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Vie de Christophe Colomb

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On pense bien que les faveurs dont le comblaient Leurs Majestés espagnoles, si elles purent lui susciter des envieux et des ennemis, le firent aussi rechercher par les personnes du plus haut rang. Dans un grand dîner qui lui fut donné par le cardinal Mendoza, un gentilhomme nommé Juan d'Orbitello, et qui était du nombre des hommes que les louanges accordées à un autre fatiguent toujours, se permit quelques railleries sur ce qu'avait avancé un des assistants, que le voyage de Colomb aurait pour résultat certain d'arracher un grand nombre d'infidèles à la perdition éternelle. Le cardinal crut arrêter d'Orbitello, en disant gravement que nul ne pouvait être assez hardi pour limiter l'action du Ciel, et qu'il n'appartenait pas à l'homme de discuter les moyens qu'il lui plaisait d'employer, ou de douter de sa puissance pour en adopter ou en créer d'autres si cela entrait dans la divine sagesse! Mais le jeune seigneur insista, et tout en convenant qu'il n'était pas dans ses intentions d'élever des doutes sur les points soulevés par le saint cardinal, il s'adressa directement à Colomb et lui demanda s'il pensait sérieusement avoir été l'agent du Ciel en cette occasion.

«Oui, répondit Colomb, avec une gravité solennelle; dès le commencement, j'ai senti une impulsion que je n'ai pu qualifier que d'origine céleste. Depuis lors, un rayon qui me semblait divin a toujours illuminé mon intelligence, à tel point que j'ai toujours eu devant moi, et comme si ces objets existaient réellement, le terme de mes travaux et le succès de mon voyage. Aussi, ai-je été constamment inébranlable, et rien ne m'a fait fléchir dans mes convictions.»

«Vous pensez donc, seigneur grand-amiral, lui dit alors son interlocuteur, que l'Espagne n'aurait pas pu produire un autre homme aussi capable que vous de mener à bien cette entreprise?»

La hardiesse et la singularité de l'apostrophe étonnèrent la compagnie; aussi toutes les têtes se penchèrent-elles avec un redoublement d'attention pour entendre la réponse qui ne se fit pas attendre, et que le vice-roi fit en ces termes:

«Je le pense certainement si vous entendez parler de la conception de l'idée; car, dans les grandes découvertes, Dieu n'illumine jamais qu'un seul esprit à la fois!.. Mais s'il s'agit de l'exécution matérielle, je suis d'accord avec vous; cependant vous m'accorderez que, dans l'exécution de mes plans, il y avait quelques difficultés qui, sans trop de vanité, exigeaient au moins une capacité peu commune, et pour prouver, par un exemple, que les choses que l'on croit les plus simples échappent parfois à la sagacité d'hommes très-supérieurs, si le saint cardinal Mendoza veut bien le permettre, je demanderai que quelques œufs soient apportés et mis sur cette table.»

Sur un signe du cardinal, les œufs furent apportés. Colomb en prit un entre ses doigts, il invita les assistants à en prendre un aussi comme lui, et il leur dit:

«Chacun de ces œufs peut se tenir droit sur une assiette, le gros bout en l'air, sans aucun appui étranger, et en utilisant les ressources que donne leur nature particulière; la chose est très-simple, chacun peut y réussir, mais encore faut-il connaître le moyen à employer!»

Plusieurs des invités essayèrent à y parvenir, mais en vain. Alors Colomb frappa légèrement le petit bout de l'œuf contre son assiette; le coup cassa la coque, en fit aplatir ou rentrer une partie en elle-même, et l'œuf se trouva sur une base qui suffit pour le maintenir droit, sans qu'il vacillât. Un murmure d'applaudissements suivit cette indulgente leçon, et d'Orbitello fut heureux de s'abriter derrière sa nullité, dont il aurait mieux fait de ne pas chercher à sortir.

Quoique la leçon fût indirectement donnée, elle n'en fut pas moins aussi sévère que fine et polie; nous nous permettrons, cependant, d'ajouter que Colomb aurait été en droit de dire à son grossier interlocuteur que le Portugal possédait les meilleurs marins de l'époque, que ses propres plans livrés par le perfide Cazadilla avaient, peu de temps auparavant, été confiés au capitaine d'un navire qui avait appareillé des îles du cap Vert, pour remplir la mission dont lui, Colomb, avait demandé à être chargé, et que cette mission était si peu facile, qu'après avoir vainement tenté de l'accomplir, ce même capitaine était revenu au port et qu'il n'avait trouvé rien de mieux à faire, en se rendant à Lisbonne, que de ridiculiser ses projets de découvertes, et de les qualifier de chimériques et d'insensés.

La cour d'Espagne, au milieu de ses réjouissances, ne négligea pas de chercher à s'assurer la propriété soit de ses nouvelles possessions, soit de celles sur lesquelles elle comptait à l'avenir. Pendant les croisades, une doctrine s'était établie dans la chrétienté d'après laquelle le pape, de sa suprême autorité sur les choses temporelles et agissant comme vicaire de Jésus-Christ, avait le droit de disposer, en faveur de qui bon lui semblait, de tous les pays peuplés par les infidèles que les souverains chrétiens soumettraient par leur puissance, à la charge par eux de s'attacher à en convertir les habitants à la vraie foi.

Alexandre VI, né à Valence, sujet de la couronne d'Aragon, avait été récemment élevé à la dignité papale. Ferdinand, qui connaissait le caractère privé peu honorable de ce pontife, espéra, en employant des moyens adroits, en obtenir les consentements qu'il désirait, et il lui envoya un ambassadeur à qui il traça soigneusement lui-même son plan de conduite.

Les négociations tournèrent effectivement selon les désirs du roi; mais comme il fallait ménager les prétendus droits acquis des Portugais qui étaient également garantis par une autre bulle, Alexandre, selon une décision prise le 2 mai 1493, investit les Espagnols des mêmes droits dans l'Occident que les Portugais possédaient dans l'Orient, et toujours sous la condition d'employer tous leurs moyens à la propagation de la religion catholique et romaine. Il restait à prévenir tout conflit et afin d'y parvenir, une ligne géographique fut tracée d'un pôle à l'autre à cent lieues dans l'Ouest des Açores; il pouvait, cependant, se présenter le cas où les deux puissances rivales se seraient rencontrées aux Antipodes et où chacune d'elles aurait voulu passer outre, mais alors personne n'y pensa et la question resta indécise sous ce rapport.

La diplomatie n'empêcha pas de s'occuper de la seconde expédition de Colomb. On commença par créer une administration particulière pour assurer la régularité et la promptitude de toutes les opérations d'outre-mer. Jean Rodrigue de Fonseca fut placé à la tête de cette administration; il était archidiacre à Séville; il fut successivement promu aux siéges épiscopaux de Badajos, Valence, Burgos, et, finalement, il fut nommé patriarche des Indes. Francisco Pinelo reçut le titre de trésorier, Jean de Soria celui de contrôleur. Leurs bureaux furent établis à Séville où ils devinrent le germe de la compagnie royale espagnole des Indes qui s'éleva par la suite à une très-haute importance. Un des principaux règlements de l'administration proposée par Fonseca fut que nul ne pourrait s'embarquer pour le Nouveau Monde sans une permission expresse des souverains, de Colomb ou de lui-même Fonseca; mais, il y introduisit plusieurs dispositions qui témoignaient hautement de son esprit despotique et arbitraire.

Comme le grand objet apparent était la conversion des peuplades païennes avec lesquelles on allait se trouver en contact, on désigna douze ecclésiastiques, à la tête desquels se trouvait un moine bénédictin nommé Bernard Buyl ou Boyle, né en Catalogne, très-renommé pour sa piété, homme de talent, mais politique subtil et d'un caractère passionné pour les intrigues; ce fut le pape qui le nomma et qui le qualifia du titre de son vicaire apostolique dans le Nouveau Monde. La reine Isabelle témoigna un grand intérêt en faveur de ces religieux; elle recommanda elle-même au grand-amiral, d'abord de les traiter avec beaucoup de bienveillance, ensuite de punir sévèrement quiconque pourrait se permettre de leur manquer d'égards ou de respect. Les Indiens que Colomb avait amenés furent baptisés avec une solennité toute particulière; le roi, la reine, le prince Juan y officièrent comme parrains ou marraine, et les baptêmes de ces Indiens furent considérés comme un premier hommage rendu à Dieu, en reconnaissance de la découverte de leur pays.

On a prétendu que Jean II, roi de Portugal, avait cherché à entraver cette seconde expédition et à en faire une lui-même, mais que la politique de Ferdinand avait eu le dessus en cette occasion, et qu'il était parvenu à faire annuler les préparatifs de son rival. Les prétentions réciproques de ces deux souverains sur la délimitation de leurs possessions, se ranimèrent à cette occasion; Jean finit par obtenir du pape que la ligne méridienne de partage fût portée à 370 lieues marines de 20 au degré, de la plus occidentale des îles du cap Vert. C'est ce nouvel arrangement en vertu duquel, plus tard, la domination du Brésil fut dévolue au Portugal.

La flotte de la seconde expédition fut bientôt prête; elle se composa de dix-sept bâtiments: des artisans, des ouvriers de toutes professions y furent embarqués; elle fut pourvue de tout ce qui était nécessaire pour l'approvisionnement en tout genre, pour la défense, pour la culture ou le défrichement du pays, pour l'exploitation des mines, pour établir un commerce d'échanges avec les naturels. Des chevaux y furent aussi embarqués soit pour des courses dans l'intérieur, soit pour naturaliser, en ces contrées, cette race d'animaux si utiles à la civilisation.

Le retentissement du premier voyage de Colomb avait mis en vogue les expéditions maritimes; on ne les envisageait plus comme indignes de la noblesse; l'exemple de Guttierez, au sort de qui tout le monde s'intéressait et qui était généralement envié, cessa d'être blâmé; on l'applaudissait, au contraire, d'avoir fait preuve d'un dévouement dont on ne se dissimulait pas les dangers, en restant au milieu des sauvages de la Navidad, et d'avoir montré du penchant pour la marine à une époque où les campagnes par terre suffisaient à l'illustration des hommes de son rang. L'Océan devint donc à la mode; des seigneurs dont les domaines avoisinaient la mer, équipèrent de petits navires, yachts du quinzième siècle, et ils se piquèrent d'une glorieuse émulation. L'esprit de l'époque prit ainsi un tour tout à fait maritime, et l'on eut, en quelque sorte, honte d'avoir condamné précédemment ce que le goût du jour et la politique du moment s'unissaient pour favoriser. C'étaient bien là les intérêts véritables de l'Espagne si merveilleusement située pour se placer au premier rang parmi les puissances navales; elle le comprit pendant longtemps; elle brilla alors par le déploiement de ses escadres et de sa marine marchande; mais, aujourd'hui, sa force de mer est presque anéantie; et, par suite, son influence s'est singulièrement amoindrie.

 

Ces idées nouvelles, excitées encore par la rivalité du Portugal, stimulèrent donc les hommes qui vivaient dans cette période vers la nouvelle expédition de Colomb; le jeune Espagnol sédentaire eut bientôt plus à craindre les brocards que ne l'avait fait auparavant l'inconstant aventurier; d'ailleurs, la fin de la guerre contre les Maures, en laissant beaucoup de bras inoccupés, ouvrait un champ libre aux caractères impatients, et ceux-ci ont toujours dominé par le nombre dans cette nation. Des seigneurs, des cavaliers de haut rang demandaient avec empressement à faire, même à leurs frais, la campagne projetée; ils ne rêvaient que combats glorieux ou que fortunes brillantes promptement acquises parmi les peuples à moitié sauvages de l'Occident. Aucun, cependant, n'avait une idée précise de l'objet ou de la nature du service auquel il s'engageait. On ne voulait même rien savoir: lorsque l'imagination est saisie de cette sorte de fièvre, la réalité, si on la lui présentait, serait repoussée avec dédain, tant le public redoute d'être troublé dans les chimères qu'il a su se créer!

Parmi les jeunes gens de grande distinction qui montrèrent le plus de désir de s'associer au voyage de Colomb, on voyait Don Alonzo de Ojeda, qui mérite une mention particulière; parce que son nom a marqué dans la carrière hasardeuse où il allait faire les premiers pas.

Il était de petite taille mais bien fait et possédant une grande force musculaire; son teint était brun, son maintien animé et sa supériorité était reconnue dans tous les exercices du corps; quant à son courage, il était indomptable: en un mot, aucun de ceux qui prirent parti dans l'expédition n'était plus renommé pour les entreprises périlleuses, ni pour les exploits singuliers. Pour citer un de ses traits de hardiesse ou plutôt de témérité, un jour que la reine Isabelle se trouvait en face de la Giralda qui est la tour, bâtie par les Maures, la plus élevée de la cathédrale de Séville, il parut à une ouverture d'où saillait, à une prodigieuse hauteur, une poutre qui s'avançait horizontalement de vingt pieds dans l'espace. Ojeda marche sur cette poutre avec autant de confiance que s'il s'était promené dans sa chambre et il va jusqu'à son extrémité la plus avancée; arrivé à ce point, il se pose sur la pointe d'un de ses pieds, lève l'autre en l'air, se retourne agilement, se dirige vers la tour, et, avant d'y arriver, il jette une orange sur la plate-forme qui la surmonte!

Cependant, les dépenses de la flotte excédèrent, comme on devait bien le penser, les sommes qui y avaient été destinées, et Jean de Soria ne manqua pas d'agir comme font à peu près tous les contrôleurs; c'est-à-dire qu'il éleva des difficultés insignifiantes et qu'il refusa sa signature aux comptes présentés par le grand-amiral. Fonseca, s'attachant aussi à la lettre de ses fonctions administratives, chicana sur ses demandes de serviteurs et de domestiques qu'il réclamait en sa qualité de vice-roi; Colomb se vit obligé d'en référer à la cour qui expédia immédiatement l'ordre qu'on n'avait pas cru nécessaire de donner plus explicitement, que tout ce qui était ou serait demandé personnellement par le grand-amiral, devait être fourni sans délai ni réflexions.

Rien n'était plus naturel, ni plus juste; mais ces deux hommes, imbus d'idées mesquines peu dignes de véritables administrateurs, en conçurent une irritation violente; et c'est à cette cause si futile que les historiens du temps attribuent la rancune et la haine qui prirent alors naissance en leur cœur, qu'ils ne négligèrent, par la suite, aucune occasion de manifester envers Colomb, et qui, si ce grand homme en ressentit les funestes effets, n'en ont pas moins déshonoré, aux yeux de la postérité, ceux qui s'en rendirent coupables, et ont refoulé leurs noms au niveau de ceux que la bassesse et l'envie ont le plus avilis.

Christophe Colomb se rendit à Cadix, qui était le lieu où sa flotte avait été équipée; il y trouva son ami, le docteur Garcia Fernandez, à qui il y avait donné rendez-vous. Fernandez lui remit une lettre très-affectueuse du vénérable supérieur Jean Perez de Marchena, et il se chargea de la réponse que lui écrivit le vice-roi. Tous les jours, Colomb et Fernandez avaient de fréquentes entrevues et de longues conversations; dans un de ces entretiens, Colomb lui dit une fois:

«Vous savez, excellent docteur, l'affection que je vous porte, et je suis certain de votre estime; je vais donc vous parler à cœur ouvert: je quitte l'Espagne pour une expédition moins périlleuse que la précédente, mais plus compromettante pour moi. Il y a près d'un an que mon départ s'effectuait obscurément; alors j'avais au moins pour consolation, en quittant Palos, l'amitié sincère du respectable Jean Perez à qui vous pouvez dire que je ne pense et que je ne penserai jamais sans une vive émotion et sans une reconnaissance infinie. Aujourd'hui, sur le point de quitter encore le vieux monde, je ne vois que trop que, sous des dehors bienveillants, l'envie, la méchanceté se sont éveillées sur mon compte, et que je serai poursuivi par elles. Oui, c'est facile à prévoir: en mon absence, on agira sourdement; ceux qui me flattent le plus deviendront mes calomniateurs, et ils se vengeront de la faveur que j'ai obtenue, en me dénigrant avec acharnement. Les souverains seront assiégés de mensonges et l'on m'imputera à crime le moindre échec ou le moindre malheur. Je laisse, il est vrai, des amis tels que vous, tels que Jean Perez, Saint-Angel et Quintanilla; aussi, je compte beaucoup sur vous tous, non pour obtenir des distinctions qui ne procurent guère que des jaloux, mais pour agir et pour parler dans l'intérêt de la justice et de la vérité.»

Après quelques réflexions de Fernandez, Colomb ajouta:

«Vous venez de nommer Fonseca qui a tant de pouvoir dans les affaires extérieures; gardez-vous de croire en lui: quoi qu'il dise ou qu'il fasse, il est mon ennemi; je l'ai pénétré malgré son grand art de dissimuler; et soyez assuré que je ne me trompe pas. Il en est un autre dont, à l'égal de la sienne, je redoute fort l'inimitié; je veux parler d'un certain Francesco de Bobadilla: celui-ci a moins déguisé ses sentiments à mon égard, et il ne manquera pas de me nuire quand il en aura l'occasion.»

«Je sais, répondit Fernandez, que le roi, jadis chevalier si courtois et si digne de respects, admet aujourd'hui près de lui beaucoup d'intrigants; mais la reine!..»

– «Ah! reprit Colomb avec vivacité, on ne peut rien attendre que de généreux de son noble caractère; mais, assaillie de faux bruits répandus avec autant de persistance que d'adresse, l'esprit même travaillé, peut-être par le roi, son oreille pourra-t-elle toujours rester sourde à la calomnie et ouverte à la vérité? Mais, quoi qu'il arrive, dit le grand-amiral, d'une voix qui trahissait une émotion extrême, le souvenir de ses bontés ne sortira jamais de mon cœur, et le mal qu'on pourra me faire n'égalera jamais le bienfait que j'ai reçu d'elle, en obtenant l'armement de mon premier voyage; oui, l'on aura beau faire, rien ne pourra empêcher que je n'aie commandé l'expédition de la découverte et que je n'y aie eu tout le succès que je pouvais désirer.»

Sur les dix-sept bâtiments de la flotte, trois étaient d'un port considérable; les quatorze autres étaient des caravelles entièrement pontées, mais dont quelques-unes avaient des voiles latines qui sont fort utiles en certains cas et, sans contredit, les plus pittoresques de toutes; vent arrière, on voit leurs extrémités aiguës s'étendre transversalement, elles ressemblent alors aux ailes d'un oiseau gigantesque qui les déploierait en sortant de son nid.

Rien de plus frappant, au surplus, que le contraste des ressources de cette seconde expédition avec celles de la première. Colomb était parti dans l'isolement, presque dans l'oubli, avec trois frêles caravelles qu'accompagnaient les malédictions des habitants de Palos. Aujourd'hui, les voiles des bâtiments les mieux armés allaient blanchir les flots de l'Océan; rien ne manquait à bord; le grand-amiral était entouré d'une partie de l'élite de la noblesse du royaume qui avait brigué l'honneur de le suivre, et qui allait se familiariser avec la vue de cette mer se présentant dans un horizon sans bornes, comme pour mieux ressembler à l'éternité.

La population de Cadix, ainsi que celle de toutes les autres villes d'Espagne, témoigna le plus vif plaisir à recevoir Colomb et elle se portait avec empressement sur son passage pour le voir, lui et ses deux fils qui raccompagnaient. Le cortége du grand-amiral se composait ordinairement de jeunes seigneurs dont le plus grand nombre devait partir avec lui, et dont la figure animée, la démarche fière, l'œil souriant annonçaient la parfaite satisfaction. Le personnel de l'expédition avait d'abord été fixé à mille hommes; mais plusieurs volontaires y furent ensuite admis, et, y compris les individus qui réussirent à s'embarquer en cachette, ce même personnel ne s'élevait pas à moins de quinze cents hommes. Le frère le plus jeune du grand-amiral, celui qui avait pour prénom: Giacomo (en français Jacques, en espagnol Diego), était accouru en Espagne au bruit des succès de son frère: il faisait partie de l'expédition, et l'empressement du public de Cadix se manifestait pour sa personne avec le plus grand intérêt.

La flotte se mit à la voile le 25 septembre; elle se rendit aux îles Canaries où elle compléta son approvisionnement de vivres, d'eau et de bois de chauffage; elle y prit aussi des plantes et des graines dont on voulait essayer la culture à Hispaniola. Le 13 octobre, le grand-amiral, après avoir appareillé des Canaries, perdit de vue l'île de Fer et se trouva encore une fois voguant dans l'immensité des mers, mais alors avec la connaissance du but qu'il voulait atteindre. Il se plaça, pendant ce second voyage, dans une latitude moins élevée que lors du premier; il voulait s'assurer de l'existence des îles Caraïbes, dont les insulaires d'Hispaniola lui avaient à peu près indiqué la position; et, effectivement, le 2 novembre, il vit une belle île de moyenne grandeur, très-élevée, qu'il nomma Dominica (la Dominique), du nom du jour du dimanche qui était celui de la découverte de cette île. Il en prolongea la côte occidentale; en continuant sa route vers le Nord, il vit plusieurs autres îles de semblable configuration, séparées les unes des autres par de petits détroits de quelques lieues de largeur, qui faisaient partie du bel archipel nommé aujourd'hui les Antilles-du-Vent ou les Petites-Antilles, par opposition à Saint-Domingue, Cuba et autres avoisinantes, qui sont plus sous le vent, et qui, en général, ont une étendue plus considérable. Les Antilles-du-Vent que Colomb venait de découvrir forment presque un demi-cercle, depuis la côte de la partie avancée de l'Amérique méridionale jusque dans le voisinage de la pointe orientale de Porto-Rico; et ce demi-cercle semble servir de barrière entre l'Atlantique et la mer des îles Caraïbes, plus fréquemment nommée mer des Antilles.

Dans une de ces îles, à laquelle les Espagnols donnèrent le nom de Guadaloupe, ils firent connaissance avec le beau fruit de l'ananas, et ils trouvèrent un bordage de la poupe d'un bâtiment européen, provenant, sans doute, d'un naufrage dont ce débris, porté par les courants et poussé par les vents alizés, s'était arrêté sur ce rivage; ils ne purent recueillir aucune indication à cet égard.

En pénétrant dans les cases des indigènes, les yeux des marins de la flotte furent saisis d'horreur, lorsqu'ils y virent des membres de corps humains, les uns suspendus comme objet d'approvisionnement, les autres cuisant auprès du feu. Colomb en conclut qu'il était réellement au milieu des Caraïbes qu'on lui avait dépeints comme de vrais cannibales; plusieurs captifs, que ses hommes délivrèrent et lui amenèrent, vinrent confirmer ses suppositions. Ces Caraïbes étaient les hommes les plus féroces de tous ces parages; ils faisaient, dans leurs pirogues, des courses de 100 à 150 lieues, débarquaient sur toutes les îles, ravageaient les villages, enlevaient, pour en faire leurs esclaves, les filles les plus jeunes ou les plus belles, et emmenaient les hommes vivants dans le but de les tuer et de les manger.

 

Ce fut à Guadaloupe ou à La Guadeloupe qu'un détachement de huit hommes, commandés par un nommé Diego Marque, s'égara en faisant une reconnaissance dans l'intérieur de l'île. Ne le voyant pas revenir, Colomb envoya divers autres détachements avec des tambours et des trompettes pour les appeler; mais ceux-ci battirent le pays en vain et ils revinrent sans avoir aperçu leurs camarades. Ojeda, dont le caractère entreprenant ne pouvait lui permettre l'inactivité, demanda aussi à aller à leur recherche et il partit avec quarante hommes. Il parcourut beaucoup de vallées, pénétra dans un grand nombre de bois, gravit plusieurs montagnes, traversa à la nage vingt-six rivières ou cours d'eau, et il revint fort enthousiasmé de la beauté du sol, du luxe de la végétation, de l'admirable variété de plantes aromatiques et d'arbres fruitiers ou autres qu'il avait vus, mais sans nouvelles de Diego. Cependant, le grand-amiral crut devoir prolonger son séjour dans l'île pour se donner le temps de retrouver les hommes si fatalement absents: mais n'en ayant aucune nouvelle et perdant tout espoir, il allait partir, lorsqu'ils parurent sur le rivage. Égarés et cherchant leur route, ils avaient fini par arriver sur le bord de la mer, presque à l'opposé du lieu du mouillage de la flotte; alors, ils prirent le sage parti de côtoyer l'île jusqu'à ce qu'ils atteignissent le point où étaient leurs bâtiments, et ils arrivèrent exténués, à l'instant où l'on allait mettre sous voiles.

Christophe Colomb s'arrêta encore à plusieurs autres îles de cet archipel; entre autres à Sainte-Croix, où une de ses chaloupes qui allait faire de l'eau eut une escarmouche avec une pirogue montée par quelques indigènes. Deux femmes s'y trouvaient; elles combattirent avec une vigueur extrême, et elles blessèrent un soldat espagnol avec une de leurs flèches. La pirogue ayant chaviré dans la mêlée, les insulaires ne cessèrent pas de se servir de leurs arcs, quoique dans l'eau; en arrivant à terre, ils prirent position sur les rochers glissants de la côte, et continuèrent l'action avec autant de courage que d'adresse. Ce fut avec beaucoup de difficulté que les Européens parvinrent à les vaincre et à s'emparer d'eux. Conduits à bord, ils ne démentirent ni leur audace, ni leur fierté. Une des femmes semblait être leur reine, tant ses compatriotes lui témoignaient de déférence! Elle avait auprès d'elle un robuste jeune homme dont l'œil était très-menaçant, et qui avait été blessé. Un autre Indien, transpercé d'un coup de lance, mourut presque en arrivant sur le bâtiment, et un Espagnol mourut aussi, ayant été atteint d'une flèche empoisonnée.

En reprenant le cours de son voyage, le grand-amiral passa près d'un groupe très-considérable de petites îles qu'il nomma les Onze mille Vierges, et il arriva un soir en vue d'une belle île couverte de magnifiques forêts et possédant plusieurs ports. Les habitants appelaient cette île Boriquen, nom qui fut changé en celui de Saint-Jean-Baptiste; c'est aujourd'hui Porto-Rico. Toute la journée, il la côtoya de près pour mieux l'admirer; il mouilla le soir à son extrémité occidentale, et, après en avoir appareillé, il se trouva, le 2 novembre, à la hauteur de la partie Est d'Hispaniola. Il serait superflu de décrire l'enthousiasme de tous les marins, de tous les passagers de la flotte, en voyant tant de belles îles au sol fertile, à la verdure éclatante, à la végétation inouïe, qui ravissaient leurs regards et qui, habitées seulement par quelques sauvages, semblaient s'offrir d'elles-mêmes à la prise de possession de l'expédition, et promettre à la mère patrie des richesses infinies; toutefois le premier but que l'on pouvait atteindre c'était un débarquement à Hispaniola, c'était le ravitaillement de la petite colonie de la Navidad, c'était de lui donner des secours et, surtout, d'embrasser ou de revoir ceux de leurs généreux compatriotes, dont le dévouement les avait portés à y rester jusqu'au retour de Colomb qui, fidèle à sa promesse, arrivait enfin et se préparait à leur remettre plus encore qu'il ne leur avait promis en les quittant.

La vue d'Hispaniola causa des transports de joie inouïs dans toute la flotte. Une traversée si heureuse, la perspective enchanteresse de toutes les îles découvertes, la beauté du ciel, l'aspect majestueux de la reine des Antilles, tout se réunissait pour augmenter l'enthousiasme, et il n'y avait personne qui n'en fût profondément saisi. On ne parlait plus que des camarades qu'on allait joindre, que du renouvellement de ces charmantes parties que les équipages de la première expédition avaient faites dans les vallées délicieuses habitées par Guacanagari et par sa tribu.

En passant devant le golfe des Flèches (la baie de Samana), Colomb débarqua un Indien de ce pays qui avait demandé à le suivre en Europe; il lui donna un assortiment complet de vêtements; il lui fit plusieurs cadeaux afin de bien disposer ses compagnons en faveur des Européens; mais il n'entendit jamais plus parler de lui. Un des naturels de Guanahani (San-Salvador) était alors le seul des indigènes partis avec Colomb qui se trouvait à bord. Il portait le nom du plus jeune des frères du grand-amiral (Diego); il ne voulut jamais quitter les Espagnols, et il leur fut aussi fidèle que dévoué.

La Niña, dans le premier voyage, avait visité la rivière qui avait été appelée Rio-del-Oro, parce qu'elle passait pour rouler ses eaux sur un sable où l'on trouvait souvent de l'or; Colomb s'y arrêta encore pour y faire le plan d'un établissement. Quelle ne fut pas sa douleur, quand on lui fit le rapport que des matelots débarqués, en parcourant le rivage, y avaient vu les cadavres de trois hommes et d'un enfant, dont l'un avait une corde de chanvre d'Espagne encore serrée autour du cou, et un autre toute sa barbe, ce qui était un indice certain que c'était un Européen! Les corps étaient en état de putréfaction, mais encore assez bien conservés pour qu'on pût y remarquer des signes visibles de violence. Le grand-amiral, sous l'impression funeste que ce récit fit sur son esprit, ordonna le rembarquement de tous les hommes qui étaient descendus à terre; il mit sous voiles précipitamment, et il se hâta d'aller à la Navidad pour y vérifier les tristes pressentiments dont il était obsédé sur le sort d'Arana, de son ami Guttierez et de leurs compagnons.

La flotte arriva le 27 novembre au soir devant la Navidad et y jeta l'ancre; l'obscurité de la nuit qui commençait, empêchant de distinguer les objets, le grand-amiral fit tirer deux coups de canon, dans l'espoir que ce signal serait entendu de la forteresse, et qu'on y répondrait soit par d'autres coups de canon, soit en hissant des fanaux allumés dans des endroits apparents. Aucune réponse ne fut faite, et plusieurs heures se passèrent dans une extrême anxiété. Toutefois, vers minuit, une pirogue montée par des Indiens se dirigea vers le bâtiment de Colomb et demanda le grand-amiral; on dit aux Indiens de monter à bord, mais ils s'y refusèrent à moins d'être assurés que Colomb était présent. Le vice-roi, qui avait le plus grand désir d'avoir des informations, se présenta à la coupée de l'échelle qui était éclairée; il fut reconnu à sa mâle contenance, à son air de dignité, et les naturels montèrent aussitôt.