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Vie de Christophe Colomb

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On commençait à peine à respirer dans la colonie, et l'on avait atteint l'année 1499, lorsque le vice-roi reçut la nouvelle que quatre bâtiments avaient mouillé dans la partie occidentale de l'île, un peu au delà de l'endroit actuellement appelé Jacquemel, et que les marins de ces bâtiments paraissaient avoir le dessein de couper des bois de teinture et d'emmener des Indiens comme esclaves; mais ce qui surprit le plus Christophe Colomb, fut d'apprendre que cette expédition était commandée par le même Ojeda qui avait donné tant de marques de bravoure, de dévouement à sa personne, et qui, après son exploit de la prise de Caonabo, était retourné en Europe. Il fallait vraiment que les étranges procédés de Fonseca, que l'appui qu'il donnait à quiconque entreprenait de saper l'autorité de Colomb ou de lui créer des embarras fussent bien connus, il fallait être bien sûr de plaire à ce dispensateur des grâces ou des faveurs et de pouvoir agir avec impunité, pour que le mal eût gagné jusqu'au cœur d'un guerrier qui, jusque-là, avait professé tant de respect pour le vice-roi. Il en était cependant ainsi, et c'était bien Ojeda qui, commandant de quatre bâtiments, se présentait sur un point important de l'île et qui prétendait y agir sans contrôle.

Colomb qui, mieux que personne, connaissait l'esprit entreprenant de ce nouvel ennemi, pensa qu'il ne pourrait rien faire sans Roldan qui même pourrait, s'il refusait de se rallier à lui, paralyser ses moyens d'action contre Ojeda; il imagina alors, avec beaucoup de tact, de faire comprendre à Roldan que ce serait une occasion d'atténuer ses torts, et il lui offrit de se charger de s'opposer aux projets du chef de cette expédition. Roldan accepta avec empressement: ses actes séditieux avaient mis en son pouvoir les objets de tous ses vœux; il fit aussitôt la réflexion que font ordinairement les ambitieux ou les perturbateurs lorsqu'ils sont entrés en possession de ce qu'ils ont convoité, que, quelque mal acquises que soient leurs richesses, il est bon, selon eux, de les conserver, et que ce qu'il y a de mieux pour y parvenir, c'est de les placer sous l'égide de bons services rendus qui puissent faire oublier leurs anciennes offenses.

Roldan partit donc de San-Domingo avec deux caravelles; il arriva le 26 septembre à deux lieues du port où les quatre bâtiments d'Ojeda étaient mouillés; il débarqua avec vingt-cinq hommes résolus, apprit qu'Ojeda était parti pour une excursion dans l'intérieur de l'île, et il se posta pour couper la communication entre lui et ses quatre bâtiments.

Dès qu'il put entrer en pourparlers avec Ojeda, il lui demanda pourquoi, sans seulement avoir informé le vice-roi de son arrivée, il avait opéré son débarquement sur un point aussi éloigné et aussi peu fréquenté de l'île. Ojeda répondit avec adresse qu'ayant entrepris un voyage de découvertes, il se trouvait en détresse quand il avait jeté l'ancre, et qu'il ne demandait qu'à réparer ses navires et qu'à obtenir quelques provisions.

Vinrent ensuite d'autres explications privées d'où il résulta qu'Ojeda avait entendu parler, en Espagne, de la découverte, par Colomb, d'un continent très-étendu et des perles magnifiques qu'il avait envoyées, qui provenaient de ce continent; que Fonseca, désirant s'attacher Ojeda pour se servir de lui contre Colomb, lui avait communiqué les lettres du vice-roi aussi bien que les plans et les cartes qu'il avait dressés de ce pays et sur lesquels il avait tracé la route qu'il avait suivie; qu'encouragé par ce même Fonseca, il avait formé une expédition dans laquelle il s'était associé un riche Florentin, nommé Amerigo Vespucci qui avait fait une grande partie des frais de l'armement, et qu'après avoir parcouru tous les lieux visités par Colomb dans les parages de l'Orénoque, il s'était rendu aux îles Caraïbes où, à la suite de plusieurs engagements contre les insulaires, il leur avait fait un grand nombre de prisonniers qu'il comptait vendre comme esclaves sur le marché de Séville. Au surplus, Ojeda protesta de son respect pour le vice-roi, et il affirma qu'aussitôt que ses bâtiments seraient prêts, il appareillerait pour San-Domingo afin de lui rendre ses devoirs. Roldan crut, un peu légèrement sans doute, à cette prétendue assurance; satisfait de ce qui s'était passé, il leva l'ancre, et il retourna avec ses deux caravelles à San-Domingo, pour rendre compte de sa mission.

Mais avant de parler des projets réels d'Ojeda, qui d'ailleurs étaient fort peu en harmonie avec son ancien caractère chevaleresque, tant ses entretiens avec le perfide Fonseca l'avaient perverti! faisons remarquer d'abord que l'autorisation donnée, en Espagne à Ojeda, par le même Fonseca, n'était signée que par lui et nullement par les souverains; ensuite, qu'elle était totalement contraire aux conventions faites avec Colomb, qui aux termes de ces conventions, devait être préalablement consulté sur toute expédition projetée pour le Nouveau Monde, d'autant qu'il s'agissait ici d'un continent qu'il venait de découvrir, et qu'il était d'une justice rigoureuse de lui en réserver la future exploration, ou au moins de lui laisser le choix des premiers explorateurs destinés à marcher sur ses traces.

Pour ne citer qu'un inconvénient d'un pareil procédé, il suffit de dire que cette autorisation qui, d'ailleurs, était, de la part de Fonseca, un manquement formel à ses devoirs envers ses souverains, fut la cause directe de l'idée qu'eut Amerigo de donner à cet immense continent son nom lequel, malgré l'ingratitude qu'il y eût à en déposséder Colomb, fut adopté par l'envieux Fonseca, prévalut ensuite dans un public insouciant, et a fini par être accepté par toutes les nations et à être conservé par elles; tellement l'habitude et les premières impressions ont d'empire sur les hommes! Il est, cependant, certain qu'Amerigo, qui fut toujours un des admirateurs les plus zélés de Colomb, ne crut pas que cette idée pourrait jamais être considérée comme une usurpation préjudiciable au héros de la découverte du Nouveau Monde; mais Fonseca y dut voir une satisfaction donnée à ses sentiments d'envie; or, il n'est pas douteux qu'il n'ait saisi, avec ardeur, ce moyen d'affaiblir la popularité de Christophe Colomb, et qu'il n'ait fortement contribué à maintenir le nom d'Amérique au continent nouvellement découvert. Enfin, soit dessein prémédité, soit caprice de la fortune, Colomb fut déshérité de l'honneur de nommer le Nouveau Monde, et le nom d'Amerigo prévalut. Dérision, peut-on dire, de la gloire humaine dont le grand homme fut victime, mais dont l'heureux Florentin ne fut pas précisément coupable; si donc on peut reprocher une injustice et une ingratitude à ceux qui donnèrent ou qui sanctionnèrent cette dénomination, au moins doit-on en absoudre presque complètement Amerigo!

Loin de songer à faire voile pour San-Domingo, Ojeda se rendit à Xaragua où les anciens corebelles de Roldan, dans l'espoir de gagner à leur cause un homme aussi audacieux, l'accueillirent avec des transports de joie, et lui proposèrent, à défaut de Roldan qu'ils blâmaient sévèrement de se tenir à l'écart actuellement qu'il avait obtenu tout ce qu'il désirait, de se mettre à leur tête pour se faire compter par Colomb un arriéré de solde, qu'il était pourtant totalement impossible au vice-roi de leur payer par suite de la pénurie extrême de ses finances. Ojeda, certain de l'appui de Fonseca et connaissant par lui la décroissance de la faveur de Colomb auprès du roi, accepta; et il proposa de marcher immédiatement sur San-Domingo pour forcer le vice-roi à accéder à cette demande; mais, à l'instant de partir, quelques-uns d'entre ces hommes, et des moins déraisonnables, refusèrent de marcher, alléguant qu'à tout considérer, ils se trouvaient heureux où ils étaient, sans avoir à courir les chances d'une révolte ouverte pour obtenir ce que le vice-roi ne pourrait pas leur payer. Furieux, leurs camarades, plus insatiables, voulurent les contraindre par la violence; alors une rixe opiniâtre eut lieu, plusieurs hommes des deux partis furent tués ou blessés, et la victoire resta à ceux qui voulaient aller à San-Domingo.

Roldan, informé du nouveau projet d'Ojeda, alla au-devant de lui avec quelques soldats bien disposés, et il reçut, chemin faisant, le renfort de son ancien compagnon, Diego de Escobar, accompagné de plusieurs partisans. Ojeda ne pouvant faire tête à ces opposants, revint à bord de ses bâtiments où il saisit l'occasion de faire des débarquements pour inquiéter l'ennemi. Roldan n'en fut pas intimidé; il manœuvra avec intelligence pour ne pas laisser gagner du terrain à Ojeda qui, voyant l'inutilité de ses efforts, finit par se décider à appareiller et à faire voile vers d'autres îles afin d'y compléter une cargaison d'esclaves indiens. Quelle triste issue d'une expédition commandée par un guerrier si brillant quand il servait fidèlement sous les ordres de Colomb!

Les soldats de Roldan, accoutumés à dicter des lois à leur chef pour prix des services qu'ils pouvaient rendre, lui demandèrent bientôt à recevoir en partage la belle province de Cahay, contiguë à celle de Xaragua. Roldan, qui cherchait à se faire une meilleure réputation, se refusa à leurs sollicitations; toutefois, pour calmer leur rapacité, il consentit à répartir entre eux les terres qui lui avaient été concédées à lui-même dans la province de Xaragua.

Pendant les opérations de cette répartition, on vit arriver un jeune gentilhomme nommé Hernando de Guevara, cousin d'Adrien de Moxica l'un des chefs de la révolte précédente, qui avait été banni de San-Domingo à cause de sa conduite licencieuse, et qui était destiné à partir sur les navires d'Ojeda. Il arriva trop tard; mais Roldan, voyant en lui un ancien camarade, le traita avec bonté; il fut même reçu avec distinction chez la belle Anacoana qui, malgré les scènes fâcheuses dont elle venait d'être témoin, avait toujours conservé une grande partialité en faveur des Espagnols: elle avait une fille de douze ou treize ans, mais déjà nubile ainsi que le sont généralement les femmes nées dans ces climats. Cette jeune fille, dont le père était l'infortuné Caonabo, s'appelait Higuenamota et se faisait remarquer par une extrême beauté. Guevara en devint passionnément amoureux. Jeune, d'un physique fort agréable, de manières fort engageantes qui laissaient peu soupçonner la dépravation de ses mœurs, il toucha facilement le cœur d'Higuenamota, et Anacoana, charmée de voir sa fille demandée en mariage par un cavalier qui lui semblait aussi accompli, y donna son consentement.

 

Mais Roldan, également épris de cette jeune fille, devint extrêmement jaloux de la préférence qu'elle accordait à son rival; aussi exila-t-il Guevara de la province de Cahay. Celui-ci feignit de partir, revint pendant la nuit et se cacha chez Anacoana; il y fut découvert, trouva Roldan implacable, mais se soustrayant à ses menaces, il médita un plan de vengeance consistant à se faire un parti chez les mêmes hommes qui, ayant naguère idolâtré Roldan comme chef de conjurés, le détestaient aujourd'hui qu'il paraissait rentré dans la ligne de ses devoirs. On convint de s'emparer de lui par surprise et de le tuer ou de lui arracher les yeux; toutefois, le complot fut découvert, Guevara fut arrêté avec sept de ses complices sous les yeux d'Higuenamota et de sa mère, et ils furent envoyés à San-Domingo pour y être retenus prisonniers dans la forteresse.

Adrien de Moxica, en apprenant cette arrestation, se rendit au milieu des anciens révoltés de Bonao où se trouvait le nouvel alcade, Pedro de Reguelme, dont il réclama un appui qui fut promptement accordé. Moxica, se trouvant à la tête d'une force assez imposante, se proposa non-seulement de délivrer son cousin, mais de pousser la vengeance jusqu'à tuer Roldan et même le vice-roi.

Colomb était au fort de la Conception quand il fut informé de ces détails, et il n'y disposait que d'un nombre insignifiant de soldats. Il jugea bientôt que son salut ne pouvait dépendre que de mesures promptes et vigoureuses: on sait qu'alors il n'hésitait jamais; il ne trouva qu'une dizaine d'hommes dévoués à le suivre; il les arma cependant, partit la nuit, arriva à l'improviste au milieu des conjurés et il s'empara de Moxica ainsi que de plusieurs des principaux chefs de ce parti qu'il emmena au fort de la Conception. Il était indispensable de faire un exemple qui pût inspirer une terreur salutaire, et mettre un terme à ce parti pris de révoltes continuelles qui éclataient sous le moindre prétexte. Le vice-roi tenait entre ses mains un des grands instigateurs de ces troubles, l'occasion était bonne; il valait mieux frapper un des hommes marquants de ces rébellions, que des malheureux qui, souvent, ne s'écartent de leur devoir qu'en cédant à des instances auxquelles ils ne savent pas résister; il ordonna donc que Moxica fût pendu au haut de la forteresse. Le condamné demanda un confesseur qui vint aussitôt; mais au lieu de s'accuser de ses fautes, il se laissa entraîner à proférer à haute voix des imputations atroces contre plusieurs Espagnols, contre Colomb lui-même, à tel point que l'indignation publique ne pouvant être contenue, il fut jeté du haut des remparts et mourut au pied du fort.

Cet acte de sévérité eut d'heureuses suites: Pedro Reguelme fut surpris, caché dans une caverne du pays de Bonao, et fut conduit à la forteresse de San-Domingo. Les autres conspirateurs s'enfuirent dans la province de Xaragua, où ils furent vigoureusement poursuivis par l'actif Adelantado que secondait Roldan; la plupart furent saisis et bientôt les factieux furent complètement subjugués.

Libre de soucis de ce côté, Colomb songea à reprendre son projet de l'exploration du continent qu'il avait découvert, et de l'établissement d'une pêcherie pour arriver à la possession des perles qui gisaient dans les eaux de ce pays; mais hélas! combien ses espérances furent encore trompées, comme ses plans furent cruellement bouleversés! Dans ses méditations, il ne voyait que des succès, des richesses, des trésors de toute espèce pour l'Espagne; il touchait cependant au moment où cette même Espagne, devenue ingrate, allait le plonger dans les plus grandes infortunes, lui arracher ses honneurs, le dépouiller de ses avantages si rudement acquis par ses travaux, son génie, ses efforts, et le rendre un des exemples les plus frappants des vicissitudes humaines.

Il n'arrivait pas un navire du Nouveau Monde en Espagne, que, par suite des instigations de Fonseca, les calomnies les plus odieuses ne fussent répandues sur le compte de Colomb. C'était, disait-on, un étranger qui n'avait en vue que ses intérêts particuliers et qui n'agissait nullement selon ceux de la métropole; puis on prétendait qu'il voulait se faire proclamer roi de ces contrées, ou tout au moins les faire passer, pour des sommes considérables, entre les mains d'un autre souverain, ajoutant, à cet égard, tout ce que l'on savait pouvoir le mieux exciter le mécontentement du roi Ferdinand qui était fort jaloux de son pouvoir et surtout très-méfiant; on alléguait que ces pays coûtaient fort cher au trésor public et qu'ils ne lui rapportaient à peu près rien du tout; il s'ensuivait ou que les tableaux séduisants de l'opulence de ces contrées étaient faux et avaient été fort exagérés par Colomb qui, alors, avait sciemment trompé Leurs Majestés, ou qu'il était inhabile à gérer les affaires de ces mêmes contrées. Ensuite, on faisait retentir bien haut les plaintes de ceux qui, en revenant, réclamaient, à tort ou à raison, des arriérés de solde que le vice-roi avait sans doute, selon eux, retenus à son bénéfice; on vit même un jour une cinquantaine de ces misérables suivre le roi lors d'une de ses promenades à cheval, et lui montrer quelques grappes de raisin qu'ils tenaient à la main, criant que c'était la seule alimentation qui leur fût permise par l'effet des fausses promesses de Colomb; et, comme ils virent passer ses deux fils qui étaient pages à la cour: «Voilà, s'écrièrent-ils, les enfants, magnifiquement traités dans les palais de nos souverains, de celui qui a découvert une terre de vanité et de déception, propre seulement à servir de tombeau aux Espagnols!»

Tout cela était absurde, extravagant, facile à réfuter si l'on avait pu ou voulu établir une discussion calme ou sérieuse sur tous ces points; mais c'est ce que Fonseca ne voulait pas; il cherchait, au contraire, en toute occasion, à donner du poids à ces ridicules imputations; et, à force d'y revenir, il gagnait toujours du terrain. Enfin, il fallut que ce fût bien fort, puisque la magnanime Isabella elle-même se laissa aller à avoir quelques doutes: «Colomb et ses frères sont des hommes honnêtes, dit-elle un jour, du moins j'aime à le penser; mais ils peuvent errer; et, en se trompant, fût-ce de bonne foi, on est exposé à causer autant de tort à l'État que si l'on était réellement incapable ou méchant.» La reine, il est vrai, n'émettait, en parlant ainsi, que de simples suppositions; mais le roi était plus affirmatif et il se disait convaincu. On avait remarqué plusieurs fois qu'il ne s'exprimait plus sur le compte de Colomb avec son ancienne cordialité, et que, depuis que la domination des terres découvertes était un fait bien accompli et entièrement en sa faveur, il regrettait les pouvoirs étendus qu'il lui avait conférés.

Il prit donc la fatale et injuste résolution d'envoyer à Hispaniola un personnage qui eût à rechercher quelle était la situation véritable de l'île et à y prendre le commandement si la nécessité lui en était démontrée. Dans l'état actuel des affaires, c'était un moyen certain, quoique détourné et indigne d'un souverain, de poser en principe la destitution de Colomb; encore, si l'on s'était contenté de le destituer! On reconnaît bien, dans ces actes détestables, le machiavélisme de Fonseca qui y avait pris effectivement la part la plus active, et qui s'empressait de les faire mettre à exécution.

Les ordres furent donc écrits, les instructions furent dressées; mais Fonseca rencontra un obstacle qu'il ne put pas alors briser. Ce fut la volonté de la reine, qui, en voyant la dureté d'un procédé aussi exorbitant contre un homme pour qui elle avait conçu tant de reconnaissance et d'admiration, déclara, lorsqu'on lui présenta ces pièces à signer, qu'à l'instant de prendre un parti si excessif, sa main se refusait à les revêtir de son nom, et qu'elle ne pouvait encore s'y résoudre. Honneur et gloire à la reine, qui, une fois de plus, fut bien inspirée en cédant aux excellents mouvements de son cœur généreux!

Cependant, les bâtiments qui portaient les complices de Roldan arrivèrent; on vit alors le roi, lui-même, s'oublier au point de donner son approbation à la conduite de Roldan, et des éloges à ceux qui l'avaient imité. Jusque-là, Isabelle serait restée dans les mêmes sentiments vis-à-vis de Colomb, mais on se souvient que le vice-roi s'était cru obligé de laisser emmener par ces misérables, des esclaves indiens et même des jeunes filles qui arrivèrent avec eux, les unes étant enceintes, les autres déjà mères, et toutes dans un état de misère difficile à décrire.

Tout cela, dit-on à la reine, avait été fait sciemment et volontairement par les ordres exprès de Colomb. Sa sensibilité s'en émut, sa dignité de femme s'en trouva offensée: «Qui donc, s'écria-t-elle, a pu donner à Colomb le droit de disposer de mes sujets et de mes vassaux; j'ordonne que tous les Indiens qui se trouvent en Espagne soient ramenés dans leur patrie, je veux qu'on y reconduise aussi ces jeunes femmes avec toutes sortes de soins ou d'égards, et j'entends que de semblables faits ne se renouvellent plus!»

Fonseca voyant quelle était l'indignation de la reine mit aussitôt sous ses yeux une lettre que le vice-roi avait écrite, dans laquelle il établissait son opinion, qui, au surplus, était généralement partagée alors, excepté par Isabelle qui avait tant devancé son siècle, que l'esclavage des prisonniers indiens devait être maintenu pendant quelque temps encore, dans l'intérêt de l'occupation générale; il sut si bien profiter de la disposition d'esprit où se trouvait la reine en ce moment, qu'il la fit consentir à la mesure de l'envoi d'un haut commissaire chargé de porter ses investigations sur l'administration de Colomb, et de le remplacer dans ses fonctions s'il était reconnu coupable.

Le personnage qui fut désigné pour cette mission fut choisi et présenté par Fonseca; on peut penser qu'il n'était ni impartial, ni favorable à Colomb. Ce fut Don Francisco de Bobadilla, officier de la maison du roi et commandeur de l'ordre militaire et religieux de Calatrava. Fonseca put alors donner un libre cours à sa haine jalouse, et nous allons dire comment il se déshonora à tout jamais en cherchant à satisfaire cette honteuse passion.

Bobadilla arriva à San-Domingo le 23 août 1500. Avant d'entrer dans le port, il fut informé par les hommes d'une pirogue qui accosta son bâtiment, que le vice-roi et l'Adelantado étaient en tournée dans l'intérieur de l'île, et que c'était leur frère Don Diego qui exerçait le commandement pendant leur absence. Il apprit également la récente insurrection de Moxica, le châtiment qu'avaient reçu plusieurs assassins dont sept venaient d'être pendus et celui de cinq rebelles qui étaient renfermés dans la forteresse de San-Domingo. Parmi ceux-ci se trouvaient Pedro Reguelme, et Guevara dont la passion pour Higuenamota avait été la cause première de la révolte. Bobadilla put même voir en entrant deux potences dressées, une de chaque côté du port, où, selon l'usage des temps de laisser les suppliciés pendant quelques jours exposés aux regards de la multitude, étaient encore suspendus deux des condamnés à mort.

Dès qu'on sut à San-Domingo qu'un commissaire royal était à bord du navire qui venait d'arriver, on s'empressa d'aller au-devant de lui et de rechercher sa faveur; on remarqua, plus particulièrement, parmi ces courtisans, les hommes qui auraient dû avoir le plus à craindre de la justice du commissaire, si lui-même était venu avec des intentions impartiales. Or, ce furent ceux-là mêmes qui obtinrent le meilleur accueil et qui reçurent tout encouragement pour articuler des plaintes contre le vice-roi; on peut donc affirmer qu'avant le débarquement de Bobadilla, la culpabilité de Colomb était un point arrêté dans son esprit.

Ce qui le prouve jusqu'à l'évidence, c'est qu'il publia aussitôt des proclamations dans lesquelles il donnait des extraits de ses lettres patentes, d'où il résultait qu'il était autorisé à faire toutes sortes de recherches sur l'état des choses et à poursuivre les délinquants; qu'en conséquence il exigeait la mise en liberté de Reguelme et de Guevara pour entendre leurs dépositions.

Don Diego déclara qu'il ne pouvait rien faire sans les ordres du vice-roi de qui il tenait ses pouvoirs, et qu'il ne relâcherait pas les prisonniers demandés; il ajouta qu'il était convenable qu'il lui fût délivré une copie exacte des lettres patentes du commissaire afin qu'il les envoyât à son frère; mais cette demande, pourtant si naturelle, fut refusée. Bobadilla, espérant plus de succès d'une nouvelle proclamation, en fit publier une autre le lendemain, par laquelle il prenait les titres et l'autorité de gouverneur de toutes les îles et du continent nouvellement découverts: c'était excessivement outre-passer ses instructions qui ne lui permettaient de se qualifier de gouverneur que dans le cas où Colomb serait trouvé coupable, et il n'avait encore été ni entendu ni même vu. À l'issue de cette étrange publication, il exigea de nouveau la remise des prisonniers entre ses mains, mais Don Diego qui, pour être un savant très-pacifique, n'en était pas moins doué d'une grande fermeté, demeura inflexible, alléguant d'abord les devoirs d'un subordonné envers celui de qui il tenait son mandat, et ensuite les titres du vice-roi qui tenait des souverains espagnols des pouvoirs beaucoup plus élevés que ceux sur lesquels Bobadilla s'appuyait.

 

Le commissaire imagina alors d'informer les habitants qu'il était nanti d'un mandat de la couronne, enjoignant à Christophe Colomb et à ses frères de livrer entre ses mains tous les forts, tous les bâtiments ou navires, tout enfin ce qui appartenait à l'État, et ordonnant que tout arriéré quelconque de solde fût payé par eux à qui de droit. Cette dernière injonction fut accueillie avec de grands transports de la joie la plus bruyante par la multitude charmée.

Cette popularité acquise par un si pitoyable moyen qui n'était d'ailleurs qu'un leurre, puisqu'il n'était au pouvoir de personne de tenir la solde à jour lorsque la métropole laissait les caisses publiques de la colonie presque constamment vides; cette popularité, disons-nous, accrut l'audace de Bobadilla, qui déclara que si Don Diego ne lui remettait pas les prisonniers, il irait lui-même les chercher et les délivrer. Don Diego persista avec énergie dans son refus; alors le commissaire se rendit au fort et somma Michel Diaz, qui le commandait, de faire sortir les prisonniers. Michel Diaz répondit qu'il n'y consentirait que sur l'ordre du vice-roi; à cette réponse, Bobadilla ne connut plus de bornes, il fit débarquer les matelots de son navire, se fit suivre par la lie de la population; et à la tête d'une tourbe ardente et ameutée, il attaqua le fort qui, peu en état de se défendre, fut pris par ce ramassis de gens sans aveu. Les prisonniers furent ainsi délivrés; mais, pour conserver une apparence de justice dans ce renversement de toute légalité, ils furent mis sous la surveillance d'un alguazil.

Ainsi débuta le haut commissaire royal, qui venait cependant pour rétablir l'ordre, scruter avec impartialité la conduite de chacun, et faire régner les lois et l'équité. Conséquent avec ce premier acte, il prit domicile dans la maison de Colomb, s'y installa en maître, se mit en possession de ses armes, de ses objets précieux, de ses chevaux, de ses livres, de ses lettres, de ses manuscrits particuliers, n'établissant aucun compte de ce dont il s'emparait, payant quelque arriéré à ceux qu'il favorisait le plus, avec les deniers de Colomb, et disposant du reste comme il l'entendait sous prétexte qu'il avait tout confisqué au profit de la couronne. Puis, il donna des autorisations de vingt années pour se livrer à la recherche de l'or, n'imposant que le onzième du produit net pour l'État au lieu du tiers qui avait été exigé jusque-là; enfin, il tint le langage le plus véhément contre Colomb, et dit publiquement qu'il avait pouvoir de le renvoyer en Espagne chargé de fers, affirmant que jamais plus ni lui ni personne de sa famille n'exercerait le commandement de l'île.

Tels furent les premiers actes de ce commissaire, qui était le même Bobadilla que, dans ses entretiens avec le docteur Garcia Fernandez, Christophe Colomb, avant son départ de Cadix pour son second voyage d'Amérique, avait signalé comme un de ses ennemis les plus prononcés: et encore, il était impossible qu'il put alors prévoir jusqu'à quel point l'âme perverse d'un tel homme pousserait la violence de l'inimitié. Nous allons dire quels furent les excès où il osa se laisser aller.

Ce fut au fort de la Conception que Colomb apprit ces étranges nouvelles. Malgré la connaissance qu'il eut des proclamations de Bobadilla, il aimait à se flatter qu'il ne devait voir en lui qu'un premier chef de la justice dont il avait plusieurs fois demandé l'envoi à ses souverains, et que tout au plus celui-ci avait des pouvoirs particuliers pour s'enquérir des troubles qui avaient récemment éclaté: tout ce qui, selon lui, sortait de ces limites, était, comme on l'avait vu pour Aguado, une extension d'autorité que le nouveau commissaire assumait de son fait. Le sentiment qu'il avait de ses services, de son intégrité, de sa confiance en Leurs Majestés lui permettait peu de soupçonner toute la vérité.

Sous l'empire de ces idées, il écrivit des lettres aussi modérées que conciliantes à Bobadilla et, à son tour, il fit des proclamations pour contre-balancer l'effet de celles du commissaire. Des émissaires lui furent alors expédiés porteurs de lettres royales où il lui était ordonné, s'il en était requis par Bobadilla, de lui obéir en quoi que ce fût; en même temps il fut mandé immédiatement à San-Domingo pour comparaître devant le nouveau gouverneur.

Quoique blessé au dernier point dans sa dignité, il n'hésita pas et il partit sans emmener presque aucune suite. Bobadilla fit quelques sortes de préparatifs militaires pour recevoir Colomb, comme s'il avait paru craindre qu'il n'en eût appelé aux caciques de la Vega pour l'aider à conserver ses pouvoirs. De plus, il avait fait arrêter Don Diego, et, sans aucun motif allégué, il l'avait fait mettre aux fers à bord d'une caravelle.

Poursuivant le cours de ses violences, dès que Colomb fut arrivé, il le fit également arrêter, mettre aux fers et enfermer dans un fort. Cet outrage immense fait, sans aucune autre raison que sa volonté personnelle, à un homme d'une apparence ainsi que d'un caractère si vénérables et qui avait rendu des services si éminents à l'Espagne, parut si énorme, que nul ne voulut prendre la charge de le consommer, et que ce fut un des domestiques de Bobadilla qui eut cette triste mission. Las Casas a consigné, dans ses écrits, l'infâme nom de ce vil mercenaire qu'il dépeint comme un type d'insolence: il s'appelait Espinosa. Colomb tendit les mains et les pieds à ce stipendié, et il n'opposa que le dédain et le mépris à tant d'injustice et d'ingratitude.

Colomb se soumit donc sans résistance, et même sans se plaindre de l'arrogance d'un être aussi violent et aussi mal inspiré que l'était Bobadilla: il se garda bien d'accuser Leurs Majestés qu'il pensait bien devoir un jour éprouver une grande indignation, lorsqu'elles sauraient jusqu'à quel point Bobadilla avait durement agi contre lui. Il adhéra, enfin, sans récriminer aux iniquités criantes de Bobadilla et il poussa la magnanimité jusqu'à écrire à son frère Don Barthélemy, qui était à Xaragua à la tête d'un corps de troupes armé, de se soumettre aussi; Don Barthélemy licencia aussitôt ses soldats, se dirigea paisiblement vers San-Domingo et n'y arriva que pour être également mis aux fers et transféré sur une caravelle, autre que celle où était détenu Don Diego. Bobadilla ne voulut se donner la honte de voir ni Colomb ni aucun de ses frères, et il les fit emprisonner en se contentant de faire savoir qu'il tenait ses instructions de Fonseca.