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Vie de Christophe Colomb

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Les Indiens des villages voisins accoururent à Saint-Thomas, où ils apportaient de l'or pour faire des échanges. Un d'eux se trouva parfaitement satisfait de recevoir un grelot de faucon pour deux morceaux d'or pesant ensemble une once; on assura le vice-roi qu'il y en avait un peu plus loin d'aussi gros qu'une orange et même que des têtes d'enfant.

Colomb, après avoir bien approvisionné le fort où il laissa cinquante-six hommes pour le défendre, commença à effectuer son retour à Isabella; mais il procéda lentement, parce qu'il s'occupait, chemin faisant, de la route qui devait joindre le fort à la colonie.

Le vice-roi avait à peine mis le pied à Isabella, qu'un messager de don Pedro-Marguerite lui apporta la nouvelle que les Indiens du voisinage avaient tous abandonné leurs villages sur un ordre formel de Caonabo qui, ayant eu connaissance de l'établissement formé à Saint-Thomas, et en craignant les conséquences pour son pouvoir, avait annoncé son dessein de détruire le fort ainsi que la garnison. Le grand-amiral envoya aussitôt un renfort de vingt hommes à don Pedro, et il expédia trente ouvriers pour achever d'ouvrir des communications faciles entre Isabella et Saint-Thomas. Tant de marches et de travaux joints à l'action d'un climat dissolvant, à la pénurie des provisions et au peu de ressources médicales, tout augmenta les maladies qui atteignirent les Européens; le vice-roi donnant aussitôt l'exemple, se réduisit et réduisit chacun dans la ration accoutumée des vivres européens; il y eut alors de longs murmures, parmi lesquels on ne peut, sans indignation, citer ceux d'hommes élevés par leur position, entre autres du moine bénédictin Boyle, qui se montra fort irrité que lui et les gens de sa maison fussent soumis à une règle que le vice-roi s'était cependant imposée.

Il était devenu nécessaire de construire un moulin pour moudre le grain: les ouvriers étant malades, il fallut bien que Colomb fît exécuter ce travail par les personnes valides, quel que fût leur rang. Plusieurs gentilshommes voulurent s'y refuser; quand des moyens coercitifs furent employés, ils dirent audacieusement qu'ils n'étaient pas faits pour être ainsi menés par un intrigant étranger qui, pour son élévation, ne reculait pas devant l'idée de porter atteinte à la dignité de la noblesse espagnole, et outrageait ainsi la nation dans son honneur.

On ne peut se dissimuler que le sort de cette jeune noblesse, accoutumée à toutes les douceurs de la vie civilisée de l'Espagne et dépourvue en ce moment des consolations et des aises du toit paternel, ne fût très à plaindre. Le pays, au premier coup d'œil et examiné à travers les espérances de l'avenir, était, il est vrai, fort séduisant; mais on ne savait pas alors que le travail manuel en plein air y est souvent fatal aux Européens, et l'on ne connaissait pas encore les ardeurs de la chaleur qu'on devait y ressentir pendant les mois où le soleil allait darder ses rayons d'aplomb sur le sol.

Ces jeunes gentilshommes furent donc sous l'influence de ces causes et sous celle de l'irritation produite par la blessure que ressentait leur orgueil; aussi tombaient-ils comme des victimes; et, dans leur désespoir, ils maudissaient le jour où ils avaient quitté leur patrie. L'effet de ces morts affreuses et précoces sur l'esprit public fut tel, que, longtemps après que l'établissement d'Isabella eut été abandonné, des légendes lamentables circulaient sur ces tristes événements, et qu'on affirmait que ses ruines et ses rues désertes étaient parcourues la nuit par les âmes errantes de ces jeunes seigneurs, se traînant lentement avec leurs costumes anciens, saluant les visiteurs avec un silence aussi triste que solennel, et s'évanouissant comme des ombres fugitives quand on s'en approchait. Les ennemis de Colomb ne manquèrent pas de lui attribuer ces désastres et de dire que ces infortunés, qui cependant s'étaient pressés en foule pour briguer l'honneur de l'accompagner, avaient été perfidement séduits par ses promesses décevantes, et sacrifiés par lui pour satisfaire ses intérêts personnels.

Avant que la saison des fortes chaleurs, dont il faut dire que Colomb ignorait parfaitement quelles seraient les funestes influences, fût arrivée, le vice-roi, toujours dans le but principal de soutenir le moral des hommes de son expédition, résolut de faire un voyage à l'île de Cuba ou de Juana; mais auparavant, il voulut mettre les affaires de la colonie sur le meilleur pied possible. Il détacha donc d'Isabella tous les hommes qui ne lui parurent pas nécessaires à la police, aux travaux de cette ville ou aux soins des malades, et il expédia sur Saint-Thomas un corps de deux cent cinquante archers, de cent dix arquebusiers, de dix-huit cavaliers et de vingt officiers; il en donna le commandement à don Pedro-Marguerite, qui devait laisser celui du fort à Ojeda que Colomb employait aussi souvent qu'il le pouvait sans lui faire supporter des fatigues excessives ou sans exciter contre lui la jalousie de ses égaux.

Le vice-roi, dans les instructions écrites et minutieuses qu'il envoya à don Pedro, lui prescrivait de faire une tournée militaire, d'explorer les parties principales et les plus distantes possible qui se trouveraient dans le rayon du fort, lui enjoignait d'entretenir la discipline la plus exacte, de protéger soigneusement les droits ou les intérêts des insulaires, et il lui recommandait par-dessus tout de cultiver leur amitié en tant que ce serait compatible avec sa sécurité.

Malheureusement qu'Ojeda, en se rendant à la forteresse, apprit que les Indiens avaient, au gué d'une rivière, volé les effets de trois Espagnols, et que les coupables avaient été protégés par leur cacique qui avait partagé ce butin avec eux. Ojeda, dont l'esprit était essentiellement militaire, vit là une injure grave et fit rechercher les voleurs; on lui en amena un, il lui fit aussitôt couper les oreilles au milieu de la place publique du village, et il l'envoya lui, le cacique, son fils et son neveu chargés de chaînes, au vice-roi qui, désolé d'apprendre le supplice infligé à l'un d'eux, les mit tous en liberté, mais en déclarant que ce n'était que par pure commisération qu'il ne les condamnait pas à mort.

Le vice-roi, avant de partir pour l'île de Cuba, forma une junte pour gouverner la colonie: son frère Diego en fut le président; les autres membres furent le père Boyle, Pedro Fernandez Coronal, Alonzo Sanchez Caravajal et Jean de Luxan. Il appareilla alors avec trois de ses cinq bâtiments, dont les noms étaient la Santa-Clara le San-Juan et la Cordera. Nous ferons remarquer ici que Colomb, en commémoration de la campagne qu'il avait faite dans son premier voyage sur la Niña, avait donné ce même nom à la Santa-Clara où flottait son pavillon de grand-amiral. Ce fut le 24 avril qu'eut lieu son départ d'Isabella.

Un des desseins qu'il se proposait dans cette expédition était de visiter la partie occidentale de Cuba, afin de s'assurer si cette terre était une île ou un grand promontoire de l'Asie dont alors il se proposait de prolonger la côte pour arriver soit dans l'Inde, soit à Mangi, au Cathay ou autres terres riches et commerçantes qu'il se flattait en ce cas de découvrir, et qui devaient confiner aux États du Grand-Khan, tels qu'en effet ils avaient été décrits par les illustres voyageurs Mandeville et Marco-Paolo.

Le grand-amiral s'arrêta à un ou deux points de l'île qu'il prolongeait par sa côte méridionale; il y prit de l'eau et des vivres frais. Partout, les habitants, émerveillés de voir d'aussi grands bâtiments glisser aussi rapidement sur la surface azurée de l'eau, sortaient de leurs villages, s'embarquaient dans leurs pirogues et venaient offrir en cadeau tout ce qu'ils avaient de plus agréable au goût. Sur leur rapport unanime qu'il y avait dans le Sud une grande île qui contenait beaucoup d'or, Colomb, se décidant à faire cette nouvelle découverte, mit effectivement le cap dans cette direction. Dès le 3 mai, les sommets bleuâtres de l'île qui porte aujourd'hui le nom de la Jamaïque s'offrirent à sa vue; mais il ne put l'atteindre que deux jours après. Il la côtoya jusqu'à un golfe de sa partie occidentale qu'il appela le golfe Buentempio, où il mouilla. Les naturels lui en parurent plus ingénieux, mais aussi plus belliqueux que ceux de Juana et d'Hispaniola. Leurs pirogues construites avec un certain art, avaient des ornements sculptés à la poupe ainsi qu'à la proue; quelques-unes étaient même fort grandes, mais toutes provenaient d'un seul arbre creusé qui était ordinairement de l'espèce de l'acajou. Le grand-amiral mesura une de ces pirogues, dont il consigna dans son journal les principales dimensions, lesquelles étaient de 96 pieds de long sur 8 de large. Chaque cacique en possédait une à peu près de cette grandeur, qu'il semblait considérer comme les souverains considéraient alors en Europe une galère royale.

Les Espagnols furent reçus avec hostilité par ces fiers insulaires; mais, après quelques escarmouches, les naturels, voyant la supériorité des armes des nouveaux débarqués, se décidèrent à établir des relations amicales. Christophe Colomb eut bientôt reconnu que l'or qui pouvait exister dans l'île ne se trouvait, pour la plus grande partie, que dans des mines qu'il fallait exploiter. Il crut alors son voyage assez utilisé par la découverte d'une terre d'une aussi grande fertilité, et il se détermina à en appareiller pour aller continuer son exploration de Cuba. Au moment de son départ, un jeune Indien se rendit à son bord et demanda aux Espagnols de l'emmener avec eux. Presque au même moment, arrivèrent ses parents qui le supplièrent de renoncer à ce projet. Pendant quelque temps, il fut indécis entre son désir d'aller visiter le pays de ces étrangers qui l'impressionnaient si vivement et la tendresse de sa famille; mais la curiosité, jointe au penchant de la jeunesse pour les voyages, l'emporta; il s'arracha aux embrassements de ses amis et, pour ne plus être témoin de leurs larmes ou de leurs instances, il se précipita dans la cale du bâtiment où il se blottit dans l'endroit le plus caché. Le vice-roi, touché de cette scène attendrissante, se sentit pris d'un intérêt extrême pour ce jeune homme résolu, et il ordonna qu'il fût traité avec les plus grands égards. De nos jours, on aurait attaché beaucoup de prix à étudier, chez ce sauvage aux idées si arrêtées, l'effet qu'auraient produit en lui le contact des marins, les merveilles savantes de la navigation et, plus tard, la vue et l'habitation de notre monde civilisé; mais, telles ne furent pas les préoccupations des Espagnols dans cette période, et rien n'a plus transpiré sur ce que devint ce jeune Indien, ni sur les émotions qu'il éprouva dans sa nouvelle existence.

 

La Niña atterrit le 18 mai à Cuba près d'un grand cap auquel fut donné le nom de cap de la Croix qu'il porte encore; continuant sa route à l'Ouest, elle se trouva au milieu d'un labyrinthe de petites îles et de caves qui rendaient la navigation très-dangereuse et qui exigeaient la plus active surveillance. Les cayes sont des bancs dont le sommet est plat, assez étendu, peu éloigné du niveau de la mer, et qui sont formés de sable mou, de vase, de coraux et de madrépores; quelques-unes ont des arbustes qui verdoient au-dessus de la mer, mais dont le pied est dans l'eau. Les cayes ont acquis depuis lors une grande célébrité, comme ayant servi d'asile et de refuge presque inaccessible aux navires des fameux flibustiers, à ceux des pirates et d'une infinité de corsaires qu'on a vus faire une guerre des plus acharnées, principalement à ces mêmes Espagnols qui alors, sous la conduite de Christophe Colomb, faisaient la conquête des Antilles, et qui sous Cortez, Pizarre et autres vaillants guerriers, devaient compléter celle des deux Amériques. À ces îles et à ces cayes ornées d'une si fraîche verdure, Colomb donna le nom d'Archipel des Jardins de la Reine. De nos jours, les cayes sont, en général, le repaire des contrebandiers.

Quittant l'Archipel des Jardins de la Reine, la flottille trouva, pendant trente-cinq lieues, une mer libre, qu'elle parcourut en côtoyant la partie de l'île qui se trouvait à sa droite, et qui s'appelait Ornofay. La vue des navires européens y excita la joie des naturels qui s'empressaient de se rendre à bord avec des fruits et des présents. Le soir, quand la brise de terre s'élevait, et après les ondées de pluie qui accompagnaient sa venue, on respirait à bord la fraîche douceur d'un air embaumé, apportant en même temps les chants des insulaires ainsi que le bruit des tam-tams ou autres instruments qui leur servaient à célébrer, par des danses et par des chants nationaux, le passage de ces merveilleux étrangers.

Bientôt se présentèrent de nouveaux amas d'îlots et de cayes qui avoisinent l'extrémité occidentale de Cuba. Il faut être marin pour comprendre les peines, les difficultés, les dangers d'un semblable voyage. Les navires touchaient souvent sur des écueils sous-marins, et il fallait des efforts incroyables pour les rafflouer; mais, quoique Colomb tint pour probable qu'il était près de la terre ferme de l'Asie, et que, ce point admis, il eût pu s'arrêter et revenir où des intérêts plus puissants l'appelaient, il continua sa route à l'Ouest afin de vérifier une information que les hommes de l'île lui avaient donnée de l'existence d'un pays voisin où les habitants étaient habillés, et qu'ils appelaient Mangon, nom qu'il pensa pouvoir être celui de Mangi, grande province de l'Asie décrite par Marco Paolo. On lui avait parlé aussi de montagnes un peu plus éloignées, où régnait un monarque puissant dont les vêtements traînaient jusqu'au sol, qu'on qualifiait de saint, et qui ne communiquait ses ordres à ses sujets que par signes. Son imagination le reporta alors aux histoires qu'il avait lues du célèbre prêtre Jean, potentat mystérieux qui a longtemps figuré, tantôt comme souverain, tantôt comme prêtre, dans les narrations des voyageurs orientaux; bientôt ses convictions se communiquant à ses officiers et aux équipages, il n'y eut personne à bord qui ne partageât ses idées à cet égard.

Un jour qu'une corvée de marins était allée à terre pour remplir plusieurs barriques d'eau potable, un archer descendu avec eux s'enfonça dans un bois à la recherche de quelque gibier. Tout à coup, on le vit revenir saisi d'une terreur sans pareille. Il déclarait avoir vu par une clairière, un homme vêtu d'une longue robe blanche, suivi de deux autres portant des tuniques de la même couleur; tous avaient la peau et la complexion d'Européens. Christophe Colomb put se croire, en ce moment, arrivé au pays de Mangon; dans cet espoir, il envoya deux détachements armés pour s'assurer de la vérité de ce rapport. L'un des deux revint sans nouvelles; le second avait suivi à la trace les empreintes de pas figurant des griffes de quelque grand animal qu'on supposa d'abord être un lion ou un gros griffon, mais qui, plus probablement, était un de ces monstrueux crocodiles qui abondaient alors sur ces terres intertropicales. Effrayés, les hommes du détachement revinrent au village; et, comme on acquit dans cette contrée la certitude que ce n'était pas là que l'on plaçait les Indiens habillés, mais beaucoup plus loin, on finit par comprendre que le corps vêtu de blanc aperçu par l'archer, n'était autre chose que la sentinelle de grues blanches gigantesques qui, vue par derrière, à travers des broussailles, et par un homme dont l'esprit était prévenu, pouvait représenter assez bien la hauteur et la rectitude d'une forme humaine. On sait, en effet, que ces oiseaux marchent en compagnie, et que, lorsqu'ils cherchent leur nourriture dans quelque étang, ils ont le soin de laisser quelques-uns d'entre eux à une certaine distance, pour surveiller ce qui se passe auprès, afin d'avertir en cas de l'approche de quelque ennemi.

Toutes ces circonstances, surtout la présence des îlots et des cayes dont on ne voyait pas la fin, décidèrent le grand-amiral à discontinuer ses découvertes le long de l'île de Cuba; ces circonstances étaient, il est vrai, déterminantes; mais nous savons aujourd'hui qu'il ne fallait pas plus de deux ou trois jours de marche pour arriver à l'extrémité de l'île et pour la doubler dans l'occident; or, il est fâcheux, sous un autre rapport, qu'il n'ait pas cru convenable, dans cette position, de poursuivre la route à l'Ouest pendant deux ou trois jours de plus, puisqu'une direction plus utile aurait pu être donnée à ses voyages futurs. Colomb remit donc le cap à l'Est; les équipages épuisés de fatigue, écrasés par la chaleur caniculaire du mois de juillet et presque dépourvus de provisions de campagne, saluèrent cette détermination d'unanimes acclamations.

Selon la plupart des historiens qui ont écrit la vie de Christophe Colomb, il est un point qui n'a pas été contesté; mais qui nous paraît tellement incroyable, que nous déclarons d'avance ne pas pouvoir l'admettre; et qu'après l'avoir aussi rapporté, nous le combattrons immédiatement comme marin, en donnant les motifs qu'en cette qualité nous avons à émettre pour en prouver l'impossibilité; si nous parvenons à faire adopter nos convictions à cet égard, ce sera une des preuves de l'avantage qui existe à ce que la vie de Colomb soit écrite et appréciée par un homme de la même profession que lui.

On affirme qu'avant de discontinuer sa route dans l'Est le long de la bande méridionale de Cuba, l'illustre navigateur avait arrêté le dessein de se diriger vers la mer Rouge, d'y pénétrer, de traverser par terre l'isthme de Suez, et de se rendre en Espagne par la Méditerranée; ou, si ce projet se trouvait être d'une exécution trop difficile, d'attaquer la côte orientale de l'Afrique, d'en faire le tour par le cap de Bonne-Espérance, et d'aller serrer ses voiles à Cadix, près des fameuses colonnes d'Hercule qui, en géographie, étaient le nec plus ultra des anciens. On ajoute que ses officiers partageaient, comme lui, l'opinion que l'île de Cuba était un promontoire de l'Asie; mais que les dangers, la longueur de l'entreprise les effrayèrent, qu'ils employèrent tous les moyens de persuasion pour détourner le grand-amiral de cette idée, que Colomb céda à leurs instances quoique avec beaucoup de répugnance, mais qu'il exigea auparavant que les officiers et les matelots signassent une déclaration dans laquelle ils assuraient être dans la ferme conviction que Cuba appartenait au continent asiatique, et en était le point le plus avancé.

La première partie de ce projet est si absurde, que c'est peu la peine de s'y arrêter, car qu'aurait fait Colomb de ses trois bâtiments, en supposant qu'il eût pu les conduire jusqu'aux bords de l'isthme de Suez? et, dans ces temps où la croix et le croissant étaient en guerre permanente, comment aurait-il pu parvenir à quelqu'un des ports ottomans de la Méditerranée, et y trouver les moyens de se faire transporter, à une époque où la navigation de cette mer était si peu répandue, lui et tous les siens, jusqu'en Espagne?

Admettons maintenant que Colomb et ses compagnons, qui n'avaient d'autres données que la carte de Toscanelli, que les descriptions de Marco Paolo et de Mandeville, n'aient pas soupçonné l'existence du continent américain, et qu'ils aient cru être arrivés aux confins orientaux de l'Asie. Que prouverait tout cela, si ce n'est que l'Asie aurait été avancée beaucoup plus dans l'Orient qu'on n'avait pu encore le vérifier? Mais on ne peut contester que Colomb ne sût fort bien que cette terre de Cuba n'était qu'à environ 90 degrés ou 1,800 lieues marines de l'ancien continent, et que, pour revenir à ce continent en faisant le tour du monde de l'Est à l'Ouest, il y avait 270 autres degrés à parcourir, qui, à cause des détours inévitables, exigeaient au moins une navigation de 6 à 7,000 lieues. Or, comment eût-il pu venir à l'esprit de n'importe quel homme doué d'aussi peu de bon sens qu'on le voudra, qu'avec des navires avariés par de fréquents échouages, des équipages fatigués, sans aucun port de ravitaillement connu, dans des mers infréquentées, sans vivres de campagne, sans presque plus de rechanges, on ait pu penser à s'aventurer dans ce voyage de 6 à 7,000 lieues! Colomb était très-téméraire, dira-t-on; oui certainement, il avait cette qualité du marin de savoir être téméraire à l'occasion; mais aussi, à l'occasion, il était prudent; et, sans ces deux qualités employées à propos, se compensant l'une l'autre, se corrigeant l'une par l'autre, et servant tour à tour, selon que les circonstances l'exigent, nous pouvons poser en principe qu'il n'existe pas de vrai marin; or, Colomb était marin suivant l'expression la plus étendue du mot; et c'est à ce mélange de ces deux qualités qu'il dut et ses découvertes et l'habileté avec laquelle il parvint à les effectuer.

D'ailleurs, dans l'exécution de ces projets, que devenaient sa colonie d'Isabella, les deux bâtiments qu'il y avait laissés et les hommes qui l'y attendaient et qui l'auraient, à juste titre, accusé de la plus légère et de la plus inqualifiable désertion?

Enfin, qu'était-ce que cette prétendue déclaration de ses officiers et de ses matelots dont, en ces temps d'ignorance, l'avis ne pouvait certainement être compté comme ayant quelque valeur? Colomb ne pouvait pas ignorer combien de pareilles déclarations sont de peu d'importance. C'est, en général, un très-mauvais moyen qu'un homme qui a quelque confiance en soi dédaigne toujours d'employer: plus que qui que ce soit, notre illustre navigateur était en droit de se passer de semblables conseils ou de telles approbations; et il l'avait prouvé en plusieurs circonstances très-remarquables.

Nous pensons donc, pour nous résumer, que Colomb a fort bien pu dire qu'il croyait avoir la mer ouverte devant lui jusqu'à l'extrémité méridionale de l'Afrique, et qu'il aurait désiré être en position d'achever la circonnavigation du globe dont ses découvertes laissaient entrevoir la possibilité; mais c'eût été chose insensée à lui, de vouloir alors exécuter cette circonnavigation et d'en avoir le projet assez fermement arrêté pour qu'il ait fallu des instances infinies ainsi qu'une déclaration écrite de ses officiers et de ses matelots pour l'y faire renoncer. C'eût été insensé, disons-nous, et moins qu'à qui que ce soit c'est un reproche qu'on n'a jamais été en droit d'adresser à notre éminent marin.

En reprenant la route à l'Est qui, à longueur égale, exige toujours plus de temps en ces parages, à cause des vents et des courants, que celle que l'on fait à l'Ouest, la petite division navale du grand-amiral eut beaucoup à souffrir de la fatigue, de la pénurie de vivres de campagne et de la chaleur, car on était alors au mois de juillet. Dans la saison qui venait de commencer, la température y est en effet suffocante et presque mortelle aux Européens qui en affrontent les ardeurs. Aujourd'hui même, soit à cause des maladies qui y règnent, soit pour se dérober aux ouragans qui peuvent s'y déclarer, la navigation y est alors presque entièrement interrompue; les bâtiments, quand ils sont forcés de séjourner dans ces pays, s'amarrent à quatre amarres dans le fond le plus reculé de quelque port bien à l'abri; et en général, sur tous les navires qui fréquentent les Antilles, les tentes sont faites dès le matin pour amortir un peu la chaleur sur le pont du bâtiment, et tout travail de force, à moins de circonstances très-pressées, est interdit sur rade, depuis neuf heures du matin jusqu'à cinq heures du soir.

 

Ces précautions, qui sont loin de suffire de nos jours, et les ressources en hôpitaux, médecins, remèdes, pharmacies et magasins remplis de nos denrées que trouvent nos marins dans ces colonies, manquaient totalement à Colomb ainsi que l'expérience des localités; l'on peut apprécier par là quelle navigation pénible ses bâtiments avaient à faire et combien ils devaient souffrir.

Le 7 juillet, ils mouillèrent, pour prendre quelque repos, à l'embouchure d'une belle rivière. Suivant son habitude, le vice-roi, en signe de prise de possession, y planta une croix; c'était un dimanche matin: un cacique accompagné de plusieurs indigènes voulut être témoin de la cérémonie et Colomb y mit une certaine pompe. La messe fut célébrée avec beaucoup de piété sous un massif de verdure odorante; mais quel ne fut pas l'étonnement de Colomb, lorsque après cette célébration, un vieillard, ami du cacique, s'avança vers lui, avec un maintien fort digne, et lui dit: «J'ai appris que tu étais venu dans ces contrées avec beaucoup de forces, que tu avais soumis plusieurs îles, et que tu as répandu une grande terreur dans divers pays; mais n'en tire pas trop de vanité: les âmes des défunts ont un voyage à accomplir, soit dans un lieu d'horreur et de ténèbres préparé pour ceux qui ont été injustes ou cruels, soit dans un séjour rempli de délices destiné à ceux qui ont fait régner la paix sur la terre et parmi ses habitants. Si donc tu es mortel, aie bien soin de ne faire de mal à qui que ce soit, surtout à ceux qui ne t'en ont pas fait.»

Christophe Colomb, réjoui d'apprendre qu'une aussi saine notion de l'immortalité de l'âme régnait dans les croyances de ces insulaires, fut extrêmement touché de l'allocution que ce vieillard avait prononcée avec une éloquence si naturelle; il le fit assurer, par son interprète, qu'il n'avait été envoyé par ses souverains que dans des vues parfaitement conformes aux doctrines qu'il venait d'entendre, que pour les protéger contre la dévastation ou l'anthropophagie, et que pour soumettre les Caraïbes ou les initier à ces mêmes doctrines. Le vénérable Indien fut très-surpris de comprendre par cette réponse qu'un homme qui lui paraissait aussi extraordinaire que Colomb fût sujet et non pas roi; et quand on lui eut parlé de la beauté de l'Espagne, de la grandeur de ses souverains et des merveilles de l'Europe, il fut saisi d'un désir si violent de s'embarquer avec le grand-amiral et de le suivre, qu'il fallut des efforts inouïs de sa femme, de ses enfants et du cacique lui-même pour l'en dissuader. En commémoration de ce touchant épisode, cette rivière fut nommée Rio-de-la-Misa (rivière de la Messe).

Colomb alla reconnaître le cap de la Croix, et de là il fit route pour la Jamaïque dont il voulait achever l'exploration. Il mouillait presque tous les soirs et il appareillait le matin pour mieux connaître cette île. Dans ses fréquentations avec les naturels, il reçut une visite qui lui rappela, sur une plus grande échelle, le désir du vieillard de Rio-de-la-Misa: ce fut celle d'un cacique et de sa femme suivis de leur famille consistant en deux jeunes filles fort belles, deux fils et cinq de ses frères; tous peints ou tatoués et ornés de plumes, de manteaux, de bijoux, escortés par des porte-étendards et par des Indiens qui faisaient résonner l'air de leurs tam-tams, tambours et trompettes en bois. Ils voulaient aussi s'embarquer avec Colomb et le suivre en Espagne; mais le vice-roi, songeant aux déceptions qu'ils éprouveraient ainsi qu'au malaise auquel ils seraient soumis pendant le voyage, se refusa à cette offre par un sentiment de compassion; il leur fit des présents et il leur dit que, ne devant retourner en Espagne que dans un temps assez éloigné, il était obligé de les prier d'attendre dans leur île, et que, s'il le pouvait, il y reviendrait pour les chercher.

Le 19 du mois d'août, la flottille quitta la Jamaïque; bientôt, elle se trouva près de la longue presqu'île d'Hispaniola connue sous le nom de cap Tiburon, et à laquelle le vice-roi avait donné celui de Saint-Michel. Il côtoya le Midi de l'île; pendant une violente tempête, il eut le bonheur de trouver un abri dans le canal de Saona; mais il n'en fut pas de même des deux bâtiments qui naviguaient avec lui et qui reçurent le mauvais temps en mer: aussi Colomb eut-il beaucoup d'inquiétude sur leur compte.

Étant enfin rejoint par ces bâtiments, il se dirigea vers l'Est pour compléter la reconnaissance des îles Caraïbes. Cependant, cinq mois d'une navigation aussi pénible où tout roulait sur lui, où rien ne se faisait sans qu'il eût bien vu et ordonné, où la surveillance de tous les moments qu'il avait à exercer lui laissait à peine la faculté de prendre quelques heures de repos, toutes ces causes, disons-nous, réagirent de nouveau sur sa constitution; et, succombant, pour ainsi dire, sous le poids de la fatigue et sous l'excès de la chaleur, la maladie, qui fit de rapides progrès, le plongea bientôt dans une profonde léthargie presque semblable à la mort. À bord, on crut impossible qu'il revînt à la santé; dans cette supposition, dont on regardait le fatal dénoûment comme très-prochain, on se hâta de se rendre à Isabella où Colomb était encore dans un état complet d'insensibilité, quand la Niña y arriva. Son frère Barthélemy s'y trouvait rendu et l'y attendait; mais dans quelle fâcheuse situation il le revoyait!

Il faut savoir avec quelle tendresse Colomb aimait ce frère pour comprendre l'émotion et le bonheur qu'il éprouva lorsque les soins qu'il reçut, l'ayant rendu à la vie, il vit Barthélemy veillant auprès de son chevet. Il n'en pouvait croire ni ses yeux ni ses oreilles; c'était pourtant bien lui; c'était le compagnon le plus aimé de son enfance; c'était l'émissaire zélé qu'il avait envoyé aux cours de France et d'Angleterre pour faire approuver ses projets; c'était enfin un second lui-même, car, quoiqu'il fût excessivement attaché à son plus jeune frère Diego qui était également présent, cependant il y avait toujours eu des rapprochements plus intimes entre lui et Barthélemy.

C'est à Paris que Barthélemy avait appris la nouvelle de la découverte du Nouveau Monde par son frère, celle de son retour en Espagne, du triomphe qu'on lui avait décerné et des préparatifs d'une seconde expédition qu'il devait commander. Colomb lui avait écrit immédiatement pour l'engager à venir le joindre le plus tôt possible, et c'était bien aussi son intention. Le roi de France Charles VIII, dès qu'il connut ces détails, s'empressa, avec sa libéralité accoutumée, de mettre Barthélemy en état d'accomplir promptement ce voyage, et il lui fit compter l'argent qui pouvait lui être nécessaire pour cet objet. Barthélemy fit alors toute diligence; mais, à cette époque, les moyens de transport étaient fort lents; aussi, quelque hâte qu'il y mît, il ne put atteindre que Séville, le jour même où son frère venait d'appareiller de Cadix.