tardaient trop à lui arriver.

L'escadre pouvait entrer dans le port vieux d'Alexandrie. Il fut reconnu qu'un vaisseau tirant vingt-un pieds d'eau, le pouvait sans danger. Ceux de 74, qui tirent vingt-trois pieds, n'auraient donc été obligés que de s'alléger de deux pieds; les vaisseaux de 80, tirant vingt-quatre pieds et demi, se seraient allégés de trois pieds et demi; et, enfin, le vaisseau à trois ponts, tirant vingt-sept pieds, aurait dû s'alléger de six pieds. Ces allégements pouvaient avoir lieu sans inconvénient, soit en jetant l'eau à la mer, soit en diminuant l'artillerie. Un vaisseau de 74 peut être réduit à un tirant d'eau de… en ôtant seulement son eau et ses vivres, et à celui de… en ôtant son artillerie. Ce moyen fut proposé par les officiers de marine à l'amiral. Il répondit que, si tous les treize vaisseaux étaient de 74, il aurait recours à cet expédient; mais qu'ayant un vaisseau de 120 canons et trois de 80, il courrait les chances, une fois entré dans le port, de n'en pouvoir plus sortir, et d'être bloqué par une escadre de huit ou neuf vaisseaux anglais, puisqu'il lui serait impossible d'installer les trois vaisseaux de 80 et l'Orient, de manière à ce qu'ils pussent combattre, étant réduits au tirant d'eau, qui leur permettait de traverser les passes. Cet inconvénient en lui-même était léger; les vents qui règnent dans ces parages rendaient impossible un blocus rigoureux, et il suffisait que l'escadre eût vingt-quatre heures devant elle, après la sortie des passes, pour pouvoir compléter son armement. Il y avait d'ailleurs un moyen naturel. C'était de construire à Alexandrie quatre demi-chameaux propres à faire gagner deux pieds aux vaisseaux de 80 et quatre à celui de 120. La construction de ces quatre chameaux, pour obtenir un si petit résultat, n'exigeait pas de grands travaux. Le Rivoli, construit à Venise, est sorti tout armé du Malomoko, sur un chameau, qui lui a fait gagner sept pieds, de sorte qu'il ne tirait plus que seize pieds. Peu de jours après sa sortie, il s'est battu aussi-bien que possible contre un vaisseau et une corvette anglaise. Il y avait dans Alexandrie des vaisseaux, des frégates et quatre cents bâtiments de transport; ce qui offrait tous les matériaux dont on pouvait avoir besoin. L'on avait un bon nombre d'ingénieurs de la marine, entre autres M. Leroy, qui a passé sa vie dans les chantiers de construction.

Lorsque la commission chargée de vérifier le rapport du capitaine Barré eut terminé cette opération, l'amiral en envoya le rapport au général en chef. Mais il ne put arriver assez à temps pour en avoir la réponse, les communications ayant été interceptées pendant un mois, jusqu'à la prise du Caire. Si le général en chef avait reçu ce rapport, il aurait réitéré l'ordre d'entrer dans le port en s'allégeant, et prescrit, à Alexandrie, les ouvrages nécessaires pour la sortie de l'escadre. Mais enfin, puisque l'amiral avait ordre, en cas qu'il ne pût entrer dans le port, de se rendre à Corfou, il se trouvait juge compétent et arbitre de sa conduite. Corfou avait une bonne garnison française et des magasins de biscuit et de viande pour six mois; l'amiral eût touché la côte d'Albanie, d'où il aurait tiré des vivres; et enfin ses instructions l'autorisaient à se rendre de là à Toulon, où il y avait 5 à 6,000 hommes appartenant aux régiments qui étaient en Égypte. C'étaient des soldats rentrés de permission ou des hôpitaux, et différents détachements qui avaient rejoint cette place après le départ de l'expédition.

Brueis ne fit rien de tout cela: il s'embossa dans la rade d'Aboukir, et envoya à Rosette demander du riz et des vivres. On varie beaucoup sur les causes qui portèrent cet amiral à s'obstiner à rester dans cette mauvaise rade. Quelques personnes ont pensé qu'après avoir jugé qu'il lui était impossible de faire entrer son escadre à Alexandrie, il desirait, avant de quitter l'armée de terre, d'être assuré de la prise du Caire, et de n'avoir plus d'inquiétude sur la position de cette armée. Brueis était fort attaché au général en chef; les communications avaient été interceptées; et, comme c'est l'ordinaire en pareille circonstance, il courait les bruits les plus fâcheux sur les derrières de l'armée. Cependant cet amiral avait appris le succès de la bataille des Pyramides et l'entrée triomphante des Français au Caire le 29 juillet. Il paraît qu'alors, ayant attendu un mois, il voulut encore attendre quelques jours et recevoir des nouvelles directes du général en chef. Les ordres qu'avait l'amiral étant positifs, de tels motifs n'étaient pas suffisants pour justifier sa conduite. Il ne devait, dans aucun cas, garder une position où son escadre n'était pas en sûreté. Il eût concilié les sollicitudes que lui causaient les faux bruits sur l'armée, et ce qu'il devait à la sûreté de son escadre, en croisant entre les côtes d'Égypte et de Caramanie, et en envoyant prendre des renseignements sur celles de Damiette, ou sur tout autre point, d'où il eût pu avoir des nouvelles de l'armée et d'Alexandrie.

§ V

Aussitôt que l'amiral eut débarqué l'artillerie et ce qu'il avait à l'armée de terre, ce qui fut l'affaire de quarante-huit heures, il devait lever l'ancre, et se tenir à la voile, soit qu'il attendît de nouveaux renseignements pour entrer dans le port d'Alexandrie, soit qu'il attendît des nouvelles de l'armée avant de quitter ces parages. Mais il se méprit entièrement sur sa position. Il employa plusieurs jours à rectifier sa ligne d'embossage; il appuya sa gauche derrière la petite île d'Aboukir; et, la croyant inattaquable, il y plaça ses plus mauvais vaisseaux, le Guerrier et le Conquérant. Ce dernier, le plus vieux de toute l'escadre, ne portait, à sa batterie basse, que du 18. Il fit occuper la petite île, et construire une batterie de deux pièces de 12. Il plaça, au centre, ses meilleurs vaisseaux, l'Orient, le Francklin, le Tonnant, et à l'extrémité de sa droite, le Généreux, un des meilleurs et des mieux commandés de l'escadre. Craignant pour sa droite, il la fit soutenir par le Guillaume-Tell, son troisième vaisseau de 80.

L'amiral Brueis, dans cette position, ne craignait pas d'être attaqué par sa gauche, qui était appuyée par l'île; il craignait davantage pour sa droite. Mais, si l'ennemi se portait sur elle, il perdait le vent. Dans ce cas, il paraît que l'intention de Brueis était d'appareiller avec son centre et sa gauche. Il considéra cette gauche comme tellement à l'abri de toute attaque, qu'il ne jugea pas nécessaire de la faire protéger par le feu de l'île. La faible batterie qu'il y fit établir, n'avait d'autre but que d'empêcher l'ennemi d'y débarquer. Si l'amiral avait mieux connu sa situation, il eût établi, dans cette île, une vingtaine de pièces de 36 et huit ou dix mortiers; il eût fait mouiller sa gauche auprès d'elle; il eût rappelé d'Alexandrie les deux vaisseaux de 64, qui auraient fait deux excellentes batteries flottantes, et qui, tirant moins d'eau que les autres vaisseaux, auraient encore pu s'approcher davantage de l'île; enfin il eût tiré d'Alexandrie 3,000 matelots du convoi, qu'il eût distribués sur ses vaisseaux, pour en renforcer les équipages. Il eut recours, il est vrai, à cette ressource; mais ce ne fut qu'au dernier moment, et lorsque le combat était engagé; de sorte que cela ne fit qu'accroître le désordre. Il se fit une illusion complète sur la force de sa ligne d'embossage.

 

§ VI

Après le combat de Rhamanieh, les Arabes du Baïré interceptèrent toutes les communications d'Alexandrie avec l'armée: ce ne fut qu'à la nouvelle de la bataille des Pyramides et de la prise du Caire, que, craignant le ressentiment de l'armée française, ils se soumirent. Le 27 juillet, surlendemain de son entrée au Caire, Napoléon reçut, pour la première fois, des dépêches d'Alexandrie et la correspondance de l'amiral. Son étonnement fut grand d'apprendre que l'escadre n'était pas en sûreté, qu'elle ne se trouvait ni dans le port d'Alexandrie, ni dans celui de Corfou, ni même en chemin pour Toulon; mais qu'elle était dans la rade d'Aboukir, exposée aux attaques d'un ennemi supérieur. Il expédia, de l'armée, son aide de camp Julien à l'amiral, pour lui faire connaître tout son mécontentement, et lui prescrire d'appareiller sur le champ et d'entrer à Alexandrie, ou de se rendre à Corfou. Il lui rappelait que toutes les ordonnances de la marine défendent de recevoir le combat dans une rade ouverte. Le chef d'escadron Julien partit le 27, à sept heures du soir, il n'aurait pu arriver que le 3 ou 4 août; la bataille eut lieu du 1er au 2. Cet officier étant parvenu près de Téramée, un parti d'Arabes surprit la d'Jerme sur laquelle il était, et ce brave jeune homme fut massacré, en défendant courageusement les dépêches dont il était porteur, et dont il connaissait l'importance.

§ VII

L'amiral Brueis restait inactif dans la mauvaise position où il s'était placé. Une frégate anglaise, détachée depuis vingt jours de l'escadre de Nelson, et qui le cherchait, se présenta devant Alexandrie, vint à Aboukir reconnaître toute la ligne d'embossage, et le fit impunément; pas un vaisseau, pas un brick, pas une frégate n'était à la voile. Cependant l'amiral avait plus de trente bâtiments légers dont il aurait pu couvrir la mer; tous étaient à l'ancre. Les principes de la guerre voulaient qu'il restât à la voile avec son escadre entière, quels que fussent ses projets ultérieurs. Mais au moins devait-il tenir à la voile une escadre légère de deux ou trois vaisseaux de guerre, de huit ou dix frégates ou avisos, pour empêcher aucun bâtiment léger anglais de l'observer, et pour être instruit d'avance de l'arrivée de l'ennemi. La fatalité l'entraînait.

§ VIII

Le 31 juillet, Nelson détacha deux de ses vaisseaux, qui vinrent reconnaître la ligne d'embossage française, sans être inquiétés. Le 1er août, l'escadre anglaise apparut vers les trois heures après midi, avec toutes voiles dehors. Il ventait grand frais des vents, qui sont constants dans cette saison. L'amiral Brueis était à dîner, une partie des équipages à terre, le branle-bas n'était fait sur aucun vaisseau. L'amiral fit sur-le-champ le signal de se préparer au combat. Il expédia un officier à Alexandrie pour demander les matelots du convoi: peu après, il fit le signal de se tenir prêt à mettre à la voile; mais l'escadre ennemie arriva avec tant de rapidité, qu'on eut à peine le temps de faire le branle-bas; et on le fit avec une négligence extrême. Sur l'Orient même, que montait l'amiral, des cabanes, construites sur les dunettes pour loger des officiers de terre pendant la traversée, ne furent pas détruites; on les laissa remplies de matelas et de seaux de peinture et de goudron. Sur le Guerrier et sur le Conquérant, une seule batterie fut dégagée. Celle du côté de terre fut encombrée de tout ce dont l'autre avait été débarrassée, de sorte que, lorsqu'ils furent tournés, ces batteries ne purent faire feu. Cela surprit tellement les Anglais, qu'ils envoyèrent reconnaître la raison de cette contradiction; ils voyaient le pavillon français flotter, sans qu'aucune pièce fît feu.

La partie des équipages qui avait été détachée, eut à peine le temps de retourner à bord. L'amiral, jugeant que l'ennemi ne serait à la portée du canon que vers six heures, supposa qu'il n'attaquerait que le lendemain, d'autant plus qu'il ne découvrait que onze vaisseaux de 74; les deux autres avaient été détachés sur Alexandrie, et ne rejoignirent Nelson que sur les huit heures du soir. Brueis ne crut point que les Anglais l'attaquassent le jour même, et avec onze vaisseaux seulement. L'on pense que d'abord il eut le projet d'appareiller, mais qu'il tarda d'en donner l'ordre, jusqu'à ce que les matelots qu'il attendait d'Aboukir fussent embarqués. Alors la canonnade était engagée, et un vaisseau anglais avait échoué sur l'île, ce qui donnait à Brueis un nouveau degré de confiance. Les matelots demandés à Alexandrie, n'arrivèrent que vers huit heures; on se canonnait déja sur plusieurs vaisseaux. Dans le tumulte, l'obscurité, un grand nombre d'entre eux restèrent sur le rivage et ne s'embarquèrent point. Le projet de l'amiral anglais était d'attaquer de vaisseau à vaisseau, chaque bâtiment anglais jetant l'ancre par l'arrière, et se plaçant en travers de la proue des Français. Le hasard changea cette disposition. Le Culloden, destiné à attaquer le Guerrier, voulant passer entre sa gauche et l'île, échoua. Si l'île avait été armée de quelques grosses pièces, ce vaisseau était pris. Le Goliath, qui le suivait, manœuvrant pour se mouiller en travers de la proue du Guerrier, fut entraîné par le vent et le courant, et ne jeta l'ancre qu'après avoir dépassé et tourné ce vaisseau. S'apercevant alors que la batterie gauche du Conquérant ne tirait pas, par le motif expliqué plus haut, il se plaça bord à bord avec lui, et le désempara en peu de temps. Le Zélé, deuxième vaisseau anglais, suivit le mouvement du Goliath, et, se mouillant bord à bord du Guerrier, qui ne pouvait pas répondre à son feu, il le démâta promptement. L'Orion, troisième vaisseau anglais, exécuta la même manœuvre; mais, dans son mouvement, il fut retardé par l'attaque d'une frégate française, et vint se mouiller entre le Francklin et le Peuple souverain. Le Vanguard, vaisseau amiral anglais, jeta l'ancre par le travers du Spartiate, troisième vaisseau français. La Défense, le Bellerophon, le Majestueux et le Minotaure suivirent le même mouvement, et engagèrent le centre de la ligne française jusqu'au Tonnant, son huitième vaisseau. L'amiral et ses deux matelots formaient une ligne de trois vaisseaux fort supérieurs à ceux des Anglais. Le feu fut terrible, le Bellerophon dégréé, démâté et obligé d'amener. Plusieurs autres bâtiments anglais furent obligés de s'éloigner; et si, dans ce moment, le contre-amiral Villeneuve, qui commandait l'aile droite française, eût coupé ses câbles, et fût tombé sur la ligne anglaise, avec les cinq vaisseaux, qui étaient sous ses ordres, l'Heureux, le Timoléon, le Mercure, le Guillaume-Tell, le Généreux, et les frégates la Diane et la Justice; elle eût été détruite. Le Culloden était échoué sur le banc de Béquières, et le Léandre occupé à tâcher de le relever. L'Alexandre, le Switsfure et deux autres vaisseaux anglais, voyant que notre droite ne bougeait pas, et que le centre de la ligne anglaise était maltraité, s'y portèrent. L'Alexandre remplaça le Bellerophon, et le Switsfure attaqua le Francklin. Le Léandre, qui jusque alors avait été occupé à relever le Culloden, appelé par le danger que courait le centre, s'y porta pour le renforcer. La victoire n'était rien moins que décidée. Le Guerrier et le Conquérant ne tiraient plus, mais c'étaient les plus mauvais vaisseaux de l'escadre; et, du côté des Anglais, le Culloden et le Bellerophon, étaient hors de service. Le centre de la ligne française avait occasioné, par la grande supériorité de son feu, beaucoup plus de dommage aux vaisseaux opposés, qu'il n'en avait reçu. Les Anglais n'avaient que des vaisseaux de 74 et de petit modèle. Il était présumable, que le feu se soutenant ainsi toute la nuit, l'amiral Villeneuve appareillerait enfin au jour; et l'on pouvait encore espérer les plus heureux résultats de l'attaque de cinq bons vaisseaux, qui n'avaient encore tiré ni reçu aucun coup de canon. Mais, à onze heures, le feu prit à l'Orient, et ce bâtiment sauta en l'air. Cet accident imprévu décida de la victoire. Son épouvantable explosion suspendit, pendant un quart-d'heure, le combat. Notre ligne recommença le feu, sans se laisser abattre par ce cruel spectacle. Le Francklin, le Tonnant, le Peuple souverain, le Spartiate, l'Aquilon, soutinrent le feu jusqu'à trois heures du matin. De trois à cinq heures, il se ralentit de part et d'autre. Entre cinq et six heures, il redoubla et devint terrible. Qu'eût-ce été, si l'Orient n'avait point sauté? Enfin, à midi, le combat durait encore, et ne se termina qu'à deux heures. Ce fut alors seulement que Villeneuve parut se réveiller et s'apercevoir que l'on se battait depuis vingt heures. Il coupa ses câbles et prit le large, emmenant le Guillaume-Tell qu'il montait, le Généreux et les frégates la Diane et la Justice. Les trois autres vaisseaux de son aile se jetèrent à la côte sans se battre. Ainsi, malgré le terrible accident de l'Orient, malgré la singulière inertie de Villeneuve, qui empêcha cinq vaisseaux de tirer un seul coup de canon, la perte et le désordre des Anglais furent tels que, vingt-quatre heures après la bataille, le pavillon tricolore flottait encore sur le Tonnant; Nelson n'avait plus aucun vaisseau en état de l'attaquer. Non-seulement le Guillaume-Tell et le Généreux, ne furent suivis par aucun vaisseau anglais, mais encore les ennemis, dans l'état de délabrement où ils étaient, les virent partir avec plaisir. L'amiral Brueis défendit avec opiniâtreté l'honneur du pavillon français; plusieurs fois blessé, il ne voulut point descendre à l'ambulance. Il mourut sur son banc de quart, en donnant des ordres. Casabianca, Thevenard et du Petit-Thouars acquirent de la gloire dans cette malheureuse journée. Le contre-amiral Villeneuve, au dire de Nelson et des Anglais, pouvait décider la victoire, même après l'accident de l'Orient. A minuit encore, s'il eût appareillé et pris part au combat avec les vaisseaux de son aile, il pouvait anéantir l'escadre anglaise; mais il resta paisible spectateur du combat!

Le contre-amiral Villeneuve étant brave et bon marin, on se demande la raison de cette singulière conduite? Il attendait des ordres!.. On assure que l'amiral français lui donna celui d'appareiller, et que la fumée l'empêcha de l'apercevoir. Mais fallait-il donc un ordre pour prendre part au combat et secourir ses camarades?..

L'Orient a sauté à onze heures; depuis ce temps, jusqu'à deux heures après midi, c'est-à-dire pendant treize heures, on s'est battu. C'était alors Villeneuve qui commandait; pourquoi donc n'a-t-il rien fait? Villeneuve était d'un caractère irrésolu et sans vigueur.