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Vie de Christophe Colomb

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Quand la caravelle fut arrivée de Xaragua avec les approvisionnements qu'elle apportait, l'Adelantado laissa le soin d'en faire le déchargement à son frère Don Diego qui était revenu à Isabella, et il s'absenta pour faire une tournée dans l'île. Don Diego, éprouvant beaucoup de difficultés à ce déchargement à cause du petit nombre d'embarcations propres à ce service qu'il possédait, et voyant, d'ailleurs, l'état de vétusté du navire qui ne lui permettait pas de retourner en Europe, prit le parti de le faire jeter sur un endroit propice de la côte, pour que l'opération du déchargement coûtât moins de peines et de temps.

Roldan ne dit rien pour s'y opposer; mais, quand la caravelle fut échouée, il se répandit en insolentes clameurs, disant que les deux oppresseurs des Espagnols avaient imaginé ce moyen pour les empêcher de retourner jamais dans leur patrie; la conclusion de ses discours fut qu'il fallait remettre le navire en mer, s'en emparer, y proclamer l'indépendance des colons, et aller mener une vie licencieuse dans la partie de l'île qui leur plairait, faisant travailler les Indiens comme des esclaves et leur enlevant leurs femmes.

Don Diego, trop pacifique pour résister ouvertement et pour faire punir ce misérable, imagina de l'éloigner en lui offrant un commandement, sous prétexte de révoltes qu'il paraissait craindre dans la Vega. Roldan saisit cette occasion de se voir à la tête d'une force qu'il parvint à élever au nombre de soixante-dix hommes bien armés; il se les attacha par une infinité de promesses; mais comme les pensées de rébellion n'existaient pas chez les Indiens de la Vega, il n'eut pas à les combattre; il employa, au contraire, tous ses moyens de séduction pour s'y faire des amis, en promettant aux chefs qui voudraient faire cause commune avec lui, de les exonérer de leurs tributs.

Ayant réussi à faire accepter ses propositions par ces chefs, il posa ouvertement le masque qu'il avait gardé jusqu'alors, revint à Isabella, jeta insolemment un défi à l'Adelantado qui était encore absent et à son frère, les dépeignit comme ne tenant leur autorité que de Colomb qui avait perdu la sienne; et, aux cris de «Vivent Leurs Majestés!» prétendit pouvoir agir en maître et gouverner la colonie. Il voulut alors faire remettre la caravelle à flot, mais il ne put y parvenir. En dédommagement, il fit ouvrir de force tous les magasins et il y puisa à pleines mains pour donner à ses compagnons des armes, des munitions, des vêtements et des provisions; ensuite, ils partirent tous pour s'emparer du fort de la Conception, qui, heureusement, commandé par un brave et loyal militaire nommé Michel Ballester, refusa d'en ouvrir les portes, et annonça sa détermination de se défendre jusqu'à la dernière extrémité.

Au factieux Roldan, se joignirent bientôt Adrien de Moxica et Diego de Escobar, alcade du fort de la Madeleine; les choses en étaient là, quand l'Adelantado fut informé de ces trahisons. Ne sachant à qui se fier, ignorant même l'étendue véritable de la conspiration, il ne put agir avec sa vivacité ordinaire. Ce qui lui parut le plus pressé fut de se rendre sur les lieux et chez le seul partisan sur lequel il pût compter, qui était Michel Ballester; il se jeta donc dans le fort de la Conception avec des soldats dont il connaissait le dévouement; quand il se fut ainsi assuré un point respectable de résistance, il demanda à Roldan une entrevue, que celui-ci accepta, au pied de la forteresse où il se rendit pendant que l'Adelantado parlait par une embrasure de canon. La scène fut vive: l'Adelantado exigeait une soumission immédiate et promettait, en ce cas, un pardon complet; de son côté, Roldan voulait obtenir le désistement volontaire de Don Barthélemy, à son profit, et il s'engageait à faire, à cette condition, embarquer paisiblement les deux frères de Christophe Colomb pour l'Espagne. Aucun des deux ne voulut accéder à de semblables propositions; et les affaires de la colonie en prirent un tour très-fâcheux.

Les Indiens, profitant de ces divisions, cessèrent de payer leurs tributs. La bande de Roldan se recrutait tous les jours; les soldats qui voulaient rester fidèles à leurs devoirs étaient forcés de s'enfermer dans les forts et d'y vivre de privations; les provisions, livrées au gaspillage, s'épuisaient, et l'Adelantado, sachant qu'il serait assassiné s'il mettait les pieds au dehors du fort de la Conception, ne pouvait songer à le quitter.

Ce fut dans cette critique situation qu'eut lieu l'arrivée à San-Domingo, des deux bâtiments commandés par Pedro-Fernandez Coronal. Ils eurent bientôt divulgué la nouvelle que le vice-roi, toujours protégé par les souverains espagnols, allait arriver avec une escadre puissante, et que Don Barthélemy avait été officiellement confirmé en sa qualité d'Adelantado par le roi Ferdinand.

À peine l'Adelantado en fut-il informé que, sans plus craindre aucun de ses ennemis ouverts ou secrets, sans daigner en faire avertir le perfide Roldan, il fit ouvrir les portes du fort et se mit en marche pour San-Domingo. Cette noble audace intimida tous ceux qui avaient juré sa perte, et il traversa leurs détachements sans que pas un seul homme osât seulement l'approcher.

En sûreté à San-Domingo, l'Adelantado eut la magnanimité de dépêcher Coronal vers Roldan, lui offrant amnistie complète s'il voulait, lui et les siens, mettre bas les armes. Arrivé à un défilé, Coronal fut arrêté par quelques archers à la tête desquels était Roldan, qui lui dit: «Halte-là, traître! si tu étais arrivé huit jours plus tard, tu n'aurais trouvé ici qu'un seul parti, et c'eût été le mien!» Coronal fit tout ce qu'il put pour ramener Roldan, qui lui répondit que jamais il ne reconnaîtrait que le vice-roi; que s'il arrivait, il se soumettrait à son autorité, mais non à celle d'aucune autre personne quelconque.

Au retour de Coronal, il ne restait plus à l'Adelantado qu'à lancer une proclamation déclarant Roldan ainsi que ses adhérents, traîtres, et c'est ce qu'il fit. À cette nouvelle, Roldan résolut de s'éloigner; il fit à ses soldats les tableaux les plus attachants du pays enchanteur de Xaragua, il leur dit de se rappeler tout ce que leurs compatriotes qui y étaient allés avec l'Adelantado, en avaient rapporté sur la fertilité du sol, sur la douceur des habitants, sur l'extrême beauté des femmes; il leur promit de les laisser se livrer à tous leurs désirs, et ce fut cette charmante contrée vivant heureuse sous les lois de Behechio, sous l'influence de l'esprit distingué d'Anacoana, qu'ils allèrent souiller de leur infâme présence.

Mais à peine eurent-ils quitté la Vega Real que les Indiens ne voyant qu'un très-petit nombre d'Espagnols autour d'eux, se mirent en insurrection. Leur cacique Guarionex, y avait été excité par Roldan lui-même, lors de son départ; il eut l'imprudence de suivre ce conseil, il devint ingrat envers l'Adelantado et il commença ses opérations en bloquant le fort de la Conception. Don Barthélemy accourut aussitôt au secours de la forteresse; son nom seul et la nouvelle de son approche glacèrent le courage de Guarionex, qui prit la fuite au plus vite et ne s'arrêta, avec sa famille et quelques-uns de ses serviteurs les plus fidèles, qu'aux montagnes de Ciguay, les mêmes qui avoisinent la baie de Samana et dont les habitants avaient eu une escarmouche avec les marins de la Niña, lors du premier voyage de Colomb dans ces parages. Mayonabex était toujours le cacique de cette localité.

L'Adelantado, indigné, prit avec lui quatre-vingt-dix hommes dévoués, et se mit à la poursuite de Guarionex, le traquant à travers les montagnes, les forêts, les rivières, et sans s'inquiéter en aucune manière des embuscades des Indiens ni des difficultés du terrain. Il arriva ainsi près du cap Cabron où résidait Mayonabex, et il lui fit intimer l'ordre de remettre Guarionex, lui promettant alors amitié, paix et secours; mais, en cas de refus, se proposant de livrer ses dominations aux flammes et au pillage.

«Dites à votre chef, répondit noblement le cacique à l'envoyé de Don Barthélemy, que je respecte infiniment en lui la qualité du frère de Colomb dont je n'ai pas oublié les généreux sentiments; mais Guarionex est mon ami, il est en fuite, il est venu chercher un asile chez moi, je lui ai promis protection et je tiendrai ma parole!»

Disons ici en toute sincérité et malgré notre admiration pour les grands talents de l'Adelantado, qu'il agit en cette circonstance avec beaucoup moins de noblesse que Mayonabex: l'orgueil de ne pas vouloir revenir sur une parole mal calculée l'entraîna dans de coupables excès; il avait menacé, en cas de refus du cacique, de livrer ses dominations aux flammes et au pillage, et il eut la cruauté de le faire. Rien ne fut épargné: pendant trois mois entiers, le pays fut battu et dévasté; Mayonabex, quoique vivement sollicité par ses sujets de livrer son confrère, s'y refusa obstinément et se cacha: il fut à la fin découvert par douze Espagnols qui parvinrent à s'emparer de lui, de sa femme, de ses enfants, de quelques serviteurs, et qui les amenèrent à l'Adelantado. Satisfait de ce résultat, Don Barthélemy revint sur ses pas avec ses prisonniers qu'il confina au fort de la Conception, mais qu'il relâcha peu de temps après, à l'exception de Mayonabex. Que ne fut-il mieux inspiré pour sa gloire, et qu'il eut été plus noble de laisser partir aussi le cacique lui-même! Il crut peut-être que ce serait un otage qui lui garantirait la paix de l'avenir. L'Adelantado avait cependant laissé quelques soldats dans les montagnes de Ciguay, avec l'ordre de chercher à s'emparer de Guarionex; ils y réussirent, le chargèrent de chaînes et le conduisirent au fort de la Conception. Ses insurrections réitérées, la persévérance avec laquelle il avait été poursuivi, ne lui parurent pas pouvoir faire espérer de trouver grâce devant la rigidité de l'Adelantado; il crut donc devoir se donner la mort! Ainsi disparut de la scène du monde ce malheureux cacique, nouvelle victime, d'abord de sa faiblesse de caractère, et ensuite des conséquences désolantes de l'occupation.

 

Ce fut après ces expéditions, que Don Barthélemy effectua son retour à San-Domingo, et qu'il eut le bonheur d'y voir arriver son frère après une séparation de près de deux ans et demi.

Une des premières mesures que prit le vice-roi fut d'approuver les actes du gouvernement de l'Adelantado, en déclarant traîtres Roldan et ses adhérents. Cet homme turbulent et insubordonné s'était cependant rendu à Xaragua où les naturels lui firent une bienveillante réception, et où une circonstance heureuse pour lui, vint augmenter ses forces ainsi que ses ressources. On se souvient que Colomb avait expédié des îles Canaries, trois caravelles ayant mission de porter des approvisionnements à la colonie: or, il arriva que les courants ayant agi sur leur route, ce fut à la côte de Xaragua qu'elles abordèrent. Les rebelles se crurent poursuivis; mais Roldan ayant été fixé sur leur compte, recommanda le secret aux hommes de sa bande, et, se disant envoyé en mission dans cette partie de l'île, parvint d'abord à se procurer des armes ainsi que des provisions, ensuite à s'attacher plusieurs hommes de cette expédition qui, étant en grande partie des criminels et des vagabonds, ne demandèrent pas mieux que de s'engager avec Roldan et de mener avec lui une existence de licence et d'oisiveté. Ce ne fut qu'au bout de trois jours qu'Alonzo-Sanchez de Carvajal, qui commandait les caravelles, découvrit la ruse; mais le mal était fait.

Les bâtiments furent d'ailleurs retenus par des vents contraires; alors, il fut convenu qu'un des capitaines de ces navires, nommé Jean-Antoine Colombo, parent du vice-roi, débarquerait avec quarante hommes armés qu'il serait chargé de conduire par terre à San-Domingo. Colombo débarqua, en effet, avec quarante hommes: quelle ne fut pas sa surprise en se voyant abandonné aussitôt, à l'exception de huit d'entre eux, par ses soldats qui, se joignant aux révoltés, en furent reçus à bras ouverts et avec de longs cris de joie. Colombo voyant ses forces considérablement réduites par cette désertion, retourna à bord. Carvajal, pour ne pas donner lieu à de nouvelles désertions, donna le commandement de sa caravelle à son second, fit partir les navires et resta pour chercher à ramener dans le devoir, et Roldan, qu'il avait cru remarquer être quelquefois chancelant dans sa rébellion, et les hommes qu'il avait entraînés; mais tout ce qu'il put obtenir, fut que Roldan lui promit, dès que l'arrivée de Colomb lui serait notifiée, de se rendre à San-Domingo pour lui faire connaître ses griefs et pour ajuster tous les différends. Il écrivit même, dans ce sens, une lettre au vice-roi, que Carvajal se chargea de lui remettre. Ne pouvant obtenir davantage, Carvajal quitta ces lieux, escorté jusqu'à huit lieues de San-Domingo, par six rebelles, et il y trouva le vice-roi qui y était débarqué depuis quelques jours.

En remettant la lettre de Roldan, Carvajal exprima son opinion sur la probabilité de ramener les révoltés; mais ceux-ci se rassemblèrent bientôt dans le village de Bonao, situé dans la vallée de ce même nom, à vingt lieues de San-Domingo, à dix du fort de la Conception, et ils prirent leur quartier général dans l'habitation d'un nommé Pedro Reguelme qui était l'un de ces révoltés. Informé de ces détails, Colomb écrivit à Michel Ballester qui commandait toujours le fort de la Conception, et il lui donna des pleins pouvoirs pour avoir une entrevue avec Roldan, et pour lui offrir amnistie complète s'il voulait se soumettre et se rendre à San-Domingo afin de traiter avec le vice-roi lui-même, sous l'assurance écrite de sa sûreté personnelle. En même temps, il publia une proclamation, par laquelle il annonçait donner passage gratuit à tous ceux qui voudraient retourner en Espagne, espérant par là, débarrasser la colonie de tous les mécontents et de tous les paresseux.

L'intégrité, la loyauté de Ballester en faisaient un choix qui aurait dû être facilement accepté par Roldan; et l'on vit bien clairement, alors, que toutes les protestations de respect de cet insolent factieux envers le vice-roi n'étaient que des moyens de gagner du temps et de rendre sa position meilleure: il répondit effectivement qu'il n'entendait traiter que par l'intermédiaire de Carvajal, dont, disait-il, il avait appris à apprécier la droiture à Xaragua.

Colomb pensa alors à recourir aux armes, mais avant d'y faire un appel définitif, il voulut connaître combien il pourrait ranger de soldats sous son drapeau; or, il obtint ainsi la fâcheuse assurance que, excepté soixante-dix militaires fidèles au devoir, tous se rallieraient à Roldan, sous les ordres de qui ils avaient à espérer une vie de brigandage et de sensualité. Colomb se garda donc bien de mettre en trop grande évidence l'exiguïté du chiffre numérique de ses partisans, et quelque cruel qu'il fût pour lui de ménager un misérable comme Roldan, il fut obligé de temporiser. Quelle pénible extrémité cependant, pour un homme d'honneur comme Colomb, d'être si souvent forcé de tendre une main amie à un individu qu'il ne pouvait que mépriser, et qui, lui-même, semblait se faire un jeu de son déshonneur!

Le vice-roi se borna donc, pour le moment, à activer le départ de cinq de ses navires pour purger l'île du plus grand nombre possible de mécontents, afin de diminuer par là les chances qu'il voyait à ce qu'ils se ralliassent à Roldan s'ils restaient plus longtemps à portée de ses excitations. Il écrivit, par cette occasion, à ses souverains, à qui il envoya une carte ainsi qu'une description de la partie du vaste continent qu'il avait découverte, et il y joignit les perles magnifiques qu'il s'y était procurées dans ses entrevues avec les naturels. Il n'oublia pas de leur faire connaître tous les détails de la rébellion de Roldan, qu'il dépeignit comme provenant principalement d'un démêlé entre l'Adelantado et lui; et, pour que l'affaire fut bien instruite, il pria Leurs Majestés d'envoyer dans la colonie un fonctionnaire versé dans les matières juridiques, avec le titre de premier juge.

Roldan ne manqua pas aussi de profiter de cette occasion pour écrire en Espagne, ce qu'il fît en accusant, comme toujours, Colomb d'injustice et d'oppression. Rien cependant ne prouvait mieux le désir du vice-roi d'être à l'abri de ces reproches que la demande qu'il faisait de voir les attributions de la justice distraites de son pouvoir, et remises entre les mains d'un juge expérimenté nommé par la couronne. On verra, cependant, que les imputations articulées par un traître et envenimées par l'odieux Fonseca qui détestait toujours en Colomb un étranger et un homme dont les services éclatants avaient acquis une grande faveur auprès de Leurs Majestés, finirent par faire beaucoup trop d'impression sur leur esprit.

Après le départ des navires, le vice-roi reprit ses négociations avec Roldan, il alla même jusqu'à lui écrire avec une bonté marquée: il lui rappela l'ancienne confiance qu'il s'était plu à avoir en lui, il lui dit qu'il était prêt à renouer ses anciennes relations avec sa personne, il l'invita fortement, au nom de son ancienne réputation elle-même qui était bien connue du roi, à ne pas persister dans la ligne fâcheuse de conduite qu'il tenait, et il renouvela l'assurance qu'il pouvait venir s'expliquer avec lui, sous la garantie formelle de l'inviolabilité de sa personne.

Il s'agissait de savoir qui porterait cette lettre; Roldan avait déclaré qu'il n'avait confiance qu'en Carvajal, et l'on représentait à Colomb que cette préférence exclusive était de nature à créer de violents soupçons contre la fidélité de cet officier. Le vice-roi prit alors son parti avec sa grandeur d'âme habituelle, et il ne voulut s'en rapporter qu'à lui seul. Il fit donc appeler Carvajal, le questionna franchement, noblement; et, ayant acquis la conviction de sa loyauté, il lui confia la mission difficile d'entamer la négociation avec Roldan.

On comprend combien l'émissaire de Colomb eut de peines et essuya d'humiliations dans le cours de cette affaire. Il finit cependant par obtenir que Roldan écrivit au vice-roi et, de plus, qu'il eût une entrevue avec lui. Les révoltés sentaient leur force, et ils exigeaient les choses les plus extravagantes. Sur ces entrefaites, Michel Ballester écrivit au vice-roi; il l'informa que le parti des rebelles augmentait à tel point qu'il n'y avait d'autre parti à prendre qu'à accepter leurs conditions quelles qu'elles fussent. «Je ne dois pas laisser ignorer à Votre Altesse, disait-il en terminant sa lettre, que les soldats eux-mêmes de la garnison du fort que je commande, sont en voie continuelle de désertion, et que je pense qu'à moins d'un prompt arrangement, qu'à moins de l'embarquement prochain des insurgés pour la métropole, non-seulement l'autorité de Votre Altesse, mais aussi son existence courent le plus grand danger. Certainement, je saurai mourir à mon poste et vous défendre jusqu'à la dernière goutte de mon sang; mais j'aurai si peu d'imitateurs, que notre résistance et la vôtre ne pourront certainement pas conjurer le danger.»

Quelque triste et affligeant que fût le contenu de cette lettre, l'esprit se repose pourtant avec plaisir sur les beaux sentiments professés par cet honorable militaire qui brille avec beaucoup d'éclat au milieu de tant de révoltes, de trahisons, d'entraînements funestes; et l'on aime à voir un loyal soldat qui après avoir tracé d'une main affligée, les défaillances, les torts de ses compatriotes coupables ou égarés, retrouve toute la trempe de son caractère pour exprimer son dévouement inaltérable, son attachement à ses devoirs qu'il préfère à la vie, et pour s'engager jusqu'à la mort, à défendre l'autorité et la personne de son chef.

Tant de motifs décidèrent Colomb à faire un arrangement avec les révoltés: il fut stipulé que Roldan et ses adhérents s'embarqueraient au port de Xaragua, pour l'Espagne, sur deux navires qui seraient prêts à prendre la mer dans cinquante jours au plus tard; qu'ils recevraient tous un certificat individuel de bonne conduite et une garantie pour leur solde jusqu'au jour du départ; que des esclaves leur seraient donnés, comme on l'avait fait pour certains colons, en considération de services rendus; que ceux d'entre eux qui avaient des Indiennes pour femmes pourraient les emmener en lieu et place de même nombre d'esclaves; que les propriétés qui leur avaient appartenu et qui avaient été séquestrées, leur seraient restituées, et qu'il en serait de même des avantages qui avaient précédemment été faits à Roldan.

Cet odieux traité, qu'on ne pouvait même se flatter de voir accompli, était d'une nature si révoltante qu'on a de la peine à se figurer que Colomb n'eût pas préféré s'exposer à toutes les conséquences possibles, qu'à l'obligation de le signer. Pour nous, nous aimerions infiniment mieux que le vice-roi, plutôt que de courber la tête sous des exigences si mortifiantes, eût quitté une colonie où il lui était devenu impossible de rétablir l'ordre si profondément troublé par les factieux, et que, la lettre de Ballester à la main, il fût allé demander aux souverains espagnols la faveur d'être remplacé dans un commandement qu'en sa qualité d'étranger qui inspirait de si funestes préventions, il ne pouvait plus exercer avec avantage, soit pour la colonie, soit pour la métropole. On a prétendu que Colomb avait à cœur d'envoyer son frère l'Adelantado en exploration vers le continent qu'il avait découvert, pour y recueillir des renseignements plus précis, et qu'il lui aurait fallu renoncer à ce dessein, s'il ne pacifiait pas la colonie: mais tout n'était-il pas bouleversé; et, en accordant deux navires à Roldan, lui restait-il assez de ressources pour donner suite à l'expédition projetée? D'ailleurs, la découverte du continent était faite; aucun autre que lui ne pouvait y prétendre et cela devait lui suffire. À lui, en effet, l'honneur insigne d'y avoir abordé le premier; à d'autres, le soin de glaner après lui et de coloniser les beaux pays dont il avait ouvert l'entrée aux nations émerveillées!

Quoi qu'il en soit, Roldan et ses bandits se rendirent à Xaragua, et le vice-roi, laissant temporairement le commandement à son frère Diego; partit avec l'Adelantado pour visiter les forteresses et pour rétablir les choses sur leur ancien pied.

Cependant, quelques détails inévitables et de très-mauvais temps retardèrent les deux navires au delà de l'époque convenue. Il en résulta des plaintes; on allégua que les bâtiments étaient mal armés; que les délais avaient eu lieu à dessein et il s'ensuivit un refus de s'embarquer. De nouvelles conditions étant même demandées par ces misérables, il faillit ouvrir d'autres négociations. Sans doute que Roldan pensant à sa conduite passée, avait réfléchi qu'il serait imprudent à lui de retourner en Espagne; sans doute aussi que la canaille qui l'accompagnait répugnait à quitter la vie de licence et de désordre qu'elle menait; et l'on dut voir bientôt combien il serait difficile d'amener tous ces vauriens à délivrer l'île de leur présence impure.

 

Au milieu de ces difficultés, le vice-roi reçut une lettre d'Espagne en réponse à celles où il avait dépeint le fâcheux état de la colonie, cette lettre était écrite par Fonseca qui se bornait à lui dire que cette affaire ne pouvait pas être traitée immédiatement, attendu que les souverains entendaient la régler eux-mêmes. Il pensa d'après cela que l'astucieux directeur des affaires d'outre-mer voulait laisser les esprits s'envenimer de plus en plus, et qu'il était disposé à ne rien faire, soit pour améliorer la situation de l'île, soit pour faire disparaître les difficultés dans lesquelles Colomb se trouvait enveloppé.

Le vice-roi ne voyant rien de plus pressé que le départ de Roldan, espéra le décider à l'effectuer en allant lui-même, vers la fin du mois d'août 1408, au port d'Azna où il se rendit sur deux caravelles, accompagné des personnages les plus importants qui lui étaient restés dévoués. Loin d'être sensible à cette démarche, l'infâme Roldan affecta des airs de hauteur, comme si c'eût été à lui de dicter des conditions: il demanda que des terres fussent concédées gratuitement à ceux de ses partisans qui voudraient rester à Hispaniola, et qu'il fût, lui-même, rétabli dans ses fonctions d'alcade-major.

L'âme est abreuvée de dégoûts à l'aspect de tant de noirceurs, de bassesses et de perfidies; et l'on ne peut que plaindre Colomb lorsqu'on apprend qu'abandonné de presque tous, et ne trouvant nulle part ni un appui ni un conseil, il se crut forcé de signer encore un traité qui garantissait aux insurgés leurs nouvelles et insolentes demandes. Il est vrai qu'on lui avait donné l'avis que ses propres adhérents songeaient à s'emparer de la province de Higuey où ils avaient l'intention de se déclarer indépendants. Toujours est-il qu'il consentit encore une fois aux exigences toujours croissantes des rebelles; et quoique, dit-on, il eût l'intention de renier plus tard ce nouveau traité comme lui ayant été arraché par une force à laquelle il ne pouvait pas résister dans ce moment, il n'en est pas moins vrai que ce même traité reçut immédiatement un commencement d'exécution, et qu'une fois Roldan réintégré dans son emploi, il y déploya toute l'arrogance qu'on pouvait supposer devoir éclater chez un homme aussi entier et aussi peu délicat que lui.

Quelle tâche pour Colomb que d'avoir à lutter contre l'insolence de cet odieux personnage, que d'avoir à ramener à San-Domingo, ce ramassis d'êtres éhontés à qui il fallut assigner des portions de terrain, accorder des esclaves indiens provenant des prisonniers de guerre, et indiquer des résidences choisies, soit à Bonao, soit sur différents points de la Vega Real, naguère le théâtre des exploits de Colomb, de l'Adelantado et d'Ojeda!

Le vice-roi fit en même temps un arrangement avec divers caciques voisins, qui durent désigner un certain nombre de leurs sujets, pour travailler, à certaines époques, à la culture des terres des Espagnols. Ce fut une sorte de service féodal qui devint l'origine des fameux Repartimientos ou des distributions et levées d'Indiens libres, instituées pour aider les colons, et dont, par la suite, ceux-ci abusèrent tellement dans toutes leurs possessions transatlantiques, qu'elles finirent par avoir pour résultat, l'extermination de la race indigène en général, et plus rapidement encore de celle de l'île d'Hispaniola. Mais de quoi n'ont pas alors abusé les Espagnols dans ces pays; quelles autres scènes y ont-ils présentées que celles de la violence, de la jalousie, de la rapine, des dissensions intestines; et, en analysant ce qui se passait sous l'administration de Colomb qui avait tant de talents, tant de génie, et qui était animé de si excellentes intentions, comme il était facile de prévoir dès lors, que même sur les points où la puissance espagnole pourrait d'abord le plus s'élever, elle tomberait bientôt en dissolution!

Roldan obtint pour sa part plusieurs terres dans le voisinage d'Isabella, qu'il réclama comme prétendant lui avoir appartenu avant sa révolte; en outre, une très-belle ferme royale, située dans la Vega, connue sous le nom de La Esperanza; plus des propriétés étendues dans la province de Xaragua avec des Repartimientos; plus enfin certains droits à prélever des provisions de bouche sur les indiens.

Un des premiers actes de cet homme absolu, prétendant agir en sa qualité d'alcade-major, fut de nommer Pedro Reguelme, un de ses plus actifs partisans, alcade de Bonao. Colomb en fut fort choqué, car il vit dans cette nomination une usurpation de pouvoirs et une atteinte formelle portée à son autorité de vice-roi; il le fut bien plus encore, quand il apprit que Reguelme, sous prétexte de bâtir une ferme, élevait sur la crête d'une colline un édifice assez solidement construit pour pouvoir être facilement converti en forteresse. Roldan n'était pas étranger à l'idée de cette construction qu'il regardait comme un lieu de refuge en certains moments prévus. Toutefois, Colomb ordonna impérieusement que les travaux fussent immédiatement discontinués sur ce point et ils le furent.

Voyant une apparence de tranquillité rétablie dans la colonie, le vice-roi songea à retourner en Espagne, pour expliquer à ses souverains, mieux qu'il ne pouvait le faire dans sa correspondance, quel était l'état véritable de l'île; mais les maladies sévissaient alors, et il ne crut pas pouvoir quitter le pays dans un moment aussi critique. Il se contenta d'expédier deux caravelles où il donna toutes facilités aux soldats de Roldan de s'embarquer. Plusieurs s'y décidèrent; ils emmenèrent avec eux, soit les esclaves qui étaient devenus leur propriété par la teneur des traités, soit des filles de caciques qu'ils étaient parvenus à persuader d'unir leurs destinées aux leurs et de quitter leurs familles pour les suivre en Espagne.

Colomb écrivit par cette occasion à Leurs Majestés. Comprenant parfaitement que ses stipulations avec Roldan seraient critiquées, il s'appliqua à démontrer que lui ayant été arrachées par la violence, elles ne liaient nullement la couronne; il réitéra sa demande de la désignation d'un juge suprême pour rendre la justice dans la colonie; il désira qu'un conseil dont les membres seraient nommés en Europe, fût organisé dans l'île pour délibérer sur les points importants; il demanda qu'il fût pourvu à certains emplois des finances, et que les pouvoirs de tous fussent assez bien définis, pour qu'il n'y eut ni empiétements dans l'autorité, ni difficultés quant aux rangs, honneurs et priviléges; enfin, sentant l'influence d'un âge avancé, il priait Leurs Majestés de lui envoyer son fils Diego, toujours page à la cour mais dont la raison commençait à se développer, afin de l'initier aux affaires et d'être aidé par lui dans l'accomplissement de ses devoirs. Son second fils Fernand était aussi à la cour et il devait également aux bontés de la reine d'être page; mais il était trop jeune pour que son père pensât à l'appeler auprès de lui.

Malgré le moment de calme qui semblait régner en ce moment, et dont, après tant de bouleversements, on aurait pu croire que chacun devait désirer la continuation, la mesure n'était pas comblée, les ennemis de Colomb n'étaient pas satisfaits: leur jalousie odieuse, leurs menées iniques, leurs trames criminelles continuaient à s'ourdir sous la direction de l'exécrable Fonseca; et nous aurons bientôt à dire comment cet infâme personnage parvint à outrager toutes les lois de la justice, de l'honneur, de l'humanité, et à faire peser sur Colomb le poids de la haine la plus ignominieuse qui ait pu couver dans le cœur du plus grand monstre d'hypocrisie et de méchanceté qui ait jamais existé!