Za darmo

Vie de Christophe Colomb

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Il fit dresser des copies authentiques de toutes les lettres patentes qui émanaient de Leurs Majestés au sujet des diverses stipulations le concernant qui avaient été passées; il fit également enregistrer la lettre qu'il avait adressée à l'ex-gouvernante du prince Juan, où il se justifiait pleinement des accusations de Bobadilla; il en fut de même de deux autres lettres qu'il avait écrites aux directeurs de la banque de Gènes qu'il chargeait de percevoir le dixième de ses revenus, pour être employé à diminuer les droits sur les objets de consommation de sa ville natale, et il en fit parvenir les copies certifiées et légalisées à son ami le docteur Nicolo Oderigo, qui avait été ambassadeur de la république de Gênes près la cour d'Espagne, le priant de veiller à ce qu'elles fussent déposées en lieu de sûreté, et de tenir son fils Diego au courant de tout ce qui aurait trait à cette transaction.

Enfin, il écrivit au pape Alexandre VII, pour lui faire connaître son intention inébranlable de lever, à son retour, des troupes pour une croisade au Saint-Sépulcre; l'informant des causes qui, en lui faisant perdre son gouvernement, l'avaient forcé d'ajourner cette expédition, espérant cependant pouvoir plus tard donner suite à son projet, et exprimant le désir d'aller, après son voyage, présenter ses respectueux hommages au chef de la chrétienté.

Colomb appareilla de Cadix le 9 mai 1502; sa flottille se composait seulement de quatre caravelles dont la plus grande n'était que de 70 tonneaux; la plus petite n'en jaugeait que 50. Le personnel de ces bâtiments n'était que de 150 hommes; et c'est avec un si faible armement, avec des navires si frêles, qu'il allait à la recherche d'un détroit dont il espérait franchir les eaux pour se lancer ensuite dans des mers tout à fait inconnues, et accomplir la circonnavigation complète du globe. On le voit, Colomb avait toujours le même désir des grandes choses et la même confiance en lui pour parvenir à les exécuter malgré l'insignifiance des moyens. Son frère, Don Barthélemy, commandait une des caravelles, et son plus jeune fils Fernand, qui était alors dans sa quatorzième année, l'accompagnait dans ce voyage.

La flottille se dirigea sur les Canaries où elle relâcha; continuant bientôt sa route, elle fit une excellente traversée jusqu'aux îles Caraïbes; elle aborda, le 15 juin, à l'une d'entre elles du nom de Mantinino et qui est aujourd'hui appelée la Martinique. Le dessein primitif de Colomb avait été de se rendre directement à la Jamaïque, et d'y prendre son point de départ pour aller à la recherche du détroit supposé; mais parmi ses quatre navires, il y en avait un qui se trouvait en si mauvais état, qu'il fut obligé de s'arrêter aux îles Caraïbes pour le réparer de son mieux, et qu'ensuite, il se vit forcé de le conduire à San-Domingo, se proposant de l'y laisser et de l'y échanger contre un de ceux de la flotte nombreuse d'Ovando. Il était, à la vérité, contraire à ses instructions de toucher à Hispaniola; mais il y avait ici un cas de force majeure: en effet, puisque le bâtiment avarié qui était sous ses ordres pouvait à peine continuer à tenir la mer, où devait-il le conduire et le laisser, si ce n'est à San-Domingo? C'est un de ces cas exceptionnels qui sont admis chez toutes les nations, et même en temps de guerre, par les puissances belligérantes.

La flotte qui avait amené Ovando, était alors dans le port de San-Domingo, et prête à remettre à la voile pour l'Espagne. Il s'y trouvait Roldan, Bobadilla et d'autres ardents ennemis de Colomb; dans la ville elle-même, il y avait aussi plusieurs de leurs adhérents contre lesquels des mesures sévères avaient été prises et qui étaient tous dans un état d'exaspération difficile à décrire. Le bâtiment sur lequel Bobadilla devait effectuer la traversée, était le plus considérable; il y avait fait porter une quantité d'or de très-haute valeur qu'il avait recueillie pendant son usurpation, et dont il espérait faire servir une partie à se faire des amis puissants en Espagne qui le mettraient à même de conserver le reste pour lui. Dans le nombre des présents qu'il destinait pour Leurs Majestés, on voyait une grosse masse d'or vierge, qui est encore citée à cause du poids qu'elle avait, lequel était de trois mille six cents castillanos, équivalents à près de cent mille francs de notre monnaie. Roldan et d'autres aventuriers avaient également fait embarquer beaucoup d'or qui, hélas! était le résultat du travail excessif imposé aux Indiens et de leurs longues sueurs.

C'était le 29 juin que Colomb était arrivé à San-Domingo; il expédia aussitôt un officier au gouverneur pour lui expliquer le but de sa relâche; en outre, il demanda la permission de remonter un peu la rivière dont l'embouchure formait, en quelque sorte, le port, pour y mettre sa flottille à l'abri, parce qu'il prévoyait un ouragan comme devant éclater bientôt. Ovando ne prit conseil que de l'effroi que lui causait la présence de Colomb aussi près du siége de son gouvernement, et il se refusa soit à l'échange d'un de ses navires contre celui de Colomb qui était avarié, soit à la demande fondée sur l'approche d'une tempête que, dans son inexpérience, il traitait de prophétie absurde et menteuse.

Colomb indigné de ne pouvoir s'arrêter un seul moment dans un port qu'il avait découvert, s'éloigna pour chercher un refuge loin des yeux du jaloux Ovando; mais voyant que le mauvais temps devenait de plus en plus imminent, il navigua le long de la côte, espérant y trouver un abri dans quelque baie ou quelque rivière jusqu'alors inexplorée. La flotte de Bobadilla appareilla presque au même moment, sans se préoccuper de l'avertissement de Colomb qui ne se vérifia que trop, deux jours après qu'il eut été donné. L'ouragan fut, en effet, d'une rare furie; les navires de Colomb furent séparés. Il put, à son bord, se maintenir près de terre et y trouver un mouillage; mais les autres bâtiments furent poussés au large et eurent à lutter pendant longtemps contre la rage des éléments. Don Barthélemy ne dut son salut qu'à son expérience et à son énergie; il perdit son grand canot qui fut emporté de dessus le pont par une lame affreuse, et il eut plusieurs avaries; les autres navires souffrirent pareillement beaucoup; enfin, ils se rallièrent tous au port Hermoso, situé à quelques lieues dans l'Ouest de San-Domingo.

Quant à la flotte de Bobadilla, l'ouragan la frappa avec toute sa violence; et, comme elle était beaucoup moins bien manœuvrée que les bâtiments de Colomb, elle éprouva les plus grands désastres. Le navire, entre autres, où se trouvaient Bobadilla, Roldan et les ennemis les plus invétérés de Colomb, coula au fond: tout l'équipage périt! La fameuse masse d'or vierge fut engloutie; plusieurs autres bâtiments furent également perdus; ceux qui purent revenir à San-Domingo étaient dans un état déplorable; un seul enfin se trouva en état de continuer son voyage; ce fut précisément le plus faible de tous, celui à bord duquel se trouvaient quatre mille pièces d'or qui étaient la propriété de Colomb et qui furent rapportées en Espagne par son fondé de pouvoir Carvajal.

Ce terrible événement a été décrit par Fernand, fils de Colomb, et par le vénérable Las Casas, qui fut, par la suite, l'avocat si zélé des Indiens et l'apôtre si renommé de la religion dont il était un des plus dignes ministres; tous les deux le considérèrent comme un de ces jugements redoutables qui semblent quelquefois suppléer à la justice humaine, et comme une punition infligée par la Providence. Tous les deux aussi font ressortir cette circonstance que, pendant que les adversaires les plus actifs de Colomb mouraient presque sous ses yeux en méprisant sa science profonde, le seul navire qui n'eût éprouvé aucune avarie et que la tempête eût, en quelque sorte, pris plaisir à épargner, fut la frêle caravelle qui portait sa propriété. Les équipages, alors très-superstitieux, allèrent jusqu'à dire que l'habile navigateur, par une puissance surnaturelle, avait évoqué l'ouragan et l'avait fait servir à la destruction de ses ennemis. Guarionex, l'infortuné cacique de la Vega, était sur le même navire que Bobadilla et que Roldan, et il y périt aussi.

Ce n'est pas nous qui, en aucun cas, contesterons le savoir de Colomb; nous croyons, cependant, devoir dire, en cette occasion, que nous nous croyons fondé à n'admettre l'infaillibilité absolue d'aucun homme, d'aucun instrument météorologique, d'aucune donnée préalable, d'aucun signe précurseur, en ce qui concerne toute prédiction ou toute annonce sur le temps qu'il fera, non-seulement deux jours, mais même deux heures à l'avance. Que Colomb, par exemple, en cette occasion, ait remarqué que les nuages des régions supérieures avaient une marche assez prononcée à l'encontre de celle des nuages plus voisins de la terre; qu'il ait observé que les vents alizés faiblissaient, que par intervalles, les brises de l'Ouest prenaient de l'ascendant ou toute autre indication pratique, et qu'il ait jugé prudent de prendre ses précautions et de se mettre à l'abri; nous le concevons facilement, d'autant qu'en marin consommé, Colomb avait l'habitude, qui est celle de tous les chefs prudents, d'avoir toujours la pensée préoccupée de sa route, de son navire, de l'état du ciel et des probabilités du moment! Mais quant à déclarer positivement qu'une tempête devait éclater dans deux jours, nous croyons que c'est au-dessus des facultés humaines, et que ni Colomb ni personne au monde n'a jamais pu le prédire avec certitude!

Après avoir quoique imparfaitement pu réparer ses navires et avoir renouvelé sa provision d'eau et de bois de chauffage, Colomb mit le cap sur le continent qu'il avait découvert; mais les calmes survinrent et les courants le portèrent jusqu'à la côte Sud-Ouest de Cuba. Lorsque le vent redevint favorable, la flottille reprit sa route et, le 30 juillet, elle atteignit l'île de Guanaga, située près de la terre d'Honduras; une grande pirogue s'en détacha et se rendit à bord de Colomb avec un cacique et sa famille. La pirogue était manœuvrée par vingt-cinq Indiens; elle était tentée avec des feuilles de palmiers et chargée d'objets du pays parmi lesquels on remarquait des haches, des ustensiles de cuivre et des sortes de creusets pour faire fondre ce métal; il y avait aussi différents vases de marbre, d'argile, de bois durci au feu, des espèces de manteaux en coton de couleurs variées, et plusieurs articles qui annonçaient un certain degré de civilisation. On prétend, autant que les naturels purent se faire comprendre, qu'ils conseillèrent à Colomb de se diriger vers le pays d'où ils venaient, et qu'il y trouverait une contrée riche, cultivée et des habitants industrieux; ainsi, dit-on, il serait promptement arrivé à Yucatan, et la découverte du Mexique s'en serait suivie. Il est facile de raisonner après l'événement et de faire parler à sa guise des Indiens dont la langue est inconnue, et dont on interprète le dire selon ses idées; mais ce n'était pas là le plan de Colomb ce n'était pas ce qui avait été approuvé par ses souverains, et il dut naturellement continuer sa recherche du détroit imaginaire, il est vrai, mais qu'il espérait et qu'il pouvait raisonnablement espérer de trouver.

 

Quelques lieues plus dans le Sud, Colomb aperçut des montagnes, et puis le cap Honduras. Dans ces parages, il éprouva des temps très-mauvais; il y eut beaucoup d'orages et il tombait souvent une forte pluie. Ses bâtiments furent très-endommagés dans leur voilure, dans leur grément; ils eurent des voies d'eau, et les provisions se détériorèrent. Les matelots épuisés de fatigues, se trouvèrent assaillis par plusieurs de leurs terreurs habituelles. Colomb, de son côté, fut repris par la goutte; mais quoique accablé par ses veilles, quoiqu'en proie aux plus fortes douleurs, il ne cessait de tout voir, de tout ordonner; et, d'un lit de repos qu'il avait fait placer à l'entrée de la petite dunette construite à bord pour lui, il se tenait au fait de tout ce qui se passait. Si la maladie sévissait avec trop de rigueur, il s'armait de patience, mais il regrettait parfois d'avoir fait faire une aussi rude campagne à son fils Fernand et à son frère chéri Don Barthélemy; ses pensées se reportaient alors aussi sur Diego, son fils ainé, et sur les embarras et les difficultés de toutes sortes que sa mort lui causerait, si elle venait à avoir lieu.

Pour donner une idée des rigueurs de ce voyage, il nous suffira de faire observer que, dans l'espace de quarante jours, on ne put franchir qu'une distance de 70 lieues. Enfin, le 14 septembre, on arriva devant un cap où le gisement de la terre prit brusquement la direction du Sud. On doubla ce cap; aussitôt une douce brise se fit sentir, on fit déployer toutes les voiles, et le nom Gracias-à-Dios (Grâce-à-Dieu!) fut donné à cette partie du continent.

Pendant trois autres semaines, Colomb battit la côte voisine; il eut le malheur d'y perdre, dans la houle de l'embouchure d'un fleuve, un de ses canots et l'équipage entier de cette embarcation. Les entrevues qu'il eut généralement alors avec les naturels eurent un caractère de méfiance et d'inimitié. On alla jusqu'à dire que les Indiens y possédaient un pouvoir de lancer des sorts et des charmes sur leurs adversaires, et que leur magie s'était étendue sur les navires espagnols et sur les mers qu'ils visitaient en ce moment.

Toutefois, le 5 octobre, Colomb atteignit le point de la côte appelé Costa-Rica (Côte-Riche), ainsi nommé, à cause des mines d'or et d'argent contenues dans les flancs de ses montagnes; il y trouva les naturels en possession d'une grande quantité d'ornements de l'or le plus pur. Cette quantité augmenta encore dans le pays appelé Veragua, où on l'assura qu'existaient les mines les plus belles de toutes les contrées avoisinantes. En naviguant le long de ces terres, on l'entretint souvent d'un royaume très-étendu situé à quelques jours de marche dans l'Occident, nommé Ciguare, où les habitants portaient des bracelets, des couronnes d'or, brodaient leurs vêtements avec des fils de ce métal, et en garnissaient en relief leurs meubles et leurs effets. On ajoutait qu'ils étaient armés de boucliers, d'épées, de cuirasses comme les Espagnols; qu'ils avaient des chevaux; qu'enfin, il y avait des ports fréquentés, qu'on y faisait le commerce, et que même le canon y était connu. Colomb crut comprendre, d'après ces narrations d'ailleurs fort confuses, que la mer bordait une grande partie de ce royaume de Ciguare, et que, non bien loin de là, était une magnifique rivière, qu'il se plut à croire pouvoir être le Gange.

On a pu supposer, depuis lors, que, dans ces vagues rumeurs, il était question du royaume du Mexique; mais nous devons nous souvenir que si Colomb se méprit à cet égard et crut soit au voisinage des États du Grand-Kan, soit à celui du Gange, c'est qu'il devait fonder ses raisonnements sur les opinions très-arrêtées de tous les savants de l'époque, qui attribuaient à la circonférence de notre globe une étendue moindre d'un tiers que celle qui a été constatée depuis lors.

Aussi, l'illustre et infatigable navigateur continua-t-il à se livrer, avec opiniâtreté, à la recherche de son détroit, luttant contre les vents, les courants, les difficultés d'une navigation on ne peut plus périlleuse, et ayant à surmonter le mauvais vouloir des Indiens de ces contrées qui se montrèrent plus ou moins hostiles, et qu'on a crus être de la même race que les habitants des îles Caraïbes. À la vue des bâtiments de la flottille, ces Indiens faisaient retentir leurs forêts et leurs montagnes, de cris de guerre, du bruit de leurs tambours ou autres instruments, et ils ne se présentaient, en général, sur le rivage, qu'en troupes considérables, armés de massues, de lances et de sortes d'épées fabriquées avec leur bois le plus dur.

Enfin, après avoir découvert Porto-Bello et doublé le cap Nombre-de-Dios, Colomb atteignit un petit détroit qu'il nomma el Retrete (le Cabinet). C'était un point qu'un voyageur entreprenant, appelé Bastides, venait d'explorer; mais Colomb l'ignorait. Quoi qu'il en soit, ses navires étaient, en ce moment, dans un état si pitoyable, et ses équipages dans une situation si fâcheuse de lassitude et de maladie, que toute sa persévérance dut céder devant l'impérieuse loi de la nécessité, et qu'il fallut songer au retour. Cependant, il voulut donner à son voyage un caractère d'utilité, et il se proposa de se diriger vers la côte de Veragua avec le dessein d'acquérir quelque certitude sur les mines qui paraissaient si abondantes en ce pays. Il y avait loin de là, il faut le dire, à l'accomplissement des vues élevées qui avaient présidé à la grande et glorieuse pensée du but primitif de son expédition; mais puisqu'il était devenu de toute impossibilité de continuer à y donner suite, il était d'un bon esprit de ne pas quitter ces parages sans chercher au moins à trouver une compensation dans les avantages matériels qu'ils pourraient procurer.

Ainsi, malgré ses travaux pour ainsi dire surhumains, le problème géographique d'une si éminente portée qu'il s'était posé et que son âge avancé ne l'empêcha pas de vouloir résoudre lui-même, resta voilé, et l'on ne put pas savoir alors s'il se trouvait un détroit ou un isthme au fond du golfe dans lequel il s'était si intrépidement lancé, ou si les terres qu'il avait devant lui étaient attenantes à celles de l'Asie, ou enfin s'il existait une mer interposée entre ces mêmes terres et les contrées de l'Inde.

On a su, quelques années après, que c'était cette dernière hypothèse qui était la véritable; ce fut un chef de guerriers espagnols nommé Nugnez Balboa qui, en 1513, après avoir traversé le Mexique par terre, vit, le premier, paraître devant ses yeux éblouis le vaste océan qui est connu sous le nom de Mer Pacifique, et que, quelquefois aussi, on appelle Mer du Sud. L'épisode de cette découverte, bien que ce soit ici une digression, mérite d'être rapporté dans cette histoire de la vie de Colomb, car c'est un événement remarquable qui rentre sous plusieurs rapports dans notre sujet.

Ce fut après avoir gravi le sommet d'une éminence, que Nugnez Balboa se trouva spontanément en face d'une immense étendue d'eau dont les ondes paisibles, à peine plissées par le souffle léger d'une brise naissante, brillèrent devant lui sous l'éclat d'un ciel azuré qu'enflammait le soleil le plus radieux. Aucune terre ne bornait cette vaste nappe liquide du côté du couchant. À ce spectacle imprévu, Nugnez Balboa fut saisi d'un saint respect, ainsi que l'est tout homme à qui se révèle, pour la première fois, quelque grande création de la nature. Ses idées furent d'abord confuses et indécises comme celles qui suivent un long sommeil; mais la réflexion vint bientôt les fixer, et il pressentit que l'Océan qu'il venait de découvrir était celui qui baignait, par son autre extrémité, les rivages de l'Inde que le grand Colomb avait cherchés dans cette direction.

L'enthousiasme s'empara de lui à la pensée qu'il avait ainsi complété la découverte de l'immortel navigateur; cédant à cet enthousiasme, il prit son élan, se précipita le long de l'éminence en courant vers la plage qu'il atteignit bientôt et, continuant sa course, il pénétra dans l'onde amère où il s'avança jusqu'à ce que sa poitrine y fût à moitié plongée; en ce moment, il éleva les bras, étendit les mains, redressa fièrement la tête; puis avec l'accent d'un homme inspiré qui prend les cieux à témoin, il s'écria de toute la voix que ses poumons purent lui donner:

«Mer calme et resplendissante, mer mystérieuse, mer si longtemps cherchée! au nom de mon souverain, je prends possession de tes eaux et je te nomme la Mer Pacifique! Heureux celui qui, le premier, franchira ton étendue; heureux celui qui abordera ainsi au continent asiatique! La navigation aura atteint par là sa phase suprême; les peuples de tous les continents seront en relation directe entre eux; et, libres d'échanger leurs produits, ils entreront dans une ère nouvelle qui sera l'honneur de l'humanité!»

Il s'arrêta alors un moment, ensuite reprenant:

«Mer calme et resplendissante, dit-il, mer mystérieuse, mer si longtemps cherchée! je répète que je te nomme la Mer Pacifique; c'est à un fils de la noble Espagne que l'univers devra ta découverte, et cette découverte sera, à tout jamais, la gloire de Nugnez Balboa.»

Ces nobles paroles planèrent sur la surface des flots et, s'élevant dans les airs, le vent les apporta aux oreilles attentives des compagnons de Nugnez Balboa qui, ébahis sur la plage, étaient en contemplation devant cette scène sans pareille dans les annales du monde; elles furent redites ensuite, propagées, répandues; enfin, sept ans après, elles portèrent leur fruit.

Ce fut, en effet, en 1520 qu'un autre intrépide navigateur, qui s'appelait Magellan, résolut d'accomplir les prédictions ou les vœux de Nugnez Balboa. Il partit, côtoya la bande occidentale de l'Amérique vers le Sud, découvrit la terre de Feu, doubla le continent par son extrémité méridionale; et après avoir traversé cette même Mer Pacifique dans toute son étendue, en gouvernant vers ce magique Ouest que Colomb, dans son premier voyage, indiquait avec tant de confiance aux frères Pinzon qui commandaient la Pinta et la Niña, deux des navires de Magellan, dans l'espace d'un peu moins de deux ans, eurent l'honneur d'aborder en Espagne, après avoir accompli le premier voyage qui ait été fait autour de la terre. Mais, hélas! Magellan n'eut pas la douce satisfaction de voir la fin d'une campagne qu'il avait si brillamment commencée; il fut tué par les sauvages de l'île de Matan, le 27 avril 1521!

Quant à Christophe Colomb qui avait indiqué la route et qui fut obligé de renoncer à son projet, ce ne fut pas sans des difficultés extrêmes qu'il parvint à rejoindre la côte de Veragua; nous allons voir, en effet, que si, jusqu'à cette période, il avait, dans sa recherche d'un détroit, été en butte à mille tribulations ou exposé à des périls sans cesse renaissants, son retour ne fut ni moins accidenté, ni moins dangereux; on verra aussi quelle force d'âme, quelle habileté infinie, quelles ressources d'imagination il fallait qu'il y eût, dans sa splendide organisation intellectuelle, pour triompher de tous les obstacles qui vinrent, de nouveau, se réunir contre lui.

Ce fut le 5 décembre de l'année 1502, que Colomb appareilla d'El Retrete pour retourner vers la côte de Veragua. Presque aussitôt, le vent lui devint aussi défavorable qu'il l'avait été lorsqu'il avait à suivre la direction opposée; il augmenta même à tel point que la navigation en devint presque impraticable: pendant neuf jours surtout, ce fut une tempête continuelle, d'autant plus redoutable que la flottille se trouvait dans une mer inconnue, et qu'à chaque instant elle pouvait craindre de se voir jetée à la côte ou sur quelque rocher. Le journal de Colomb dépeint la mer aussi tourmentée que si elle avait été dans un état de haute ébullition, s'élevant parfois en montagnes couvertes d'écume. Pendant la nuit, elle lançait des parties lumineuses qui s'en détachaient comme des flammes; une journée entière, le ciel lui-même sembla également enflammé, tant les nuées s'entr'ouvraient souvent pour livrer passage à des éclairs étincelants! Le tonnerre s'y mêlait avec sa voix formidable et, presque sans cesse, des torrents de pluie inondaient les navires et transperçaient les vêtements des infortunés matelots.

 

Un autre danger vint menacer l'expédition: ce fut celui d'une trombe qui s'en approcha en aspirant l'eau de la mer que l'on voyait dans ses flancs, et la soulevant jusqu'aux nuages. Jamais pareil spectacle n'avait frappé les yeux des marins de ces bâtiments, et jamais, peut-être, phénomène de cette nature ne s'est annoncé avec un caractère aussi funeste; toutefois, par un hasard providentiel que les équipages attribuèrent à la vertu des prières qu'ils adressèrent à saint Jean l'Évangéliste, le fléau passa entre les navires effrayés et il ne leur causa aucun dommage.

Le calme survint ensuite et dura avec une persévérance désolante. Ce qui, particulièrement, impressionna beaucoup alors les marins, c'est qu'ils virent une grande quantité de requins obstinés à rôder dans leurs eaux. On avait la croyance à bord que ces animaux voraces, qui suivent ordinairement les bâtiments pour recueillir les débris alimentaires qu'on en jette au dehors, avaient aussi l'instinct ou le pressentiment de la mort de quelque homme à bord, ou même du naufrage prochain du navire.

Trois semaines s'écoulèrent encore après ce calme, pendant lesquelles, repoussé par les vents, contrarié par les courants, Colomb ne put pas franchir plus de 30 lieues en bonne direction; aussi donna-t-il à la partie de la terre qui avoisinait le plus la route qu'il avait eue à faire, le nom de Costa de los contrastes (Côte des contrariétés). Enfin, à la joie inexprimable de tous, et à force de prudence, de travaux, de fatigues, de veilles et d'habileté, le grand-amiral vit, le 6 janvier, les rivages tant désirés de Veragua, et il mouilla dans une rivière à laquelle, en l'honneur de la fête du jour qui était celui de l'Épiphanie, il donna le nom de Belem ou de Bethléem.

Les naturels se tinrent d'abord sur la défensive, mais il fallait se les concilier pour obtenir les renseignements que l'on voulait avoir. Le puissant moyen de séduction, celui des présents, fut employé; Colomb y joignit celui qui manquait rarement de produire son effet: il se présenta personnellement, il déploya son affabilité, agit sur les esprits par la fascination qu'exerçaient habituellement son noble visage, son grand air de dignité naturelle; et, après quelque indécision, les indigènes consentirent à entrer en pourparlers; ils apportèrent plusieurs objets d'un très-bel or pour en faire des échanges, et ils dirent qu'il y avait des mines de ce métal près de la rivière de Veragua, qui n'était qu'à deux lieues de distance.

Don Barthélemy fut chargé par Colomb d'avoir une entrevue particulière avec Quibian: c'était le cacique de Veragua; il l'invita à aller voir les bâtiments de la flottille où il fut reçu avec une grande distinction. Quibian était un homme sérieux, méfiant, taciturne et très-robuste. Peu de jours après, Don Barthélemy, accompagné par soixante-huit marins bien armés, partit pour aller explorer le terrain où se trouvaient les mines. Il remonta la rivière une lieue et demie au-dessus de son embouchure, et il arriva en vue du village où résidait Quibian. Le cacique descendit de la hauteur où était le village avec une suite non armée, mais très-nombreuse, et il s'assit sur une pierre auprès de la rivière. Il accueillit les Espagnols avec déférence, surtout Don Barthélemy dont la haute stature, le regard fier et les formes herculéennes avaient fait une grande impression sur son esprit. On pouvait cependant voir une secrète jalousie se manifester sur sa physionomie à l'aspect des Européens, mais il ne leur en donna pas moins des guides pour les diriger.

Don Barthélemy, en suivant les indications de ses guides, parcourut un espace d'environ six lieues; là, dans un sol de la plus magnifique végétation, il trouva la terre effectivement parsemée d'une telle quantité de parcelles d'or, qu'elles adhéraient aux racines elles-mêmes des arbres; puis, il fut conduit sur une éminence d'où il put contempler un paysage délicieux, garni de plusieurs villages entourés d'arbustes ou de plantes charmantes, et il acquit la certitude que toute l'étendue en était remplie du précieux métal, jusqu'à une distance de vingt journées de marche vers l'Ouest.

Une autre expédition le long de la côte vers l'occident, également commandée par l'infatigable Don Barthélemy, fut non moins satisfaisante. Ce qu'il vit, ce qu'on lui raconta ou ce qu'il crut comprendre, tout non-seulement confirma ses idées sur la richesse aurifère du pays en général, mais lui garantit l'assurance d'un royaume riche et civilisé dans l'intérieur. L'imagination brillante de Colomb s'enflamma aux récits de son frère; il se lança dans ses hypothèses savantes, il se crut sur le point d'atteindre les contrées fabuleuses que l'historien Josephe plaçait aux points les plus éloignés du globe, et d'où l'on avait retiré les monceaux d'or qu'il avait fallu pour bâtir et embellir le temple de Jérusalem.

Don Barthélemy, qui était un homme très-positif, entra pourtant tout à fait dans les idées de Colomb; ils pensèrent tous les deux qu'il fallait fonder une colonie sur le point où ils étaient, et qu'elle serait le centre de la vaste région de ces mines qui semblaient inépuisables. Colomb proposa alors à son frère de rester sur les lieux avec tout le personnel dont il serait permis de disposer, pendant que lui-même irait en Espagne pour y faire goûter ses plans, et pour en revenir avec des renforts et des moyens de colonisation. Le dévouement de Don Barthélemy à la personne de son frère était tel qu'il ressemblait à l'obéissance aveugle du fils le plus respectueux envers le père le plus tendrement aimé, et Colomb n'eut pas plutôt exprimé son désir, que son frère y acquiesça sans faire la moindre objection.

On se mit aussitôt à tout préparer pour l'exécution du projet: quatre-vingts hommes furent choisis pour rester sur les lieux; des maisons en bois, couvertes en feuilles de palmiers, furent construites sur la rive la plus élevée de la crique où étaient les navires, et un magasin fut élevé pour recevoir les munitions, les provisions, ainsi que l'artillerie. Mais, au moment de partir, le grand-amiral s'aperçut d'une diminution assez considérable dans la hauteur des eaux, à l'embouchure de la rivière où il était mouillé; il chercha une passe, sonda sur plusieurs points, essaya de franchir les moins élevés en s'allégeant ou en se touant; mais tout fut inutile; il se vit dans l'obligation de renoncer à appareiller pour le moment, et d'attendre le retour des pluies pour pouvoir sortir du bassin, momentanément fermé, où il était enclavé.

Cependant, les préparatifs pour un séjour prolongé dans ce pays, avaient éveillé la susceptibilité, on doit le dire fort naturelle, de Quibian. On le vit, en effet, tenir des hommes épiant avec anxiété tout ce qui se faisait, et l'on sut qu'il envoyait des émissaires dans toutes les directions, pour faire rassembler les guerriers de ses dominations auprès de lui. Ces mouvements furent suivis avec autant de zèle que d'intelligence par un nommé Diego Mendez, notaire, remplissant dans l'expédition les fonctions d'officier de l'état civil, et qui était entièrement dévoué au grand-amiral. L'intrépidité de cet homme lui fit même affronter un danger extrême pour mieux connaître ce qui se passait sur les lieux: suivi d'un seul compagnon, il osa pénétrer jusqu'à la résidence du cacique, alléguant qu'ayant appris qu'il avait été blessé à la jambe par une flèche, dans une escarmouche avec un détachement maraudeur ennemi, il venait, en qualité de chirurgien, lui offrir ses services et l'usage de drogues bienfaisantes dont il s'était pourvu. L'habitation de Quibian était entourée de trois cents poteaux surmontés de têtes d'adversaires tués en diverses rencontres; c'était fort peu encourageant pour Mendez, mais il ne se laissa pas intimider par cet affreux spectacle; il eut l'audace de s'avancer jusqu'à la porte du cacique où le fils de celui-ci se présenta avec colère, et le repoussa d'un coup de poing violent qu'il lui appliqua sur la poitrine. L'Espagnol n'en parut que fort peu ému, fit connaître le but supposé de sa visite, et montra quelques présents qu'il destinait à Quibian et à sa famille. Les présents furent acceptés, Mendez put rester quelques heures dans le village comme pour prendre du repos, mais il ne lui fut pas permis de voir le cacique.