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Vie de Christophe Colomb

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Ces suggestions insidieuses étaient parfaitement calculées pour porter les têtes à la révolte, et les frères Porras ne manquaient pas d'assurer qu'on pouvait compter sur l'appui d'Ovando et de Fonseca dont la haine jalouse contre Colomb ne devait être révoquée en doute par personne, et même, jusqu'à un certain point, sur celui de Leurs Majestés qui avaient témoigné visiblement leur mauvais vouloir envers Colomb, en le dépouillant, ainsi que chacun le savait, d'une grande partie de ses dignités, honneurs et priviléges.

Les équipages étant ainsi excités, on résolut de se révolter. En conséquence, le 2 janvier 1504, Francisco Porras entra résolument dans la cabine où le grand-amiral était retenu par une attaque de goutte; il eut l'audace de lui reprocher avec véhémence de garder volontairement les Espagnols dans ce lieu de désolation, et de n'avoir nullement l'intention de les ramener dans leur patrie. Colomb qui était couché, se souleva sur son séant et, conservant le calme le plus parfait, il voulut entreprendre de démontrer à son interlocuteur que jamais assertions n'avaient été moins fondées; Porras parut être sourd à tout argument, et il s'écria d'une voix qui retentit jusqu'aux extrémités des deux caravelles:

«Embarquez-vous pour partir ou restez ici si vous le préférez; mais moi, je quitte cet affreux séjour et je veux revoir la Castille: que ceux qui sont de mon avis se disposent à me suivre!»

Ce fut le signal du soulèvement général, de tous côtés on entendit vociférer:

«Castille! Castille!»

Et, l'exaltation gagnant tous les cerveaux, des armes furent saisies, des lances furent brandies avec colère, et des voix coupables et égarées allèrent jusqu'à menacer les jours du grand-amiral!

Colomb, toujours insensible à la crainte, sortit de son lit en trébuchant à chaque pas par l'effet des douleurs aiguës de sa maladie; l'animation lui donnant des forces, il arriva sur le pont pour faire face aux rebelles. Don Barthélemy était accouru pour faire à son frère bien-aimé un rempart de son corps; les mutins qui allaient se couvrir d'un opprobre éternel en portant leurs odieuses mains sur la personne de leur chef, furent arrêtés par la vigueur, par la résolution de Don Barthélemy, et la réflexion revenant à plusieurs d'entre eux, ceux-ci conjurèrent les deux frères, pour laisser calmer la première effervescence, pour éviter un effroyable malheur, de rentrer dans la cabine du grand-amiral. Ils les y forcèrent même en quelque sorte par leurs supplications; et, au moins, un grand crime ne fut pas commis.

Les révoltés s'emparèrent alors de dix pirogues que le grand-amiral avait achetées des naturels; et, au nombre de quarante-huit, ils se mirent en mesure de quitter l'île.

«Partez, dit Colomb à ces malheureux égarés, partez, puisque mes conseils ne peuvent pas vous retenir; je ne vous reproche pas de m'abandonner ici dans l'état où vous me voyez, quoique Dieu me soit témoin, et j'en ai donné la preuve sur la Niña, que dans aucun cas, dans aucun péril, il n'est pas de sacrifice que je n'aie été prêt à faire pour partager le sort de mes équipages; mais je vous reproche de tenter une entreprise que, conduite par vous, je regarde comme désespérée, et de ne pas assez croire en la bonté de Dieu qui, j'en ai la confiance, peut vouloir nous éprouver en nous laissant attendre ici pendant quelque temps encore, mais qui ne nous y abandonnera pas à tout jamais. Partez donc, puisque tel est votre dessein, et puissiez-vous réussir dans votre tentative!»

Ils partirent, en effet, et il ne resta avec Colomb que son frère et quelques malades qui regrettaient même de ne pas pouvoir s'en aller.

Les frères Porras côtoyèrent l'île où ils firent plusieurs débarquements, prenant des vivres, maltraitant, pillant les habitants, et ayant l'infamie de leur dire que c'était par les ordres de Colomb, afin de les animer contre lui. Arrivés à l'extrémité orientale de la Jamaïque, ils embarquèrent un supplément d'Indiens pour les faire ramer sur leurs pirogues, et ils continuèrent leur route. Mais à peine eurent-ils fait quatre lieues sur la mer, qu'ils comprirent combien l'opposition du grand-amiral à ce voyage était fondée en raison. D'abord, les vents et les courants contraires, qui règnent en ces parages, étaient un obstacle presque insurmontable à ce qu'ils gagnassent du chemin dans l'Est, ensuite la surcharge extraordinaire de leurs pirogues et la confusion qui y régnait en faisaient une impossibilité. Le danger d'emplir et de couler au fond leur fut bientôt démontré; dans leur alarme, ils jetèrent par-dessus le bord une partie de leurs effets et de leur chargement, et, le péril augmentant, ils se servirent de leurs épées pour forcer les Indiens à se jeter à l'eau. Ceux-ci étaient certainement d'habiles nageurs, mais la distance où ils étaient de la terre les effraya; plusieurs voulurent revenir à bord: en s'approchant des pirogues, ils s'accrochèrent au plat-bord pour tâcher d'y rentrer; mais les impitoyables Espagnols les poignardaient ou leur coupaient les mains, et, impassibles, les voyaient mourir sous leurs veux, soit de leurs blessures, soit d'épuisement; enfin, il ne survécut que ceux qui furent conservés à bord, comme strictement nécessaires au service des pagayes ou des avirons pour pouvoir ramer jusqu'à terre.

Ils y abordèrent dès qu'ils le purent, mais ils voulurent, après avoir pris quelque repos, faire un nouvel essai qui fut aussi infructueux; ils prirent alors le parti de rester dans cette partie de l'île et d'y subsister de rapine en errant de village en village, prenant des provisions par violence et vivant de la manière la plus licencieuse. Si les naturels essayaient de faire quelques remontrances et de dire qu'ils s'en plaindraient à Colomb, ils répondaient, toujours avec la même mauvaise foi, que le grand-amiral le voulait lui-même ainsi, que c'était l'ennemi le plus implacable de la race indienne, et que son but principal était de dominer tyranniquement sur toute l'île.

Pendant ce temps, la santé du grand-amiral, grâce surtout aux tendres soins de son frère, parvint à reprendre le dessus; il s'efforça alors à son tour d'agir par le moral et par des attentions prévenantes pour opérer la guérison des malades qui étaient restés avec lui: il y joignit tous les bons traitements qu'il put employer, et il parvint ainsi à obtenir le rétablissement de la plupart d'entre eux. Pendant leur convalescence, il fit réserver pour les plus faibles ce qui lui restait de biscuit ou d'aliments nourrissants; et d'ailleurs, il les encourageait par l'espoir qu'il leur donnait, et qui ne l'abandonnait jamais, d'une prochaine délivrance, ajoutant qu'il ne négligerait, à son retour en Espagne, pour faire valoir leurs souffrances et pour les recommander chaudement à la bienveillance de leurs souverains. Ce fut ainsi qu'au bout de quelque temps il se vit entouré d'hommes valides et capables de faire un bon service.

Mais un nouveau danger vint menacer ce reste de l'expédition. Réduits à un très-petit nombre, les Espagnols n'osaient plus se livrer à des excursions pour se procurer des vivres; les naturels, attachant tous les jours moins de prix aux objets européens qui leur étaient livrés en échange, se montraient de plus en plus indifférents à leur possession; les nouvelles des mauvais traitements infligés par les frères Porras étaient parvenues jusque dans l'Ouest de l'île, et leurs instigations pour laisser affamer Colomb avaient eu de l'effet sur plusieurs des naturels. La famine s'annonçait donc comme imminente et elle aurait prochainement frappé les marins des caravelles, si le grand-amiral n'avait pas trouvé, dans les ressources inépuisables de son génie, un moyen de détourner ce fléau et de ramener l'abondance. L'idée qu'il eut alors est une de celles qui ne peuvent éclore que dans le cerveau de quelques hommes privilégiés que les revers et le malheur ne sauraient abattre, et qui, loin de se laisser décourager, trouvent, au contraire, dans les moments les plus difficiles, comment il est possible d'y résister et d'y remédier.

Colomb fit assembler tous les caciques des environs, sous prétexte d'une communication très-importante qu'il avait à leur faire; quand ils furent réunis sur la plage, il s'avança vers eux, sortant de son bâtiment avec une physionomie qui semblait préoccupée des plus graves intérêts, marchant d'un pas lent et solennel, levant les yeux au ciel comme s'il continuait de l'interroger, et accompagné d'un interprète à qui il recommanda de rendre fidèlement le sens de ses paroles. Il dit alors:

«J'adore une divinité qui réside dans le firmament; j'ai lu dans les astres que cette divinité est irritée contre les Indiens qui refusent à son protégé et aux Espagnols qui ont la même foi, le tribut de vivres qui avait été promis; mais cette infraction sera punie de la manière la plus exemplaire; et comme un signe évident de la colère céleste, chacun pourra voir, cette nuit même, la lune changer de couleur et perdre graduellement sa lumière qui ne lui sera rendue que si les insulaires se repentent du fond de leur cœur, et se remettent à exécuter les anciens traités en rapportant, sans y manquer jamais plus, les provisions qu'ils étaient accoutumés à livrer.»

Cela dit, Colomb se retira avec le même air inspiré qu'il avait eu en sortant de son bord et, si quelques naturels furent vivement impressionnés par ce langage et par l'attitude majestueuse de Colomb, il y en eut cependant plusieurs qui tournèrent cette scène en dérision.

Mais Colomb savait, à n'en pas douter, que, pendant la nuit, la lune serait éclipsée; il attendait avec confiance le résultat de la prédiction qu'il avait faite, et il fit savoir qu'il allait rester en prières jusqu'à ce que l'événement qu'il avait prophétisé eût lieu, bien certain qu'il était alors que les plus incrédules seraient tremblants et convaincus.

Tout se passa comme l'illustre navigateur l'avait prévu: à l'heure annoncée, l'astre des nuits se couvrit d'une ombre lugubre, ses rayons disparurent et l'obscurité devint progressivement complète. Soudain, on entendit des hurlements formidables; les sauvages furent consternés, ils coururent se charger de vivres, de provisions, et ils les déposèrent aux pieds du grand-amiral, le conjurant de prier de nouveau pour détourner d'eux la punition qu'ils confessaient n'avoir que trop méritée, et promettant bien qu'à l'avenir ils ne s'exposeraient plus à de semblables calamités. Colomb, qui avait quitté sa cabine pour recevoir leurs promesses et leurs hommages, y rentra pour intercéder en leur faveur. Il revint bientôt, dit que sa divinité, qui lisait dans les cœurs, lui avait annoncé qu'elle était satisfaite et que la lune allait reprendre son éclat accoutumé. La lumière reparut bientôt en effet; et les Indiens, admirant le pouvoir surhumain du grand-amiral, qui, à son gré, obscurcissait les astres ou en ranimait l'éclat, tombèrent à ses pieds et lui jurèrent obéissance et loyauté à toute épreuve. Ils tinrent parole, et depuis ce moment, les approvisionnements ne se firent jamais plus attendre.

 

Huit longs mois s'étaient écoulés depuis le départ de Mendez et de Fiesco; aucune nouvelle n'en avait été reçue; l'espoir abandonnait les plus confiants d'entre les marins qui se considérant comme voués à un abandon éternel, ne savaient plus que penser ni que devenir. Quant à Colomb, il conservait sa foi en la Providence, il croyait au courage, à l'habileté de Mendez, à l'efficacité des moyens qu'il avait mis à sa disposition pour parvenir à effectuer son périlleux voyage, et il attendait toujours avec le calme qu'il puisait dans ses pieuses convictions: son frère et son fils Fernand, qui n'avaient de pensées que les siennes, partageaient, seuls, les mêmes sentiments et attendaient aussi avec la même résignation. Enfin un beau soir, pendant que ces trois personnages, si bien inspirés, causaient avec épanchement sur le bord de la mer en admirant un de ces magnifiques couchers de soleil dont la nature est si prodigue en ces climats et qui répandait sur la riche végétation de l'île un charme inexprimable; un beau soir, disons-nous, alors que la conversation la plus intime allait cesser et qu'on allait dire la prière avant de se livrer au repos, une petite caravelle doubla le cap le plus avancé qui, d'un côté, formait l'entrée du port et, contournant l'extrémité de ce cap avec la légère vitesse d'un oiseau, s'arrêta en face des naufragés, mit en panne devant eux et leur expédia aussitôt une embarcation. Un cri de joie s'échappa de toutes les poitrines, la nouvelle s'en propagea avec rapidité et tous les marins accoururent sur le rivage.

Cette embarcation portait Diego de Escobar, un des anciens complices de Roldan que Colomb reconnut de loin et qu'il jugea n'avoir été choisi que pour être le porteur d'un mauvais message. Cette impression se réalisa. Qu'attendre, en effet, d'un homme qui avait été condamné à mort pour rébellion, et à qui l'infâme Bobadilla s'était empressé de pardonner? Colomb, cependant, s'efforça de l'accueillir avec politesse.

La caravelle d'Escobar était la plus petite qui existât à Hispaniola, et elle ne pouvait certainement pas recevoir ou ramener tous les équipages de l'expédition. Colomb, Don Barthélemy et Fernand auraient pu, à la vérité, y effectuer leur retour; mais le grand-amiral, toujours magnanime, toujours conséquent avec lui-même, dit noblement qu'il subirait le même sort que ses marins et qu'il ne se séparerait pas d'eux.

Escobar remit à Colomb une lettre d'Ovando, mais qui n'était remplie que de compliments de condoléance sur sa fâcheuse position, et de regrets de n'avoir pas pu envoyer plus tôt ni une réponse, ni un bâtiment plus considérable, ajoutant, cependant, qu'il en expédierait un dès qu'il en aurait la possibilité. Le grand-amiral se hâta de répondre à Ovando pour lui dépeindre l'horreur de la situation où se trouvaient ses marins et lui, et pour réclamer instamment l'exécution de sa promesse relative à un navire de plus fortes dimensions. Escobar prit cette lettre et soudain retourna à bord de sa caravelle, qui disparut bientôt au milieu de l'obscurité toujours croissante de la nuit.

Nous avons, précédemment, fait connaître avec quel luxe Ovando, avant son départ d'Espagne, avait fait régler l'état de sa maison de gouverneur; eh bien! le fastueux Ovando fut assez impudent, fut assez éhonté pour se contenter d'envoyer à Colomb, afin de renouveler ses provisions que Mendez lui avait dit dès lors être presque épuisées, un simple baril de vin et un quartier de lard! On peut reconnaître, dans ce trait honteux, l'homme qui agissait sous l'influence de la jalouse haine de Fonseca, et qui, s'il ne s'est pas rendu coupable envers Colomb d'iniquités aussi révoltantes que lui et que Bobadilla, n'en est pas moins indigne d'obtenir, dans l'histoire, autre chose que le blâme le plus sévère.

Le grand-amiral fut, intérieurement, fort indigné du procédé d'Ovando; il pensa que cet homme n'avait retardé l'envoi de secours, que dans l'espoir qu'il mourrait de misère et de chagrin à la Jamaïque, et qu'ainsi, toute concurrence entre eux pour le gouvernement d'Hispaniola serait anéantie. Il ne vit dans Escobar qu'une sorte d'espion chargé de s'assurer de la réalité des choses; mais il ne fit aucunement part de ces réflexions à ses marins, dont il chercha, au contraire, à relever le moral en leur promettant qu'aucun retard ne serait apporté à leur délivrance, que la lettre qu'il avait reçue lui donnait le droit de le garantir, que c'était beaucoup que leur sort fût connu à San-Domingo ou que leur existence y fût confirmée, et que tout, dorénavant, devait marcher selon leurs souhaits. L'esprit des matelots est naturellement confiant, et ces explications rendirent la joie et l'espérance.

Colomb, afin même de montrer combien il comptait sur ces résultats, fit partir deux émissaires vers les frères Porras pour leur annoncer la visite qu'il avait reçue, pour les engager à revenir auprès de lui afin d'être en mesure de s'embarquer sur le bâtiment qu'il attendait, et il eut la générosité de leur promettre l'oubli du passé s'ils revenaient au sentiment de leur devoir. Francisco Porras accueillit ces émissaires, accompagné seulement de quelques-uns de ses intimes et, sans permettre qu'ils eussent aucune communication avec le gros de sa troupe, il leur dit qu'il refusait de retourner au port, mais il s'engagea à se conduire paisiblement si on lui promettait solennellement que, dans le cas où deux navires seraient envoyés, il y en aurait un d'exclusivement destiné pour lui et ses compagnon; enfin que, s'il n'en arrivait qu'un, la moitié leur en serait dévolue ainsi que le partage tant des provisions du navire que de toutes celles qui pourraient rester au grand-amiral, ou des objets d'échange qui seraient encore en sa possession au moment de l'arrivée du navire.

Les émissaires firent observer à Francisco Porras que ces demandes ne pourraient être trouvées qu'extravagantes ou inadmissibles, à quoi il répondit avec arrogance que, si elles n'étaient pas volontairement accordées, il saurait bien obtenir par la force ce qu'il déclarait être dans son droit de réclamer. Ainsi, tout fut inutile, et ce fut dans ces termes que l'on se sépara.

Toutefois, quel que fût le désir de Porras que l'objet de cette conférence restât ignoré, il y eut des indiscrétions commises et la plupart de ses adhérents, apprenant combien Colomb était bienveillant en leur offrant une amnistie qui serait suivie de leur retour à Hispaniola, ressentirent un sentiment de reconnaissance et ils exprimèrent le vœu de revenir parmi leurs anciens camarades restés au port. Francisco Porras chercha alors à les dissuader, en leur disant que c'étaient des paroles insidieuses employées par le grand-amiral pour ressaisir sur eux l'autorité qu'il avait perdue, et pour se venger de leur désertion par des châtiments qu'il leur préparait; il ajouta que la prétendue caravelle qui, selon les émissaires eux-mêmes, n'avait fait que paraître avec le crépuscule et disparaître avec la nuit, était une illusion que Colomb, fort habile dans l'art des maléfices ou des sortiléges, avait produite aux yeux prévenus des assistants, et qui si ç'avait réellement été un bâtiment, pour si petit qu'il fut, il aurait pu contenir le grand-amiral, son frère et son fils, qui n'auraient pas manqué de se délivrer ainsi de l'exil qu'ils subissaient sur cette terre ennemie, funeste et sauvage. En tenant ce langage, Porras jugeait de Colomb probablement par lui-même, et il prouvait qu'il n'aurait pas eu la grandeur d'âme de préférer son devoir en restant captif avec ses marins, à son intérêt particulier en les abandonnant pour recouvrer sa liberté.

Quand il crut avoir persuadé ses complices, il voulut les rendre tout à fait indignes du pardon du grand-amiral en leur faisant commettre un acte d'hostilité qui les compromît sans retour; enflammant leur esprit par la perspective du partage des dépouilles de Colomb et de son parti, il marcha vers le port avec le dessein de charger Colomb de fers, comme l'avait fait l'infâme Bobadilla, et de s'emparer de tout ce qui se trouvait renfermé à bord des caravelles échouées.

Le grand-amiral avait une prudence trop consommée pour ne pas entretenir des intelligences dans les lieux qu'habitait ou que parcourait Porras. Des Indiens vinrent l'informer du nouveau plan que l'on méditait de mettre à exécution contre lui et, selon son excellente maxime qu'il valait mieux, quand c'était possible, marcher contre l'ennemi que de l'attendre, il se disposa résolument à aller en avant. Son frère approuva fort ce projet, mais il fut très-alarmé de voir le grand-amiral, à son âge et valétudinaire, vouloir se mettre à la tête du mouvement, et il lui tint ce langage:

«Mon amiral, mon ami, mon frère, vous savez si je respecte vos moindres volontés; vous savez si jamais aucun de vos subordonnés eut autant de zèle pour le bien général, autant de dévouement à votre personne vénérée que moi. Je suis bien peu de chose pour oser vous faire une objection; mais mon opinion est que vous ne devez pas partir; vous devez rester ici avec votre fils, avec les malades, avec les convalescents; vous devez faire une forteresse de vos caravelles, et là, j'en conviens, si vous êtes attaqué, vous devez vous défendre jusqu'à la dernière extrémité. Moi, mon devoir est de marcher vers l'ennemi; et, animé comme je le suis par le désir de préserver vos jours, d'être utile à ceux qui resteront près de vous, croyez que, quelque nombreux que soient nos adversaires, votre frère Barthélemy saura les vaincre et les disperser. Qu'avez-vous à objecter à ce plan, et n'auriez-vous plus confiance dans celui qui eut l'honneur sans égal d'être votre Adelantado?»

«Il est vrai, répondit Colomb, que, dans l'ardeur dont j'étais transporté, j'oubliais nos malades, nos convalescents et mon fils! J'oubliais que vous avez toujours ce grand cœur, ce courage indomptable, cette force athlétique qui ont si souvent et si bien servi notre cause. Partez donc, et croyez que Colomb est sans inquiétude sur le résultat!»

Dès que Don Barthélemy se trouva en présence du corps de Porras, il envoya un message de paix et de réconciliation. Porras reçut les propositions de Don Barthélemy avec mépris; il montra alors à ses hommes combien était petit le nombre des soldats ennemis, et il ajouta que la maladie les avait épuisés ou affaiblis, un seul choc subirait pour les mettre eu fuite. Aussitôt Francisco Porras et les siens s'élancent, et six d'entre eux, conduits par lui, cherchent Don Barthélemy avec l'intention de le tuer: mais le fier guerrier abat tous ceux qui rapprochent et se fait jour jusqu'à Porras qui d'un coup de sa longue et forte épée, transperça son bouclier et le blessa à la main; cependant l'épée resta embarrassée dans le bouclier, et, avant qu'il eût pu l'en retirer, le redoutable Don Barthélemy sauta sur lui comme un tigre furieux, le saisit et le fit prisonnier.

À cet exploit vainqueur, les rebelles furent consternés: désespérant d'arracher à Don Barthélemy la proie dont il avait eu la gloire de s'emparer, ils fuirent dans toutes les directions, pendant que les Indiens, surpris au suprême degré de voir les Européens se battre entre eux, attendaient l'issue du combat pour se ranger du côté du parti victorieux. Don Barthélemy retourna triomphant vers son frère, emmenant avec lui Porras et d'autres prisonniers, et n'ayant à regretter que la mort d'un des siens. Le jour suivant, les compagnons de Porras écrivirent au grand-amiral pour implorer sa clémence, pour annoncer qu'ils seraient désormais les plus fidèles de ses subordonnes, et pour dire qu'ils se vouaient à toutes les malédictions s'ils ne tenaient pas leur nouveau serment d'obéissance. Colomb, toujours aussi indulgent en face du repentir que sévère envers la révolte, pardonna à tous ces malheureux, même à Jean Sanchez, celui qui, à Veragua, avait laissé échapper le cacique Quibian, et qui était un des six agresseurs de Don Barthélemy dans cette dernière affaire; toutefois, il retint Francisco Porras prisonnier afin qu'il fût plus tard envoyé en Espagne pour y être jugé; et ce n'était que justice.

 

Mais avant de faire un pas de plus dans ce récit de la vie de Colomb, il est convenable d'exposer sous les yeux de nos lecteurs le détail de la manière dont la mission donnée à l'intrépide Mendez avait été remplie, car l'arrivée de la petite caravelle d'Escobar à la Jamaïque prouve que le plan judicieux du grand-amiral pour faire connaître sa fâcheuse position à Hispaniola avait réussi, et que Mendez était parvenu à atteindre cette île, but difficile de ses efforts.

Le calme régnait sur la mer quand Mendez et Fiesco cessèrent de naviguer en vue de la Jamaïque; c'était une circonstance très-favorable pour la marche à la rame, mais le ciel était sans nuages et la chaleur était excessive. Les Indiens furent souvent obligés de se plonger dans la mer pour rafraîchir leur corps: la nuit vint et elle facilita un peu le travail des pagayes ou des avirons auquel les naturels se livraient par moitié pour que l'autre moitié prit du repos; il en fut de même des Espagnols, qui avaient à diriger la route et à surveiller les Indiens contre lesquels ils se tenaient en garde, de crainte de quelque surprise ou de quelque perfidie de leur part. On comprend combien ce devait être pénible pour tous.

Le besoin incessant de se désaltérer amena bientôt de la pénurie dans l'approvisionnement d'eau potable qui, sur de pareilles embarcations, ne pouvait être que très-restreint. À midi, du jour suivant, Mendez et Fiesco, touchés de compassion de l'état où se trouvaient les Indiens, mirent en évidence deux barils qu'ils avaient embarqués pour leur usage particulier, et dont ils administraient une simple cuillerée à chacun des rameurs lorsqu'ils s'apercevaient que les forces allaient leur manquer. L'espoir seul que leur avait donné le grand-amiral dans ses instructions, de rencontrer une petite île appelée Nevasa, pouvait les soutenir, car ils comptaient y trouver de l'eau et y prendre quelque repos; mais la nuit vint et l'île tant désirée ne parut pas. Ils craignirent alors d'avoir fait une mauvaise route et l'effroi se peignit sur tous les visages.

Le lever du soleil fut témoin de l'agonie d'un des naturels qui expira dans les angoisses de la fatigue, de la soif et dans les accablements de la chaleur. Les autres étaient gisants et pantelants dans le fond des pirogues, se débattant sous l'influence de tourments affreux, cherchant quelquefois à avaler de l'eau de mer qu'ils rejetaient bientôt avec dégoût, et la journée ne fut qu'une suite non interrompue d'essais fort courts pour ramer, de tentatives à chaque instant contrariées par le vent pour faire du chemin avec les voiles, et de douleurs toujours renaissantes.

Mendez et Fiesco s'efforçaient de relever le moral, d'inspirer du courage, et ils luttaient avec une admirable énergie contre les souffrances et le désespoir; mais leur vigueur physique et intellectuelle commençait à n'y plus suffire lorsque la nuit arriva. Heureusement qu'alors les voiles se remplirent d'une brise faible mais favorable, et tous cherchèrent à réparer un peu leurs forces épuisées en prenant quelque repos et en respirant l'air frais du moment; tous, disons-nous, excepté Mendez, qui, confiant dans les indications données par le grand-amiral, avait les yeux attentivement fixés vers l'horizon du côté de l'Orient. La lune allait se lever, il en voyait les rayons teindre de leur clarté pâle et rosée les parties les moins élevées du firmament, mais quoique le ciel fût sans nuages et que cette clarté fût assez vive pour qu'il pût supposer que l'astre devait avoir franchi la ligne de séparation qui existe entre la mer et le bas de la voûte céleste, cependant il ne le voyait pas.

Ému au dernier point, mais incertain, ses yeux ne se détachaient pas du lieu où il s'attendait toujours à voir la lune lui apparaître; tout à coup, un point blanc et lumineux attire son attention un peu plus haut, et il aperçoit l'astre se détacher d'une éminence noirâtre qu'il reconnut parfaitement être une masse de terre: «Terre, terre!» s'écria-t-il aussitôt de toute la force que ses poumons affaiblis laissaient encore à sa voix; et, à ce mot magique, le sommeil cesse partout, la joie ranime tous les corps, et chacun vient contempler ce spectacle si doux et si consolant.

«Oui, mes amis, leur dit Mendez, c'est bien la terre et c'est sans doute la bienheureuse île Nevasa, car notre grand-amiral l'a dit et il ne se trompe jamais! Heureux, heureux, mille fois heureux d'y pouvoir arriver sans avoir éprouvé des vents assez forts pour compromettre notre existence!»

C'était bien en effet l'île Nevasa: une impatience fiévreuse remplaça alors les forces absentes: chacun voulut ramer; on n'agissait, il est vrai, sur les avirons que d'une manière saccadée et comme par des effets galvaniques, mais enfin, tant bien que mal, les pirogues recevaient l'impulsion et, au point du jour, le vent aidant d'ailleurs un peu, on fut assez favorisé pour atteindre le rivage où, en débarquant, des actions de grâces furent rendues à Dieu pour le salut inespéré qu'on venait de trouver. L'île n'était qu'un amas de rochers, mais il s'y rencontrait des dépôts naturels d'eaux pluviales et c'était ce qu'on désirait le plus. Les Espagnols eurent la prudence d'en user avec modération et de recommander beaucoup de sobriété aux Indiens; plusieurs d'entre ceux-ci ne s'astreignirent pas à suivre ce sage conseil, aussi quelques-uns en burent-ils assez pour mourir sur place; d'autres furent dangereusement malades.

La journée fut consacrée au repos; on ramassa quelques coquillages qui furent trouvés excellents; une fois la soif apaisée, ce qui charma le plus les voyageurs fut la vue des hautes montagnes d'Hispaniola se dessinant sur le bleu azuré du firmament, et qu'on aperçut en gravissant une petite hauteur; on les salua avec joie comme montrant, presque sous la main, le terme de toutes les fatigues d'une entreprise dont on avait commencé à désespérer. Les pirogues partirent à la fraîcheur du soir, on rama avec une ardeur sans égale; enfin, après quatre jours de souffrances et de peines infinies, on aborda au cap Tiburon. Fidèle à sa parole, Fiesco se mit aussitôt en mesure de revenir vers Colomb; mais ni un seul Indien, ni un seul Espagnol ne voulurent, à aucun prix, consentir à se risquer de nouveau pour le retour.

Mendez, avec six naturels, partit pour San-Domingo; après avoir lutté l'espace de quatre-vingts lieues contre la mer et les courants, il apprit que le gouverneur se trouvait à cinquante lieues, guerroyant à Xaragua. Inébranlable dans sa résolution, il quitta sa pirogue et, seul, il se mit en route à travers les forêts, les ravins, les montagnes, et il finit par accomplir un des voyages les plus périlleux qui aient jamais été tentés par terre.

Ovando parut être fort affligé de la situation fâcheuse du grand-amiral; il promit de lui envoyer des secours, mais ce fut en vain que Mendez sollicita pendant sept mois pour qu'il tînt sa parole; il ne voulut même pas permettre à ce fidèle messager d'aller à San-Domingo, où il aurait pu expédier lui-même un bâtiment. Le gouverneur alléguait toujours qu'il n'avait pas à sa disposition de navire assez grand pour remplir cette mission. Enfin, à force d'intercessions, Mendez obtint pourtant l'autorisation d'aller à San-Domingo, pour y attendre quelques navires qui étaient annoncés et pour en expédier un; il avait soixante-dix lieues de route à faire dans un pays presque inaccessible et au milieu de peuplades hostiles; rien ne l'arrêta, il partit à pied, sans guide, soutenu par son seul courage.