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Vie de Christophe Colomb

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Ce fut ainsi que ces deux hommes, l'un l'âme de ces affreuses machinations, l'autre le servile instrument de son horrible chef, procédèrent pour consommer la ruine de celui qui avait découvert l'île et qui y avait gagné la grande bataille de la Vega Real; eux dont l'un ne devait parler, ne devait étendre sa main épiscopale que pour concilier, que pour bénir au nom d'un Dieu de paix, de mansuétude et de charité; et dont l'autre, chargé de rendre la justice en ne consultant que sa conscience, profanait ce saint nom de justice en n'écoutant que les passions dont il se faisait l'écho, et en ne faisant servir son pouvoir que pour plaire lâchement à celui qui l'avait fait nommer pour accomplir ces attentats inouïs!

Honte! oui, cent fois honte et exécration sur le méprisable Fonseca! Honte! cent fois honte et exécration sur son lâche acolyte Bobadilla! et puissent leurs noms ne passer à la postérité que flétris par tous les cœurs honnêtes et généreux! On vit ainsi le génie, le dévouement, les grands services, l'élévation de caractère chargés de fers dans les personnes de Colomb ainsi que de ses frères; et, pour pendant à ce triste tableau, on vit la lâcheté, l'ignominie, la haine, la trahison, la perfidie triompher dans les personnes odieuses de Fonseca et de Bobadilla. Nous le répétons donc avec une émotion que rien ne pourra jamais affaiblir: «Honte! cent fois honte et exécration à tout jamais, sur Fonseca et sur Bobadilla!»

Les plus mauvais jours du temps d'Aguado furent alors mille fois surpassés: on alla jusqu'à accuser le pieux et intègre Colomb de s'être opposé à la conversion des naturels, pour avoir le prétexte de les faire vendre comme esclaves, et d'avoir caché et détourné à son profit une grande quantité de perles de la côte de Paria qui auraient dû figurer dans les valeurs de la couronne. Les plus tarés d'entre les révoltés furent admis à déposer contre Colomb; Guevara, Reguelme furent publiquement acquittés et déchargés de toute prévention; et, si Roldan conserva son pouvoir, ce fut non pas à cause de son retour à de meilleurs sentiments qu'on eut de la peine à lui pardonner, mais uniquement parce qu'il avait été l'un des premiers rebelles, et qu'il avait donné le fatal exemple de méconnaître le pouvoir et l'autorité du vice-roi.

Il ne restait plus qu'à statuer sur le sort de Colomb et de ses frères; ce fut une tâche facile pour l'infâme Bobadilla et promptement remplie par lui: il ordonna qu'ils seraient conduits en Espagne sur des bâtiments dont on hâta les préparatifs de départ, et que quelques pièces à leur charge rédigées par lui, seraient en même temps envoyées à la métropole. À ces pièces furent jointes des lettres particulières de Bobadilla qui avaient pour but de prouver la culpabilité des prisonniers. Un trait fut ajouté à ces scandales, c'est que l'ordre fut donné de conserver, pendant la traversée, les fers et les chaînes rivés sur les personnes de Colomb, de Barthélemy, de Diego! Jusqu'à un certain point, on pouvait supposer qu'aussi longtemps que ces illustres personnages auraient été à Hispaniola ou dans le voisinage, Bobadilla aurait pu croire possible leur évasion et, dans des vues d'intérêt personnel, leur laisser ces ignobles fers dont il avait eu l'ignominie de les charger; mais il ne pouvait avoir une semblable crainte lorsque les navires auraient atteint le large; et ce ne peut être que par l'effet de la méchanceté la plus noire et la plus injustifiable qu'il put prescrire une mesure aussi détestable.

Alonzo de Villejo fut l'officier chargé d'exécuter les ordres de Bobadilla; ses instructions portaient expressément de ne remettre ses prisonniers qu'à Fonseca en personne, ce qui était une preuve évidente de l'accord qu'il y avait entre ces deux hommes. Villejo se rendit à la prison où était Colomb, et il se présenta à lui en disant qu'il venait le chercher.

«Villejo, lui dit Colomb, vous savez que j'ai souvent bravé la mort et que je ne la crains pas; mais si mes jours doivent être tranchés, je ne demande qu'une seule grâce, c'est qu'il me soit permis d'écrire une lettre à Leurs Majestés pour leur dire que je meurs innocent, et plein de reconnaissance ainsi que de respect pour les facilités qu'elles m'ont données lors du premier voyage pendant lequel j'ai découvert des pays qui me sont devenus si funestes, mais qui pourront être un jour une source intarissable de richesse et de grandeur pour l'Espagne.»

«Excellence, lui répondit Villejo, il est vrai que je tiens mon commandement de monseigneur Fonseca, mais je ne l'aurais pas accepté si ç'avait été pour me déshonorer. J'ai l'ordre de conduire Votre Excellence en Espagne; mais j'en jure par mon épée, dès que vous aurez mis le pied à mon bord, vous serez à l'abri de toute insulte. Malheur à celui qui oserait y manquer d'égards ou de respect à l'homme que les revers accablent si cruellement, mais que je n'admire pas moins comme le plus grand génie de l'humanité!»

Colomb fut attendri jusqu'aux larmes en entendant des paroles si différentes de celles qu'on lui adressait depuis l'arrivée de Bobadilla; il releva alors majestueusement son front qu'il avait tenu appuyé contre une de ses mains, et ce fut en ces termes qu'il remercia Villejo:

«Villejo, vous avez un noble cœur; il me tarde de me trouver sur le pont d'un bâtiment dont l'air sera purifié par l'effet de votre présence, par celle de vos braves marins; ne perdons pas une minute, partons, je vous suis, et laissons cette terre qui m'est devenue si inhospitalière.»

Les navires appareillèrent dans le mois d'octobre; à peine eurent-ils perdu la côte de vue, que Villejo voulut faire enlever les chaînes de Colomb; mais il s'y refusa obstinément en disant avec fierté:

«Leurs Majestés m'ont enjoint d'obéir strictement aux ordres de Bobadilla; c'est en s'appuyant sur leur autorité qu'il m'a fait charger de fers, je dois donc les garder jusqu'à ce que nos souverains en ordonnent autrement; je les conserverai ensuite comme des souvenirs de mes services et de mes infortunes.»

Fernand, second fils de Colomb, qui, ainsi que nous l'avons déjà mentionné, fut l'historien de son père, affirme avoir, depuis lors, toujours vu ces chaînes dans le cabinet de Colomb, qui, à l'époque de sa mort, demanda qu'elles fussent ensevelies avec lui: c'était un appel qu'il faisait à Dieu de l'injustice et de l'ingratitude dont il avait été la victime; c'était comme s'il avait voulu présenter au ciel les preuves de la méchanceté des misérables qui l'avaient si outrageusement persécuté.

Malgré le refus de Colomb, Villejo n'en fut pas moins très-bien inspiré; l'histoire, qui a mission de flétrir les lâches, les infâmes et les persécuteurs, doit aussi préconiser ceux qui ont agi avec noblesse, désintéressement, abnégation et grandeur. Que Villejo soit donc glorifié pour sa belle conduite, et n'oublions pas de mettre presque sur la même ligne, son second, Andreas Martin, qui témoigna, pendant toute la campagne, la plus vive sympathie pour l'illustre captif et qui ne cessa de lui prodiguer les marques les plus sincères d'attentions et de respect! La traversée fut courte, exempte de mauvais temps. Elle fut en quelque sorte dirigée par Colomb à qui Villejo soumettait toujours ses vues; et ce fut à Cadix que Villejo aborda avec Colomb toujours chargé de fers, mais qui supporta très-stoïquement cette épreuve pourtant si douloureuse.

Il y eut un long cri d'indignation poussé à Cadix lorsqu'on y apprit que Colomb y arrivait avec ces mêmes fers; et ce cri eut un retentissement qui se propagea en Espagne avec autant de rapidité que l'avait fait la nouvelle de son retour triomphant après son premier voyage. Nul ne voulait connaître ni seulement écouter quels en étaient les motifs réels ou supposés: Colomb était ignominieusement renvoyé du Nouveau Monde qu'il avait eu la gloire de découvrir; c'en était assez pour exalter l'opinion publique du pays, qui se montra on ne peut plus exaspérée de l'indigne affront dont on avait abreuvé un aussi grand cœur que celui de Colomb. Ainsi, tous les soins que s'était donnés Bobadilla pour chercher à indisposer la nation contre notre illustre marin par les lettres particulières qu'il avait écrites afin qu'elles fussent lues et répandues, ces soins furent entièrement perdus; les lettres furent, au contraire, tenues secrètes ou détruites: elles auraient été déchirées avec colère, si l'on s'était permis d'en proposer la lecture à qui que ce fût.

Christophe Colomb ne sachant pas exactement jusqu'à quel point les souverains espagnols avaient autorisé Bobadilla dans l'indigne traitement qu'on lui avait fait subir, avait pensé qu'il n'était pas dans les convenances qu'il leur écrivît immédiatement, mais il avait adressé une lettre détaillée à une dame de la cour qui avait été gouvernante du prince Juan pendant son enfance, qui était l'une des personnes les plus aimées d'Isabelle, et qui avait constamment porté l'intérêt le plus vif à tout ce qui concernait Colomb ainsi que ses deux fils, toujours pages à la cour. Cette lettre arriva à Grenade où étaient alors Leurs Majestés, au moment même où de violents murmures sur le sort de Colomb éclataient jusque dans l'Alhambra qui était le palais de leur résidence.

«Quel est donc ce bruit inaccoutumé, dit la reine d'un air étonné, et pourquoi cette explosion soudaine de mécontentement?»

Comme Isabelle prononçait ces mots, entra chez elle l'ex-gouvernante de son fils, tenant la lettre de Colomb ouverte à la main, et qui lui dit:

«Lisez, reine, vous saurez tout; et je désire vivement ne pas mériter votre désapprobation en ajoutant que je partage ce mécontentement.»

Isabelle lut cet écrit avec une émotion extrême. En voyant combien on avait abusé de sa condescendance et de son consentement en lui faisant signer un acte dont il avait été fait un usage si abominable, elle se leva, se rendit avec précipitation chez le roi à qui l'on venait d'expliquer la cause de l'indignation du peuple, et elle lui remit la lettre, en s'écriant:

 

«Sire, faites justice, expédiez un courrier extraordinaire, et que Colomb et ses frères soient libres!»

Le roi, toujours mal disposé envers Colomb qu'il se repentait d'avoir élevé à de si hautes dignités, réfléchissait, lorsque Isabelle entra chez lui, à ce qu'il y avait lieu de faire dans la circonstance présente, et il était encore indécis; mais la voix convaincue de la reine ne lui permit plus d'hésiter, et il pensa qu'il serait au moins très-imprudent de chercher à résister à la force du vœu populaire qui se prononçait avec une énergie toujours croissante. C'était un des traits caractéristiques de Ferdinand de savoir céder à propos ou lorsque encore on le pouvait avec honneur: il est peu de rois qui aient possédé ce tact si heureux.

Ferdinand acquiesça donc aux désirs d'Isabelle; sans attendre même les documents de Bobadilla, il fut décidé qu'un blâme sévère serait jeté sur lui, et qu'on ferait mettre à l'instant même Colomb en liberté comme si son innocence ne pouvait pas être l'objet d'un doute; il fut aussi ordonné que ses frères seraient libres et dégagés de toute poursuite; qu'ils seraient traités avec la plus grande distinction; que Leurs Majestés écriraient à Colomb pour lui exprimer leurs regrets les plus vifs du traitement qu'il avait subi et pour l'inviter à se rendre à Grenade; enfin, qu'une somme de 2,000 ducats lui serait expédiée pour le mettre à même de faire dignement les frais de son voyage.

Colomb se sentit revivre en recevant la lettre royale qui lui fut écrite; il partit pour Grenade et il y arriva, non comme un homme ruiné ou malheureux, mais la figure souriante, la physionomie ouverte, et vêtu d'habits d'une richesse et d'une élégance extrêmes: c'était le temps des beaux costumes; or, à personne mieux qu'à Colomb la mise de l'époque ne pouvait convenir, à cause des avantages personnels de sa taille élevée, de sa tournure distinguée et de son maintien imposant.

Le roi et la reine mirent tous leurs soins à le recevoir dignement. Quand Isabelle vit cet homme vénérable qu'elle avait toujours affectionné, s'approcher avec sa noblesse et sa modestie accoutumées, et qu'elle pensa à toutes ses souffrances, elle ne put maîtriser son attendrissement; des larmes s'échappèrent de ses yeux. Colomb avait été bien malheureux, bien maltraité, et il avait tout supporté avec impassibilité; mais quand il vit l'accueil bienveillant du roi, quand il aperçut les pleurs de la sensible Isabelle, des sanglots sortirent de sa poitrine oppressée, il se jeta à leurs pieds, et pendant quelques minutes, il lui fut impossible de proférer une seule parole.

Ferdinand et Isabelle s'empressèrent de le relever et cherchèrent à l'encourager par les expressions les plus gracieuses; alors il redevint maître de lui-même, fit une éloquente justification de sa conduite, parla du zèle qui l'avait sans cesse animé et qui l'animerait toujours pour les intérêts de l'Espagne, et pria Leurs Majestés de croire que si, comme il était probable, il avait commis quelques fautes, ses intentions n'en avaient pas moins toujours été pures, que ces fautes tenaient en partie aux difficultés de la position, et peut-être aussi à son inexpérience dans l'art du gouvernement.

Leurs Majestés exprimèrent vivement toute leur indignation contre Bobadilla qu'elles désavouèrent complètement pour la manière odieuse dont il avait interprété leurs sentiments; elles déclarèrent qu'il serait destitué, que Colomb rentrerait en possession de ses priviléges, de ses dignités, et qu'il serait indemnisé de toutes ses pertes.

Colomb conçut, d'après cette réparation, l'espoir qu'il serait très-prochainement rappelé au gouvernement d'Hispaniola et des Indes occidentales, avec ses titres de vice-roi et de grand-amiral; mais il eut la douleur en ceci d'éprouver un désappointement qui répandit un nuage de tristesse sur le reste de sa vie. Ferdinand avait bien pu, en effet, se complaire à donner à la reine et au peuple espagnol la satisfaction d'une désapprobation formelle aux actes iniques de Bobadilla qui, seul, fut en cause en cette circonstance, puisque rien ne pouvait mettre Colomb en mesure de prouver matériellement la connivence de Fonseca; d'ailleurs, il croyait au-dessous de sa dignité de descendre au rôle d'accusateur. Ferdinand avait bien pu aussi faire à l'illustre marin une réception éclatante; mais les historiens s'accordent à dire qu'il fut au fond très-satisfait de l'éloignement de Colomb du théâtre de sa gloire, de la perte de ses fonctions, et qu'il avait résolu, dans son esprit, que jamais il ne les réoccuperait. Il s'était longtemps repenti d'avoir accordé à un sujet, particulièrement à un étranger, des pouvoirs et des prérogatives aussi étendus, se doutant peu, quand il les avait accordés, quelle serait l'importance des contrées qui seraient découvertes.

De récents voyages entrepris au mépris des stipulations faites avec Colomb prouvaient à Ferdinand que ces contrées, ainsi que l'avait annoncé l'illustre navigateur après avoir débarqué sur la côte de Paria, devaient réellement présenter une surface pour ainsi dire sans bornes; Vincent Yanez Pinzon, qui commandait la Niña dans la première expédition du Nouveau Monde, avait, depuis lors, traversé la Ligne Équinoxiale et confirmé les assertions de Colomb, en explorant la côte orientale de l'Amérique jusqu'au cap Saint-Augustin. Diego Lepe, autre marin de Palos, avait, après Pinzon, doublé ce même cap et vu le continent se dessiner à l'œil selon une longue ligne indéfinie qui se dirigeait dans le Sud-Ouest. En un mot, tous ceux qui en revenaient dépeignaient ce pays comme étant d'une fertilité, d'une richesse extrêmes. Ferdinand n'en déplorait que plus, selon ses idées égoïstes, d'avoir créé Colomb vice-roi de ce même pays, avec un droit sur ses productions et sur les profits du commerce qui y serait effectué. Ainsi donc, chaque découverte nouvelle qui aurait dû, si son esprit avait eu de la grandeur, augmenter sa reconnaissance, ne faisait qu'accroître ses regrets d'avoir accordé d'aussi magnifiques récompenses.

D'ailleurs, selon l'habitude des princes qui font de la politique plus avec la tête qu'avec le cœur, Ferdinand considérait que Colomb ne pouvait plus personnellement lui être utile. La grande découverte était faite, la route d'un monde nouveau était connue, et chacun pouvait la parcourir. Des marins habiles s'étaient formés et enhardis sous ses auspices; ils assiégeaient le gouvernement, offrant de faire des expéditions à leur compte, et même de donner à la couronne une bonne part dans les gains. Pourquoi donc, toujours, selon lui, conférer des dignités élevées et des avantages princiers, tandis qu'il trouvait sous la main nombre d'hommes qui ne demandaient qu'une simple autorisation de pouvoir faire des armements et de partir.

Tels furent les motifs qu'on attribua à Ferdinand pour éloigner Colomb du gouvernement auquel il avait toutes sortes de droits; et dans le fait, sa conduite subséquente prouva que c'était bien sous ce point de vue rétréci qu'il avait envisagé cette question. Peu lui importa donc de manquer à ses engagements, d'être injuste, peu généreux, d'être même ingrat; son but était que Colomb n'exerçât plus les fonctions de vice-roi, et il s'attacha à l'atteindre.

Il fallut alors trouver une raison plus ou moins plausible, pour paraître justifier l'éloignement de Colomb, et Fonseca ne fut pas longtemps à la proposer. C'est, en effet, le propre de certains hommes de savoir colorer leurs actes, quelque injustes qu'ils soient, par un certain vernis qui leur donne l'apparence des convenances ou de l'équité. Ainsi, l'on prétendit que les éléments des factions qui avaient été en guerre ouverte à Hispaniola, n'avaient pas cessé d'exister et qu'ils se reproduiraient pour causer de nouveaux troubles, si Colomb y retournait trop tôt; qu'il était donc plus sage d'y envoyer un officier de talent pour remplacer Bobadilla et pour y exercer le commandement pendant deux ans; qu'alors, seulement, les mauvaises passions seraient calmées, et que Colomb pourrait y retourner pour reprendre son autorité avec plus de facilité pour lui-même, et plus d'avantage pour la couronne. Mais si l'on pense que Colomb avait alors soixante-cinq ans, on sera convaincu que c'était partie gagnée que d'obtenir un délai de deux années pendant lesquelles il perdrait l'habitude des affaires; il en éprouva un vif déplaisir, mais il fut obligé de se contenter de ce mauvais arrangement et d'un espoir aussi incertain.

Le choix du successeur de Bobadilla fut fait en faveur de Don Nicolas de Ovando, décoré de l'ordre d'Alcantara; l'on verra plus loin que cet homme qui passait alors pour être équitable, modéré et modeste, cachait, sous son apparente humilité, une soif excessive du commandement. Il fut le fléau le plus impitoyable de la race indienne; et, dans ses procédés envers Colomb, il manqua complètement de justice et de générosité.

Plusieurs causes retardèrent le départ d'Ovando: pendant ces délais, il arrivait d'Hispaniola les plus fâcheuses nouvelles. Bobadilla s'était persuadé que la sévérité avait été le principal écueil de ses prédécesseurs; et ses premiers actes avaient été une protection déclarée accordée à la révolte, à l'indiscipline, à la licence: la porte avait été ouverte par là à l'insubordination, à l'oubli de toute règle; la foule s'était élancée dans ce courant d'idées qui promettait l'impunité à tous ses caprices; et quand Bobadilla voulut rétablir un peu d'ordre dans la colonie, il lui fut impossible de se faire obéir, et il recueillit amplement ce qu'il avait semé. Enfin, ceux mêmes des ennemis de Colomb qui avaient conservé un peu de droiture et qui ne voulaient pas aller à une catastrophe terrible, en vinrent à regretter leur ancien vice-roi, toujours si juste et si dévoué, ainsi que l'administration de son frère l'Adelantado, dont la règle sévère était plus inflexible encore pour lui-même que pour les autres.

Chaque concession de Bobadilla était suivie de la demande d'une nouvelle concession toujours plus compromettante. On vendit les fermes et les domaines de la couronne à de très-bas prix; on accorda toutes sortes de permissions pour l'exploitation des mines; on n'exigea que la rétribution de la onzième partie de leurs produits au lieu du tiers qui, jusque-là, avait été payé à la couronne. Il fallut donc, pour conserver l'intégralité du revenu public, augmenter considérablement les concessions, ce qui entraîna naturellement l'accroissement des fameux repartimientos, si préjudiciables aux intérêts et à la conservation de la population indigène; alors, on en vint à un recensement des naturels, à leur classement; et puis, on en disposait en faveur des colons, selon la faveur, le caprice ou l'importunité.

Bobadilla poussait l'oubli de toutes les convenances, jusqu'à dire à ses administrés: «Ne perdez pas de temps, ne négligez rien pour vous enrichir; qui peut savoir combien cela durera!» Ceux-ci agissaient d'après ses incitations; ils écrasaient les insulaires de travaux: et, dans le fait, ils firent produire au droit du onzième, plus que n'avait produit celui du tiers; mais les Indiens succombaient par milliers à la peine sans qu'on en prît le moindre souci. La tyrannie la plus oppressive était exercée contre eux par leurs maîtres dont la plupart n'étaient autre chose que d'ignobles condamnés provenant des cachots de l'Espagne. Ces insolents parvenus se donnaient des airs de grands seigneurs; ils ne marchaient que suivis d'une quantité considérable de serviteurs; ils prenaient à leur service les femmes et les filles des caciques eux-mêmes; dans leurs voyages ou même dans leurs courses, ils se faisaient porter sur les épaules des Indiens, nonchalamment allongés sur des litières ou dans des hamacs, et se faisaient rafraîchir par d'autres Indiens, agitant l'air qu'ils respiraient avec des feuilles de palmiers ou avec des éventails en plumes. On voyait parfois les épaules de ces infortunés porteurs ruisseler du sang que le poids ou le frottement des litières en faisait jaillir; les Espagnols n'en avaient aucune pitié. Quand ils arrivaient dans un village, ils s'emparaient capricieusement de toutes les provisions qui étaient à leur convenance; ils faisaient danser les jeunes filles et les jeunes gens pour récréer leurs loisirs; jamais ils ne parlaient aux naturels que dans le langage le plus grossier et le plus dégradant; enfin, pour les moindres fautes, ou au moindre accès de mauvaise humeur, ils les faisaient battre ou frapper à coups de fouet, à tel point que plusieurs en mouraient sans que personne intervînt en leur faveur.

Ces affreux détails parvenus aux oreilles de la reine Isabelle, affligèrent profondément le cœur de cette généreuse princesse; aussi pressa-t-elle, autant qu'il fut en son pouvoir, le départ d'Ovando. Il fut ordonné au nouveau gouverneur de faire cesser immédiatement des abus si criants; de révoquer les licences ou les autorisations imposant des travaux excessifs qui avaient été accordées par Bobadilla; d'alléger considérablement les fardeaux exigés des Indiens; de s'occuper, avec soin, de leur instruction religieuse; de préciser les pertes que l'on avait fait subir à Colomb tant lors de son emprisonnement, que pour les arriérés de solde ou autres émoluments qui pouvaient lui être dus, afin qu'il pût en être complètement indemnisé ou dédommagé: il fut enfin établi que Colomb aurait un représentant dans l'île pour surveiller ses intérêts, et qu'Hispaniola serait la capitale du gouvernement colonial qui devait s'étendre sur toutes les îles avoisinantes ainsi que sur le continent récemment découvert. L'homme que Colomb désigna pour le représenter fut le même Alonzo Sanchez de Carvajal, dont la conduite honorable a pu être appréciée dans le récit que nous avons fait de la révolte de Roldan.

 

Plusieurs autres mesures administratives furent prises en même temps: en particulier, nous citerons le décret en vertu duquel il fut permis de transporter, dans l'île, des nègres esclaves bien que nés en Espagne, et qui descendaient des naturels de la côte de Guinée où le trafic dit des noirs avait lieu de la part des Espagnols et des Portugais. On ne peut s'empêcher de faire, à cette occasion, le rapprochement que c'est dans cette même île d'Hispaniola où fut effectuée la première introduction de ces esclaves, qu'a eu lieu aussi la première et terrible insurrection d'une population noire contre ses maîtres, qui a ébranlé pour bien longtemps peut-être encore, la sécurité et le bonheur de ce beau pays.

L'armement équipé pour Ovando fut le plus considérable que l'on eût encore vu pour cette destination. Ce gouverneur était un des favoris du roi; Fonseca s'appliqua à être aussi libéral pour lui, qu'il avait été mesquin envers Colomb, et c'était encore une manière de témoigner l'antipathie qu'il avait toujours éprouvée à son égard. La flotte se composa, en effet, de trente bâtiments bien approvisionnés, contenant 2,500 hommes, dont plusieurs étaient d'un haut rang; il s'y trouvait un assez grand nombre de familles. Un cortége brillant fut accordé au nouveau gouverneur; on lui donna des gardes du corps à cheval; et, malgré les lois somptuaires de l'Espagne qui interdisaient certains objets de luxe aux sujets de la couronne, il lui fut permis de se parer de pierres précieuses et d'étoffes de soie de la plus grande valeur. On voit que rien ne fut fait pour adoucir, dans l'esprit de Colomb, la mortification qu'on lui faisait éprouver en la personne du rival qui lui était si injustement préféré. Ce fut le 13 février 1502, que la flotte appareilla.

Notre illustre marin passa neuf mois à Grenade, toujours attendant qu'on s'occupât de lui mais s'efforçant de rétablir ses affaires tombées, depuis les derniers événements, dans la plus grande confusion. Il y reprit aussi son projet sur le Saint-Sépulcre, et avec sa ferveur accoutumée, il fit un long écrit pour rappeler à Leurs Majestés l'engagement qu'il avait pris devant elles, de faire tourner au succès de cette opération, les avantages qu'il avait alors espéré recueillir de ses découvertes; mais l'on doute qu'il ait jamais communiqué ou présenté cet écrit aux souverains espagnols. Toutefois, ce même écrit existe encore, minuté de la main de Colomb et réuni en un corps de volume. C'est la bibliothèque dite Colombienne de la cathédrale de Séville qui possède ce précieux manuscrit.

Il parait que ce qui l'empêcha d'entretenir les souverains espagnols du retour de ses idées vers ce sujet, fut la nouvelle direction qu'elles prirent lorsqu'il fut informé de l'heureuse issue du voyage de Vasco de Gama qui venait de contourner l'Afrique, de conduire ses vaisseaux triomphants jusqu'aux côtes occidentales de la presqu'île de l'Inde, et d'en renvoyer une partie sous les ordres de Pedro Alvarez Cabral, qui les ramena en Portugal chargés de marchandises précieuses de l'Orient. Les richesses du Calicut devinrent alors l'âme de toutes les conversations; les beaux rêves du prince Henri et du roi Jean II se trouvaient ainsi réalisés; et tandis que les sauvages régions du Nouveau Monde si opulentes, mais en espérance seulement pour le moment, ne rapportaient rien à l'Espagne et ne lui rapporteraient rien pendant longtemps encore, la route que Gama avait frayée allait mettre immédiatement le Portugal en jouissance et comme en possession des trésors de ces merveilleuses contrées.

Il est probable que les lauriers que Colomb avait cueillis dans sa découverte du Nouveau Monde, avaient enflammé le courage de Vasco de Gama dont les succès, à leur tour, excitèrent l'imagination de Colomb en qui la passion pour les découvertes ne pouvait être affaiblie ni par son âge déjà assez avancé, ni par les malheurs qu'il avait éprouvés; il formula alors un système qui reposait sur de grandes probabilités, mais auquel il manquait la sanction de l'expérience, et cette sanction, il s'offrit à Ferdinand et à Isabelle pour consacrer ses efforts à l'obtenir. Selon lui, le continent qu'il avait découvert dans sa partie septentrionale, se dirigeait, aussi loin qu'il avait pu en observer le gisement de la côte, vers la partie de l'Ouest, et un fort courant des eaux de la mer était établi dans le même sens. À l'opposé de ce continent dans le Nord, était la longue langue de terre appelée Cuba, que tout le monde à son bord et lui-même pendant son second voyage, considéraient comme le promontoire extrême des points les plus orientaux de l'Asie. Tout disait donc, toujours selon lui, que plus loin, entre ce promontoire et le continent qu'il avait découvert, se trouvait un détroit qui devait conduire dans l'Inde. Il se flattait de trouver ce détroit, de le traverser, de parcourir une route encore plus facile et plus directe que celle que les Portugais venaient de suivre en doublant le cap de Bonne-Espérance, et c'est par là qu'il voulait terminer la longue série de ses voyages et de ses travaux. Il est à remarquer que le point du globe qu'il avait désigné comme étant celui où devait se trouver son détroit, était précisément le même où l'on voit l'isthme de Panama. Par ce brillant exposé, on se convainc que l'esprit de Christophe Colomb était resté insensible aux atteintes de la vieillesse, et que son corps était déjà suffisamment reposé des persécutions dont il avait été l'objet. «L'homme disait-il, est un instrument qui doit se briser à l'œuvre dans la main de la Providence lorsqu'elle a besoin de s'en servir. Aussi longtemps que l'esprit déclare vouloir, le corps doit obéir!»

Ce plan rencontra, comme toujours, quelques contradicteurs toutefois peu sérieux; mais, en général, il fut goûté comme n'ayant pu être conçu que par un esprit très-supérieur; on l'adopta et une expédition fut préparée pour qu'il fût mis à exécution. Colomb partit, en effet, de Séville où il se trouvait pendant l'automne de 1501, pour aller en surveiller les préparatifs; mais Fonseca et ses agents y mirent tant de mauvais vouloir, y apportèrent tant d'obstacles, que ce ne fut qu'au mois de mai de l'année suivante, que les bâtiments furent prêts à prendre la mer.

Avant de mettre à la voile, Colomb pensa à prendre quelques mesures de prévoyance en cas qu'il lui arrivât, quelque catastrophe dans un voyage si long, et dans une entreprise assez périlleuse pour glacer des courages ordinaires. Il avait alors 66 ans; sa constitution n'était plus aussi vigoureuse que par le passé, mais le déclin de ses forces physiques n'avait nullement altéré sa grande intelligence, ni abattu son énergie naturelle; aussi, se disposait-il à partir, à cette période de la vie où l'homme, en général, cherche le repos, et pour une expédition dont on ne pouvait se dissimuler ni les fatigues ni les incidents fâcheux, avec autant d'ardeur que s'il avait été dans toute la force de l'âge.