Za darmo

Vie de Christophe Colomb

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Le roi Jean prêta peu l'oreille à ces opinions; mais un avis fut ouvert pour conseiller d'expédier immédiatement une force navale sous la direction d'un Portugais qui se trouvait embarqué sur la Niña, et qui s'emparerait des terres explorées par Colomb; il serait ensuite resté à vider la question avec l'Espagne par la voie des armes; cet avis, dans lequel le courage voilait assez adroitement la perfidie, fixa un moment l'attention du souverain; toutefois, il s'en offrit un dernier qui consistait à piquer le grand-amiral dans son orgueil, à le provoquer ensuite, enfin à se débarrasser de lui d'une manière ou d'autre à la suite d'une rixe et par la voie des armes; mais cette lâche proposition réveilla la magnanimité du roi qui s'écria alors avec indignation:

«Assez de mauvais conseils! Je n'en ai que trop écouté dans toute cette affaire, et plût à Dieu que je ne m'en fusse jamais rapporté qu'à mes inspirations. Ce marin que j'ai reçu dans ma cour est un homme que son mérite individuel a élevé si haut, qu'il ne sera peut-être jamais donné à personne de le surpasser; il est un des grands officiers de la couronne d'Espagne, il est vice-roi, il est venu dans mon royaume par l'effet d'une horrible tempête qui a menacé de l'engloutir; je lui dois honneur, aide, protection, et il les obtiendra de moi. Que chacun donc le respecte, car il y a droit, et je l'ordonne ainsi.»

Le roi lui offrit alors une escorte et une suite d'honneur, en l'engageant à traverser le Portugal pour se rendre en Espagne, et en s'offrant à subvenir à tous les frais du voyage. Colomb lui répondit:

«Sire, je suis confus de tant de bontés, mais je suis lié corps et âme aux matelots qui sont sous mes ordres; ils sont partis avec moi de Palos, et je dois les ramener à Palos; j'aime encore mieux me rembarquer sur ma petite, mais bien chère Niña, que de voyager avec un train princier dont je supporterais péniblement les douceurs et l'éclat, en songeant que mes braves compagnons de mer auraient peut-être encore à lutter contre le mauvais temps et regretteraient mon absence; merci mille fois, sire, merci! Mais permettez-moi de terminer mon voyage en compagnie des hommes dévoués avec qui je l'ai commencé.»

Jean II ne put qu'applaudir à des sentiments si beaux, si désintéressés; il n'insista pas, mais il eut la bienveillance de demander que Colomb se rendît au monastère de Saint-Antoine-de-Villefranche où résidait Sa Majesté la reine, qui serait, sans doute, très-satisfaite de le voir et de l'entendre. Colomb répondit qu'il considérait cette invitation comme une faveur insigne, et il alla à Villefranche où la reine et les dames de sa cour l'accueillirent avec les égards les plus recherchés, et l'écoutèrent avec l'intérêt le plus vif.

Après cette dernière visite, le grand-amiral se transporta à bord, quitta le Tage le 13 mars et arriva le 15 à Palos, après une absence d'environ sept mois et demi employés à accomplir la plus mémorable entreprise que les annales du monde puissent rapporter, et pendant lesquels on a vu quelle série incessante d'événements, soit heureux, soit malheureux, se trouvent pressés avec la plus étonnante fécondité.

Deux autres voyages exécutés par de grands marins étonnèrent aussi le monde peu après la même époque, et sont encore aujourd'hui, ainsi que celui de Colomb, l'objet de l'admiration universelle. Ce sont celui de Vasco de Gama qui découvrit la côte orientale de l'Afrique et conduisit ses heureux vaisseaux jusqu'à la côte du Malabar; et celui qui fut entrepris par Magellan, pour faire le tour du monde et achever de résoudre le grand problème de la sphéricité de la terre contestée encore jusque-là par quelques esprits. Colomb accomplit le sien, qui tient, de beaucoup, le premier rang, en 1492; Vasco de Gama aborda aux rivages de l'Inde en 1498, et ce fut en 1520 que Magellan partit pour sa circonnavigation. Rien, sous ce rapport, ne peut être comparé à ces trois expéditions, et les noms de ces trois hommes vivront entourés d'honneurs et de respects, jusqu'à la dernière postérité!

Le retour de la Niña à Palos fut un événement qui y causa la plus profonde et la plus naturelle impression, car toutes les familles étaient plus ou moins intéressées au sort de ce bâtiment, comme y ayant quelque près parent ou quelque ami dont la mort avait été plus d'une fois pleurée, en ajoutant, au triste sort que l'on croyait avoir été réservé à l'équipage, les horreurs les plus lamentables que l'imagination pouvait suggérer.

Aussi, quand la Niña fut reconnue, et qu'on la vit serrer ses voiles après avoir mouillé dans le port, des transports de joie inexprimables éclatèrent de toutes parts, les cloches sonnèrent à toute volée, les affaires furent suspendues, les boutiques, les magasins se fermèrent, les maisons furent tendues de tapisseries, on joncha les rues de fleurs, et la population tout entière se porta sur le rivage pour assister à l'arrivée du grand-amiral, que l'on reconnut bientôt dans son canot se dirigeant vers le débarcadère.

À l'instant où Colomb allait mettre pied à terre, un homme très-ému se montra, perçant la foule, et paraissant en proie à l'agitation la plus vive; un silence religieux régnait dans cette masse compacte qui attendait le débarquement du grand-amiral pour faire résonner dans l'air les acclamations par lesquelles on voulait le saluer. Colomb sort de son canot, fait signe de la main comme pour demander que les acclamations soient retardées, marche à pas précipités vers cet homme en qui il avait reconnu Jean Perez de Marchena, supérieur du couvent de la Rabida, se hâtant de son coté pour s'approcher de lui; et, quand ils sont tous les deux sur le point de se joindre, Colomb l'enserre dans l'ampleur majestueuse de ses bras, et lui dit, en le pressant sur son sein: «Mon père, vous avez prié Dieu pour moi, et me voici!

«Oui, mon fils, répondit le supérieur Jean Perez, j'ai prié le jour, j'ai prié la nuit, et toujours du fond du cœur!

«Eh bien, mon père, allons actuellement prier ensemble et rendre à Dieu toutes les actions de grâces que nous lui devons.»

Les deux amis, après s'être tenus quelque temps embrassés, se prirent par la main et se dirigèrent vers le village; ce fut alors que la foule, dont l'enthousiasme s'était encore accru à la vue de la scène que nous venons de décrire, poussa des cris qui tenaient du délire, rendit à Colomb des honneurs comme à peine on en rendrait à un souverain, et qui contrastaient singulièrement avec les clameurs, avec l'exécration qui, quelques mois auparavant, l'avaient accompagné jusques en pleine mer. Monica, elle-même, la femme de ce matelot de la Santa-Maria qui s'était tant fait remarquer par son exaspération, se livrait à des mouvements de joie inouïs, et montrait, dans un seul individu, l'exemple du changement total que l'opinion publique avait subi.

Mais, dans cette chaleureuse réception, il n'y eut certainement rien de plus touchant que l'entrevue de Colomb et de Jean Perez. Que l'on cherche, en effet, dans les annales de l'histoire, que l'on parcoure les récits des poëtes, des romanciers qui ont le plus parlé au cœur de leurs lecteurs; et nulle part, dans aucun livre, dans aucune représentation théâtrale, on ne trouvera rien de plus simple, rien de plus attendrissant que le dialogue qui eut lieu entre l'homme qui venait de s'élever au premier rang entre tous, et celui en qui se réunissaient, au suprême degré, rattachement sincère de l'ami et la sublimité de l'âme du véritable chrétien!

Christophe Colomb, marchant en tête et de front avec le vénérable Jean Perez, prit le chemin de l'église paroissiale de Saint-Georges où la foule se pressa sur leurs pas. Le service divin fut célébré dans le plus grand recueillement; mais, à sa sortie, les acclamations les plus frénétiques recommencèrent jusqu'à ce qu'enfin le grand-amiral, arrivant à la porte du couvent de la Rabida où il allait jouir de l'hospitalité que son ami lui avait offerte, se retourna vers la foule, remercia de la réception si flatteuse qu'on venait de lui faire, parla aux hommes les plus éminents du village qu'il put distinguer et alla se reposer, entouré des soins de ses hôtes, dans ce même asile où quelques années auparavant, tenant son fils par la main et épuisé de fatigue, il était venu demander un peu d'eau et de pain pour ne pas succomber sous le poids de la fatigue qui les accablait l'un et l'autre.

Colomb apprit bientôt que les souverains espagnols avaient passé l'hiver à Barcelone où, le 7 décembre, une tentative d'assassinat avait été dirigée contre le roi, à cause, probablement, de la persécution qu'il exerçait contre les Juifs depuis l'expulsion des Maures. L'assassin lui avait fait au cou une blessure profonde, quoique non mortelle; et tout le temps que la vie de Ferdinand avait pu être en danger, Isabelle avait veillé à son chevet avec la sollicitude d'une épouse tendre et dévouée.

La cour était encore à Barcelone lors de l'arrivée de la Niña; la première idée du grand-amiral fut de s'y rendre par mer avec sa caravelle; c'était une pensée de vrai marin; mais ce navire avait besoin de réparations qui auraient occasionné un trop grand retard et il fallut renoncer à ce projet; Colomb se contenta donc d'écrire aux souverains espagnols afin de les informer qu'il était arrivé à Palos après avoir réussi dans son voyage dont il donna les détails, et qu'il allait attendre les ordres du roi et de la reine à Séville où il se rendit effectivement, après avoir pris affectueusement congé du digne et vénérable supérieur et des autres ecclésiastiques du couvent de Sainte-Marie-de-la-Rabida.

Le soir même de l'arrivée de la Niña à Palos, avait eu également lieu celle de la Pinta. Il paraît hors de doute que, puisque le premier de ces navires s'était maintenu dans la latitude des îles Açores, le second, dont les qualités nautiques étaient de beaucoup supérieures et qui était ponté, aurait pu s'y conserver également, et ne pas perdre de vue le bâtiment-amiral qui lui en avait donné l'ordre par écrit: d'ailleurs la situation était critique; la Niña était très-exposée dans un pareil coup de vent, le chef de l'expédition était à bord, Vincent Yanez, frère d'Alonzo, y était aussi; et puisque, n'étant retenu ni par un sentiment du devoir, ni par humanité, Alonzo Pinzon voulut profiter de l'obscurité de la nuit pour faire vent arrière et s'éloigner, on peut conjecturer, quoiqu'à regret, qu'un motif d'ambition fut la cause de cette manœuvre inqualifiable, et que, calculant sur la perte plus que probable de la Niña, il lui parut fort avantageux d'arriver seul en Espagne, et fort utile de s'attribuer les honneurs du résultat du voyage.

 

La route que fit Alonzo l'entraîna jusque dans le golfe de Gascogne où il atteignit le port de Bayonne. Dans la crainte supposée que Colomb n'eût péri dans la tempête, il écrivit, de là, aux souverains espagnols, leur rendit compte des découvertes effectuées, et demanda la permission d'aller à la cour pour en donner les explications détaillées.

Dès que le vent fut devenu favorable, il appareilla de Bayonne et il partit pour Palos où il se flattait d'être l'objet d'une brillante réception; mais hélas! il n'y arriva que pour voir la Niña paisiblement mouillée dans le port et que pour entendre les cris de joie de la population en l'honneur de Colomb. Confus, désespéré, il resta à bord, refusa d'y recevoir qui que ce fût; et, quand la nuit fut close, il débarqua et alla se cacher dans la maison d'un ami jusqu'après le départ du grand-amiral, qui probablement ne quitta si promptement le couvent de la Rabida pour se rendre à Séville, que pour ne pas avoir à sévir contre un homme à qui il avait de si grandes obligations; en effet, le grand-amiral, pendant le peu de temps qu'il séjourna à Palos, eut l'extrême délicatesse de ne prononcer ouvertement une seule fois, ni le nom de la Pinta, ni celui de son commandant, et d'agir comme s'il ignorait que ce bâtiment fût amarré dans le port.

La lettre que Pinzon reçut de la cour en réponse à sa dépêche de Bayonne fut portée par le même courrier qui était chargé de celle que les souverains adressèrent à Séville pour Colomb. Dans celle-ci, le roi et la reine se montrèrent aussi étonnés qu'éblouis de l'acquisition nouvelle autant que prompte et facile d'une augmentation si considérable de territoire et de richesse. Colomb y était qualifié de ses titres de vice-roi, de grand-amiral; les plus magnifiques récompenses lui étaient promises, et il y trouva l'ordre de partir pour la cour sans délai, ainsi que l'annonce d'une seconde expédition placée sous son commandement.

Quant à Alonzo Pinzon, ce furent de durs reproches qu'il lut dans sa dépêche, et il lui était sèchement interdit de paraître devant Leurs Majestés. L'humiliation qu'il en éprouva fut si aiguë qu'il tomba malade, et que peu de jours après il mourut en proie au chagrin et au repentir, comme pour servir d'exemple aux ambitieux qui trahissent leurs devoirs.

Les fautes d'Alonzo furent certainement capitales et nous n'avons pas cherché à les atténuer; disons pourtant à sa louange qu'il avait été l'un des premiers promoteurs de l'entreprise, qu'il s'y était engagé de sa fortune et associé de sa personne lorsque, partout encore, on la regardait comme une chimérique monstruosité. Disons encore qu'il ne se laissa pas intimider par les menaces de son équipage quand les matelots voulaient contraindre les capitaines à abandonner le voyage pour retourner à Palos; et que, toujours, il se conduisit, sinon avec la franche loyauté, au moins avec l'habileté nautique d'un marin. Ce sont des titres incontestables qui auraient pu faire employer moins de sévérité envers lui, car s'il est juste de punir les coupables, on doit, sans contredit, quelques adoucissements à ceux qui, avant leur faute, ont rendu des services signalés à la société. Au surplus, la postérité a été plus indulgente, le nom de Pinzon n'est pas cité par elle sans honneur; et si la marine espagnole a le soin de compter toujours dans sa flotte un bâtiment du nom de Colomb pour le mettre en relief, elle ne néglige pas de donner celui de Pinzon à un autre navire de rang inférieur.

La lettre que Christophe Colomb avait écrite de Palos, bien que destinée pour les deux souverains, était particulièrement adressée à la reine de qui le grand-amiral relevait plus directement comme protectrice de l'expédition et en sa qualité de reine de Castille; elle arriva un peu avant celle qu'Alonzo avait écrite de Bayonne, et même avant le courrier que Colomb avait expédié du Portugal: les circonstances de la lecture de ce message méritent d'être rapportées.

Isabelle, délivrée récemment de ses alarmes d'épouse au sujet de la tentative faite sur la personne de Ferdinand, était rentrée dans le cours paisible de ses devoirs et de ses actes de bienfaisance; elle venait d'éprouver les soucis qui s'attachent à la grandeur et, aspirant par-dessus tout au repos domestique, elle vivait plus que jamais au milieu de ses enfants et de ses confidents.

Un soir, après une petite réception qu'il y avait eu à la cour, la reine, heureuse d'être quitte du cérémonial usité en pareil cas, était rentrée dans ses appartements pour y jouir de la conversation de ceux qu'elle affectionnait. Outre le roi et quelques membres de la famille royale ou autres personnages attachés à Sa Majesté, il y avait, auprès d'elle l'archevêque de Grenade, Louis de Saint-Angel et Alonzo de Quintanilla, ces deux amis si dévoués de Colomb, mais qui n'osaient plus prononcer son nom devant la reine, parce que craignant qu'il ne lui fût arrivé quelque désastre, elle ressentait une peine extrême à entendre parler de lui. Toute affaire était finie, et Isabelle rendait le cercle agréable par la condescendance de la princesse qu'elle savait si bien allier à l'aménité d'une femme d'esprit.

Ce fut pendant ces moments où chacun se laissait aller au charme qu'Isabelle faisait régner autour d'elle, qu'une lettre lui fut apportée; c'était celle de Colomb! Elle était longue comme, en général, toutes celles qu'il écrivait, et la reine voulait en remettre la lecture au lendemain lorsqu'en tournant machinalement le feuillet, elle aperçut la signature de Colomb. Les assistants remarquèrent aussitôt une émotion extrême se peindre sur ses traits, et ils virent son attention complètement absorbée pendant qu'elle parcourait cet écrit: bientôt l'image d'un vrai plaisir éclata sur son auguste visage; ensuite les marques de la surprise animèrent sa physionomie; enfin, s'abandonnant à une sorte de sainte extase, elle se leva en tendant la lettre au roi qui ne savait que penser de cette scène muette, et en s'écriant: «Non pas à nous, mon Dieu, mais à vous seul appartient tout l'honneur de cette miraculeuse découverte, et grâces vous soient rendues!»

Le roi lut la lettre avec empressement et il perdit, un instant, l'air froid, glacial, calculé qui lui était naturel. De sa vie, il n'avait paru si ému; ce fut d'abord l'étonnement qu'il témoigna, puis le désir et l'ambition, pour ne pas dire la cupidité, enfin une joie sans bornes, comme il n'en avait jusque-là manifesté, ni ressenti.

Isabelle n'avait plus rien ajouté, voulant laisser à son royal époux le plaisir de divulguer le grand événement; Ferdinand le fit en ces termes:

«Brave Saint-Angel, fidèle et honnête Quintanilla, voici de magnifiques nouvelles de votre ami Colomb qui vont singulièrement vous réjouir; il a parfaitement réussi dans son entreprise: quant au saint prélat, ajouta-t-il en regardant l'archevêque de Grenade, quoiqu'il n'ait pas été un partisan bien zélé de l'illustre navigateur, il apprendra cependant avec bonheur, et dans les intérêts de l'Église, que Colomb a découvert des contrées d'une étendue, d'une richesse au delà de toute croyance, enfin qu'il a augmenté nos États et agrandi notre puissance de la manière la plus considérable.»

La satisfaction la plus complète illumina aussitôt toutes les figures; il ne fut plus question que de ces découvertes dont le bruit se répandit bientôt dans Barcelone, et l'on ne s'occupa plus que des préparatifs à faire pour bien accueillir le grand-amiral, qui fut aussitôt mandé à la cour.

Christophe Colomb, pendant le cours de sa vie, a pris peu de part à ce qu'on est convenu d'appeler les plaisirs de ce monde: pour lui, les travaux étaient ininterrompus, les fatigues presque incessantes, et le temps lui manqua presque toujours, pour se livrer à d'agréables délassements. C'est qu'aussi, après avoir eu la gloire de réussir dans son voyage de découvertes, après avoir été inondé du bonheur de contempler cette terre de Guanahani qu'il rêvait depuis vingt ans, il devait falloir de bien vives impressions pour toucher sa grande âme! L'époque de son retour dut, cependant, les lui faire ressentir, ces bien vives impressions: tout se réunit en cette occasion, pour flatter à la fois son amour-propre et son esprit, et nous ne savons de quels termes nous servir pour peindre les transports de reconnaissance et d'exaltation que tout un peuple en délire, fit alors éclater; mais dans les scènes qui vont se dérouler, il n'en est aucune, peut-être, qui lui fit goûter des moments plus heureux que les embrassements de Jean Perez de Marchena, et que l'espace de temps, quoique si court, que dans l'accomplissement de ses espérances et dans la jouissance de sa gloire, il passa à se reposer au modeste couvent de la Rabida!

La gloire, en effet, n'était pas tout pour Colomb; il lui fallait aussi les chaudes émotions du cœur; et si le cœur et l'honneur, sont inséparables de toute vraie grandeur, si la droiture, si un caractère toujours honorable, si la noblesse d'attitude, si la fermeté du maintien en sont les signes caractéristiques, nul ne peut contester que Colomb, qui eut d'ailleurs le génie, le talent, qui d'une condition infime sut s'élever par lui-même et parvint à se placer sur le plus magnifique théâtre, soit un homme complet, un homme véritablement grand entre tous!

À Séville comme à Palos, sur la route de Barcelone comme à Séville, Christophe Colomb fut fêté comme, peut-être, il n'en a jamais existé d'exemples pour aucun potentat, pour aucun conquérant: les maisons affluaient de personnes qui se portaient en foule aux portes, aux croisées, aux balcons et même sur les toits pour le voir passer; les grands chemins étaient bordés de curieux accourus de points éloignés pour jouir un moment de sa présence; l'Espagne s'était revêtue de ses habits de fête, et tout ce que l'enthousiasme pouvait imaginer, était partout mis en usage pour mieux témoigner la joie que l'on éprouvait à voir celui qui rapportait à l'Espagne et à l'Ancien Monde une conquête comme nul n'en avait encore fait, comme nul, après lui, ne pouvait espérer d'en faire d'aussi belle et d'aussi prodigieuse!

Le jour de l'arrivée à Barcelone, cette ville était remplie de l'agitation la plus tumultueuse; on y était accouru de tout le voisinage, si ce n'est pour voir et pour entendre Colomb, tous ne pouvaient l'espérer, au moins pour savoir plus tôt ce qui transpirerait sur son compte: toutefois, la reine ne fut pas oubliée dans l'ivresse générale; son nom était répété aussi souvent que celui de l'illustre navigateur et l'on aimait à se dire qu'elle avait été l'âme de l'entreprise; jamais souveraine ne fut plus dignement récompensée qu'elle, par la reconnaissance de ce public qui avait la conscience de la part qu'elle avait prise à ce voyage, et qui la félicitait sincèrement, par ses acclamations, des résultats qui couronnaient et son zèle et ses vœux.

Ce fut au milieu du mois d'avril que Colomb fit son entrée à Barcelone; la beauté, la sérénité de la journée contribuèrent beaucoup, de leur côté, adonner de la splendeur à la cérémonie qui avait été préparée, et dont chaque Espagnol était jaloux d'être spectateur ou acteur, tant la gloire du grand-amiral allait au cœur de tous, et tant son nom remplissait toutes les bouches! De jeunes cavaliers qui s'étaient joints à une députation de la cour et de la ville allèrent à sa rencontre, le complimentèrent et l'escortèrent suivis d'une foule innombrable; les Indiens amenés par Colomb, peints selon l'usage de leur pays et couverts de parures et d'ornements en or, marchaient en tête; venaient ensuite les perroquets ou autres oiseaux vivants ou empaillés, les plantes que l'on était parvenu à conserver, les couronnes, les bijoux, les parures, les armes, en un mot toutes les curiosités recueillies par l'expédition et portées par des marins de la Niña; enfin paraissait le héros de la fête revêtu de son brillant costume de vice-roi, et monté sur un magnifique cheval. Il y avait vraiment quelque chose de sublime dans ce triomphe pourtant si pacifique, où la solennité n'excluait pas la joie publique; et l'aspect vénérable de celui à qui tant d'hommages étaient adressés, semblait être en harmonie parfaite avec la grandeur et la dignité de l'événement.

 

Tous les regards se concentraient sur cet homme que l'on disait n'avoir pu être inspiré que par Dieu lui-même; on admirait la beauté de ses traits, la majesté réfléchie de sa physionomie, la vigueur de la jeunesse qui perçait dans ses yeux et qui démentait ses épais cheveux blancs; on voulait lui rendre en honneurs l'équivalent de ce qu'il apportait en conquêtes; et selon les relations de l'époque, on croyait voir en lui une de ces figures des héros de la Bible, sous les pas de qui le peuple se plaisait à jeter les palmes de l'admiration.

«Enfin, tous sentaient en lui, ajoutent ces relations, le plus favorisé et le plus grand des hommes!»

Pour ne rien dérober aux regards avides de la population, les souverains avaient fait élever en plein air un trône splendide sur une estrade très-élevée: une tente de la plus grande richesse abritait ce trône où étaient assis Ferdinand et Isabelle qui avaient à côté d'eux leur fils Don Juan, héritier présomptif de la couronne, et qui étaient entourés de la cour et des principales notabilités. L'approche de Colomb et son abord auprès des souverains, sa mine imposante, la dignité de son regard, tout a été décrit dans les relations du temps comme donnant en lui une exacte idée du plus noble des sénateurs de l'ancienne Rome. Les souverains eux-mêmes, frappés comme d'une sorte de respect, se levèrent spontanément pour l'accueillir. Alors, et suivant l'étiquette de la cour, Colomb voulut se mettre à genoux pour leur adresser la parole, mais ils l'en empêchèrent de la manière la plus gracieuse, et ils lui ordonnèrent de s'asseoir sur un siége préparé pour lui, ce qui était un honneur qui n'était même pas toujours accordé aux princes du sang.

Sur l'invitation du roi, Colomb fit, avec un ton parfait de convenance et, cependant, avec l'éloquence poétique qui découlait habituellement de ses lèvres, le récit des parties les plus saillantes de son voyage; il présenta les Indiens à Leurs Majestés, montra les productions, les objets et les curiosités qu'il avait rapportés, et finit en donnant l'assurance que ce n'étaient que de faibles marques des découvertes qui restaient à faire, et qui ajouteraient aux possessions espagnoles d'opulents royaumes dont les sujets ne manqueraient pas d'être prochainement des prosélytes de la vraie foi.

À peine Colomb eut-il fini, que le roi et la reine, imités par tous les assistants, s'agenouillèrent, levèrent leurs mains vers le ciel, et, les yeux remplis de pieuses larmes, rendirent des actions de grâces à Dieu. Le plus grand silence régnait dans toute la masse compacte des spectateurs: ce fut au milieu de cette extase muette, que le Te Deum fut entonné par les musiciens de la chapelle du roi et harmonieusement accompagné par des instruments mélodieux qui semblaient porter vers les cieux la reconnaissance, les pensées et les sentiments des auditeurs dont les voix se mêlèrent bientôt à ce religieux concert. C'est de cette manière vraiment digne, que la cour d'Espagne fêta et vit fêter ce beau jour, offrant un tribut de louange à Dieu, et le glorifiant pour la découverte d'un monde aussi nouveau que peu soupçonné.

Telle fut la fin de ce grand épisode de l'histoire du monde auquel aucun autre ne peut être comparé. L'Europe apprit ce prodigieux événement avec une admiration sans bornes; on crut, à la vérité, que les terres découvertes étaient dans le voisinage de l'Inde, mais on ne leur en donna pas moins le nom générique de Nouveau Monde, par anticipation de celles que l'on supposait, instinctivement, devoir être trouvées plus tard dans leur voisinage. D'ailleurs, le résultat déjà obtenu prouvait la sphéricité du globe par une démonstration physique, et par là, le débat contesté qui s'était élevé à cette occasion, devait se trouver terminé. Les détails du voyage, la fertilité des terres, la douceur du climat, les richesses en or, en pierres précieuses, en plantes ou denrées de grande valeur qui croissaient en ces pays et qui y devaient faire la base du commerce le plus étendu, les indigènes qui avaient été ramenés, les curiosités que le vice-roi avait rapportées, furent l'intarissable sujet de tous les entretiens.

Les Espagnols qui avaient fait pendant de longues années des efforts désespérés pour chasser les Maures du sol national, trouvèrent eux-mêmes ce triomphe si chèrement acheté, fort au-dessous de la conquête nouvelle qui leur arrivait par le génie, par les travaux d'un seul homme n'ayant disposé que de faibles moyens d'exécution; et ils étaient comme éblouis par l'auréole de gloire qui rayonnait autour du navigateur à qui ils devaient cette conquête.

Enfin, les hommes ambitieux de fortune ne rêvèrent plus que des monceaux d'or, et les négociants, que des expéditions lucratives; les politiques calculèrent l'accroissement de la puissance espagnole; les savants, tout en comptant sur des sources futures de connaissance, se réjouirent du triomphe de l'esprit sur l'ignorance et sur les préjugés; les ennemis de l'Espagne, n'osant même pas montrer leur jalousie, furent stupéfaits; enfin, les hommes pieux et la généralité des ecclésiastiques qui avaient le plus dénoncé la folie des plans ou des théories de Colomb, abjurèrent soudainement leurs erreurs sur la forme de notre planète ainsi que sur les limites de l'Atlantique dans l'Occident, et ne pensèrent plus qu'à s'applaudir du vaste développement qu'allait recevoir la propagation de l'Évangile.

Aussitôt après la cérémonie de la réception faite à Colomb par les souverains de la monarchie, son fils Diego lui fut amené; il eut le doux plaisir de le serrer contre son cœur paternel, et bientôt il embrassa aussi son second fils Fernand, qu'on se hâta de faire venir de Cordoue à Barcelone.

Pendant le temps du séjour de Christophe Colomb à Barcelone, les souverains ne négligèrent aucune occasion de lui accorder les marques de la considération la plus distinguée; il était admis en présence de Leurs Majestés toutes les fois qu'il se présentait; le roi se plaisait à faire des promenades à cheval, en le faisant placer à l'un de ses côtés pendant que son fils était à l'autre; la reine prenait un plaisir indicible à lui parler de ses voyages; et, pour perpétuer dans sa famille le souvenir de son expédition, il lui fut octroyé des armoiries particulières dans lesquelles, outre le château et le lion castillans, on remarquait un groupe d'îles et la devise suivante:

 
A CASTILLA Y A LEON,
NUEVO MUXDO DIO COLON!
 

qui se traduit ainsi

 
Aux royaumes de Castille et de Léon,
Un Nouveau Monde donna Colomb!
 

Les distinctions dont le grand-amiral était l'objet à la cour ne lui firent pas oublier son ancien projet de la délivrance du Saint-Sépulcre. L'esprit rempli de la perspective des richesses immenses qu'il devait acquérir, il dressa ses plans pour accomplir sa pieuse mission, et il destina des fonds pour entretenir pendant sept ans une armée de quarante mille fantassins et de quatre mille cavaliers devant former une nouvelle croisade. On voit, dans ce projet, combien cet homme était supérieur aux vues égoïstes ou intéressées, et comment il appréciait les dévouements héroïques qui, lors des premières croisades, avaient enflammé les guerriers les plus braves et les princes les plus illustres de la chrétienté.