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Vie de Christophe Colomb

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L'un d'eux était parent de Guacanagari dont il portait un présent: le grand-amiral s'empressa de lui demander des nouvelles de la garnison; l'insulaire lui répondit que plusieurs des Espagnols restés à Haïti étaient morts de maladie, que d'autres avaient péri dans des rixes intestines, que le reste, enfin, s'était dispersé en divers quartiers de l'île. Il ajouta que Guacanagari avait été attaqué par Caonabo, cacique des montagnes aux mines d'or de Cibao, qu'il avait été blessé, et que son village ayant été brûlé, il s'était retiré, fort souffrant de sa blessure, dans une sorte de hameau voisin.

Ce récit donna au vice-roi une lueur d'espoir de retrouver quelques-uns des hommes de la garnison; il eut donc beaucoup d'attentions pour les Indiens, qui partirent en promettant de revenir le lendemain matin avec Guacanagari; mais la matinée se passa, la soirée lui succéda sans que personne eût paru, sans même qu'on eût vu à terre aucune fumée. Colomb, trop inquiet pour attendre au lendemain, envoya avant la nuit un canot en reconnaissance; au retour de cette embarcation, on apprit que la forteresse avait été brûlée et démolie, que les palissades étaient abattues, que le sol était couvert de malles brisées, de provisions éparpillées et de vestiges de vêtements européens; qu'enfin, aucun Haïtien ne s'était laissé approcher, qu'on en avait vu épiant à travers les arbustes, mais qu'ils s'enfuyaient au plus vite quand ils s'apercevaient qu'ils étaient découverts.

Ces lugubres détails transpercèrent l'âme de Colomb, qui descendit lui-même à terre le lendemain matin et alla droit à la forteresse qu'il vit effectivement détruite et déserte. Il y fit faire des recherches pour retrouver au moins des corps ensevelis; il fit tirer du canon pour se faire entendre des survivants s'il en existait; ce fut en vain. Se souvenant alors qu'il avait donné l'ordre à Arana d'enterrer les richesses qu'il pourrait avoir, ou, en cas de pressant danger, de les jeter dans le puits qu'il avait fait creuser, il fit faire des perquisitions, des fouilles, des excavations, espérant par là arriver à la découverte de quelque fait; mais rien ne fut trouvé dans le fort. Il battit alors le terrain avoisinant et il finit par apercevoir sous un tertre qui pourtant était déjà raffermi, les cadavres de onze hommes assez méconnaissables pour que leurs noms demeurassent un mystère, mais qu'il était facile de voir être ceux d'Européens. Il visita alors les cases voisines: elles paraissaient avoir été abandonnées avec précipitation, et il y trouva divers objets qui ne pouvaient pas avoir été obtenus du consentement volontaire de la garnison; mais comme, d'un autre côté, le village jadis habité par Guacanagari portait les traces de l'incendie et ne présentait qu'un monceau de ruines, Colomb put croire qu'une attaque violente et soudaine de Caonabo avait enveloppé dans la même destruction et les Indiens et les Espagnols. Le grand-amiral fit alors tous ses efforts pour entrer en communication avec les naturels; il parvint à se faire voir et reconnaître; sa présence calmant les appréhensions, un rapprochement eut lieu, et voici ce qui lui fut dit ou expliqué par son interprète.

Peu de temps après le départ de la Niña, les ordres et les conseils du grand-amiral avaient été méconnus; les Espagnols, par toutes sortes de moyens, cherchèrent à s'approprier les ornements en or ou autres objets précieux qui étaient en la possession des naturels et à courtiser ouvertement leurs femmes et leurs filles; il en résulta des querelles quelquefois sanglantes. Ce fut en vain qu'Arana interposa son autorité ou voulut agir selon ses instructions; l'union avait disparu; elle avait été remplacée par l'insubordination: ses lieutenants eux-mêmes, don Pedro Guttierez et Rodrigue Escobedo, voulurent être indépendants ou même commander, et ne pouvant réussir ni à obtenir cette concession d'Arana, ni à se faire obéir, ils partirent à la suite d'une rixe dans laquelle un Espagnol avait été tué, emmenant avec eux neuf de leurs adhérents et plusieurs femmes, pour se rendre aux montagnes de Cibao où ils avaient l'espoir de se procurer beaucoup d'or provenant des mines qu'elles renfermaient. Mais ces montagnes étaient enclavées dans le territoire du fameux Caonabo, appelé par les Espagnols le Seigneur de la maison d'or, et qui, Caraïbe de naissance et arrivé à Haïti comme un aventurier, avait su par son ascendant féroce, parvenir au rang d'un des caciques les plus redoutés et les plus puissants. Tout ce que Caonabo avait entendu dire des Européens, lui avait donné à penser que son pouvoir ne se maintiendrait pas en face d'envahisseurs aussi formidables, de sorte que, sachant le grand-amiral parti, et voyant un si petit nombre de ces étrangers sur son territoire, il s'était hâté de les faire saisir par une multitude d'Indiens et de les mettre à mort. Ce succès enflant son courage et voyant la garnison réduite d'autant, il partit aussitôt dans le plus grand mystère, suivi de ses sujets les plus éprouvés, et marcha vers la forteresse de la Navidad où il ne restait plus que dix hommes réunis auprès d'Arana; les autres étaient épars dans le village de Guacanagari où ils se trouvaient dans une sécurité profonde. Caonabo et les siens fondirent à la fois sur la forteresse et sur le village en poussant des cris affreux; tous les Européens furent noyés ou massacrés, et Guacanagari, qui avait voulu embrasser leur défense, fut vaincu, obligé de se cacher, et son village fut livré aux flammes.

Quoiqu'il fût assez extraordinaire que Guttierez, au mépris des ordres exprès du vice-roi qu'il respectait infiniment, eut prétendu déposséder Arana sous le commandement de qui il avait demandé à rester à la Navidad, et qu'oubliant l'injonction précise de vivre dans la plus grande union, il fût allé lui-même se livrer à Caonabo dont la férocité était connue; cependant ce récit, dans son ensemble, pouvait être accepté comme probable, et si la confiance en Guacanagari en fut ébranlée, au moins ne fut-elle pas détruite, et Colomb alla le voir dans un village voisin où il s'était retiré. Le cacique se montra fort souffrant de la blessure que lui avait faite à la jambe un violent coup de pierre, et plusieurs des Indiens qui l'entouraient purent montrer des blessures qui avaient évidemment été causées par des armes du pays. Guacanagari était d'ailleurs fort agité en présence de Colomb, mais il en assignait la cause au malheur de la garnison dont il ne parlait qu'avec des larmes dans les yeux. Le grand-amiral fit examiner la jambe du cacique par son chirurgien qui ne put voir aucune trace de blessure malgré les cris que jetait le prétendu malade toutes les fois qu'on la touchait; aussi plusieurs Espagnols furent-ils persuadés que tous ces récits et ce coup de pierre n'étaient qu'une invention qui cachait une perfidie.

Colomb doutait toujours à cause du souvenir de l'ancienne sympathie du cacique, et il l'invita à venir à bord; celui-ci s'y rendit; il se montra fort émerveillé de tout ce qu'il vit; il admira les chevaux par-dessus tout. Dans ces îles, et en général en Amérique, les quadrupèdes sont de petite espèce; aussi le chef indien ne pouvait-il se lasser de contempler la hauteur de ces nobles animaux, leur force, leur aspect terrifiant et pourtant leur docilité parfaite; la vue des prisonniers caraïbes qui étaient à bord accrut encore la grande opinion qu'il avait de la vaillance des Espagnols, dont l'audace les avait bravés ou vaincus jusque chez eux, tandis que lui pouvait à peine, sans frissonner, les regarder dans leur humble position de prisonniers.

Parmi ces Caraïbes, il y avait quelques femmes également captives. Une d'elles, que les Espagnols remarquaient pour sa beauté et à qui ils avaient donné le nom de Catalina, frappa extraordinairement les regards de Guacanagari; il lui parla avec beaucoup de douceur et parut prendre du plaisir à cette conversation.

Une collation fut servie; Colomb, malgré le vif chagrin qu'il ressentait du sort de la garnison et de la mort du chevaleresque Guttierez à qui il s'était tendrement attaché lors de son premier voyage, Colomb, disons-nous, voulant chercher à regagner la confiance entière de Guacanagari, fit les honneurs de cette collation avec une affabilité extrême; mais tout fut inutile; le cacique se montra complètement mal à son aise. Le père Boyle, qui l'observait d'un œil scrutateur, le jugea coupable d'un grand attentat contre la garnison et il conseilla au vice-roi, puisqu'il l'avait à bord dans sa dépendance, de l'arrêter et de le garder comme prisonnier. Colomb ne disconvint pas que la conduite de Guacanagari ne fût suspecte; mais sa grande âme s'indigna à la pensée de se venger, par l'emploi de moyens perfides, d'un homme venu sous la garantie d'une invitation, lors même que sa culpabilité serait avérée; il répondit qu'un semblable conseil était contraire d'abord à la bonne foi, ensuite aux règles d'une saine politique. Guacanagari ne put s'empêcher de remarquer qu'à l'exception du grand-amiral, tout le monde à bord le regardait d'un air soupçonneux; aussi s'empressa-t-il de prendre congé et de retourner à terre.

Le jour suivant, une grande agitation parut régner sur le rivage parmi les Indiens. Le frère de Guacanagari vint cependant à bord du grand-amiral, portant plusieurs bijoux du pays dont il se défit en échange de divers articles européens. En parcourant le bâtiment, il eut l'occasion de voir les prisonniers caraïbes et de leur parler, principalement à Catalina. Il quitta le navire assez tard, ne témoignant ni empressement ni inquiétude.

Toutefois, il paraît que, sans que personne du bord s'en doutât, il avait remis un message à la belle insulaire, car à minuit elle réveilla ses compagnes avec précaution, et leur proposa de se jeter à la nage pour gagner le sol haïtien où elle les assura qu'elles seraient bien accueillies. La distance du bâtiment à terre était de trois milles; mais leur habitude de se tenir dans l'eau même avec un mauvais temps, les empêcha de trouver ce trajet trop long; elles acceptèrent donc la proposition, se laissèrent glisser à la mer et nagèrent bravement. Elles furent cependant aperçues par les sentinelles; l'éveil fut donné, on arma aussitôt un canot et l'on se mit à leur poursuite dans la direction d'un feu allumé à terre que l'on supposa être le but qui leur était indiqué. Les agiles Caraïbes, semblables aux nymphes des eaux, paraissaient voler sur la surface de la mer; elles atteignirent la côte un peu avant l'embarcation, mais à terre, elles furent moins heureuses; quatre d'entre elles furent reprises par les marins qui les poursuivirent et qui les ramenèrent à bord; de ce nombre n'était pas la séduisante Catalina, qui, tombant dans les bras de l'amoureux cacique venu sur la plage pour la recevoir et fuyant avec cette proie qu'il avait tant convoitée, la ravit à la recherche des Européens. Guacanagari disparut donc avec sa jeune beauté; il fit emporter en même temps tous les objets ou effets qui étaient dans sa case, et il se retira dans l'intérieur. Cette sorte de désertion ajouta une force nouvelle aux soupçons déjà conçus sur sa bonne foi, et il fut généralement accusé d'avoir été le destructeur principal de la garnison qui excitait tant de regrets.

 

Colomb abandonna alors l'idée que des circonstances forcées lui avaient suggérée, d'établir une colonie en cet endroit, d'autant qu'après plus mûr examen il put observer que le lieu était bas, humide et qu'il manquait de pierres propres à bâtir des maisons ou à élever des édifices. Il chercha donc un autre point qui fût plus favorablement situé, et il arrêta ses résolutions sur le terrain avoisinant un port, à dix lieues dans l'Est de Monte-Christi, protégé d'un côté par un rempart de rochers, de l'autre par une forêt séculaire, ayant une belle plaine entre les deux, et arrosée par deux rivières. D'ailleurs, ce terrain n'était pas éloigné des montagnes de Cibao, renommées, comme on peut se le rappeler, par les mines d'or qu'elles contenaient.

Les troupes furent débarquées ainsi que le personnel destiné pour cette colonie; les provisions, les armes, les munitions, le bétail le furent aussi. Un camp fut formé sur la lisière de la plaine autour d'une nappe d'eau; le plan d'une ville fut tracé et l'on commença à bâtir des maisons. Les édifices publics, tels qu'une église, un vaste magasin, une résidence pour le vice-roi furent construits en pierres; les maisons aussi bien que les servitudes le furent en bois, en roseaux, en plâtre ou ciment et tels autres matériaux qu'il était facile de se procurer. La ville nouvellement fondée, qui fut la première ville chrétienne élevée sur le sol du Nouveau Monde, reçut le nom sympathique d'Isabella, en l'honneur de la gracieuse et magnanime souveraine dont les bontés avaient fait une si vive et si respectueuse impression dans l'âme reconnaissante de Christophe Colomb.

Chacun d'abord s'était mis à l'œuvre avec autant de bonne volonté que d'ardeur; mais des maladies, dues à l'action d'un climat à la fois chaud et humide sur des corps accoutumés à vivre dans un pays sec et cultivé, ne tardèrent pas à se déclarer. Les pénibles travaux de la construction des maisons et, tout à la fois, de la culture du sol fatiguèrent extrêmement des hommes pour la plupart peu exercés à ce genre de vie et qui avaient besoin de repos et de distractions; enfin, les maladies de l'esprit se joignirent à celles du corps.

Il n'était pas étonnant, en effet, qu'il en fût ainsi de personnes qui, pour la plupart, même parmi les ouvriers ou les artisans, s'étaient embarquées n'ayant devant l'esprit que la perspective de richesses promptement amassées, de gloire à acquérir et de fortunes aussi brillantes que faciles. Quand, au lieu de ces rêves souriants, on se voyait entouré de forêts peu praticables, soumis à des chaleurs inaccoutumées, condamné à un rude labeur ne fût-ce que pour obtenir sa subsistance, et que, d'ailleurs, l'or qui avait enflammé tant d'imaginations ne pouvait être recueilli qu'en petites quantités et avec beaucoup de peine, la nature des choses voulait que la tristesse et le découragement en fussent les conséquences. Toute colonisation est toujours une œuvre longue, épineuse, même pour les peuples qui y ont le plus d'aptitude, et encore n'est-il peut-être donné de s'approprier un pays, vite et bien, qu'aux hommes qui fuient une persécution ou qui veulent se soustraire à une misère à laquelle ils ne voient pas d'autre remède, aux condamnés par la justice qui sont déportés ou qui sont expatriés, à ceux, enfin, qui s'adonnent à cette colonisation sous l'influence d'une cause forcée ou déterminante. Mais celui qui part de chez lui, y ayant l'aisance, le travail, le contentement, sera toujours un mauvais colon; le premier sentiment auquel il se livrera après quelques légères épreuves, sera le regret du sol natal et le désir extrême d'y retourner.

Colomb, lui-même, malgré la fermeté de son caractère, malgré l'énergie dont son âme était trempée, fut atteint par la maladie, et, pendant quelques semaines, il se vit forcé de garder constamment le lit; mais sa présence d'esprit ne l'abandonna pas, il ne cessa pas un seul instant de donner ses ordres pour la construction de la ville et pour la direction des affaires de la flotte.

Les débarquements qui avaient eu lieu rendaient plusieurs navires inutiles. Cependant, le grand-amiral ne voulait pas les faire partir pour l'Espagne sans qu'ils rapportassent au moins des espérances: la mort de la garnison avait détruit celles qu'il avait conçues de trouver dans la forteresse de l'or à renvoyer en Europe, et il savait que, de toutes choses, ce seraient les échantillons qui seraient le plus agréables; il voulut donc, avant le départ de ces navires, faire quelque acte, entreprendre quelque excursion qui soutiendrait la réputation de ses découvertes, qui justifierait les magnifiques descriptions qu'il en avait faites. Voici le parti auquel il s'arrêta: la région des mines n'était éloignée d'Isabella que de trois ou quatre journées de marche, et malgré la réputation de courage et d'audace de Caonabo, cacique de cette partie du pays, il résolut d'y envoyer une expédition. Si le résultat correspondait aux renseignements que les indigènes avaient donnés, il pouvait, en toute confiance, renvoyer une partie de la flotte, puisque la nouvelle de la découverte des mines d'or des montagnes de Cibao suffirait pour la faire bien accueillir. Le choix du commandant de cette entreprise difficile et aventureuse tomba naturellement sur Ojeda qui accepta cette mission avec ravissement.

Il partit à la tête d'un détachement de jeunes cavaliers de bonne volonté et parfaitement disposés à le seconder, il traversa le premier rang des montagnes, et il arriva dans une vaste plaine où se trouvaient plusieurs villages dont les habitants exercèrent envers lui et ses compagnons l'hospitalité la plus cordiale. Après avoir séjourné quelque temps dans cette vallée et s'y être fait beaucoup d'amis par leurs manières prévenantes, les Espagnols continuèrent leur route guidés par des Indiens des villages qu'ils venaient de quitter, traversèrent un assez grand nombre de rivières, la plupart à la nage, et parvinrent enfin à atteindre le pied des montagnes de Cibao.

Leur attente ne fut ni déçue ni longue à se réaliser; ils reconnurent tout d'abord les signes d'une grande richesse métallique. Le lit des torrents des montagnes était parsemé de parcelles d'or qui brillaient de tous côtés; les pierres et les roches en étaient émaillées et incrustées jusqu'à leur partie centrale, comme si, dans un travail volcanique, le métal et le roc, confondus ensemble et lancés à la surface de la terre par une violente secousse, n'avaient plus pu se séparer et s'étaient condensés ensemble. En quelques endroits gisaient des morceaux d'or pur, de volumes assez considérables, parmi lesquels Ojeda en découvrit un qui pesait neuf onces.

Ces points étant bien constatés, le détachement retourna à Isabella, portant des preuves évidentes du succès de ses recherches. Un jeune Espagnol, nommé Garvolan, que le vice-roi avait envoyé avec quelques hommes dans une autre direction et en même temps qu'Ojeda, rapporta les mêmes faits ainsi que les mêmes espérances. Le vice-roi, satisfait de ces preuves, expédia dès lors, sans plus tarder, douze de ses bâtiments sous les ordres d'Antonio de Torras, l'un des principaux officiers de la flotte, et n'en garda que cinq pour le service de la colonie. Aux échantillons de l'or trouvé, il ajouta des fruits, des plantes, des graines d'espèces précieuses ou inconnues en Europe, donna un détail des épices de sortes diverses qui croissaient spontanément dans l'île, fit remarquer le développement que la canne à sucre acquérait en ce pays, et il envoya, en même temps, ses prisonniers caraïbes, pour qu'ils fussent instruits dans la langue espagnole et initiés aux principes de la religion chrétienne, afin qu'ils pussent, dans la suite, servir d'interprètes, et contribuer à la propagation de la foi qu'il regardait comme le meilleur moyen de civilisation. On sait quel est le parti que, récemment, les Anglais ont tiré de cette idée, et combien leur commerce et la culture des terres de l'Océanie sont redevables au zèle de leurs missionnaires. Colomb n'oublia pas, enfin, de demander des vivres et des approvisionnements, alléguant, avec beaucoup de raison, que ce qu'il en possédait serait bientôt épuisé, et qu'il serait fatal à la santé des hommes sous ses ordres, d'être obligés de se nourrir entièrement avec les productions de l'île.

Mais, au milieu d'indications utiles, Colomb, qui craignait qu'une colonie qui demandait beaucoup, et qui encore ne rapportait rien en réalité, ne fût considérée comme une charge trop pesante, eut la malheureuse pensée de proposer, pour indemniser la métropole des dépenses qu'elle avait faites et qu'elle allait être obligée de faire, que les naturels féroces des îles Caraïbes, qui étaient les ennemis déclarés de la paix des autres îles, pussent être capturés et vendus comme esclaves ou donnés à des négociants, en échange de provisions pour la colonie; il colora même cette proposition de l'avantage qu'il y aurait, pour ces cannibales païens, de pouvoir gagner ainsi le ciel par l'instruction religieuse qu'ils seraient en mesure d'acquérir dans leur nouvelle condition. Quoique les Espagnols et d'autres peuples européens aient, plus tard, commis, dans ces pays, des infractions bien plus blâmables à la morale et à l'humanité, cependant cette proposition de Colomb a lieu d'étonner, car sa philanthropie et la rectitude de son esprit ne permettent pas de comprendre comment il put se laisser aller à la formuler: on ne peut la mettre sur le compte que de la crainte où il était de voir sa colonie négligée ou abandonnée par suite des frais qu'elle devrait occasionner. Quoi qu'il en soit, la magnanime Isabelle, qui se montra toujours la protectrice bienveillante des Indiens, ordonna que des secours fussent envoyés à Colomb, mais que la liberté des Caraïbes fût respectée.

Lorsque Antonio de Torras fut arrivé en Espagne, quoiqu'il n'apportât pas d'or, cependant les nouvelles qu'il y donna furent très-favorablement accueillies, et ce fut à peine si les petits calculs des esprits médiocres purent se produire. Il y avait, en effet, quelque chose de vraiment grand à penser qu'on allait entrer en connaissance de plus en plus prononcée avec de nouvelles races d'hommes, de nouvelles espèces d'animaux, d'une quantité considérable de plantes jusqu'alors inconnues, qu'on allait bâtir des villes, fonder des colonies, et jeter le germe des lumières dans ces pays sauvages et si beaux. Les savants pensaient à l'extension qu'en devraient prendre les connaissances humaines; et les littérateurs, se repaissant des rêves de leur imagination, croyaient être sur le point de voir se réaliser, de nouveau, les temps poétiques de Saturne, de Cérès, de Triptolème, voyageant en ces contrées, y répandant les inventions des hommes, et renouvelant les entreprises renommées des Phéniciens.

Pendant que l'Espagne saluait ainsi l'aurore de cet avenir, les murmures et la sédition se faisaient jour parmi les colons d'Isabella. Désappointés, dégoûtés, malades, tout ce qui les entourait leur semblait un désert, et ils ne pensaient plus qu'à retourner en Espagne. Un nommé Firmin Cado, qui s'était donné comme essayeur de métaux, mais ignorant, obstiné et d'un esprit captieux, se fit remarquer au nombre des mécontents; il prétendit, d'ailleurs, qu'il n'y avait que fort peu d'or dans l'île, et que ce qu'on en avait vu provenait de l'accumulation qui en avait été faite pendant des siècles, de génération en génération. Une conspiration fut même ourdie par Bernal Diaz de Pisa, contrôleur de la flotte, et il n'était question de rien moins que de profiter de l'état de souffrance où était encore le vice-roi et de s'emparer des bâtiments pour retourner en Espagne: là, leur plan consistait à se faire absoudre, en taxant Colomb de déceptions et de palpables exagérations.

 

On pense bien que Colomb connaissait trop les hommes et se trouvait dans une position trop exceptionnelle pour ne s'être pas ménagé des intelligences parmi ses subordonnés. Dès qu'il fut informé que le complot existait effectivement, il agit avec la résolution qu'il montrait toujours dans les grandes occasions, il fit arrêter les principaux moteurs, et il fit emprisonner Bernal Diaz à bord d'un des navires pour être envoyé en Espagne par la première occasion afin d'y être jugé. Quelques autres, moins compromis, furent punis mais avec indulgence, car le vice-roi ne voulait se montrer sévère que pour réprimer et que pour empêcher le retour de semblables méfaits. Comme ce fut le premier acte de rigueur exercé dans le gouvernement du vice-roi, et qu'un grand nombre d'Espagnols auraient désiré la réussite de la conspiration, il y eut d'abord quelques clameurs contre Colomb, et l'on paraissait se croire fort vis-à-vis de lui, parce que, étant étranger, on pensait qu'il aurait moins d'appui dans la métropole que ses opposants dont plusieurs appartenaient à de puissantes familles; mais la justice était évidemment de son côté et les esprits se calmèrent. Toutefois, ce n'était pas assez pour le vice-roi qui pensa qu'afin de couper le mal dans sa racine, il fallait opérer une diversion tranchée dans les esprits; c'est ce qu'il fit en annonçant son projet de faire lui-même et avec une grande partie des colons, une autre expédition sur une échelle plus considérable, dans l'intérieur d'Hispaniola.

Il laissa donc le commandement d'Isabella à son frère Diego, et il se mit en route, le 12 mars 1494, emmenant avec lui les hommes valides dont il put disposer et sa cavalerie entière. Tous étaient parfaitement armés; les cultivateurs, les ouvriers, les mineurs furent aussi de l'expédition qui était suivie par une multitude d'Indiens. Après avoir traversé la plaine et les deux rivières, Colomb se trouva au pied d'un sentier difficultueux qui conduisait à travers les montagnes. De ce sentier il fallait former une sorte de route: les travailleurs, encouragés, aidés même par les jeunes cavaliers qui étaient encore remplis d'ardeur, parvinrent, après bien des travaux, à rendre ce chemin praticable; ce fut le premier qui fut exécuté par les Européens dans le Nouveau Monde; en commémoration de cet événement, comme aussi pour rendre un juste hommage au zèle de ces jeunes cavaliers, la route fut nommée Puerto de los Hidalgos, c'est-à-dire Passage des Gentilshommes.

Le jour suivant, ce petit corps d'armée arriva à la gorge de la montagne qui débouchait dans l'intérieur; on eut de là un coup d'œil admirable: au bas était une plaine délicieuse, émaillée de toutes les richesses de la végétation tropicale. Une imposante forêt en ornait une partie; on y remarquait des palmiers d'une hauteur inouïe et des arbres d'acajou étendant au loin leurs longues branches chargées d'un épais feuillage; des ruisseaux serpentaient au milieu de cette plaine dont ils entretenaient la fraîcheur tout en fournissant une eau abondante aux villages au pied desquels ils passaient. On voyait aussi des colonnes de fumée s'élever du milieu de la forêt, indiquant par là que d'autres villages y existaient. La vue se portait ainsi jusqu'aux extrémités d'un horizon éloigné, où le ciel et la terre semblaient se confondre dans une même nuance d'un rose mêlé de bleu de la plus belle douceur. Les Espagnols demeurèrent longtemps en extase, contemplant cette scène ravissante qui réalisait à leurs yeux l'idée du paradis terrestre; frappé de sa splendide étendue, le vice-roi lui donna le nom de Vega-Real (Plaine-Royale).

Le corps d'armée, dont les armes brillaient au loin en étincelant aux rayons du soleil, pénétra dans cette plaine au bruit de ses instruments guerriers qui faisaient entendre les fanfares les plus retentissantes. Quand les Indiens virent ces guerriers, leurs chevaux, leurs bannières déployées, et que les échos répétèrent les sons mâles de leurs trompettes, de leurs tambours, ils furent saisis d'étonnement et s'enfuirent dans leurs bois; mais rappelés amicalement et poussés par la curiosité, ils revinrent et se familiarisèrent bientôt avec les Européens qu'ils ne pouvaient se lasser d'admirer. Les cavaliers surtout firent sur eux une forte impression; ils croyaient que le cheval et l'homme ne formaient qu'un seul être, et rien ne peut égaler leur surprise quand ils les virent se séparer et se réunir à volonté. Alors ils se hâtèrent d'apporter des provisions en abondance, ils trouvèrent même fort étrange qu'on leur donnât une récompense ou un salaire en échange, car ils avaient cru ne faire que remplir strictement les devoirs de l'hospitalité.

En comparant les cavaliers espagnols à des centaures, et en croyant qu'ils ne faisaient qu'un avec leurs chevaux, les Haïtiens eurent une idée qui s'est renouvelée depuis, mais sur un sujet burlesque: ce fut lorsque l'illustre Cook visita les îles de l'Océanie; dans une d'entre elles, un officier de sa suite qui était chauve et qui portait une perruque, s'en débarrassa un moment pour essuyer avec son mouchoir la transpiration qui inondait sa tête. Les Indiens présents jetèrent alors un cri d'étonnement extrême, croyant que c'était la propre chevelure de l'officier qui se détachait ainsi tout entière à volonté, et que celle de tous les Européens avait la même propriété.

Le corps d'armée prit sa route par la plaine, traversa deux rivières dont l'une fut nommée Rivière des Roseaux, l'autre Rivière Verte, et après plusieurs jours de marche, il arriva au pied d'une chaîne de montagnes très-arides qui contrastaient singulièrement avec les pays fertiles qu'il venait de parcourir, comme si la nature s'était plu à établir des contrastes en regard les uns des autres, comme également si elle avait cherché à donner à ces montagnes l'extérieur de la misère, tandis qu'elles recélaient dans leur sein de riches mines d'or: c'étaient réellement les montagnes si vantées de Cibao dont le nom signifiait pierre, mais où il fut facile de trouver des parcelles nombreuses du métal désiré. Colomb y chercha un emplacement convenable pour y élever un fort; dès qu'il l'eut trouvé, le fort fut bientôt bâti, et il en donna le commandement à un jeune Catalan de l'ordre de Santiago, nommé don Pedro-Marguerite.

«Seigneur vice-roi, lui dit ce gentilhomme, je m'incline respectueusement devant votre volonté, mais il me reste à savoir quel est le nom que Votre Altesse veut que porte ce fort?

«Don Pedro, lui dit le vice-roi en souriant, je n'y avais vraiment pas pensé, et je vous remercie de l'observation; puis il ajouta finement: Vous avez sous vos ordres plusieurs hommes qui ont partagé l'opinion de Firmin Cado, et qui, comme l'apôtre saint Thomas, ne veulent croire qu'à bon escient; eh bien! le fort que vous commandez s'appellera le fort Saint-Thomas.»

Pendant cette construction, un jeune cavalier de Madrid, nommé Jean de Luxan, alla explorer les environs; il revint avec les assurances les plus formelles de productions aurifères, végétales et forestières dont le pays abondait.