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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855

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Mais la puissance de l'empereur touchait à sa phase suprême, et l'opinion, dont il s'était tant servi pour renverser le Directoire, l'avait lui-même abandonné. Napoléon ne pouvait plus résister aux forces de l'Europe conjurée, ni à la disposition intérieure de ses États qui s'indignaient des maux ainsi que des remèdes; et tandis qu'il pouvait encore périr les armes à la main, comme il l'avait annoncé, comme il le répéta publiquement par la suite, il se résigna; il consentit, à la surprise générale, à abdiquer la couronne, à s'exiler à l'île d'Elbe avec un vain titre d'empereur, et, comme une conséquence, à se voir séparé pour toujours de sa femme et de son fils!

Les deux frères de Louis XVI arrivèrent à Paris avec des paroles de paix, d'espérance et de bonté; et Louis XVIII, à la voix duquel tombèrent, comme par l'effet d'un pouvoir surhumain, les armes des souverains coalisés, et s'anéantirent leurs folles prétentions, proclama qu'il prenait pour règle de conduite particulière le Testament de son malheureux frère, et pour règle de gouvernement la charte-constitutionnelle, qu'après tous nos désastres, il présentait comme un port assuré de bonheur et de liberté.

L'honneur de la France était intact, chacun pouvait, avec un sentiment de dignité, se soumettre au nouvel ordre de choses; M. de Bonnefoux s'en félicita sincèrement dans l'intérêt public. Il releva chacun des obligations que le siège présumé de Rochefort avait imposées; il dépêcha, par mer, un courrier parlementaire à Bayonne ou, aussitôt, s'arbora le pavillon blanc; enfin une députation fut envoyée à Bordeaux, d'abord pour présenter l'hommage respectueux du préfet et celui de la Marine au duc d'Angoulême, et, en second lieu, pour traiter avec l'amiral Penrose de quelques arrangements relatifs à la navigation de la Gironde pendant l'occupation britannique, dont bientôt la France allait enfin être délivrée. Le duc chargea la députation de ses remerciements pour le préfet maritime; et c'est un devoir d'ajouter que l'amiral anglais se montra très conciliant.

Sur ces entrefaites, un autre officier général anglais, l'amiral Neale écrivit au préfet maritime qu'il allait lever le blocus de Rochefort, mais qu'il ne voulait pas partir sans lui envoyer240 un message d'estime; et, par ce départ, Rochefort passa à une situation complète de paix. On ne respirait encore que l'ivresse et le plaisir d'un état si nouveau, si inespéré, lorsque le duc d'Angoulême, nommé grand-amiral de France, voulut visiter les ports de l'Océan et se rendit à Rochefort.

M. de Bonnefoux, jaloux de l'honneur d'accueillir avec distinction l'un des héritiers présomptifs de la Couronne241, ne voulut rien demander au ministère pour le défrayer de ses dépenses de réception, et il n'oublia aucune chose dans l'arsenal ni chez lui, pour que le duc et sa suite fussent accueillis militairement et avec splendeur. Il avait voulu que j'eusse ma part de l'honneur de cette visite, il m'avait précédemment nommé de la députation de Bordeaux, et il me fit alors descendre de rade, où je commandais une corvette, pour commander en second la garde d'honneur destinée au prince; il conduisit cette garde au-devant de lui jusqu'au moulin de la belle Judith, où il avait fait dresser un arc de triomphe et une tente élégante; il l'y attendit avec un brillant état-major entouré de la masse de la population, et, pendant trois jours, nous accompagnâmes le prince dans ses inspections, et nous cherchâmes à lui prouver, par nos respects et nos efforts, que nous nous ralliions franchement au nouvel ordre de choses qui paraissait devoir s'établir.

Il fut aisé de voir que le duc d'Angoulême, s'il ne possédait pas ces dehors brillants qui séduisent si vivement la multitude, était, au moins, d'un affabilité extrême et montrait la plus grande bonne foi dans ses promesses de bonheur et de liberté; or, après tant de despotisme, c'en était assez pour satisfaire tous les cœurs.

Il récompensa M. de Bonnefoux comme il aimait à l'être, c'est-à-dire d'une manière toute particulière, et par des marques d'estime et de bonté. Ainsi, non seulement, il le nomma chevalier de Saint-Louis, mais encore il voulut le recevoir lui-même. Ce fut la première croix de cet ordre, et la seule qui fût alors donnée à Rochefort. Plein des souvenirs de sa famille, et d'un oncle, père de l'auteur de cet écrit, qui, pendant la Terreur, avait préféré la prison à l'abandon de sa croix, M. de Bonnefoux ne put retenir son émotion dans cette mémorable cérémonie. Nous vîmes des larmes d'attendrissement sillonner son noble visage; et l'honneur d'embrasser celui qu'on voyait sur la ligne de la succession à la couronne de France, était une distinction, un bonheur que rien, à ses yeux, ne pouvait égaler242.

Avant de quitter Rochefort, le duc eut l'attention de demander à M. de Bonnefoux si son crédit à Paris pourrait lui être utile. Le préfet maritime aimait trop à rendre service à ses subordonnés et à réparer les oublis ou les injustices du pouvoir, pour ne pas saisir cette excellente occasion, il pensa à tous ceux qui avaient des droits à être récompensés, et il laissa respectueusement entre les mains du prince un état de grâces qui furent ensuite accordées. Pour lui-même, accoutumé à juger sainement les choses, M. de Bonnefoux considérait une grande fortune comme une grande servitude, il redoutait le poids des dignités plus que d'autres n'en chérissent l'éclat, et quant à ceux qui lui appartenaient par les liens du sang, il était tout disposé à leur fournir les moyens de se distinguer, mais il faisait peu de demandes en leur faveur «car c'était, disait-il, à leurs actions à parler pour eux».

Le duc d'Angoulême fut étonné qu'il s'oubliât entièrement en cette circonstance; M. de Bonnefoux répondit «que ses désirs étaient plus que satisfaits d'avoir reçu Son Altesse Royale, et d'avoir obtenu de sa main une honorable décoration».

Toutefois, il paraît que le prince ne borna pas là le cours de ses bonnes intentions. Après sa tournée, il était revenu à Paris; c'était l'époque où M. Malouet, ami de M. de Bonnefoux, et ministre secrétaire d'État de la Marine, venait de mourir. On écrivit alors au préfet maritime de Rochefort que le duc d'Angoulême avait parlé de lui au roi comme étant, de toutes les personnes du département de la Marine qu'il eût vues, celle qui lui paraissait la plus digne de recevoir l'héritage du portefeuille. Il fut pareillement écrit à divers officiers de Rochefort qu'il en était fortement question, et venant à m'entretenir de ces bruits avec M. de Bonnefoux et à lui demander s'il ne jugerait pas convenable, en cette circonstance, de faire le voyage de Paris, il fit un mouvement de désapprobation, qu'il accompagna de quelques paroles tendant à prouver qu'il se croirait trop accablé de ces importantes fonctions pour paraître les rechercher; qu'il avait été question, aussi, de lui donner, auparavant, le gouvernement de la Guadeloupe, et que, s'il avait, alors, osé dire que sa préfecture était au-dessus de ses forces, il l'aurait certainement dit. Il ne fut pas nommé, car il est rare que l'homme modeste le soit; la présentation de sa personne lui parut plus précieuse que le ministère lui-même, quoiqu'il fût le marchepied de la pairie, et la crise fatale, impérieuse approchait où il eût sans doute préféré n'avoir pas cette même préfecture, dont sa prévoyance, peut-être, lui avait fait, naguère, redouter le fardeau.

 

CHAPITRE IV
LES CENT JOURS

Sommaire: Les émigrés. – Retour de l'île d'Elbe. – Indifférence des populations du sud-est. – Arrivée à Rochefort d'un officier, se disant en congé. – Conseils donnés par le préfet maritime au général Thouvenot. – Départ du roi de Paris et arrivée de Napoléon. – M. de Bonnefoux se prépare à quitter Rochefort. – M. Baudry d'Asson, colonel des troupes de la marine. – Son entrevue avec le préfet maritime. – M. Millet, commissaire en chef du bagne. – Motifs pour lesquels M. de Bonnefoux se décide à conserver son poste. – L'Empire reconnu militairement. – Défilé des troupes dans le jardin de la Préfecture. – Waterloo. – Seconde abdication de Napoléon. – Mission donnée au général Beker par le gouvernement provisoire. – Arrivée de Napoléon à Rochefort.

La Restauration avait vu surgir et pulluler une foule d'hommes qui, n'ayant rien du siècle, calomniaient la génération actuelle, le courage, les services rendus, les intentions, les sentiments les plus généreux, et qui prétendaient imposer à la France leurs personnes et leurs travers.

Les militaires de l'Empire avaient franchement posé les armes, les hommes raisonnables avaient salué l'aurore de paix et de bonheur qui semblait luire au retour d'un roi sage, éclairé, trop valétudinaire, cependant, pour voir par lui-même; mais tout fut mis en usage pour altérer ces sentiments de concorde et de modération, pour changer le cœur de Louis XVIII et pour en bannir l'œuvre qui devait lui être la plus chère, la pratique de sa charte, et l'accomplissement de ses désirs d'harmonie et de fusion.

Nous connaissons pourtant des émigrés mêmes, vivement blessés par la Révolution dans leurs idées, leur fortune, leur état, leurs plus tendres affections et qui, comprenant les maux et les besoins de la patrie, avaient sacrifié à son autel et déposé avec sincérité leurs griefs et leurs ressentiments. Tout était possible si cet exemple eût été général; les Français n'eussent été que des frères, et le roi, fermement assis sur un trône de force et de liberté, n'aurait pas éprouvé de nouveaux malheurs: il n'en fut pas ainsi.

M. de Bonnefoux gémissait souvent, en secret, de la folie et des exigences de ces prétendus amis du roi, qu'il appelait plus et, bien différemment, royalistes que le roi lui-même; et il redoutait quelques déchirements intérieurs, lorsque Napoléon, trop bien instruit de l'état de la France, n'hésita pas à quitter l'île d'Elbe et à reparaître sur nos rivages avec six cents soldats qui l'avaient suivi dans son exil. Paris l'apprit par le télégraphe, et le préfet maritime de Rochefort, par un courrier extraordinaire que lui expédia le ministre de la Marine.

D'après les ordres qu'il reçut, il renferma ce secret dans son cœur; mais bientôt les journaux et les lettres les plus authentiques en divulguèrent la redoutable nouvelle. Les populations attendirent l'issue des événements, sinon avec espoir, du moins avec indifférence, et elles ne se serrèrent pas autour du trône, comme elles l'auraient fait sans doute si le trône avait pu être considéré par elles comme le palladium de nos libertés, et si la tendance du Gouvernement avait été de plus en plus favorable au développement de nos institutions. Celui qui émet ces réflexions n'est animé que par l'amour de la vérité; il est loin d'avoir aucune partialité politique pour les adhérents qu'eut alors Napoléon, puisqu'il refusa de le servir pendant les Cent Jours de son invasion; mais il voudrait, par dessus tout, prouver ici que l'exagération, la méfiance, sont toujours de dangereux, de tristes conseillers, et que la passion, qui ne suit que son premier mouvement d'injustice, est bien au-dessous de la raison qui n'agit qu'avec sagesse et qui aime mieux excuser que blâmer.

Les esprits, en général, à Rochefort, étaient encore sans idée bien arrêtée sur les opérations de Napoléon, lorsqu'un officier venant des départements du Sud-Est s'y présenta; il avait obtenu un congé, il allait en jouir dans sa famille, en Bretagne; comme il s'était trouvé sur le passage de Napoléon, celui-ci lui avait dit: «Vous allez en congé, jeune homme, je ne prétends pas vous priver de ce bonheur; gardez votre cocarde, allez et dites partout que vous m'avez vu, car je ne suis venu que pour le bonheur de la France.»

Cet officier devait rester deux jours à Rochefort, sous prétexte de repos, il racontait d'un ton simple, et comme Sinon à Troie, l'enthousiasme des villes au passage de Napoléon, les promesses fastueuses qu'il prodiguait, la défection des troupes royales; et il ne manquait pas d'insinuer, avec adresse, ses prétendues craintes sur la difficulté d'empêcher cet audacieux ennemi de s'emparer, à Paris, du souverain pouvoir. Le général Thouvenot se trouvait en service à Rochefort; il vint aussitôt conférer, sur cette étrange circonstance, avec le préfet maritime qui pressentit d'où venait réellement cet officier, et qui, en engageant le général à ne pas le laisser passer, convint néanmoins, qu'il serait injuste ou impolitique de le faire arrêter. «Un moyen, cependant, nous est offert, ajouta-t-il; prenez sur vous de lui donner un ordre de service, attachez-le à votre personne comme aide de camp; alors vous l'occuperez et le dirigerez de manière à trancher tous ces discours.» Cet avis lumineux fut adopté.

Mais les événements se précipitaient, et rien ne pouvait empêcher le trône d'être conquis par Napoléon; ni les villes qu'il devait traverser, ni les garnisons qu'il avait rencontrées, ni les troupes échelonnées, ni le maréchal Ney, grande victime d'un fatal entraînement, et qui brillerait peut-être encore parmi nous, s'il avait été défendu dans le même esprit que Ligarius le fut par Cicéron; ni, enfin, la présence du frère du roi, qui, roi plus tard, perdit son trône pour n'avoir pas assez médité sur ces hautes leçons! La France devait encore porter la peine de ses haines intestines, la guerre déployer de nouveau ses étendards, Napoléon reparaître, en souverain, à la tête d'une puissante armée. Il devait être battu dans une grande bataille décisive et Paris revoir ces farouches hordes étrangères, qui cette fois, exigèrent des sommes inouïes, pour avoir assuré, chez nous, le maintien de leurs princes et le repos de leur pays.

Les Bourbons ne voulurent pas essayer de résister, en France, à Napoléon; ils pensaient, quoique ce fût un très mauvais calcul, que l'Europe était trop intéressée dans cet événement, pour ne pas y prendre une part très active; ainsi, s'étant éloignés momentanément de la France, ils avaient recommandé que chacun se soumît au Gouvernement de fait qui allait s'établir. Cette injonction fut suivie presque en tous lieux; mais quelques officiers ou employés ne s'arrêtèrent pas à ce point, et ils firent l'abandon de leurs grades ou emplois. M. de Bonnefoux se crut encore plus lié qu'un autre par les bontés du duc d'Angoulême; il ne voulait pas, d'ailleurs, coopérer aux maux qu'il prévoyait. Il projeta donc de se démettre de sa préfecture et fit ses préparatifs pour quitter Rochefort. Mais, malgré la réserve qu'il observa, ses desseins furent connus, et il ne tarda pas à se trouver dans la position la plus délicate où puisse être placé un homme de bien. Nous l'avons vu, jusqu'à présent, dignement agir ou commander dans mille situations épineuses; mais enfin, son devoir était écrit; et, à la rigueur, il n'avait été louable que de l'avoir bien exécuté. Aujourd'hui et dans tous les jours qui vont suivre, il n'aura de conseil à prendre que de ses propres inspirations; il faudra qu'il foule aux pieds ses penchants, et, quelque parti qu'il prenne, il aura de sévères contradicteurs; mais qu'on se pénètre bien de ses embarras, qu'on se mette un moment à sa place, qu'on pèse ses motifs, et rien, sans doute, ne manquera à sa justification.

M. Baudry d'Asson, colonel des troupes de la Marine ayant appris la nouvelle de ses apprêts de voyage était venu chez lui pour remonter à la source de ces bruits. La scène fut animée. «Général, on dit que vous partez.» «Baudry, vous êtes un ami de trente-six ans, et je puis vous le confier, c'est vrai.» «Eh bien, général, je pars aussi et la plupart d'entre nous.» Tel fut le début et le sens d'une conversation fort longue où tous les arguments du projet furent produits avec franchise des deux parts, et à la suite de laquelle le colonel resta dans l'inébranlable résolution d'abandonner son poste si le préfet maritime quittait lui-même Rochefort. M. Millet, commissaire en chef du bagne, remplaça M. Baudry; il y eut ici moins d'épanchement mais le même résultat; et M. de Bonnefoux, voyant qu'il ne pouvait rien par la persuasion, promit d'y réfléchir pendant la nuit, et, dans tous les cas, de ne pas partir sans donner avis à son ami Baudry.

La nuit fut réellement employée à ces considérations difficiles. Il s'agissait, d'abord, d'un parti pris dont il fallait se désister; mais, surtout pour un homme qui a fait ses preuves, la vraie fermeté exclut cette fausse honte de n'oser reculer quand une démarche entreprise peut devenir funeste: revenir au bien, c'est montrer de la droiture, et non de l'inconstance et de la faiblesse; c'est affermir l'autorité et non pas l'ébranler; les inférieurs n'ignorent pas que les chefs peuvent errer, mais comme ils voient que, rarement, ils savent le reconnaître, ils n'en sont que plus enclins à respecter celui qui, par amour pour le bien public, aura sacrifié ses premiers jugements ou son intérêt personnel. Ce n'est donc pas sous ce point de vue rétréci que le préfet maritime envisagea la question. D'un côté, il voyait dans son départ, non ce qui, pour lui, était sans attraits, c'est-à-dire son avancement futur et une faveur signalée (car il doutait peu du prochain retour de Louis XVIII) mais il pensait à ses engagements et à sa réputation: de l'autre, il considérait Rochefort, privé momentanément de chefs qui maintenaient les esprits, qui rassuraient le port et les habitants, qui contenaient les troupes et les forçats; Rochefort, dis-je, livré aux troubles, aux dissensions, au désordre; en butte même aux Anglais qui s'approchaient avec leurs vaisseaux, et qui, habiles à profiter de nos divisions, auraient peut-être saisi cet arsenal, qu'ils n'auraient, probablement, rendu aux Bourbons que par la force, ou dans la ruine et le délabrement. Il jugeait encore qu'après avoir sauvé Rochefort, ses motifs seraient mal appréciés, qu'une disgrâce, en apparence méritée, en serait l'inévitable fruit; mais réduisant tout à sa juste valeur, s'oubliant entièrement, et ne regardant que ce qu'il croyait être son devoir dans le sens le plus intime, il mit un terme à cet examen laborieux, il me fit appeler, et il me dit ces paroles si désintéressées: «Avant de me devoir à ma personne, je me dois à Rochefort, au dépôt qui m'est confié, et aux braves gens que je commande: je sais que je me perds; mais il le faut, je cède, et je reste à mon poste.» Bientôt, la nouvelle en fut répandue et l'on vit alors ce qu'est un chef véritablement aimé. À quel point, fallait-il que le dévouement fût porté, puisque les méfiances de l'esprit de parti se turent, et que les amis les plus ardents de Napoléon ayant connu le projet de départ du préfet maritime, se réjouirent pourtant qu'il ne l'eût pas exécuté, ils se félicitèrent qu'il fût resté pour les commander. La suite prouva bientôt, combien il était heureux pour Rochefort, qu'il s'y trouvât un homme tel que celui à qui s'étaient adressées les instances de MM. Millet et Baudry.

Pour moi, quoique je connusse combien M. de Bonnefoux était sincèrement persuadé que l'ordre de choses menacé pouvait seul prolonger la paix en Europe, je m'attendais à cette détermination; mais je ne l'en admirai pas moins.

Le Préfet maritime ne faisait jamais son devoir à moitié; et il n'y dérogea pas en cette circonstance. La reconnaissance de Napoléon se fit donc publiquement, militairement, en présence des troupes, dont plusieurs détachements furent rassemblés, et qui défilèrent, dans le jardin de la Préfecture, au son d'une musique mâle et guerrière243; le préfet maritime, avec un nombreux état-major, était placé au centre du bassin de gazon de ce jardin. Il éleva la voix, il parla peu, il fit ressortir les dangers de la guerre civile, du désordre, de l'anarchie et des vues possibles des Anglais sur Rochefort; mais, si l'on voyait sur sa physionomie les traces d'un long combat intérieur, tout disait aussi, dans ses yeux, qu'un sacrifice jugé nécessaire à la patrie ne devait pas être incomplet. Par la suite, il agit donc conformément à ses paroles; quelques officiers, quelques hommes voulurent par exemple, ne prendre aucune part aux affaires, ou furent dénoncés par la police impériale, il usa de son pouvoir, il engagea sa responsabilité pour laisser aux uns la faculté de la retraite ou du repos, pour adoucir ou faire changer, à l'égard des autres, les rigueurs ou les mesures qu'il jugea être mal fondées; mais il fut inébranlable dans un dévouement personnel à ses nouvelles obligations.

 

Waterloo fut la péripétie sanglante du drame terrible des Cent jours; et Napoléon, abandonnant ses soldats qui se retirèrent dans une noble attitude sur les bords de la Loire revint à Paris, demander aux Chambres législatives des secours en hommes et en argent. La France était envahie sur toutes ses frontières, les esprits étaient très divisés; aussi, ne trouva-t-il que des refus auxquels il aurait dû s'attendre; et, n'ayant tenu aucune des promesses faites lors de son arrivée en France, n'ayant pu obtenir de la cour d'Autriche, ni sa femme, ni son fils dont il avait solennellement annoncé le retour aux Français qu'il avait trompés, il prononça une seconde abdication qui, cette fois, paraissait une formalité tout à fait inutile, et il se livra de lui-même à un gouvernement provisoire qui s'établit jusqu'à la rentrée du roi, et qui le confia à la surveillance du général Beker244, délégué par ce gouvernement; ainsi, escorté de quelques cavaliers ou plutôt gardé par eux, il traversa cette même Loire, où son armée n'attendait que lui, et il arriva à Rochefort, où deux frégates armées, La Méduse et La Saale, devaient être mises à sa disposition.

240Je me rappelle à ce sujet que M. de Bonnefoux, me demanda si je me souvenais de lui avoir expédié du cap de Bonne-Espérance, deux alévrammes de vin de Constance, et il ajouta que le bâtiment qui les portait ayant été pris, le capitaine anglais capteur avait trouvé de bon goût de lui écrire que, comme son adresse était inscrite sur les barils, le vin avait été bu à sa santé: «Je veux, dit-il alors, me venger de cette fanfaronnade», et il s'en vengea en effet, mais avec noblesse, en donnant une très belle fête à l'amiral Neale, à ses capitaines et aux officiers qu'ils jugèrent convenable de s'adjoindre. L'anecdote du vin de Constance fut rapportée au dessert, mais avec beaucoup de finesse, et nul n'eut le droit de s'en fâcher. L'amiral Neale eut le chagrin, en s'entretenant avec moi, d'apprendre que j'avais été sur une frégate dont un boulet avait tué, à bord d'un vaisseau qu'il commandait, un de ses neveux qui lui tenait lieu de fils: ce souvenir inattendu lui fut très pénible, mais il n'en partit pas moins pénétré de sentiments affectueux pour son hôte, dont il dit qu'il suffisait de l'avoir vu une fois pour ne jamais l'oublier. Telle avait été l'opinion qu'en avaient déjà conçue d'illustres étrangers, entr'autres: un ambassadeur des États-Unis d'Amérique qui fut reçu par lui à Boulogne, et qui depuis a été élevé aux premières dignités de l'État, le savant amiral Massaredo qui commanda l'armée navale espagnole à Brest, et surtout son vice-amiral Gravina, chambellan du roi, qu'on vit toujours si doux, si conciliant, si sage et cependant si terrible au combat de Trafalgar, où il périt avec tant de courage et de dévouement, en donnant des ordres pour le salut de son escadre. (Note de l'auteur.)
241Le duc d'Angoulême arriva à Rochefort le 1er juillet 1814. (Viaud et Fleury, Histoire de Rochefort, t. II, p. 505.)
242Le brevet du baron de Bonnefoux est daté du 5 juillet 1814.
243Comparez dans l'Histoire de Rochefort de MM. Viaud et Fleury, t. 1, p. 509 la description de la cérémonie de l'arrivée des Aigles qui eut lieu, elle aussi, dans le jardin de la préfecture maritime et qui se passa le 26 juin 1815, huit jours après la bataille de Waterloo encore ignorée.
244Nicolas Léonard Beker, général de division, comte de l'Empire.