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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855

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APPENDICE I
VICTOR HUGUES À LA GUYANE 281

Après la révolution du 18 brumaire, le premier consul, Bonaparte, par qui le Directoire à son tour avait été chassé chercha un homme à la main de fer pour rétablir l'ordre à la Guyane, et il jeta les yeux sur Victor Hugues282, ancien révolutionnaire, un des promoteurs les plus violents des lois les plus violentes de l'époque, et un des appuis les plus énergiques ou des plus inexorables exécuteurs de ces mêmes lois. Il avait été envoyé à la Guadeloupe283 pour y faire respecter l'autorité gouvernementale; il y avait déployé toute la sévérité qui était dans son caractère, et il avait si bien établi la terreur de son nom que ses moindres volontés y étaient exécutées sans hésitation, et que le travail et la tranquillité avaient reparu dans l'île.

En arrivant à Cayenne, Victor Hugues fit afficher la Constitution de l'an VIII et il joignit une proclamation dans laquelle il se bornait à dire qu'il venait pour activer la culture et pour faire exécuter les lois; or, il était trop connu pour la manière terrible dont il avait fait exécuter les lois à la Guadeloupe pour que les noirs et les hommes de couleur songeassent à lui résister; mais sa présence et son aspect contribuèrent plus encore à amener leur soumission que les menaces lointaines de la Convention, que les arrêtés de ses prédécesseurs ou des assemblées coloniales, et même que sa propre proclamation.

Il était, en effet, de taille moyenne, mais fort et trapu; son encolure était énorme; sa tête, large et carrée, était couverte d'une forêt de cheveux; il avait le regard menaçant, le geste impératif, la parole brève et acerbe, la voix grondante comme une sorte de tonnerre, et un accent provençal d'une rudesse extraordinaire; pourtant il n'était que le pâle reflet de ce qu'il avait été précédemment. Une femme avait entrepris de le métamorphoser; elle poursuivit cette œuvre avec autant de fermeté que de douceur et elle finit, plus tard, par la compléter. Cette femme était Mme Victor Hugues, ange de beauté, mais dont la grâce et la bonté surpassaient encore les perfections physiques dont la nature l'avait si libéralement douée.

Mme Hugues était de la Guadeloupe; sa famille était de celles que son mari n'avait jadis qualifiées que de caste aristocratique; et, cependant, lui, l'adversaire fougueux de cette prétendue caste, il avait demandé cette charmante jeune personne en mariage! À cette nouvelle, on dit que, d'abord, elle frissonna, et c'était assez naturel; mais, quoiqu'elle eût été laissée libre de son choix, elle l'accepta, craignant peut-être la proscription ou la mort pour ses parents, mais avec le projet conçu par elle et hautement avoué, d'employer l'ascendant que pourraient lui donner sa vertu, sa jeunesse et son attachement à ses devoirs, à tempérer les excès du caractère violent de son futur époux.

Elle tint parole et elle y réussit peut-être même au-delà de ses espérances; une fois, cependant encore, à Cayenne, Victor Hugues fit arrêter arbitrairement deux jeunes gens qu'il fit jeter en prison sans jugement, et pour lesquels la colonie craignit le sort fatal que tant d'autres avaient subi à la Guadeloupe. Mme Hugues, qui ne connaissait pas ces jeunes gens et qui en fut informée par la rumeur publique, se hâta d'agir et se présenta devant son mari; lui parlant de l'incarcération de ces deux jeunes gens, elle lui dit que, puisqu'il ne tenait pas les promesses sacrées qu'il lui avait faites, elle venait de préparer deux ou trois malles et qu'elle demandait à être transportée immédiatement sur un navire américain qui était en rade et prêt à partir pour les Antilles où elle se retirerait au sein de sa famille. Le farouche gouverneur voulut d'abord s'y refuser, puis il allégua la difficulté de rétracter un ordre donné, et enfin, il demanda du temps pour pouvoir arranger convenablement cette affaire; mais Mme Hugues fut inflexible et il fallut céder. Les deux jeunes gens furent, pendant la nuit même, extraits de leur prison, transportés à bord du navire américain et il leur fut compté 3.000 francs pour pourvoir aux dépenses de leur retour en France. Le bâtiment appareilla le lendemain; on convint qu'il serait dit que les deux jeunes gens s'étaient évadés en trompant la vigilance des gardes, et ce ne fut qu'à ces conditions que Victor Hugues pût rentrer en grâce auprès de son adorable femme et la conserver auprès de lui.

Une loi du 20 mai 1802 rétablit l'esclavage dans les colonies rendues à la France par le traité de paix d'Amiens; toutefois, comme la Guyane n'avait pas été prise par les ennemis et qu'elle n'avait pas cessé d'être française, le premier consul Bonaparte jugea convenable de me faire procéder, que par degrés, à ce rétablissement de l'esclavage; ce fut l'objet d'un arrêté du 7 décembre suivant.

Cette nouvelle loi fut exécutée à la Guyane par les soins de Victor Hugues, avec autant de facilité que les précédentes, et le calme, ainsi que le travail, y furent maintenus alors et après, avec la même obéissance que depuis son arrivée; il institua cependant un tribunal spécial pour juger militairement ceux qui essayeraient de résister, mais l'intervention en fut complètement inutile; la parole du gouverneur et sa fermeté étaient plus puissantes que tous ces morceaux de papier ou que ces messieurs des tribunaux, et la colonie continua à vivre; mais, abandonnée par le Gouvernement à ses propres forces, rien ne s'améliora d'une manière marquante faute de bras et de capitaux. Les prises qu'y amenèrent quelques corsaires qu'on arma à cette époque, contribuèrent à augmenter cette amélioration pendant quelque temps, mais ces corsaires ne tardèrent pas à être pris eux-mêmes par les Anglais. Toutefois, la colonie se maintint ainsi, en progressant, quoique lentement, jusqu'à l'époque où, après la rupture de la paix d'Amiens, elle fut attaquée par les Portugais et passa sous leur domination, ainsi que nous le ferons bientôt connaître. Qu'il nous soit, en effet, permis auparavant d'esquisser encore quelques traits du gouverneur qui a tant marqué dans l'histoire de ce pays, où il a rendu de si grands services en y rétablissant l'ordre, le travail, la paix qui en avaient été complètement bannis pendant les jours d'anarchie, et que nous y avions retrouvés lorsque nous y commandions la station navale de 1821 à 1823.

M. Hugues, retiré des affaires, habitait alors Cayenne où il avait une belle maison parfaitement tenue, ouverte à tous, et dont ses filles faisaient les honneurs avec une grâce parfaite. Il y aurait peut-être vécu heureux si deux grandes infortunes n'étaient venues attrister ses pensées et assombrir sa vieillesse. D'abord il était veuf, ensuite son regard, naguère si foudroyant, s'était éteint pour jamais, et il avait perdu la vue! Cependant quatre filles charmantes, d'une urbanité, d'une élégance, d'une douceur exquises, lui restaient de son mariage et elles possédaient tout ce qu'il fallait pour alléger de si grands malheurs. L'aînée était mariée en France, deux autres l'étaient à Cayenne à deux officiers de ma connaissance particulière, et la plus jeune, âgée de seize ans, était une ravissante personne, recherchée en mariage par un autre officier qui était de mes amis.

Victor Hugues, cet ancien et ardent partisan de la liberté, de l'égalité républicaines, ne possédait pas moins dans la Guyane une belle habitation mise en valeur par trois cents esclaves qui étaient sa propriété, et il jouissait d'une belle aisance. Mélancolique par l'effet de son infirmité, mais non point triste, sa conversation avait beaucoup d'attraits; il était riche de mémoire, n'avait rien que d'agréable à dire; mais quoi qu'il eût vu la Restauration avec plaisir, il ne parlait jamais politique. Ma liaison avec ses gendres m'avait conduit dans sa maison où il m'accueillait avec une affection toute particulière; il savait, cependant, que mon père et un de mes oncles, emprisonnés en 1793 et 1794, avaient été à la veille de monter les marches fatales de la Terreur; il n'ignorait pas que trois de mes cousins germains et cinq autres parents du même nom que moi avaient pris parti dans l'émigration; mais il n'en semblait que plus disposé à me traiter avec distinction; il paraissait même prendre un certain plaisir à prononcer la particule autrefois si criminelle qui précède mon nom.

 

APPENDICE II
NOTE SUR L'ÉCOLE NAVALE 284

L'opportunité du maintien de l'École navale sur le vaisseau le Borda qui est amarré sur un corps-mort en rade de Brest a été récemment discutée par la Commission du Budget; et le rapporteur, M. Berryer, a conclu, au nom de cette commission, à la translation de cette école dans un établissement à terre, disposé pour cette destination.

Peu de temps auparavant, une semblable décision avait été prise à une grande majorité par la commission supérieure de perfectionnement de l'École navale, et il faut ajouter que la presse avait précédemment traité ce sujet, et l'avait envisagé sous le même aspect.

L'Assemblée législative adoptera vraisemblablement les conclusions posées par M. Berryer, et il ne restera plus alors qu'au Gouvernement à se prononcer. La question se présente sous deux faces: celle des dépenses et celle de la convenance ou de l'utilité qui, il faut le dire, l'emporte infiniment sur la première. Toutefois, pour le cas dont il s'agit et sous le double rapport des dépenses et de l'utilité, nous pensons que ce changement est avantageux ou désirable, et nous allons déduire les motifs de notre conviction, afin que, ces deux points étant discutés, ce soit en parfaite connaissance de cause que le projet puisse être apprécié à sa juste valeur.

M. Taupinier, lorsqu'il était directeur des ports, après une tournée et une inspection administrative dans nos divers arsenaux, présenta au ministre un rapport sur le matériel naval de la France, qui fut imprimé en 1838, et dans lequel il évaluait alors la dépense annuelle de l'École navale à environ 400.000 francs; cette somme lui paraissait forte, mais si le but était rempli, il déclarait avec raison que, par cela même, la dépense était justifiée et devait avoir lieu.

Pour 1850, cette somme est encore plus élevée; en effet, si l'on se reporte au budget synoptique de M. de Montaignac, qui est inséré dans le numéro du mois de janvier des Nouvelles annales de la marine, on trouve qu'outre la pension annuelle de 700 francs payée par chaque élève de l'École navale, le total de la dépense de cette école est pour 1850, de 598.339 francs, repartis ainsi qu'il suit:


Cette somme excède beaucoup celle de 80.000 francs que coûtait annuellement l'École de marine située à Angoulême; mais quoiqu'il soit facile de présumer que l'école nouvelle, qui serait sans doute dans un port entraînerait à des frais qui surpasseraient 80.000 francs par an, on peut affirmer que ces mêmes frais seraient bien loin d'atteindre ceux de l'École navale en rade de Brest.

Dans les évaluations précédentes, ne sont pas compris 200.000 francs qu'a coûtés l'installation du vaisseau-école l'Orion, ni 200.000 francs pour celle du vaisseau-école le Borda qui, au bout de quatorze ans, a remplacé l'Orion et qu'il faudra remplacer lui-même après un pareil laps de temps. Les dépenses d'une école de marine flottante sont donc exorbitantes puisque, d'après ce que nous venons d'exposer, chaque élève ne coûte pas au Gouvernement moins de 6.000 francs par an, et l'économie qui résulterait de l'appropriation ou même de la construction totale à terre d'un édifice pour servir d'école navale serait si considérable que, sous ce rapport seulement, il y a urgence à y procéder sans délai. On peut ajouter qu'il est surprenant qu'on n'y ait pas procédé plus tôt.

Le côté financier étant ainsi et péremptoirement éclairci, il reste à traiter les points de convenance ou d'utilité; mais afin de pouvoir bien pénétrer jusque dans le cœur de cette question, qui est des plus intéressantes, soit pour l'État, soit pour un très grand nombre de familles, il est à propos d'exposer, auparavant, quels sont les divers systèmes qui ont été suivis pour instruire et former, à diverses époques, le corps des jeunes gens destinés à devenir officiers de marine, et, par la suite, à commander nos bâtiments de guerre, nos escadres, et enfin, nos armées navales.

Aucune marine au monde n'a compté un plus grand nombre d'officiers illustres que celle de Louis XVI; tels furent entre autres, Suffren, La Mothe-Piquet, de Guichen, d'Orvilliers, du Couédic, La Clocheterie, Borda, de Chabert, Ramatuelle, de Potera, de Fleurieu, de Verdun, du Pavillon, Lapérouse, d'Entrecasteaux, de Rossel, de Vaudreuil, de Missiessy, de Bougainville. Il suffit de citer ces noms pour réveiller des souvenirs éclatants de bravoure, de science, de gloire, de grands services rendus. Ils brillèrent soit comme guerriers, soit comme savants ou comme grands navigateurs; et, depuis lors, si quelques-uns ont été égalés, il en est qui, peut-être, ne seront jamais surpassés.

Ces officiers provenaient des gardes de la marine qui étaient un corps de jeunes gens organisé vers le commencement du siècle dernier et composé de trois compagnies pour chacun de nos trois plus grands ports, Brest, Toulon et Rochefort. Les gardes de la marine étaient désignés par le ministre qui les choisissait d'ordinaire, dans la noblesse du royaume; ils recevaient une instruction spéciale dans ces compagnies, et ils subissaient des examens, soit pour y être admis, soit pour acquérir leur grade d'officier.

Les ordonnances de 1716 et de 1726 établirent, en outre, une compagnie appelée: des gardes du pavillon, composée de quatre-vingts jeunes gens provenant des trois compagnies des gardes de la marine. Les gardes du pavillon avaient pour fonctions particulières de garder le pavillon de l'amiral et de former la garde du grand amiral.

Vers la fin du règne de Louis XVI, on remarqua, cependant, qu'il y avait trop de divergence pour l'instruction, entre les trois compagnies des gardes de la marine: afin de rendre cette instruction plus uniforme, plus complète, on créa deux Écoles de marine dans l'intérieur des terres: l'une à Vannes pour les jeunes gens des familles du Nord et du Nord-Ouest de la France; l'autre à Alais pour les jeunes gens de celles du Sud et du Sud-Est. Il est à remarquer que la marine si savante de Louis XVI approuva cet établissement de deux Écoles de marine à terre et dans l'intérieur; mais la Révolution survint; une loi du 15 mai 1791 les supprima toutes les deux, et l'on ne put pas juger, par les résultats, des fruits que cette éducation était susceptible de porter.

Pendant notre première république, les gardes de la marine, ainsi que ceux du pavillon, furent également supprimés, et presque tous les officiers de la marine de Louis XVI venant à émigrer, il y eut, d'abord, un moment d'urgence pendant lequel on prit des officiers de tous côtés, surtout parmi ceux de l'ancienne compagnie des Indes, parmi les pilotes et dans la marine du commerce. Ces sources diverses donnèrent plusieurs excellents officiers au nombre desquels on remarque le vice-amiral Gantheaume, le vice-amiral Willaumez, l'énergique vice-amiral Martin, le brave et digne capitaine Pierre Bouvet, l'intrépide Bergeret et l'amiral Duperré qui a parcouru une si belle carrière maritime!

Bientôt, cependant, on songea à former une pépinière pour alimenter régulièrement le corps des officiers, qui eût et qui généralisât l'instruction indispensable à tout marin destiné à diriger, à commander un bâtiment. Ce fut alors que l'on créa des aspirants de marine, divisés en trois classes, qu'un peu plus tard on réduisit à deux.

Pour être nommé aspirant, il fallait, à un âge déterminé, satisfaire à un examen public sur les sciences mathématiques, sur la pratique de la navigation, et avoir été embarqué pendant un temps prescrit; il en était de même, ensuite, pour être nommé officier. C'était à peu près l'organisation des gardes de la marine; mais les aspirants n'étaient pas réunis dans des compagnies pour y cultiver ou y étendre leur instruction, et chacun avait le droit de se présenter aux examens, sans autres conditions que l'âge fixé, les connaissances et la navigation requises. Sous ce dernier rapport, il se glissa des abus qu'il était facile de faire disparaître, en tenant la main à ce que la navigation des élèves fut réelle et non fictive; mais c'était un très bon système et fort peu compliqué, que des hommes consciencieux ont souvent désiré voir revivre, et qui, surtout, était fort peu onéreux pour l'État, puisque toutes ses dépenses consistaient à solder des professeurs pour tenir des cours publics dans les ports, et des examinateurs pour juger du mérite des prétendants. C'est ce système, qui, entre autres, a donné à la France l'illustre amiral Roussin, les vice-amiraux Baudin, Hugon, Lalande et les contre-amiraux Dumont-d'Urville et Freycinet.

L'empereur créa des écoles flottantes où les aspirants étaient casernés et instruits; mais, lors de la Restauration, ces écoles flottantes tombèrent, en quelque sorte, d'elles-mêmes: elles se sont relevées cependant, comme on le voit de nos jours, sous le nom d'École navale, et avec les perfectionnements que le temps et l'expérience ont pu leur faire acquérir; aussi remettrons-nous à nous occuper de détailler leurs avantages ou leurs inconvénients au moment où, en suivant le cours des événements, nous serons amenés à traiter spécialement de l'École navale, telle qu'elle existe en ce moment.

La Restauration eut donc à recueillir les élèves des écoles flottantes de l'empire, et c'est ce qu'elle fit en les formant en trois compagnies, une pour chacun de nos trois plus grands ports: Brest, Toulon et Rochefort. On y reconnut un but marqué et très louable de rétablir les gardes de la marine qui, pendant plus de cent ans, avaient doté la France d'officiers du plus grand mérite. Toutefois, pour ne point blesser les idées nouvelles, que des mots impressionnent si facilement, on s'abstint de faire revivre la dénomination de gardes de la Marine et, pour ne pas conserver celle d'aspirants, qui rappelait trop la République, ces jeunes gens furent désignés sous le nom d'Élèves de la marine. Le Gouvernement actuel est revenu à la dénomination d'Aspirants.

Il fallait cependant alimenter ces compagnies d'Élèves; on n'était pas encore bien fixé sur les moyens de les recruter; aussi, pour obvier aux retards qui en résultaient et afin de se donner le temps d'en délibérer avec réflexion, on créa provisoirement des volontaires qui étaient nommés après des examens publics, et qui faisant, pour ainsi dire, corps avec les élèves, concouraient avec eux dans le service qu'ils avaient à remplir.

Tous, élèves et volontaires, naviguaient ensemble, et, à tour de rôle, quand les armements, le requéraient; mais, avant comme après, ils ralliaient le port où se trouvaient leurs compagnies; et là, dans des salles très bien disposées, ils suivaient des cours sur toutes les parties de l'instruction que doit posséder un officier de marine.

Cependant le budget de la marine était alors fort réduit, ainsi que le cadre du personnel naval; il y avait donc peu d'élèves, et l'on remarqua que bientôt ils seraient tous si souvent embarqués, que les compagnies seraient désertes; d'ailleurs, il fallait prendre un parti sur le mode de recrutement du corps des élèves: ce parti fut l'établissement d'une École de marine à terre et, peu de temps après, la suppression des compagnies.

 

À la suite de longues recherches ou d'études approfondies sur le choix d'un local, on s'arrêta à discuter les propositions qui parurent les plus acceptables; l'une présentant les magasins de l'ancienne Compagnie des Indes au port de Lorient, comme très convenables pour cette destination; l'autre se prononçant en faveur d'un magnifique local, bâti par la ville d'Angoulême pour un établissement de bienfaisance, mais qui n'avait pas encore été occupé; la ville en faisait don gratuitement au Gouvernement, à la seule condition que l'École de marine y serait placée et maintenue.

Une commission fut nommée pour examiner ces deux propositions et pour émettre un avis sur ce point. La commission prit une connaissance minutieuse des deux bâtiments et finit par conclure en faveur du local d'Angoulême, se fondant principalement sur ce fait, qu'avant d'avoir seulement démoli tout ce qu'il faudrait abattre des magasins de l'ancienne Compagnie de Lorient, pour y réédifier le local nouveau, on aurait dépensé des sommes beaucoup plus considérables que l'achèvement et la mise complète en état de celui d'Angoulême n'en devaient coûter. Cet argument avait beaucoup de poids dans l'état où étaient nos finances à cette époque.

On se décida donc, pour ce dernier parti, et peut-être y fut-on porté par le souvenir des écoles de Vannes et d'Alais que les officiers de la marine de Louis XVI, pourtant si éclairés, avaient vu créer dans l'intérieur des terres sans y faire aucune objection. Quoiqu'il en soit, qu'il nous soit permis de dire à cette occasion, que les faits que nous venons de rapporter détruisent une calomnie dont on s'est fait une arme puissante pour attaquer l'établissement d'Angoulême, et qu'ils prouvent que ce n'était nullement parce que le prince, que l'on voyait à cette époque, dans la ligne de succession à la couronne, s'appelait le duc d'Angoulême, que l'École de marine avait été placée dans la ville de ce même nom. Non pas, certes, que nous ne pensions que cette École ne fût encore mieux dans un port ou à portée d'une rade; mais parce qu'il est utile de dire la vérité, et que, d'ailleurs, l'expérience a prouvé, malgré tout, que de très bons résultats pouvaient être obtenus à Angoulême!

Dans un local, aussi vaste, aussi beau que celui dont la ville d'Angoulême venait de faire la cession au Gouvernement, il était facile de distribuer une école magnifique et on y réussit parfaitement. Mais nous devons nous appesantir sur ce point parce que la discussion doit s'établir sur la préférence que mérite soit l'École de marine à terre soit l'école flottante, et qu'aucun détail essentiel ne doit être omis.

L'installation ne laissa donc rien à désirer: la chapelle ou petite église, les amphithéâtres pour les classes ou pour les leçons, la salle d'étude et celle de récréation lorsque le temps interdisait la fréquentation d'une immense cour plantée d'arbres, l'infirmerie, les dortoirs où chaque élève avait une chambre close mais aérée, la bibliothèque, le cabinet de physique, les logements de l'état-major, les cuisines et, puisqu'il faut tout dire, les lieux d'aisance, si dégoûtants en plusieurs collèges, et là, si proprement, si décemment disposés, tout fut établi avec une intelligence qu'on ne pouvait se lasser d'admirer. Ajoutez à cela une position centrale, un climat exceptionnellement sain, et des eaux pures circulant dans toutes les parties de l'établissement.

Un vaisseau de quatre-vingts canons, réduit à l'échelle d'un douzième, complètement gréé et voilé, pivotait dans une grande salle, de sorte que la nomenclature entière d'un bâtiment et plusieurs de ses évolutions pouvaient y être enseignées; un brick avait été conduit de Rochefort par la Charente, jusqu'auprès d'Angoulême; les élèves y apprenaient à le gréer, à le dégréer, à prendre ou larguer des ris, à enverguer ou serrer des voiles, à monter dans la mâture, à élonger des ancres ou des câbles; ils avaient des embarcations où ils s'exerçaient à ramer; et l'on a vu des marins très surpris de tout ce que ces jeunes gens y avaient appris de pratique, lorsqu'ils les voyaient à l'œuvre après leur départ d'Angoulême.

On y institua une école de natation; ainsi disparut cette anomalie fâcheuse et singulière qu'on avait remarquée jusque-là, de jeunes gens destinés à vivre sur l'eau et qui ne savaient pas nager.

Eh bien! ce local qui réunissait tant d'heureuses conditions, qui était situé en plaine, au pied de la ville ou près de la rivière, et non point sur une montagne, comme on l'a calomnieusement encore articulé et répété, cette école d'un état sanitaire excellent, et si favorable à l'accroissement des forces physiques de la jeunesse, ne coûtait que 80.000 francs par an au Gouvernement.

Mais tant de soins en faveur de cet établissement ne parurent pas encore suffisants pour une École spéciale; car, afin d'achever de la rendre telle, on attacha deux corvettes au service de cette école: ces corvettes devaient partir tous les ans de Toulon, ayant à bord les jeunes gens qui avaient fini leurs études à Angoulême, pour leur faire faire une campagne de huit à dix mois avant qu'ils fussent embarqués sur les bâtiments de l'État, afin d'y remplir leur service d'élèves. Ce temps de pratique en pleine mer valait sans doute mieux que les exercices nautiques des élèves de l'École navale, tels qu'ils leur sont donnés sur leur corvette d'instruction; de même que les deux ans d'études théoriques de l'École d'Angoulême se passaient dans des conditions beaucoup meilleures que ceux de l'École navale. Enfin, dans l'une comme dans l'autre de ces Écoles, on n'était admis qu'au-dessous de dix-sept ans, et après examen public; il fallait également satisfaire à d'autres examens à la fin de chaque année d'études, soit pour passer de la seconde division à la première, soit pour être nommé Élève de la marine. Au surplus, les résultats prouvent, aujourd'hui, qu'il pouvait sortir d'Angoulême des sujets très bien préparés; car si l'on jette les yeux sur la liste des officiers supérieurs de notre marine, on verra qu'une bonne partie de ceux qui sont cités comme les plus distingués proviennent de cette source.

L'École d'Angoulême dura douze ans en état constant de progrès: mais mal connue, mal défendue à la tribune, n'ayant pas encore pour elle la sanction des résultats obtenus, elle ne put résister plus longtemps à la violence des attaques et à la calomnie. Toutefois, la presse opposante ne varia pas ses arguments: c'était toujours une École de marine située sur le sommet d'un rocher, uniquement par esprit de flatterie envers M. le duc d'Angoulême; et l'on ajoutait, avec une ironie qu'on croyait d'excellent goût, qu'autant vaudrait une École de cavalerie à bord d'un vaisseau. Le ministère céda devant toutes ces critiques; et le renouvellement d'une École flottante fût décidé en 1826; enfin cette dernière école se trouvant réorganisée en 1829 et prenant, bientôt après, le nom d'École navale, celle d'Angoulême fut supprimée.

Mais, en même temps, on eut l'heureuse idée d'utiliser ce bel établissement, en y créant une école de marine préparatoire pour des élèves de moins de quinze ans, qui y devaient faire de bonnes études classiques, et apprendre le français, l'anglais, le latin, la géographie, l'histoire, la littérature, les éléments des mathématiques et de la physique et le dessin. Les exercices nautiques et la natation y furent maintenus. Les frais de cette École préparatoire n'excédaient pas 50.000 francs.

C'était, pour la marine, ce que le Collège de La Flèche est pour l'année de terre, et il n'y avait que justice, car aujourd'hui, pendant que celle-ci a ce Collège et les Écoles spéciales de Saint-Cyr, de l'État-Major, et Polytechnique, la marine est réduite à sa seule École navale, attendu qu'elle ne reçoit que de quatre à six élèves de l'École Polytechnique par an.

On a vu, à toutes les époques, parmi les officiers de l'armée de terre, se développer des hommes qui ont paru à la tribune avec beaucoup d'éclat, et qui, sans cesser d'être de bons et vaillants guerriers, ont rempli, avec une grande distinction, de hautes fonctions diplomatiques, politiques ou administratives: or, la marine est, depuis nos nouvelles institutions, d'une infériorité relative très grande à cet égard, et on ne peut l'attribuer qu'au défaut de bonnes études classiques, telles qu'on les fait à La Flèche, et qu'on aurait pu les faire à l'École préparatoire d'Angoulême.

Les officiers de la marine, avant la première révolution, provenaient en grand nombre, d'excellents collèges, où leurs familles leur faisaient faire des études complètes avant de se présenter aux compagnies des gardes de la marine; tel était Chateaubriand venant à Brest pour s'y faire admettre, lorsque les circonstances et son émigration l'empêchèrent de donner suite à ce projet; tels furent encore l'amiral de Bruix, les ducs de Crès et de Cadore, les comtes de Villèle et de Caffarelli, le baron de Bonnefoux et autres officiers de la marine de Louis XVI, que nous avons vus parfaitement à la hauteur des positions considérables et difficiles où ils ont été placés.

L'École préparatoire de la marine aurait, sans doute, donné de semblables résultats, mais la révolution de 1830 éclata et elle cessa d'exister. Revenons cependant à l'École navale.

Il est très vrai que l'idée d'une École de marine sur un vaisseau a quelque chose de séduisant au premier coup d'œil. On se plaît à penser qu'il est bien d'élever des jeunes gens destinés à devenir officiers de marine, sur l'élément qu'ils doivent parcourir toute leur vie, de les familiariser de bonne heure avec la vue de la mer, avec les habitudes du bord, de les charmer par le spectacle des scènes variées d'une rade; et l'on aime à croire que ces premières impressions se graveront dans leur esprit, qu'elles fortifieront leur âme, qu'elles les soutiendront dans les épreuves qu'ils sont appelés à subir.

Nous convenons que ce sont des avantages, mais il ne faut en exagérer ni la portée ni la valeur; il ne faut pas oublier que ce que l'on doit enseigner aux élèves ce sont des sciences, que c'est leur instruction théorique qu'il s'agit de compléter, et qu'il faut faire concorder cet enseignement avec plusieurs autres exigences premières de l'éducation, telles que la religion, l'hygiène, la discipline, le développement des forces physiques et le contentement intérieur. Il faut enfin réfléchir que cette éducation sur un vaisseau en rade n'est pas indispensable, que l'expérience en a été faite, et que les compagnies des gardes de la marine, ainsi que l'École d'Angoulême, ont produit un très grand nombre de fort bons officiers spéciaux.

Cela posé, il n'y a plus actuellement qu'à comparer entre eux, les points analogues principaux des deux Écoles d'Angoulême et de Brest, et l'on verra que cette comparaison sera toute à l'avantage de l'école à terre.

281Nous reproduisons ici ces quelques pages empruntées au Précis historique sur la Guyane française, que publia notre auteur dans les Nouvelles Annales de la Marine et des Colonies, t. VIII (1852). Elles complètent en effet d'une façon intéressante la partie des Mémoires consacrée à la campagne de M. de Bonnefoux en Guyane, pendant qu'il commandait la Provençale.
282Victor Hugues, né à Marseille en 1770.
283Les deux commissaires de la Convention, Chrétien et Victor Hugues quittèrent Rochefort à la fin de pluviôse an II (février 1794) avec une division commandée par le capitaine de vaisseau, plus tard amiral de Leissègues. La division se composait des frégates la Thétis et la Pique, de la flûte la Prévoyante et de cinq navires de transport. En arrivant à la Guadeloupe, la division trouva l'île occupée par les Anglais. Ce fut grâce à l'admirable énergie de Victor Hugues que l'attaque fut décidée. Comme le disent MM. Viaud et Fleury dans leur Histoire de Rochefort t. II, p. 425: «Après six mois et vingt jours de luttes acharnées entre une poignée de Français décimés par les maladies et huit mille Anglais, maîtres de la mer et soutenus par une flotte de trente voiles, les Français reprirent la Guadeloupe et en chassèrent les ennemis. Ils leur enlevèrent six drapeaux, huit caisses pleines de lingots d'argent et leur firent beaucoup de prisonniers.»
284Cet article de notre auteur parut dans les Nouvelles Annales de la marine et des Colonies, t. III, 1850, p. 164 et suiv. Il développe un passage des Mémoires et donne des renseignements nouveaux sur le Collège royal de la Marine et l'École préparatoire de la Marine, créés l'un et l'autre à Angoulême. M. de Bonnefoux y fit une partie de sa carrière et y rendit des services signalés. Cet article se rattache donc à ces Mémoires de la façon la plus étroite et nous avons cru utile de le reproduire ici.