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Vie de Christophe Colomb

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À l'extrémité orientale d'Hispaniola, les caravelles trouvèrent une vaste baie où elles jetèrent l'ancre: elles virent, sur la côte, un peuple qui provenait des montagnes dites de Ciguai; c'était une race d'hommes audacieux et guerriers, d'un aspect féroce, hideusement peints par tout le corps et ayant la tête couverte de plumes. Ils avaient des arcs, des flèches, des massues; aussi les marins crurent-ils que c'étaient les Caraïbes tant redoutés des naturels de la Navidad; mais, quand ces montagnards furent questionnés, ils désignèrent le côté de l'Orient, et répondirent que les Caraïbes habitaient fort loin dans cette direction.

Avec de tels hommes, il était difficile qu'il n'y eût pas un choc entre les Espagnols et eux. Une attaque de la part des naturels eut lieu en effet, mais les marins étaient sur leurs gardes et ils firent usage de leurs armes; la bruyante détonation des arquebuses se fit entendre suivie du sifflement de ses projectiles meurtriers; plusieurs Indiens furent tués sur le coup, et comme, dans leur ignorance, il leur parut de toute impossibilité de résister à cette foudroyante décharge qu'ils crurent venir du ciel, ils prirent tous la fuite, et au bout de deux minutes pas un seul n'était plus en vue. En mémoire de ce petit combat, la baie reçut le nom de golfe des Flèches, mais elle est connue aujourd'hui sous le nom de Samana. Ce fut la première rixe qui eut lieu entre les hommes de l'Ancien et du Nouveau Monde; et le vice-roi témoigna le plus vif regret que les efforts, heureux jusque-là, qu'il avait toujours faits pour maintenir la bonne intelligence, eussent échoué au dernier moment qu'il avait à passer dans ces pays.

Toutefois, par un trait qui prouve combien les peuples sauvages sont moins sensibles aux procédés qu'ils reçoivent, qu'à des leçons quelque sévères qu'elles puissent être pourvu qu'elles soient justes, dès le lendemain, les farouches montagnards de Ciguai revinrent au rivage, et se mêlèrent aux Espagnols avec autant de familiarité que s'il ne s'était rien passé la veille. Leur cacique nommé Mayonabex, qui, comme le jour précédent, se trouvait avec eux, étant informé que le vice-roi était à son bord, ne fit aucune difficulté de demander à y être conduit avec trois de ses sujets; et aucun des naturels ne montra, ni à terre ni à bord, la moindre défiance, la moindre crainte, ni la moindre inimitié. Une telle conduite fut fort appréciée de Colomb; il reçut le cacique avec la plus grande distinction, et lui fit à lui ainsi qu'aux trois hommes qui raccompagnaient plusieurs présents; ce témoignage d'extrême confiance impressionna vivement le cacique. La suite de cette histoire fera connaître qu'il y avait vraiment beaucoup de valeur et de magnanimité dans l'âme de Mayonabex.

Le grand-amiral eut une velléité d'embarquer à son bord quatre naturels qui demandaient à le guider vers les îles habitées par les Caraïbes; il voulait ainsi augmenter les découvertes qu'il avait faites; mais il réfléchit que son intérêt le plus pressant était d'aller faire connaître à l'Espagne le succès dont son voyage avait été couronné relativement aux pays où il avait si heureusement et si promptement abordé; aussi, le vent devenant favorable, il appareilla; et selon le plan qu'il s'était tracé, il dirigea sa route à travers la bande septentrionale de la douce région des vents alizés.

Cette navigation de Christophe Colomb qui, au moins, sauva à sa frêle Niña les tempêtes qui soufflent si souvent aux Bermudes dans le voisinage desquelles il aurait passé en traversant immédiatement le tropique pour aller chercher les brises variables, et qui lui épargna également les mauvais temps et les brouillards si communs entre le méridien de Terre-Neuve et celui des Açores, cette navigation, disons-nous, en louvoyant dans les parages des vents alizés, ne fut même pas aussi longue qu'on pourrait le supposer; car, dès le 12 février, Colomb avait quitté ces parages pour se mettre sur le parallèle des Açores, et pour les reconnaître afin de pouvoir ensuite diriger sa route avec plus de certitude jusqu'à son arrivée en Espagne.

Il était donc alors dans l'Ouest et assez près des Açores; mais déjà les bruits qui circulaient à bord y faisaient supposer que les caravelles se trouvaient aux approches de Madère, et qu'on devait s'attendre à voir cette île à tout moment.

Garcia Fernandez fit part de ces suppositions au grand-amiral, et lui dit que, d'accord avec les calculateurs de la Pinta, Vincent Yanez Pinzon, Sancho Ruis, Alonzo Niño et Barthélemy Roldan qui se donnaient, à bord, comme très-certains de leur point, plaçaient, en ce moment, les deux navires à une très-petite distance de Madère; mais qu'il croyait qu'ils se flattaient et qu'ils parlaient plutôt selon leurs désirs que d'après leurs connaissances.

«Non, cher docteur, il n'en est pas ainsi, lui répondit Colomb; nous en sommes cent cinquante lieues plus loin qu'ils ne le supposent, et plût à Dieu qu'ils dissent vrai; car nous nous trouvons sur la route des Açores où soufflent quelquefois des vents très-violents, mais que je ne crois pas pouvoir me dispenser de chercher à reconnaître. À la grâce de Dieu donc, mon digne ami; toutefois je désire qu'Alonzo, Vincent, Ruis et tous les autres restent dans leur erreur jusqu'à ce que j'aie publié la carte de notre voyage: il n'y a pas, en effet, un seul de ces hommes qui ne se croie capable actuellement d'avoir commandé l'expédition; et, cependant, aucun d'eux ne pourrait retrouver sa route, quoique l'ayant parcourue en sens inverse comme nous l'avons fait depuis notre départ des Canaries jusqu'à notre arrivée à San-Salvador.»

Garcia Fernandez vit, par ce discours, qu'il fallait se garder de partager les espérances qu'entretenaient les marins de la Niña, et que le grand-amiral s'attendait à quelque rude épreuve avant d'atteindre la terre d'Espagne; il se garda cependant bien d'en rien faire connaître parmi l'équipage; et nous dirons bientôt jusqu'à quel point les prévisions du grand-amiral devaient se réaliser.

Peu de temps après l'entretien que nous venons de rapporter, le vent vint, en effet, à souffler avec violence du Sud-Ouest; et, pourtant, des éclairs d'une vivacité extrême parcouraient les nuages et l'horizon dans la direction du Nord-Est. Colomb se prépara comme pour une tempête, et il fit bien de prendre ses précautions, car elle éclata bientôt de la manière la plus intense. Pendant la nuit du 14, elle fut dans toute sa force; l'intrépide grand-amiral ne chercha pas à dissimuler à Garcia Fernandez toute l'étendue des craintes que lui faisaient concevoir le bouleversement des éléments d'un côté, et la fragilité des caravelles de l'autre; il n'en resta pas moins calme et ferme, comme un homme qui est familier avec le danger et qui sait tout ce qu'il faut faire pour le conjurer; pas une plainte ne lui échappa devant son ami, mais il était aisé de voir que sa grande âme était contristée par l'idée que la connaissance de ses découvertes pouvait en être perdue à jamais.

Quant au docteur Fernandez, il n'y avait pas d'âme mieux trempée que la sienne; mais comment, lors d'une première campagne, ne pas se laisser émouvoir au milieu de ces cataclysmes de la nature? Les hommes les plus froids voudraient en vain s'appuyer sur la force de leur esprit; leurs efforts sont insuffisants et il faut payer tribut aux circonstances. «Voici une bien mauvaise nuit,» dit-il à Colomb d'un air en apparence tranquille, comme cherchant à montrer plus d'indifférence qu'il n'en éprouvait réellement.

«Excellent ami, répondit Colomb avec dignité, si la Providence veut la perte des caravelles et la nôtre, il faut nous soumettre; cependant il me vient une idée pour nous survivre à nous-mêmes, et nous allons la mettre à exécution car l'homme ne doit pas s'abandonner! Si ses efforts physiques sont impuissants, sa pensée ne doit pas être inerte ni assoupie;» et, continuant, en montrant cet esprit de ressource qui lui était si familier, il ajouta: «Dans le tiroir de cette table, il y a un parchemin que nous allons partager en deux, et sur chacune des moitiés, chacun de nous écrira ce que je vais dicter.»

Ils tracèrent en effet sur ce parchemin le résumé succinct de toute la campagne; ils se firent apporter deux petits barils où ces écrits furent placés; l'ouverture en fut hermétiquement bouchée; et le grand-amiral montrant un air de satisfaction, comme si la moitié de lui-même était arrachée au trépas, il termina cette scène en disant: «Si nous périssons, ces barils surnageront: nous les jetterons à la mer au moment suprême, ou d'eux-mêmes ils y tomberont; plus tard, ils seront sans doute retrouvés par quelque navigateur, et l'on saura, avec la grâce de Dieu, que, si nous avons succombé sous la fureur des flots, ce n'aura pas été sans gloire et sans faire tout ce que le courage et la prudence humaine nous prescrivaient.»

Le reste de la nuit, il fut impossible d'avoir aucune voile dehors: la Niña fut obligée de fuir devant le temps et de courir vent arrière. La Pinta de son côté luttait avec habileté contre la tourmente, et elle répondit, pendant quelque temps, aux signaux de conserve que lui faisait le grand-amiral; toutefois, la lumière des fanaux qu'elle avait allumés disparut graduellement; et, quand le jour revint, la Niña se trouva encore un coup toute seule, mais, cette fois, au milieu des horreurs de l'ouragan qui était toujours déchaîné sur l'horizon.

Certes, le parti de fuir vent arrière devant le temps en gouvernant à mâts et à cordes, était très-périlleux sur un navire aussi petit; mais la Niña n'était pas pontée dans sa partie centrale, et en mettant à la cape, les lames qui venaient se briser avec fracas sur sa joue ainsi que sur son travers et dont une partie passait par-dessus son plat-bord, menaçaient d'emplir sa cale et de la faire sombrer. Pourtant un autre danger était à craindre pour un bâtiment d'une mâture si peu élevée en courant le vent en poupe; c'était que la caravelle n'eût la brise interceptée par la hauteur des lames et qu'elle ne fît pas assez de sillage pour soustraire son arrière à leur choc et à leur envahissement. Il paraît que notre illustre navigateur avait bien calculé ce qu'il y avait de mieux à faire, et, en effet, la Niña se comporta aussi bien que possible sous cette allure.

 

Le jour avait succédé à la nuit, mais la tempête n'avait pas diminué et l'on continua à fuir devant le temps: tout ce qu'il était humainement convenable de faire pour la sûreté du navire avait été prescrit et exécuté; il ne restait plus qu'à attendre quel serait le terme de cette cruelle situation. Les matelots, selon l'usage de l'époque, songèrent alors à se placer plus particulièrement sous la protection de la divine Providence, en faisant des vœux. Le grand-amiral goûta fort de ce projet qui rentrait si bien dans ses habitudes de piété, et il l'adopta de la meilleure volonté du monde. Plusieurs avis furent émis sur ce projet; celui qui prévalut fut que Colomb et tout son équipage, s'ils se retrouvaient en terre ferme, se rendraient en procession, pieds nus, sans autre vêtement que leur chemise, jusqu'à l'église la plus voisine où ils rendraient à la sainte vierge Marie de solennelles actions de grâces. La journée se passa à s'occuper de ces vœux; mais la Pinta ne reparut pas. Le grand-amiral témoigna la crainte qu'elle n'eût péri et il s'en affligea, surtout par la pensée que c'était un moyen de moins pour que les découvertes de l'expédition fussent connues.

Dans la partie de l'Océan qui avoisine le midi de l'Europe, pendant que le vent de Sud-Ouest souffle encore avec une grande violence, on voit, parfois tout à coup, les nuages se déchirer, le ciel reparaître, une fraîche brise de Nord-Ouest s'établir rapidement et tendre à coucher et à amoindrir la hauteur des vagues que le Sud-Ouest avait amoncelées; la tempête est alors finie, et les marins se prennent à respirer plus librement.

C'est ce que vit arriver la Niña le soir même que la résolution des vœux avait été arrêtée; l'équipage attribua, naturellement, ce changement inespéré à l'efficacité de ces vœux, et il n'en fut que plus ferme dans le dessein de les accomplir. La joie redoubla lorsque, le lendemain matin, on se trouva en vue de terre. Les pilotes crurent fermement être en vue de Madère; Colomb pensa au contraire être près de l'une des Açores, et il désigna même Sainte-Marie, qui est l'île le plus au midi de cet archipel.

Toutefois, la Niña était un peu affalée sous le vent, mais le grand-amiral lutta avec constance pour ne perdre l'île de vue que le moins possible et pour s'en approcher en louvoyant. La mer était encore assez grosse et la manœuvre difficile; mais la persévérance triompha et Christophe Colomb parvint à y mouiller après deux ou trois jours d'efforts: c'était effectivement l'île de Sainte-Marie.

Le grand-amiral pensa tout d'abord à l'accomplissement du vœu; cependant la nature du mouillage où il se trouvait ne permettait pas que l'équipage tout entier descendit à la fois. Il ordonna donc qu'on irait par moitié, et, comme il se crut fondé à se méfier des Portugais à qui l'île appartenait, il se réserva pour le second voyage. La première moitié se rendit, en arrivant, à une chapelle solitaire élevée presque sur le bord de la mer, précisément sous l'invocation et sous le patronage de la sainte Vierge; mais à peine ces marins pieux et reconnaissants avaient-ils commencé leurs prières, que le gouverneur, à la tête d'un fort détachement, entoura l'église et à leur sortie il les fit tous prisonniers. On a prétendu que, par cette indigne conduite, il avait voulu s'emparer de Christophe Colomb, en vertu d'ordres du roi de Portugal notifiés dans toutes ses possessions, de se saisir de sa personne dans la crainte du préjudice que ses découvertes pourraient porter au royaume.

Le gouverneur, qui croyait avoir réussi à s'assurer de la personne de Christophe Colomb, fut très-désappointé quand il apprit qu'il était resté à bord; il feignit, alors, de n'être venu que pour faire honneur et politesse aux marins espagnols, et il fit dire à Colomb qu'il l'attendait dans son hôtel; mais le grand-amiral ne fut pas la dupe de ce stratagème, et il refusa poliment, quoique avec fermeté, de s'y rendre. Alors le gouverneur, honteux d'être découvert dans sa mauvaise foi, ne mit pas de bornes à sa colère et il écrivit à Colomb qui lui répondit avec dignité mais en lui remontrant l'odieux de sa conduite, et en lui faisant connaître qu'il avait le brevet de grand-amiral d'Espagne et de vice-roi de toutes les terres qu'il avait découvertes.

Le gouverneur, qui comprit quelle responsabilité il assumerait en saisissant un homme devenu aussi puissant, et que la couronne d'Espagne s'empresserait de réclamer ou de venger, n'eut plus de parti à prendre que celui de se désavouer lui-même en alléguant qu'il avait douté que le commandant d'un si petit navire que la Niña fût investi de pouvoirs aussi étendus et de dignités aussi élevées, mais que, du moment que son esprit était éclairé, il était prêt à lui rendre tous les services qui dépendraient de lui; son premier soin, après cette déclaration, fut de renvoyer les marins qu'il avait retenus prisonniers, et, de qui, d'ailleurs, il avait appris les principaux détails du voyage du grand-amiral.

C'était tout ce que voulait Colomb, il lui suffisait que le succès de l'expédition fût connu dans une île relevant d'un souverain européen; il refusa donc l'offre du gouverneur, se contenta de lui faire remettre des lettres et dépêches pour l'Espagne et, le vent devenant favorable, il appareilla de cette île le 24 février 1493.

La Niña parcourut une centaine de lieues en bonne direction et par un temps qui semblait promettre un terme prompt au voyage; mais une nouvelle tempête se déclara, plus affreuse, peut-être, que la première. L'atmosphère était imprégnée d'un brouillard blanchâtre, semblable à une légère fumée; la brise rugissait, et la mer s'élevait avec tant de rage que l'on eût dit que les éléments s'étaient conjurés contre le retour du bâtiment, tant il était ballotté avec véhémence!

La nuit fut terrible à passer et l'aurore reparut; quels que soient les événements qui se produisent à la surface de notre globe, il n'en continue pas moins ses révolutions habituelles avec sa sublime grandeur, comme pour montrer la différence infinie qui existe entre les simples mortels et la puissance supérieure et éternelle qui règle ses mouvements.

«C'est le temps le plus affreux que j'aie jamais vu, dit Colomb à Fernandez qui l'interrogeait du regard, mais si nous parvenons, comme je l'espère, à passer la nuit prochaine sans accident et si nous revoyons le soleil nous rendre sa lumière, nous devons avoir tout espoir.»

«Quel temps! dites-vous, répondit le docteur, et pourtant comme vous paraissez calme!»

Le grand-amiral lui répondit:

«Ami, le marin qui ne peut pas commander à sa voix et à ses sens, même au moment le plus critique, celui-là, dis-je, a manqué sa vocation.»

Il s'attendrit cependant un moment en pensant à ses fils, car dans la précédente tempête il avait tout oublié pour s'absorber dans la crainte que le succès de son voyage restât à jamais ignoré; ou si la voix de la nature s'était réveillée en son cœur, il avait eu assez d'empire sur lui-même pour n'en faire rien connaître.

«Mes fils, mes chers fils: s'écria-t-il donc, c'est pour eux seuls que j'ai des inquiétudes: pardonnez, docteur, ce mouvement et cette exclamation irrésistibles, mais après tout je suis père, et vous ne sauriez me blâmer!»

Reprenant aussitôt son sang-froid accoutumé, il ajouta en raffermissant sa voix et sous l'inspiration de sa mâle piété: «Au fait, pourquoi ces inquiétudes, j'ai toute confiance en Dieu qui n'abandonne jamais les orphelins.»

Toutefois, au milieu de la nuit, l'air retentit du cri de terre! En toute autre circonstance ce cri aurait excité la joie la plus vive; en ce moment, il était un présage de malheur puisque ce ne pouvait être que la côte de Portugal; or, l'on sait qu'elle se prolonge en une ligne droite inflexible, allant du Nord au Sud; et que tous les points en sont d'un accès toujours difficile, surtout par un mauvais temps.

Il fallut, malgré le danger de la manœuvre, serrer le vent, au moins jusqu'au jour, pour mieux juger la position. Quoique la nuit fût sombre, comme l'obscurité diminuait par moments on pouvait voir cette terre de temps en temps; et comme, pendant la nuit, les distances paraissent plus rapprochées, elle semblait n'être qu'à un ou deux milles de la Niña. L'épouvante était dans l'équipage qui pensait qu'on ne pourrait distinguer l'entrée d'aucun port si même il s'en trouvait dans le voisinage, tant le temps était couvert et tant les objets devraient être diffus à l'œil, après même le lever du soleil! D'ailleurs, la mer était affreuse: le littoral du Portugal est, en effet, comme nous le faisions remarquer tout à l'heure, un des plus dangereux du monde, battu qu'il est, lors des vents du large, par des lames qui viennent s'y briser avec des ondulations qui, sans être affaiblies par la présence d'îles ou de promontoires, s'accroissent en s'avançant après avoir parcouru des centaines de lieues et sans obstacle aucun.

Le jour éclaira un bien triste spectacle: le soleil était totalement caché par d'épais nuages disposés en deux couches, la plus élevée ressemblant à une vaste coupole immobile et d'une couleur plombée, la plus voisine composée de masses distinctes et qui, par la rapidité de leur course, indiquaient quelle était l'extrême vitesse du vent. Une épaisse vapeur que soulevait la tempête, remplissait l'atmosphère et raccourcissait considérablement la portée de la vue: la pluie tombait parfois à torrents, et une nappe d'écume permanente s'étendait sur la surface de la mer.

La caravelle dérivait cependant toujours vers la côte qu'elle apercevait par son travers sous l'apparence d'une terre haute: aussi la consternation était à son comble, chacun pouvant, à part soi, faire le calcul du faible intervalle de temps qui s'écoulerait entre l'instant où l'on se trouvait, et celui où l'on serait broyé contre les roches qui servaient de base à cette même côte: tous avaient les yeux fixés de ce côté, tous frémissaient, et Colomb interrogeait la terre d'un regard encore plus vif qu'aucun autre; enfin un morne silence, signe d'un profond désespoir, régnait dans les âmes et tout espoir de salut semblait perdu pour tous, lorsque le grand-amiral, d'une voix véhémente, s'écria: «Je vois les rochers de Cintra; nous sommes sauvés!» il ordonna aussitôt de laisser arriver et de mettre le cap sur ces rochers.

«Eh quoi! lui dit le pilote Roldan, vous voudriez entrer dans le Tage sans le secours d'un pilote de la localité; quoi! lorsque le vent peut changer à toute minute, vous voulez courir à une perte certaine, et vous allez jeter la caravelle sur ces rochers que vous voyez et qui ne sont peut-être pas ceux de Cintra!

«Silence, répondit Colomb, et qu'on obéisse sans mot dire! Ai-je eu besoin des pilotes de la localité pour mouiller à San-Salvador, Juana, Hispaniola et tant d'autres îles? Ne craignez rien, j'ai bien reconnu ces rochers, je sais qu'on trouve un grand fond d'eau à leur pied, et il y a des cas où la manœuvre la plus hardie est aussi la plus sûre; dans un quart d'heure nous serions souventés, alors il serait trop tard; nous aurions à nous reprocher de n'avoir pas saisi le moment favorable, et, je le répète, foi de Colomb, nous sommes sauvés!»

À ces nobles paroles, l'équipage, un moment étonné et indécis, reprit toute sa confiance dans le chef dont tous connaissaient la science, la prudence, le talent, et la joie commença à briller dans des yeux qui naguère n'exprimaient que la douleur et l'abattement.

Lorsque la caravelle eut commencé à s'approcher de l'embouchure du Tage, les objets devinrent plus distincts, et tous ceux qui avaient précédemment été à Lisbonne ne purent plus douter de l'exactitude de l'assertion du grand-amiral.

Cependant Fernandez s'approcha de Colomb et lui demanda s'il n'était pas imprudent d'aller se livrer soi-même au roi Jean II, après les traitements iniques qu'il en avait reçus. «Non, lui répondit l'illustre navigateur; je n'étais alors qu'un Génois obscur et sollicitant; aujourd'hui, je suis grand-amiral, je suis vice-roi, je suis enfin ce Colomb qui a découvert des terres immenses, et le roi de Portugal ne voudra pas se déshonorer! D'ailleurs, ajouta-t-il, notre naufrage était inévitable; or, mieux vaudrait sans doute encore le courroux et l'inimitié de ce souverain!»

Bientôt la Niña fut si près de la terre, qu'on y distinguait les hommes accourus pour voir si ce bâtiment échapperait à sa ruine. Il y a dans l'existence des marins certains instants où la mort est tout près de la vie, et où la destruction et le salut se touchent comme par la main. On entendit, peu après, le bruit redoutable du ressac causé à terre par le choc formidable des flots en s'en approchant, s'y brisant et s'en retirant; l'on vit aussi à quelle énorme hauteur ils bondissaient en battant les rochers.

 

On fit observer à Colomb que la caravelle allait raser la terre d'une manière effrayante: «Attention à bien gouverner, répondit-il, obéissez exactement à mes moindres paroles, et, Dieu soit loué, nous sommes sauvés!»

Nul ne dit plus un mot: tous exécutèrent minutieusement les détails des manœuvres commandées par Colomb; la Niña marchait avec une vitesse qui semblait doublée par le voisinage de la terre; elle effleura les roches avec une précision admirable; elle entra ensuite en ligne droite dans le Tage; les marins bannirent alors toute crainte de leur cœur, et ils mouillèrent, le 4 mars, à trois heures du soir, en face de Rastello, près de l'embouchure du fleuve.

Ainsi, poussée par les vents en furie, assaillie par les lames menaçantes d'une mer déchaînée, mais commandée par le plus habile, et, tout à la fois, le plus audacieux des navigateurs, passa sous les rochers de Cintra la frêle Niña, portant dans ses flancs le grand Colomb, et les précieux échantillons des magnificences du Nouveau-Monde dont son génie lui avait révélé l'existence mystérieuse, et dont il venait de faire l'éclatante et pacifique conquête!

Les habitants accoururent à bord de divers points de la côte pour féliciter l'équipage de sa miraculeuse préservation; depuis le matin, ils n'étaient occupés qu'à observer ce malheureux bâtiment qui leur semblait voué à un naufrage certain, et ils n'avaient cessé de faire des prières pour son salut; les plus anciens d'entre eux disaient que jamais encore ils n'avaient été témoins d'une aussi rude tempête, et qu'ils avaient longtemps douté qu'avec un horizon aussi raccourci et se trouvant sans pilote de l'endroit, on eût pu discerner l'entrée du fleuve et tenter d'y pénétrer.

Dès son arrivée, Christophe Colomb expédia un courrier et des dépêches au roi et à la reine d'Espagne; il écrivit aussi au roi de Portugal, lui demandant respectueusement la permission d'aller mouiller à Lisbonne, afin d'y être plus en sûreté qu'à Rastello où il sut bientôt que les habitants pourraient bien attaquer sa caravelle qu'ils croyaient remplie d'or; il donna en même temps à Jean II un précis de son voyage, de la route qu'il avait suivie, des découvertes qu'il avait faites, et il eut grand soin de faire remarquer qu'il s'était constamment éloigné du chemin que prenaient les navires portugais d'exploration, afin de ne pas pouvoir être soupçonné d'avoir, en aucune manière, empiété sur leurs droits ou sur leurs prétentions légitimes.

Lisbonne ne fut remplie, après l'arrivée de la Niña, que de bruits et de nouvelles qui circulaient et volaient de bouche en bouche sur le miraculeux voyage de ce fragile navire qui revenait d'un pays inconnu et jusque-là nié par les hommes qui, dans la science, tenaient la place la plus éminente. On n'y parlait que des productions, que des richesses de ce pays, et surtout que des naturels que la caravelle avait rapportés. Le Tage était couvert de bateaux, de canots et d'embarcations qui ne faisaient qu'aller à bord visiter le bâtiment et revenir; parmi les visiteurs étaient des officiers de la couronne, des nobles, des cavaliers du plus haut rang. Tous étaient dans la joie et dans le ravissement en entendant le récit des détails des événements de l'expédition; ils admiraient avec une curiosité insatiable les plantes, les animaux et l'or rapportés par les marins; mais pendant que l'enthousiasme des uns n'avait pas de bornes, le mécontentement des autres ne tarissait pas sur les funestes effets des mauvais conseils qui avaient empêché le roi de se mettre en possession des terres découvertes avec tant de succès et de talent.

Le 8 mars, Christophe Colomb reçut un message de Jean II pour le féliciter sur son retour, ainsi que pour l'inviter à se rendre à la résidence royale de Valparaiso, située à neuf lieues de Lisbonne et où la cour se trouvait alors; Colomb fut en même temps informé que des ordres étaient donnés pour que lui-même et son bâtiment reçussent, sans frais, tous les objets et tous les secours qu'il lui plairait de demander. Le grand-amiral, afin d'éviter qu'on ne le soupçonnât capable de concevoir aucune méfiance, partit immédiatement.

À son approche de Valparaiso, il fut salué par les principaux personnages de la maison du roi qui l'attendaient pour lui présenter leurs respects et pour l'introduire aussitôt auprès de Sa Majesté. C'est avec ce cortége, et au milieu du cérémonial le plus recherché, qu'il entra chez le roi Jean. Le roi lui dit qu'il s'estimait heureux que le mauvais temps l'eût conduit à Lisbonne, puisqu'il se trouvait ainsi plus tôt informé de ses glorieuses découvertes; il le complimenta en termes très-obligeants sur la réussite de son entreprise, et après lui avoir dit qu'il serait charmé d'en connaître les principales circonstances de sa propre bouche, il lui ordonna de s'asseoir, ce qui était un honneur accordé seulement aux personnes du sang royal. Colomb répondit avec cette modestie distinguée qui lui était particulière, et le roi ne se lassait pas de l'écouter et de le questionner, mais plus spécialement sur les pays découverts et sur la route qu'il avait suivie tant en allant qu'à son retour. Christophe Colomb, qui avait pensé que ce serait là l'objet principal des questions de Jean II, avait apporté la carte de son voyage. Le roi fut sensiblement touché de cette attention délicate, et il retint l'illustre navigateur pendant quelque temps à la cour pour renouveler plusieurs fois un entretien qu'il trouvait si instructif. On ne peut douter, cependant, que Jean II n'eût plusieurs fois conçu la secrète et douloureuse pensée qu'un si beau projet lui avait été offert et qu'il l'avait refusé, comme aussi qu'il pouvait être à craindre que les découvertes dont il apprenait la nouvelle ne fussent préjudiciables aux avantages qu'il retirait des territoires désignés par la teneur de la bulle papale, laquelle garantissait à la couronne de Portugal la possession de toutes les terres placées dans l'Est du méridien du cap Non, et jusque dans l'Inde.

Il paraît même qu'il fit part de ces craintes à ses conseillers, parmi lesquels se trouvaient quelques-uns des hommes qui avaient ridiculisé et fait rejeter les propositions de Colomb. Il n'en fallut pas davantage pour donner l'essor à leur mauvais génie, car les cours sont ainsi faites qu'il s'y trouve toujours des flatteurs qui ne reculent devant rien pour se faire valoir, et qui ont le talent de colorer les plus détestables avis, d'un vernis de zèle, de patriotisme ou de dévouement, lequel manque rarement d'obtenir le résultat auquel ils tendent avec autant d'adresse que de mauvaise foi.

Une fois le champ ouvert à leur esprit de dénigrement, les uns prétendirent que la couleur, les cheveux et la structure des étrangers venus à bord de la Niña, s'accordaient parfaitement avec la description donnée de ceux des habitants de l'Inde qui étaient indiqués dans la bulle du pape; d'autres soutinrent qu'il y avait très-peu de distance entre les Açores et les terres vues par Colomb; qu'ainsi, les unes et les autres devaient appartenir au Portugal. Il y en eut qui cherchèrent artificieusement à exciter le ressentiment du roi, en prétendant que le grand-amiral, vain de ses nouveaux titres, avait eu un ton ironique en lui parlant, et cela pour se venger d'avoir vu ses propositions précédemment rejetées par la cour de Portugal.