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Vie de Christophe Colomb

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Toutefois, le grand-amiral persista dans son projet de reconnaître les côtes de Cuba jusqu'à leur extrémité orientale, point qu'il atteignit, en effet, et que, supposant devoir être la partie la plus avancée, soit de l'Asie, soit des îles qui en dépendaient, vers l'ancien continent, il nomma Alpha et Oméga, entendant, par là, le commencement, en venant d'Europe, et la fin en quittant l'Asie.

Il s'éloigna alors du cap qu'il avait ainsi nommé et il cingla vers le Nord-Est pour prendre le large; à peine avait-il pris cette route, qu'il vit dans le Sud-Est, de hautes montagnes à une très-grande distance; il augura que ce devait être une terre étendue, et immédiatement, il se dirigea pour s'en approcher. Dès que les Indiens de San-Salvador qu'il avait à son bord se furent aperçus de cette détermination, ils s'en montrèrent fort effrayés, affirmant que les habitants de cette terre étaient des cannibales d'un caractère très-féroce, et qu'ils n'avaient qu'un œil au milieu du front.

Colomb se garda bien d'écouter leurs plaintes; à mesure qu'il s'approchait de la côte, il était frappé de la pureté de l'air, de la sérénité d'un ciel dont la couleur bleue avait une teinte foncée magnifique, et du charme magique de tous les points de ce pays, à mesure que la scène se déroulait à ses yeux. Les montagnes étaient plus élevées que celles de Cuba; le roc en paraissait accidentellement à nu; mais des arbres incomparablement beaux végétaient au-dessus et au-dessous; des plaines immenses, de vertes savanes, des feux allumés pendant la nuit, des colonnes de fumée s'élevant de tous côtés pendant le jour, partout les traces de la culture, partout aussi la végétation la plus active!.. Tel était l'aspect de cette terre qui était l'île d'Haïti, nommée Espagnola par Colomb, devenue l'île de Saint-Domingue si justement surnommée alors la Reine des Antilles, ensuite ayant repris son ancien nom d'Haïti; et qui, depuis lors, ayant vu détruire la race indigène et celle des Européens qui s'y étaient établis, est actuellement sous la domination presque exclusive des noirs descendant des esclaves de la côte d'Afrique que les blancs y avaient introduits, et qui menacent de plonger ce beau pays dans la barbarie et dans la désolation.

Ce fut le 6 décembre que Colomb mouilla près de l'île qu'il venait de découvrir: le port dans lequel il entra est celui qui est situé dans sa partie occidentale, et il lui donna le nom de Saint-Nicolas qu'il porte encore en ce moment. Les habitants, effrayés à son approche, quittèrent soudainement leurs habitations et se réfugièrent dans l'intérieur: n'ayant donc pu effectuer aucune communication avec eux, il côtoya l'île dans le Nord, jusqu'à ce qu'il eût trouvé un autre port; il nomma celui-ci la Conception; il y prit une connaissance plus particulière du pays; et lui trouvant quelque ressemblance avec les plus belles provinces de l'Espagne, voulant aussi le marquer du signe de sa patrie d'adoption, il lui donna, ainsi que nous venons de le dire, le nom d'Espagnola, ou, comme on le dit assez fréquemment, d'Hispaniola.

Les naturels fuyant également lorsque les marins de l'expédition débarquèrent, ce fut en vain que ceux-ci s'efforcèrent d'opérer un rapprochement; toutefois, après bien des tentatives, ils parvinrent à se saisir d'une belle et jeune femme. Le grand-amiral l'accueillit avec la plus grande déférence et la renvoya parmi ses compatriotes, bien vêtue, comblée de politesses, d'attentions et de présents. Le lendemain, présumant bien des rapports que la jeune femme ferait de son séjour parmi les étrangers, Colomb dépêcha neuf hommes de son équipage, bien armés, accompagnés d'un insulaire de Cuba pour interprète, à la recherche du village le plus voisin. Ils en trouvèrent bientôt un qui était situé dans une charmante vallée, sur les bords d'une jolie rivière, et qui contenait un millier de maisons. Les naturels prirent d'abord la fuite; cependant, l'interprète les ayant joints et rassurés, ils revinrent au nombre de deux mille, mais ne s'approchant qu'en tremblant, et plaçant souvent leurs mains sur leur tête, en signe de respect et de soumission.

La jeune femme qui avait été l'objet des soins de Colomb parut bientôt aussi, portée en triomphe sur les épaules de ses compatriotes, suivie par une foule innombrable, et précédée de son mari qui montra la reconnaissance la plus vive du traitement qu'elle avait éprouvé. Revenus complètement, dès lors, de leurs terreurs, les insulaires conduisirent les Espagnols dans leurs cabanes, étalèrent devant eux de la cassave, du poisson, des racines, des fruits, et leur offrirent, hospitalièrement, tout ce qu'ils possédaient. Le grand-amiral avait prescrit que les relations avec les insulaires fussent toujours celles de la politesse et de la prévenance; les mesures prudentes et humaines qu'il ordonnait toujours à cet égard, étaient fidèlement observées, et la meilleure intelligence en était le résultat.

Peut-être, à la vérité, pourrait-on considérer comme un acte de violence l'enlèvement, quoique consenti, des indigènes de San-Salvador; mais Colomb sera facilement absous à cet égard, quand on réfléchira qu'il était de toute nécessité d'avoir une preuve irrécusable à apporter de la découverte de ces nouveaux pays, que c'était aussi une marque de déférence due à l'autorité des souverains espagnols, que même, selon les idées du siècle, c'était un grand pas de fait pour assurer le salut de l'âme de ces mêmes indigènes, et par-dessus tout, enfin, que la ferme résolution de Colomb était de les ramener, dans un autre voyage, au sein de leur pays natal.

Les habitants de cette île que l'on sut d'eux avoir le nom d'Haïti, parurent aux Européens plus beaux et plus civilisés que tous ceux qu'ils avaient vus jusque-là, et ils étaient également doués de cette docilité dont le vice-roi avait toujours tiré un parti si avantageux; quelques-uns furent remarqués comme étant parés d'ornements en or, ce qui donna à supposer que l'île en contenait des mines, d'autant qu'ils paraissaient y attacher fort peu de prix, car ils les échangèrent volontiers contre quelques bagatelles que leur donnèrent les Espagnols.

Dans un des mouillages où le grand-amiral fut retenu par les vents contraires, un jeune cacique porté par quatre hommes dans une litière et suivi de deux cents de ses sujets, vint faire une visite à Colomb à bord de la Santa-Maria. Il entra dans la dunette, où le couvert se trouvait mis et le dîner servi; il s'assit près du grand-amiral avec beaucoup d'aisance, et deux vieillards qui ne le quittaient pas se placèrent à ses pieds, les yeux fixés sur ses lèvres comme pour saisir ses moindres paroles ou prévenir ses moindres désirs. Si Colomb lui offrait quelques mets, il se contentait de goûter ce qu'on lui donnait, il remettait le reste aux deux vieillards et conservait toujours autant de sérieux que de dignité.

Après dîner, il offrit à Colomb une espèce de baudrier assez habilement travaillé. Le grand-amiral lui fit, en retour, plusieurs présents, et lui montra une pièce d'or portant l'empreinte des traits de Ferdinand et d'Isabelle; mais ce fut en vain qu'il s'efforça de chercher à donner au cacique une idée de la puissance de ces souverains, l'Haïtien ne voulut jamais croire qu'il y eût un pays sur la terre où l'on pût trouver des choses aussi étonnantes que celles qu'il voyait ou des êtres aussi merveilleux; il persista donc dans l'opinion que les Espagnols étaient plus que des mortels, et que les contrées ainsi que les souverains dont on lui parlait, ne pouvaient exister que dans les cieux.

Le 20 décembre, Colomb jeta l'ancre dans un port auquel il donna le nom de Saint-Thomas, qu'on suppose être la baie actuelle d'Acul. Bientôt, il vit accoster le long de son bord une grande pirogue portant des messagers d'un grand cacique appelé Guacanagari, dont la résidence était à quelques lieues plus à l'Est et qui régnait sur toute cette partie de l'île. Ces messagers lui apportaient, en présent, un grand baudrier d'un travail fort ingénieux, et un masque en bois dont les yeux, le nez et la langue étaient d'or. Ils invitèrent Colomb, au nom de leur souverain, à conduire ses bâtiments jusqu'au point de la côte qui faisait face à sa résidence; le vent contraire s'y opposait en ce moment, mais, pour répondre convenablement à cette invitation, le grand-amiral envoya l'officier civil de la Santa-Maria dans un canot bien armé et bien installé, porter sa réponse au cacique, et le remercier de sa politesse. L'officier civil, à son retour, rendit un compte si favorable des bonnes dispositions de Guacanagari, de l'accueil qu'il en avait reçu et de l'aspect du village, que Colomb se promit de partir pour la résidence du cacique, aussitôt que le vent le permettrait.

Le 24 décembre, les caravelles appareillèrent donc pour se diriger vers le point de la côte où devait se trouver le village de Guacanagari; la journée fut belle et le vent était peu fort. À onze heures du soir, il ne restait guère plus qu'une lieue à faire pour arriver; Colomb donna ses ordres et il rentra chez lui pour prendre quelques moments de repos.

On peut avoir remarqué avec quelle vigilance et quelle habileté il fallait que le grand-amiral eût navigué jusqu'alors, et dans les mers ainsi que sur des côtes où les courants, les écueils, les calmes, les variations des brises de terre et de mer rendent encore de nos jours la navigation difficile, pour avoir toujours dirigé et conduit ses bâtiments sans que le moindre accident leur fût survenu; mais hélas! telle est la profession du marin, que la moindre négligence peut avoir les conséquences les plus funestes; et c'est ce qui arriva en ce moment à la Santa-Maria.

À peine le grand-amiral était-il couché et, selon son habitude, tout habillé sur son lit de repos, que le maître de l'équipage, à qui il venait lui-même de transmettre ses instructions et de recommander de veiller à la route et de faire fréquemment sonder, avec injonction de le faire avertir s'il se présentait quelque circonstance extraordinaire, que ce même maître d'équipage descendit lui-même dans l'entre-pont, et se livra au sommeil, laissant le gouvernail aux mains d'un jeune homme assez inexpérimenté, sans autre guide que lui-même. Chacun était à bord dans la plus parfaite sécurité et dans le repos le plus complet, d'autant que la brise était fort légère et que la vitesse du navire paraissait peu considérable. Toutefois, il n'en était pas ainsi, car la caravelle se trouva bientôt sous l'influence d'un courant aussi vif qui, sans se manifester par aucun signe, l'entraîna rapidement sur un banc de sable où elle toucha: le choc fut assez fort pour ébranler la mâture et pour réveiller tout l'équipage qui monta précipitamment sur le pont où Colomb fut le premier rendu.

 

Le grand-amiral, voyant que son bâtiment se couchait de plus en plus sur ce banc, et qu'il menaçait de s'y briser à la levée des lames, fit immédiatement mettre la chaloupe à la mer et y embarqua une ancre, qu'il envoya mouiller au large afin d'essayer de se remettre à flot en faisant force sur le câble de cette ancre. Mais les chaloupiers étaient si effrayés, qu'au lieu d'aller mouiller l'ancre, ils se rendirent à bord de la Niña pour y chercher refuge. Vincent Pinzon, qui la commandait, les reçut très-rudement, et, en brave marin qui connaissait ses devoirs, il s'embarqua lui-même dans un de ses canots, et se hâta d'aller offrir ses services à son chef.

Cependant, le courant et la houle continuèrent à charger la Santa-Maria sur le banc; quand l'ancre fut mouillée et le câble roidi, on allégea le navire en jetant à la mer plusieurs objets de poids et en coupant la mâture; mais tout fut inutile, la carène s'entr'ouvrit, l'eau gagna l'intérieur, et il n'y eut de parti possible que celui de sauver l'équipage, en le conduisant à bord de la Niña. Un exprès fut aussitôt envoyé au cacique pour l'informer de ce désastre.

Au point du jour, ce fut un bien douloureux spectacle que de voir la Santa-Maria qui, quelques heures auparavant, flottait encore toutes voiles dehors et dans l'éclat d'un navire parfaitement en état de dominer l'élément où il se trouvait, gisant actuellement sur le sable, démâtée, remplie d'eau, ayant les flancs déchirés et offrant les tristes caractères d'un naufrage irrémédiable. La Niña était intacte, il est vrai, et mouillée dans le voisinage, mais un sentiment d'isolement et d'abandon s'emparait des assistants, en pensant à ce navire dont le nom seul indiquait l'exiguïté, car Niña (prononcez Nigna), en espagnol, signifie Petite; en pensant, disons-nous, à ce navire qui n'était guère qu'une simple felouque, élevée au rang de bâtiment-amiral et devenue la seule ressource de l'expédition, au moment où l'on allait avoir à affronter la rude épreuve d'un retour en Europe. Ce fut en faisant ces pénibles réflexions, que chacun sentit plus vivement encore le grave préjudice qu'occasionnait la désertion coupable de la Pinta.

Lorsque le cacique apprit ce naufrage, il s'en montra affligé au point de verser des larmes, et il se disposa à remplir les devoirs de l'hospitalité, de la manière la plus généreuse. Il rassembla ses sujets, fit armer toutes leurs pirogues, les envoya au secours des Européens, et mit tout ce qu'il possédait au service de Colomb. Ce qu'on put retirer de la Santa-Maria fut transporté à terre et déposé près de l'habitation de Guacanagari, sous les soins de gardes vigilants; des cabanes furent préparées pour les marins et l'on n'eut à se plaindre d'aucun manque d'égards, d'aucune soustraction de la part des naturels, quelque précieux que pussent leur paraître les objets qui se trouvaient comme sous leurs mains. Ils manifestèrent, au contraire, un chagrin profond, et s'attachèrent à démontrer combien ils avaient à cœur de se rendre utiles aux naufragés et de les consoler.

Colomb fut attendri de tant de bienveillance; dans son journal, qui était destiné à être vu par les souverains de l'Espagne, on ne peut lire sans émotion la phrase suivante, dans laquelle il rend compte de l'impression qu'il en reçut. «Ces insulaires aiment leurs voisins comme eux-mêmes, leurs paroles sont toujours aussi aimables que douces; le sourire ne quitte pas leurs lèvres, et j'affirme à Leurs Majestés qu'il n'y a pas au monde une terre plus belle, ni un peuple meilleur.»

Ces sentiments, si noblement exprimés, font le plus grand honneur à la sensibilité de Colomb; mais son âme magnanime ne se laissait-elle pas abuser par des apparences souvent trompeuses?

Tel fut le sort fatal de la Santa-Maria, de ce navire qui eut l'insigne honneur de porter le plus illustre des navigateurs, lorsqu'il montra la route du Nouveau-Monde à l'Espagne si longtemps incrédule, et à l'Europe émerveillée: elle périt tristement; mais son nom vivra, ainsi que celui de la Pinta et de la Niña, jusqu'à la postérité la plus reculée; et la marine espagnole est toujours fière de compter, parmi ses bâtiments, trois d'entre eux qui portent ces noms glorieux, afin qu'ils soient sans cesse présents au souvenir de ses marins.

Lors de la première entrevue du grand-amiral avec le cacique, l'insulaire témoigna encore la plus touchante sympathie, et offrit à Colomb tout ce qu'il pouvait posséder; il avait fait préparer, pour le mieux recevoir, un grand banquet pendant lequel un millier de naturels entourèrent le lieu du festin, et se livrèrent à des jeux et à des danses de leur pays. Le grand-amiral, pour se montrer reconnaissant de cet accueil, voulut également animer la scène, mais, en même temps, il désira frapper l'esprit des Indiens par l'impression de la puissance formidable des Espagnols.

Un Castillan qui avait assisté au siége de Grenade simula un combat acharné contre un Maure, et fut fort admiré par le cacique; ensuite une arquebuse et, finalement, un canon, furent déchargés avec fracas. Au bruit de ces détonations inattendues, les naturels tombèrent la face contre terre comme s'ils avaient été frappés de la foudre; leur frayeur redoubla encore quand ils virent les effets des balles et du boulet dans le feuillage et parmi les arbres dont quelques-uns furent coupés en deux. Colomb les rassura en leur disant qu'il avait voulu leur faire juger la force irrésistible de ses armes, pour leur faire voir de quel secours il pourrait leur être contre les Caraïbes, dont il avait entendu parler comme étant leurs ennemis les plus terribles. Dès lors, et dans cette confiance, les naturels passèrent de l'effroi à la joie la plus immodérée, se considérant comme invincibles tant qu'ils seraient sous la protection des enfants du ciel qui portaient le tonnerre et les éclairs dans leurs mains.

Guacanagari, lui-même, parut si ravi, qu'il se fit apporter une couronne d'or, la plaça sur la tête de Colomb, attacha autour de son cou plusieurs pièces ou plaques du même métal, et fit des cadeaux considérables aux hommes de la suite du grand-amiral. Tout ce qu'il reçut en retour des Européens fut regardé par lui comme des présents de la Divinité, et les naturels ne se lassaient pas de dire que tous ces objets, qui au fond n'étaient que des bagatelles, venaient indubitablement du ciel.

Le cacique ne manqua pas de remarquer le plaisir que les Espagnols prenaient à la vue de l'or; aussi informa-t-il le grand-amiral que plus loin, dans les montagnes, ce métal était si abondant qu'on ne l'y voyait qu'avec indifférence. Christophe Colomb nota ces renseignements avec soin, et il en joignit quelques autres qui lui parurent aussi utiles à recueillir.

Trois grandes cabanes furent préparées pour les naufragés qui, vivant ainsi au milieu des naturels et se mêlant librement avec eux, furent fascinés par leurs habitudes de vie douces et commodes. Il était difficile, d'ailleurs, de rester indifférent à l'éclat naturel du pays, où, comme sur les bords de la Méditerranée, la hardiesse des sites est tempérée par la douceur d'une latitude peu élevée qui répand autour des lacs, sur le bord des fleuves, et même sur les promontoires, des charmes pareils à ceux que, comme on l'a dit poétiquement, la beauté d'une femme emprunte à un sourire radieux!

Quand il arrivait à ces navigateurs de remonter une rivière, ils parvenaient alors dans quelque vallée où la nature semblait avoir épuisé tous ses moyens de séduction. Le paysage avait un aspect hardi, mais que la présence de l'homme avait dépouillé de sa rudesse. Ainsi, ces lieux possédaient une grâce naturelle parfaite, que n'avait pas affaiblie la régularité trop étudiée des travaux des peuples civilisés. Les cases, quoique simples comme les besoins de leurs propriétaires, n'étaient pas dépourvues d'élégance; les fleurs s'épanouissaient, quoique le soleil se trouvât à l'extrémité du tropique opposé, et les branches fécondes de la plupart des arbres fléchissaient sous le poids de fruits exquis, dont quelques-uns étaient fort nourrissants. Ajoutez à cela qu'une grande partie de la journée se passait dans le repos, dans la jouissance de sensations inspirées par un climat voluptueux, et que, le soir, avaient lieu les danses du pays au son de leurs rustique tambours.

Il n'est donc pas étonnant que plusieurs Espagnols, comparant les rudes labeurs de leur existence de marins, avec les douceurs de celle des Indiens, aient, eux-mêmes, représenté au grand-amiral les inconvénients d'embarquer tout le personnel de la Santa-Maria sur la Niña, et qu'ils se soient offerts à rester dans l'île jusqu'au retour de Colomb sur un plus grand bâtiment. Il est certain qu'il y avait de grands dangers à courir en retraversant l'Océan sur un aussi frêle navire que la Niña; il pouvait bien en exister aussi à rester à Hispaniola, mais ils devaient paraître moindres; aussi, le grand-amiral y donna-t-il son consentement. Toutefois, il voulut pourvoir ceux dont il se séparait presque forcément, d'une garantie de sécurité, et il ordonna que l'on élevât une forteresse pour les recevoir: c'était, selon lui, un commencement de colonisation; les débris de la Santa-Maria devaient en fournir amplement les matériaux; les hommes qu'il allait laisser exploreraient l'île, apprendraient la langue du pays, et les renforts qu'il ramènerait d'Europe compléteraient l'œuvre. Telles étaient les pensées de Colomb, elles souriaient à son imagination et il faut convenir que c'était ce qu'il y avait de mieux dans la situation où il se trouvait.

Guacanagari, à qui Colomb fit part de ces projets, se montra fort satisfait que les Espagnols laissassent auprès de lui un détachement qui pourrait le défendre contre les Caraïbes, il se réjouit aussi de l'espoir qu'il en concevait de revoir prochainement Christophe Colomb, et il ordonna à ses sujets de travailler de concert avec les marins de l'expédition à l'érection de la forteresse.

Pendant qu'on se livrait à ces travaux, quelques Indiens du voisinage qui se rendirent sur les lieux, donnèrent l'assurance qu'ils avaient vu, au mouillage, à quelques lieues dans l'Est, un autre bâtiment que Colomb pensa ne pouvoir être que la Pinta. Aussitôt, il dépêcha un bon canot à sa recherche, avec un ordre formel adressé à Alonzo Pinzon de venir le joindre immédiatement. Ce canot parcourut un espace de trente lieues; n'ayant pas vu la Pinta, il se trouva à court de provisions, il revint, et le grand-amiral eut le chagrin de penser que si la Pinta elle-même était aussi perdue, tout le succès de l'expédition reposerait sur sa petite caravelle, qui aurait à refaire une longue et dangereuse navigation, dans laquelle il n'était pas improbable que quelque sinistre accident vînt faire ensevelir, dans le profond abîme des mers, toutes les circonstances de son voyage et de ses découvertes.

C'était le jour de Noël 1492, que la Santa-Maria avait fait naufrage; le 4 janvier suivant, la forteresse était finie et Colomb put appareiller pour effectuer son retour. Cette forteresse était une tour en bois, élevée solidement sur une voûte et entourée d'un fossé: des canons, des munitions, des provisions de toute espèce y furent laissés, et le grand-amiral lui donna le nom de la Navidad ou de la Natividad, c'est-à-dire de la Nativité, ce qui était une allusion au jour de Noël qui, comme nous venons de le dire, était celui de son naufrage, et en même temps une action de grâces à la Providence, pour avoir permis qu'en ce fatal événement aucune personne de son équipage n'eût péri.

Dans le nombre des hommes qui avaient demandé à rester dans l'île, Colomb en choisit trente-neuf qu'il plaça sous les ordres de Diego de Arana, officier civil et capitaine d'armes de la Santa-Maria; en cas de décès, Pedro de Guttierez devait lui succéder; après lui venait en rang Rodrigo de Escobido. Il serait superflu de chercher à décrire avec quel serrement de cœur Colomb pensa à se séparer de don Pedro de Guttierez à qui il s'était vivement attaché; mais le caractère chevaleresque de ce noble espagnol lui faisait rechercher avidement toutes les occasions où il y avait du danger ou de la gloire à acquérir; aussi, se confiant à la bonté divine et en un retour prochain du grand-amiral, il l'avait instamment prié de le laisser sous les ordres de Diego de Arana. Les instructions expresses que laissa Colomb aux défenseurs de la forteresse furent d'être subordonnés envers leurs chefs, respectueux pour Guacanagari, circonspects et affectueux à l'égard des naturels et, surtout, unis entre eux, parce que, en cas de dissidence avec les insulaires, leur principale force consisterait dans leur union; il ajouta ensuite qu'il les engageait à chercher prudemment à prendre connaissance du pays, à s'informer de ses productions, de ses mines s'il y en avait, et à établir des relations amicales avec les voisins de la localité.

 

Avant son départ, Colomb crut convenable de déployer tout le fracas d'un appareil militaire, car il s'était convaincu que rien ne pouvait plus émouvoir ces peuples ni les mieux disposer. Des escarmouches, des combats simulés eurent encore lieu; on mit en jeu les lances, les boucliers, les épées, les arcs, les armes à feu; et quand tous les canons de la tour tirèrent, et que la forteresse fut enveloppée par la fumée de la poudre, quand les forêts retentirent de ce bruit inusité, les naturels demeurèrent comme pétrifiés de respect et d'admiration.

Au moment des adieux, Guacanagari fut vu répandant des larmes de chagrin; son cœur paraissait avoir été complètement gagné par la puissance surhumaine qu'il attribuait à Colomb non moins que par sa bienveillance et son air de dignité naturelle, et il témoigna toutes sortes de regrets. Les adieux furent encore plus tristes quand les marins qui partaient embrassèrent ceux qui restaient dans l'île et dont les résolutions parurent un moment chanceler. Colomb tint longtemps pressé contre sa poitrine Diego de Arana et surtout don Pedro de Guttierez, qui s'était accoutumé à voir un second père en Christophe Colomb; enfin, il fallut se séparer; et si l'on était destiné à ne plus se revoir, il était difficile de prévoir si la cause en serait dans les chances hasardeuses de la navigation sur un navire comme la Niña, d'un côté; ou de l'autre, dans les périls qui pourraient accompagner un établissement certainement assez précaire sur un sol étranger et parmi des hommes presque encore inconnus.

Une remarque essentielle à faire, c'est que l'expédition était arrivée à San-Salvador à peu près à la mi-octobre, et que c'est l'époque où finit la saison de quatre mois que dure l'hivernage dans ces contrées. Or, par le mot hivernage, on entend la période pendant laquelle règnent, aux Antilles, les pluies, les vents variables, les calmes, les chaleurs étouffantes, les orages et, quelquefois, ces ouragans terribles dont nous n'avons pas d'idée dans nos climats, qui renversent les maisons, déracinent les arbres, détruisent les récoltes pendantes, et font courir les plus grands dangers aux navires qui se trouvent dans leur rayon d'action, mais plus, peut-être, à ceux qui sont mouillés sur les rades qu'à ceux qui sont surpris en mer par ces fléaux destructeurs. Tout le reste de l'année offre une série de jours ravissants par la pureté du ciel ainsi que par l'agrément de la température; les vents alizés reprennent un empire non interrompu au large des îles, et avec eux la navigation devient généralement douce: près de celles qui ont quelque étendue, elle est encore plus facile par les alternatives des brises de terre et du large qui soufflent, les premières pendant la nuit, les secondes après le lever du soleil.

Ce fut dans ces dernières circonstances que les caravelles avaient eu à faire leurs explorations; Colomb qui ne vit jamais, pendant son séjour, que les temps les plus propres à seconder ses desseins, put donc croire qu'il en était constamment ainsi, et que ces parages étaient perpétuellement sous les mêmes influences; aussi, en quittant la Navidad, pensa-t-il d'abord à prolonger la côte Nord d'Hispaniola vers l'Est pour en constater l'étendue, ensuite à louvoyer, s'il le fallait, dans les vents alizés, pour regagner à peu près le méridien des Açores.

Certes, de nos jours ou avec nos bâtiments, une semblable idée n'aurait pas la moindre apparence de rationalité, puisqu'on sait qu'en gouvernant vers le Nord dès le départ d'Haïti, on arrive assez promptement au delà du tropique, où l'on trouve bientôt la région des vents variables qui donnent des chances favorables, malgré le détour que l'on fait, d'arriver assez rapidement aux atterrages de l'Europe; mais Colomb ne pouvait pas avoir l'expérience des brises le plus communément régnantes, soit au Nord, soit au Sud du tropique, et la route qu'il se décida à prendre et qui a été critiquée, était pourtant la meilleure à laquelle il pût songer: d'ailleurs, il faut réfléchir que la Niña était un navire de très-petite dimension et non ponté dans sa partie centrale; or, le grand-amiral devait espérer que les mers intertropicales seraient beaucoup plus favorables à la navigation de ce petit bâtiment, et lui feraient courir infiniment moins de risques que celles des latitudes plus élevées, s'il allait les chercher en partant.

Au surplus, il eut fort à s'applaudir de la détermination qu'il avait prise; en effet, le troisième jour après son départ, la vigie cria: navire! Le bâtiment aperçu qui, de son côté, venait d'avoir connaissance de la Niña changea aussitôt de route et se dirigea vers elle. C'était la Pinta qui se couvrit de voiles pour que la jonction eût lieu plus tôt; les marins de la Niña, en revoyant ce navire, ressentirent un moment de bonheur comparable, peut-être, à celui qu'ils avaient éprouvé, lorsque la terre de San-Salvador fut découverte par eux.

Alonzo Pinzon, appelé à bord du grand-amiral par un signal, s'y rendit immédiatement; il chercha à excuser sa séparation, en alléguant un grain tombé à son bord qui lui avait apporté un violent vent contraire, et en faisant valoir l'obscurité de la nuit. Colomb l'écouta avec une froideur glaciale, il évita de rien lui dire qui pût réveiller ses ressentiments, et il le quitta en lui donnant, par écrit, l'ordre positif de ne jamais le perdre de vue.

Cependant les canotiers de la Pinta avaient parlé, et Christophe Colomb apprit bientôt, par son ami le docteur Garcia Fernandez, qu'Alonzo s'était éloigné de lui avec préméditation, et que, guidé par des naturels qu'il avait à son bord, il était allé à la recherche d'une partie de l'île où il devait trouver beaucoup d'or: là, il en avait effectivement recueilli une assez grande quantité; comme capitaine, il en avait gardé une moitié, et il avait abandonné l'autre à son équipage; finalement, en appareillant, il avait emmené, par force, quatre Haïtiens et deux Haïtiennes avec l'intention avouée de les vendre à son profit, en arrivant en Espagne.

Le grand-amiral, après avoir reçu ces renseignements, fit voile vers une rivière qui était celle où Alonzo avait jeté l'ancre, et à laquelle il substitua le nom de Rio-de-Gracia à celui de la rivière Martin-Alonzo que lui avait donné le capitaine de la Pinta: en arrivant, il fit habiller les six insulaires, leur distribua des présents et les fit conduire à terre, Alonzo voulut essayer de résister à ces dispositions; il lui échappa même quelques paroles violentes; mais le grand-amiral le remit à sa place, le menaça du courroux des souverains espagnols, et la restitution eut lieu.