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Vie de Christophe Colomb

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Cette reine, si grande et si adorée, venait, en effet, d'être frappée dans ses affections les plus chères: son fils, le prince Juan, avait été enlevé à ses embrassements par une mort précoce; la princesse Isabelle, sa fille, son amie de cœur et qui était si digne de l'être, avait péri dans la fleur de sa belle jeunesse; et son petit-fils, Don Miguel, devenu l'héritier présomptif de la couronne, les avait suivis dans la tombe. Enfin, son autre fille, Juana, dont le mariage avec l'archiduc Philippe devint pour elle une source de calamités, donnait à la reine des inquiétudes bien cruelles, à cause de l'altération survenue à ses facultés intellectuelles. On comprend quelle tristesse assiégeait son esprit depuis toutes ces infortunes, et quelle profonde mélancolie dut s'emparer d'un cœur qui était un vrai trésor de tendresse maternelle. Sa santé ne put que s'en ressentir avec beaucoup d'intensité; Colomb, qui avait été informé de ces lugubres détails, avait trop de délicatesse dans les sentiments pour chercher à faire connaître à Isabelle la fâcheuse position où ses propres affaires se trouvaient. Il se contenta donc, en lui écrivant, de lui parler de ses respects, de ses douleurs pour ce qui avait trait aux malheurs qu'elle éprouvait, de son dévouement sincère et éternel à sa personne; mais, toujours, il lui épargna le récit de ses afflictions personnelles, parce qu'il pensait que ce serait ajouter aux regrets de la reine qui n'en avait que trop de particuliers.

Tant d'assauts réitérés furent plus que n'en pouvait supporter Isabelle; la maladie s'empara d'elle avec une progression fatale; enfin, ce fut un jour, pendant que Colomb écrivait: «Puisse la Sainte-Trinité prendre en pitié les maux de notre reine souveraine, et la rendre à la santé!» qu'il apprit qu'elle venait de succomber sous le poids de ses peines.

Ainsi mourut, à Médina del Campo, le 26 novembre 1504, et à l'âge de 54 ans seulement, la reine Isabelle que l'on peut citer comme un modèle achevé. Elle avait pris la part la plus active à l'expulsion des Maures, à cette guerre sainte qui finit par l'établissement de l'indépendance nationale, par la libération complète du territoire espagnol et qu'il avait fallu des siècles pour accomplir; elle fut la cause intelligente et première de l'exécution des plans merveilleux de Christophe Colomb, jusque-là et partout, qualifiés de chimériques et d'absurdes; sa vie entière fut employée à l'amélioration des institutions qui régissaient ses sujets; elle fut la protectrice des sciences et des arts auxquels elle fit faire des progrès marqués dans ses États; sa bienfaisance, son humanité ne connaissaient pas de bornes; son esprit élevé la fit toujours considérer avec une sorte de respect par le roi, son époux, que seule elle avait le pouvoir de ramener souvent à des idées moins sévères ou moins absolues; elle était d'une piété libérale et éclairée; enfin, elle avait été belle entre toutes les femmes, et nous n'en connaissons aucune, ni dans les temps modernes, ni dans les temps anciens, qui l'ait surpassée, qui l'ait même égalée en véritable grandeur, en noblesse et en bonté!

On peut juger du désespoir de Colomb, en apprenant cette mort funeste. Ce fut un coup de foudre pour lui, qui avait aussi tant de véritable grandeur, tant de noblesse et de bonté! L'impression en fut si considérable que sa maladie en prit aussitôt un caractère plus fâcheux. Bientôt, hélas! il ne put plus écrire. Persuadé qu'une entrevue avec le roi Ferdinand était devenue indispensable, il avait, à tout prix, résolu de partir pour la cour, et il avait commandé une litière qui se rendit à sa porte pour l'y conduire; mais, sous l'impression terrible de la mort de la reine, sa santé ne lui laissa pas la faculté d'y monter.

Dans son testament, la reine avait dit: «Que mon corps soit enterré dans le monastère de San-Francisco, au milieu de l'Alhambra de la ville de Grenade; que mon sépulcre soit d'une extrême simplicité, qu'il n'y ait qu'une pierre ordinaire pour le recouvrir et qu'une inscription peu fastueuse, en harmonie avec la modestie de mes goûts!.. Mais si le roi, mon cher époux, choisit un lieu de sépulture dans quelque autre monastère ou église du royaume, que mon cercueil y soit aussitôt transporté, et que j'y sois ensevelie à côté de lui, afin que la bienheureuse union dont nous avons joui ensemble pendant la vie, et qui, j'en ai la consolante espérance, continuera, avec la grâce de Dieu, à régner pour nos âmes dans le ciel, ne cesse point sur la terre et y soit ainsi représentée!»

Isabelle fut, en effet, enterrée dans l'Alhambra; le roi Ferdinand voulut aussi y être enseveli, et il ordonna que leurs restes mortels reposassent ensemble. Les effigies des deux royaux époux y ont depuis été sculptées, l'une près de l'autre, sur un tombeau somptueux; l'autel de la chapelle en est orné de bas-reliefs représentant la conquête de la ville de Grenade, et nous regrettons sincèrement que ces bas-reliefs ne représentent pas également la découverte du Nouveau Monde, ainsi que l'image du grand et pieux Colomb pliant aux pieds de la grande et pieuse Isabelle pour qui il avait toujours eu tant de vénération!

Trois siècles et demi ont passé depuis la mort de cette reine adorable, les regrets qu'elle causa ont conservé leur vivacité, et nous en lisons encore l'expression dans un écrit récemment publié, dont nous transcrivons le passage suivant:

«Le testament de cette admirable femme témoigne de la modeste humilité de son cœur, dans lequel les affections de l'amour conjugal étaient délicatement confondues avec la religion la plus fervente, avec la plus tendre mélancolie. Elle fut un des esprits les plus purs qui aient jamais donné des lois à une nation. Quel malheur pour l'humanité qu'une si grande souveraine n'ait pas vécu plus longtemps! Sa vigilance bienveillante aurait prévenu bien des scènes d'horreur qui se sont trouvées mêlées à l'œuvre de la colonisation du Nouveau Monde, et elle aurait adouci le sort de ses malheureux habitants. Toutefois, tel qu'il est encore, son nom brillera éternellement d'un céleste éclat dans l'aurore de l'histoire de cette découverte!»

C'était à son fils Diego qu'était adressée la lettre que Colomb écrivait, quand il reçut la nouvelle de cette mort funeste; aussitôt, il y ajouta ces paroles écrites au milieu de l'accablement qu'il ressentait de ce triste événement, mais qui portent l'empreinte du plus touchant attendrissement.

«Que te reste-t-il à faire, mon cher fils Diego? D'abord et avant tout, prie Dieu pour l'âme de la reine qui fut notre souveraine, quoique sa vie, modèle de piété, ne nous laisse aucun doute qu'elle a été admise dans les gloires du ciel, et qu'elle est actuellement bien élevée au-dessus des soucis de ce monde. Ensuite, attache-toi à faire tout ce qui dépendra de toi pour le bien du service du roi et pour adoucir son chagrin. Sa Majesté est le chef de la Chrétienté, et souviens-toi du proverbe qui dit que lorsque la tête souffre, le corps entier est malade. Nous, chrétiens, nous devons donc oublier nos ressentiments si nous en avons, et ne penser qu'à adresser au Tout-Puissant des vœux pour le bonheur du roi, pour sa santé, et pour qu'il ait une longue et glorieuse existence; nous sommes, d'ailleurs, toi et moi, particulièrement à son service, et nous devons prier plus encore que tout autre.»

Heureusement pour Colomb qu'il avait auprès de lui son ancien Adelantado, son frère chéri, Don Barthélemy, qui toujours fidèle, respectueux et dévoué, s'empressait auprès de lui et qui, tout en comprenant son affliction, tout en la partageant, s'efforçait, par les moyens les plus délicats, par les soins les plus assidus, à la lui faire oublier et à le consoler. Certes, en le voyant doux et soumis, comme l'eût été la plus tendre des filles auprès d'un père bien-aimé, on n'eût jamais soupçonné en lui le courage intrépide du guerrier valeureux qui avait massé ses soldats et chargé si rudement les Indiens le jour de la bataille de la Vega Real, de celui qui, de sa main puissante, avait terrassé le colossal Quibian, et dont le bras vigoureux avait fait prisonnier le rebelle et audacieux Porras!

Fernand, second fils de Colomb qui avait fait avec lui sa dernière campagne, était aussi auprès de lui et secondait Don Barthélemy dans ses soins affectueux; leur concours empressé parvint à rendre une amélioration momentanée à la santé de l'illustre malade, et la goutte qui avait envahi ses mains, en fut enfin chassée. Colomb, se voyant un peu mieux, conçut le projet d'envoyer à la cour ce jeune homme qui avait alors 17 ans: Don Barthélemy fut chargé de l'y conduire et, en même temps, de veiller au succès de ses propres démarches ou de ses affaires. Ce projet de Christophe Colomb alarma singulièrement son frère, qui croyait que le malade était encore plus sérieusement menacé qu'on ne le pensait, et qui résista, aussi longtemps qu'il le put, sans désobéir formellement à son frère. Mais Colomb exprima sa volonté avec tant de fermeté, que Don Barthélemy se rendit respectueusement à une intention si fortement manifestée, et qu'il partit, d'autant que, pour contredire trop ouvertement Colomb, il aurait dû dire, ou au moins donner à entendre qu'il craignait pour ses jours, et que c'eût été, probablement, agir d'une manière très-compromettante sur le moral du malade, dont l'état, d'ailleurs, n'était pas encore tout à fait désespéré.

Colomb chargea, en particulier, Don Barthélemy d'une lettre pour son fils Diego, dans laquelle, après avoir dépeint Fernand comme un jeune homme d'une intelligence et d'une conduite fort au-dessus de ce qu'on pouvait attendre de son âge, il cherchait à lui inculquer les avantages des liens de famille et de l'attachement fraternel; il y faisait ensuite une allusion chaleureuse et touchante au bien qui lui était personnellement résulté d'avoir pratiqué de semblables sentiments.

«Envers ton frère, disait-il, conduis-toi comme un frère aîné le doit envers ses cadets, c'est-à-dire comme un père. Tu n'en as pas d'autres que lui, et je rends grâce à Dieu qu'il soit tel que tu ne pourrais jamais en avoir eu de meilleur. Quant à moi, je n'ai pas eu de plus sincères amis que mes frères. Que de services ils m'ont rendus, quelle affection inépuisable j'ai trouvée dans leurs cœurs!»

 

Une circonstance particulière de la vie de Colomb fut, qu'à cette époque, Amerigo Vespucci (Améric Vespuce), le même qui, d'après les cartes que Colomb avait envoyées en Espagne et qui avaient été livrées par Fonseca, avait fait, avec Ojeda, un voyage au continent qui avait reçu son nom, se trouvait alors à la cour d'Espagne. Colomb entretint avec lui des relations amicales dans lesquelles rien ne dénote qu'il fut seulement contrarié que les terres qu'il avait lui-même découvertes eussent été appelées du nom de son compétiteur, et il en parle toujours comme d'un homme malheureux, n'ayant pas retiré autant d'avantages qu'il l'aurait dû de ses entreprises, digne d'un meilleur sort, et s'étant montré fort empressé à lui être utile ou agréable.

Enfin, au mois de mai 1505, le malade, se sentant quelques moments de répit, en profita et se rendit, quoique avec beaucoup de difficulté, à la cour qui était en ce moment à Ségovie; mais celui qui, peu d'années auparavant, avait fait à Barcelone une entrée triomphale, n'était plus qu'un homme fatigué, triste et négligé. Il ressentit cruellement la disparition de sa constante protectrice, de la magnanime et bienveillante Isabelle. En effet, il ne trouva plus la bonté cordiale, la sympathie vivifiante, les attentions délicates qu'elle lui avait toujours témoignées et qu'il méritait plus que jamais qu'on lui prodiguât, à cause de son âge, des services qu'il avait continué à rendre, et des souffrances qu'il avait éprouvées. Le roi, il est vrai, lui fit beaucoup de protestations d'intérêt, lui accorda quelques-uns de ces sourires qui passent sur la physionomie comme un rayon du soleil entre deux nuages; mais ce fut tout. Cependant plusieurs mois s'écoulèrent ainsi en démarches pénibles, en sollicitations réitérées, mais qui n'étaient suivies d'aucun résultat satisfaisant.

L'objet auquel Colomb tenait le plus en ce moment, et cela à cause de ses enfants qui sont souvent le mobile le plus puissant pour exciter à de grandes actions, et ce motif suffirait pour justifier la concession de récompenses héréditaires, cet objet, disons-nous, était la restitution de son titre de gouverneur. Quant aux sommes arriérées qui lui étaient dues, quant à ses légitimes réclamations pécuniaires, il déclara qu'il les considérait comme de peu d'importance, et qu'il s'en rapportait à la justice ou à la bonté du roi; mais son gouvernement, ses dignités, selon lui, faisaient partie de sa réputation et lui appartenaient en vertu de traités aussi réguliers que solennels; on ne pouvait donc en faire un point de discussion. Toutefois, c'était, précisément, ce que Ferdinand était le moins disposé à lui rendre, et il s'opposait toujours à toute conclusion sur ce sujet. Pressé, cependant, par l'évidence, il renvoya l'affaire à une junte dite de Descargos, c'est-à-dire ayant pour mission l'arrangement des affaires de la feue reine; mais rien n'y fut arrêté, car les desseins du roi étaient trop bien connus pour qu'on y vînt à quelque chose de définitif.

Tant de difficultés, tant d'angoisses et toujours l'impression ineffaçable de la mort de la reine, réagirent de nouveau sur sa santé et il fut obligé de garder non-seulement la chambre, mais encore le lit. Ce fut de ce lit de douleur qu'il fit un dernier appel à la justice de Ferdinand; dans cet appel il ne voulut plus intercéder personnellement pour lui; mais il demanda que ce fut son fils Diego qui fût investi du gouvernement dont il était dépossédé; voici comment il s'exprimait à cet égard:

«C'est une affaire qui touche à mon honneur; quant au reste, j'en suis venu à l'abandonner si Sa Majesté le juge convenable; qu'elle me le restitue si elle le croit juste; qu'elle le garde si c'est dans les intérêts de sa couronne; dans l'un comme dans l'autre cas, je me montrerai satisfait!»

Ferdinand répondit à cette offre désintéressée, par de nouveaux arguments évasifs; et, au lieu de titres, emplois ou dignités dans le Nouveau Monde, il offrit des titres et des biens dans le royaume de Castille. Colomb rejeta ces propositions comme compromettant les distinctions qui étaient le signe parlant de ses découvertes. Il acheva, dès ce moment, de se convaincre qu'il devait perdre tout espoir d'obtenir du roi ce qui était le but de ses efforts; la preuve en est dans une lettre qui existe encore, qu'il adressa à son ancien ami Diego de Deza, de la conférence de Salamanque, devenu archevêque de Séville, et de laquelle nous extrayons le passage suivant:

«Il paraît que Sa Majesté ne trouve pas convenable de remplir les promesses que lui et la reine, qui est actuellement dans les gloires du ciel, me firent par paroles, par écrit et sous le sceau royal. Lutter davantage contre sa volonté serait vouloir louvoyer contre un vent furieux. J'ai fait tout ce que j'ai pu; je l'ai fait parce que j'ai dû m'acquitter d'un devoir de père; j'abandonne donc cette affaire à la bonté de Dieu qui s'est toujours montré propice et secourable envers moi, toutes les fois que le malheur m'a le plus accablé.»

Il survint, effectivement, un incident qu'il put considérer comme une justification de la pensée exprimée à la fin de l'extrait de la lettre que nous venons de citer; ce fut l'arrivée en Espagne du roi Philippe et de la reine Juana, qui venaient de Flandre pour prendre possession du trône de Castille, lequel leur était dévolu par la mort d'Isabelle. Dans la fille de cette reine à qui elle avait si souvent entendu parler de Colomb, de l'intérêt qu'elle lui portait, de l'admiration qu'elle professait pour son génie, et qu'elle-même elle avait vu briller à la cour par la distinction de sa personne, par l'éclat qui rayonnait autour de lui, l'illustre navigateur aimait à penser et il pensait, avec raison, qu'il trouverait une protectrice et même une amie.

Le roi Ferdinand et toute la cour se rendirent à Loreda, pour y accueillir les jeunes souverains. Colomb, ne pouvant y paraître à cause de l'état de sa santé, désigna encore son frère chéri, son ancien Adelantado, pour le représenter en cette circonstance, et il ne pouvait faire un meilleur choix que celui d'un homme qui avait une prestance si remarquable, une physionomie si distinguée, un caractère si ferme, un esprit si ouvert, et qui lui tenait de si près. Don Barthélemy, malgré les agréments d'une semblable mission, ne voulut, cependant, se séparer de son cher malade que sur l'invitation pressante qui lui en fut faite, et il désira, en outre, que Don Diego, fils du grand-amiral, put rester auprès de son père: Don Diego, de son côté, insista énergiquement pour obtenir l'assentiment de Colomb qui le donna afin de ne pas mécontenter son fils; et Don Barthélemy partit, mais avec un secret pressentiment que le coup porté dans le cœur de son frère, par la mort d'Isabelle, ne lui permettrait pas de résister davantage à ses maux, et qu'il était destiné à ne plus jamais le revoir!

Hélas, Don Barthélemy ne revit plus, en effet, son frère; mais si nous n'avons plus à parler de lui dans cette relation, que ce ne soit pas sans consigner, encore une dernière fois, notre admiration pour son noble et grand caractère. Il n'eut ni le génie de Christophe, ni la science de Diego; mais que de noblesse et de vertus dans le cœur, que d'éclatantes qualités dans le caractère! Heureux ceux à qui, comme à Colomb, le ciel donne pour frères des hommes tels que Barthélemy et que Diego, qui, de la plus humble sphère, transportés spontanément sur le plus vaste théâtre, ont su s'y maintenir avec honneur et dignité: avantage précieux, mais que la Providence accorde rarement aux parvenus haut placés, dont les familles, en général, savent si peu partager ou soutenir l'élévation!

L'Adelantado était chargé d'une lettre de Colomb adressée à Leurs Majestés de Castille, dans laquelle il exprimait ses regrets de ne pouvoir aller leur porter lui-même l'expression de son respectueux dévouement, et, en même temps, l'espoir qu'elles voudraient bien le rétablir dans ses dignités, honneurs et biens. La réception qui fut faite à Don Barthélemy fut telle qu'il pouvait l'espérer; on lui donna les assurances les plus cordiales que prompte satisfaction serait donnée aux réclamations du grand-amiral.

Cette flatteuse espérance, dont Colomb fut promptement informé, lui aurait causé un bonheur infini s'il avait appris cet heureux résultat dans une position de santé ordinaire; mais le moment était venu où le mal faisait des progrès effrayants; il avait déjà jugé que sa situation était désespérée et il ne pensait plus qu'à deux points: mourir en bon chrétien, en homme pieux et résigné, et dicter ses dernières volontés.

Dans un codicille tracé peu avant ses derniers moments, il revint avec force sur les dispositions du testament qu'il avait fait, instituant son fils aîné Diego son héritier universel, avec transmission de ses honneurs et de ses biens à ses descendants mâles, par droit de primogéniture. Son second fils Fernand et ses deux frères bien-aimés Don Barthélemy et Don Diego, furent pourvus par lui, avec un esprit de convenance qui témoignait de l'affection qu'il leur portait. Il n'oublia pas non plus Beatrix Enriquez, mère de Fernand; il fit des legs aux personnes de sa famille qui vivaient encore; il s'occupa des objets les plus minutieux concernant les créanciers ou les fournisseurs à qui il pouvait devoir les sommes même les plus minimes. Enfin, envisageant certaines éventualités pécuniaires qui, au surplus, étaient fondées sur les promesses de Leurs Majestés et sur ses transactions avec la couronne, lorsqu'il entreprit son premier et immortel voyage qui était si audacieux, il destina une large part des sommes qui devaient lui en revenir, d'abord à la construction de quelques églises, ensuite à l'accomplissement de la résolution qu'il avait prise lorsqu'il assistait au siége de Baza, et qu'il y vit deux frères gardiens du Saint-Sépulcre faisant part au roi des menaces du sultan d'Égypte: à cet égard, il enjoignait minutieusement dans son testament, qu'une portion de ces sommes et des revenus qui en proviendraient fut déposée annuellement à la banque de Saint-Georges à Gênes, jusqu'à ce qu'il se formât ainsi, par accumulation, une nouvelle somme assez forte pour armer et faire une croisade dont le but serait la libération du Saint-Sépulcre. On trouve en ceci, non-seulement une preuve de plus de cet esprit de tenace persévérance que rien ne pouvait ébranler et auquel, sans doute, il dut la réussite de ses plans pour la découverte du Nouveau Monde, mais encore un témoignage réitéré de sa constante piété, et de son désir de voir affranchir de la domination des Musulmans, les lieux chers aux chrétiens sur lesquels se trouvent Nazareth où s'arrêta l'étoile des rois mages, le lac Tibériade, la montagne où le Christ se transfigura, le village où pleura la plus inconsolable des mères, et le Saint-Sépulcre objet de la vénération et des regrets des fidèles.

Ayant ainsi satisfait, autant qu'il était en lui, à tous les devoirs d'affection, de justice et de loyauté, il concentra ses pensées vers le ciel; il se confessa, il communia et il s'associa, d'un cœur ferme, à toutes les cérémonies religieuses de l'Église envers les mourants. Son fils Diego ne quitta pas le chevet de son lit, et Colomb encourageait souvent son âme défaillante pour qu'elle supportât cette dernière épreuve avec le courage d'un chrétien. Il eut la douce consolation de voir auprès de lui, dans ces tristes moments, les fidèles Mendez et Fiesco qui avaient, avec tant d'abnégation, accepté la mission qu'il leur avait donnée de la périlleuse traversée de la Jamaïque à Hispaniola, sur de frêles pirogues où tout devait leur manquer, même la subsistance, même l'eau pourtant si nécessaire dans ces climats brûlants. Ce fut, entouré de ces amis constants et empressés, ce fut en leur serrant les mains avec affection, que ce grand homme, faisant preuve jusqu'à la fin de la résignation la plus parfaite, mourut le 20 mai 1506, dans la soixante-dixième année de son âge, et en prononçant les mêmes paroles qui étaient sorties de la divine poitrine de Jésus-Christ: «In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum!» («Entre tes mains, ô mon Dieu! je remets le salut de mon âme!»)

Le corps de Christophe Colomb fut d'abord placé au couvent de Saint-François, et ses funérailles furent célébrées en grande pompe dans l'église paroissiale de Sainte-Marie-d'Antigue à Valladolid. On trouva, cependant bientôt, que l'on n'avait pas fait assez pour les restes mortels de l'illustre navigateur; aussi les fit-on transporter, en 1513, au couvent de Las-Cuevas à Séville où ils furent déposés dans la chapelle de Santo-Christo. Mais plus on réfléchissait aux services éclatants, aux malheurs, au génie de ce grand homme, plus on reconnaissait, en Espagne, que des honneurs significatifs devaient être rendus à sa mémoire; et que plus on avait été injuste et ingrat envers lui pendant sa vie, plus aussi la gratitude publique devait se manifester, afin de compenser les rigueurs dont les dépositaires du pouvoir avaient frappé son cœur magnanime jusqu'aux derniers moments de son existence. Il y avait à ce sujet une sorte de malaise dans la nation qui se faisait jour dans toutes les occasions; enfin ce vœu populaire de réhabilitation se fit sentir dans le gouvernement.

 

On prit donc un grand parti et l'on décida que rien ne pourrait mieux correspondre aux sentiments de l'Espagne, et à ce qu'on devait au souvenir glorieux des services du Descubridor du Nouveau Monde, que de faire traverser les mers à son cercueil, et que de l'ensevelir, avec le plus magnifique appareil, dans l'île même qu'il avait découverte et gouvernée, et qui avait été le théâtre de sa loyale administration, de ses exploits guerriers, et des indignités que lui avaient fait subir l'ignoble Fonseca, l'infâme Bobadilla et le méprisable Ovando. Ce projet reçut son exécution en 1536, de la manière la plus pompeuse: recommençant alors après sa mort, le même voyage à l'issue duquel Colomb avait ouvert les portes de l'Amérique à l'univers étonné, son corps arriva à San-Domingo où on le plaça à côté du grand autel de la cathédrale.

Toutefois, il ne devait pas y rester et il était dans sa destinée d'éprouver, après avoir quitté la vie, des agitations semblables à celles qui l'avaient accompagné pendant sa carrière. En effet, l'île d'Hispaniola (ou de Saint-Domingue) fut cédée tout entière à la France en 1793; mais l'Espagne n'en était plus au temps où les mérites de Colomb trouvaient des envieux qui les contestaient; elle considérait alors le cercueil qui renfermait de si précieuses reliques, comme une propriété nationale d'un prix tel, que rien ne pourrait en compenser la possession; elle se réserva donc ce glorieux cercueil, et le fit embarquer pour l'île de Cuba, afin de l'y conserver comme un monument qui se rattachait aux plus belles époques de la monarchie.

En conséquence, le 20 décembre 1795, en présence de tous les dignitaires militaires ou civils et devant la population entière, le clergé fit ouvrir la voûte ainsi que le cercueil en plomb qui s'y trouvait; on y vit des ossements et des débris qui témoignaient de l'identité du défunt; on les recueillit soigneusement; on les plaça dans une caisse également en plomb, mais plaquée en or; cette caisse fut fermée à clef, puis scellée et enfermée dans une bière du bois le plus dur, que l'on recouvrit d'un beau velours noir, orné de galons, de franges, de glands en argent, et l'on mit cette bière dans un mausolée temporaire.

Le jour suivant, eurent lieu les cérémonies les plus minutieuses et les plus splendides; le corps fut enlevé pour être porté à bord d'un bâtiment où il arriva suivi d'une procession innombrable: ce fut à bras que le cercueil fut porté; ce qu'il y avait de plus élevé dans l'armée, dans la magistrature, dans l'administration, dans la colonie, rivalisa d'empressement pour avoir l'honneur d'être employé à ce transport dans lequel les hommes se renouvelaient sans cesse pour avoir, chacun, un tour de faveur dans ce pieux devoir. Des bannières garnies de crêpes étaient déployées, toutes les maisons étaient tendues de noir; les rues étaient jonchées de fleurs; et ce fut au milieu d'une musique funèbre, de décharges incessantes de mousqueterie et d'artillerie, du glas des cloches et du retentissement sourd de tambours voilés, que ce dépôt arriva et fut reçu à bord. Juste retour de la fortune qui montrait, salué avec enthousiasme, le peu que le temps avait épargné de celui qu'il y avait près de trois cents ans, on avait vu quitter ce même port chargé de fers odieux!

À la Havane de Cuba qui fut le lieu où se dirigea le bâtiment qui portait le cercueil, le capitaine général, dès qu'il en apprit la nouvelle, fit prendre aux autorités un deuil que la population s'empressa de porter; il se rendit au débarcadère pour recevoir le corps, et il y fut accompagné non-seulement par les habitants de la ville, mais encore par ceux de contrées même très-éloignées qui étaient accourus en foule pour honorer la mémoire du grand homme. Il y eut, en outre, une flottille innombrable de canots et de bateaux, qui se rangèrent autour du navire, attendant l'instant où l'extraction aurait lieu, les marins, moins que qui que ce fut, ne pouvant rester étrangers à cet acte imposant. Le même cérémonial fut observé à la Havane qu'à San-Domingo; enfin, ce fut au milieu de ces hommages, de ces démonstrations, de ces respects, que le noble cercueil fut porté à la cathédrale, et qu'il fut enseveli à droite et près du maître-autel.

À qui donc s'adressaient ces honneurs, ces distinctions suprêmes? Était-ce à un grand-amiral; était-ce à un vice-roi; bien plus encore, était-ce à un souverain? Non, sans aucun doute; pour aucun d'eux, on n'aurait vu autant d'empressement! C'était à un homme de génie; le génie seul a le privilége d'impressionner à ce point, nous ne dirons pas la multitude, mais, sans exception, toutes les classes de la société.

Enfin, après tant de changements, de translations et de mouvements n'est-on pas en droit de s'écrier:

«Reposez en paix, restes mortels de Colomb! Reposez sous les voûtes sombres du tombeau où la reconnaissance publique vous a placé, et dans une des plus belles îles du Nouveau Monde que vous, Colomb, vous eûtes le génie de deviner, l'audace de chercher, la gloire et le talent de découvrir!

«Naguère cependant, l'esprit d'usurpation a essayé d'infecter de son souffle empoisonné, et de troubler le magnifique pays qui a le bonheur de posséder vos cendres; et vous, grand Colomb, vous qui fûtes l'honneur, le courage, la loyauté mêmes, votre ombre courroucée a dû en tressaillir d'indignation.

«Mais un exemple terrible a été donné; il servira sans doute de frein à ceux qui oseraient encore rêver d'aussi coupables entreprises; et cette île chérie, si elle est gouvernée par la politique sage, libérale, prévoyante, dont vous avez si souvent donné l'exemple et le conseil, s'élèvera jusqu'au plus haut point de prospérité!

«La terre qui vous recèle est sacrée, puisqu'on peut dire d'elle:

«Colomb la découvrit, et sa cendre y repose!

«Reposez donc éternellement en paix, restes mortels de Colomb!»

Certes, tant de manifestations, de si touchantes réparations ont été tardives et n'ont porté de soulagement, ni aux malheurs de Colomb, ni aux tribulations que l'injustice et l'ingratitude lui ont fait souffrir et que la sympathie seule de la sensible et intelligente Isabelle a pu quelquefois adoucir; mais si nous avons pris à cœur de les détailler avec tant d'exactitude, c'est que la descendance de Christophe Colomb en ligne directe existe encore en Espagne, et que c'est rendre au chef glorieux, de qui cette descendance reçoit son illustration, un hommage entièrement selon son cœur; car il pensait, lui, que la gloire d'un père est le plus beau patrimoine qu'on puisse laisser à ses enfants. Or, ceux-ci ne peuvent qu'être heureux et attendris, en voyant une mémoire aussi grande être rappelée à l'admiration de l'humanité.