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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855

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CHAPITRE II
M. DE BONNEFOUX, PRÉFET MARITIME DE BOULOGNE

Sommaire: – La paix d'Amiens. – Reprise des hostilités. – L'empire. – le chef-lieu du premier arrondissement maritime transporté de Dunkerque à Boulogne. – M. de Bonnefoux préfet maritime du premier arrondissement. – Projets de débarquement en Angleterre. – La flottille. – Activité de M. de Bonnefoux. – Son aide de camp, le lieutenant de vaisseau Duperré. – Anecdote relative à l'amiral Bruix. – Gouvion-Saint-Cyr. – M. de Bonnefoux nommé d'abord officier de la Légion d'honneur est plus tard créé baron. – Les Anglais tentent d'incendier la flottille. – Leur échec. – Le préfet maritime favorise l'armement de corsaires. – Insinuations du ministre de Crès. – Napoléon et la Marine. – Abandon progressif de la flottille de Boulogne. – M. de Bonnefoux passe du Ier au Ve arrondissement maritime. – Regrets qu'il laisse à Boulogne. – Vote unanime du Conseil municipal de cette ville.

La guerre maritime avait cessé, l'Europe avait profité des courts moments de paix qui s'ensuivirent pour observer le premier consul, et Pitt s'était retiré; mais ce devait être pour reparaître bientôt à la tête des affaires, où il se maintint jusqu'à sa mort, en faisant à son ennemi une guerre d'extermination dont il légua la continuation au cabinet qui lui succéda, et qui suivit les mêmes errements.

Je ne contesterai ni les talents, ni la persévérance de l'illustre fils du célèbre Lord Chatham et je ne scruterai pas si les subsides dont, pendant plus de vingt ans, sa politique greva son pays, si l'accroissement monstrueux de la dette publique en Angleterre, furent en accord avec les avantages que cet empire retira de cette lutte opiniâtre. Quelle qu'ait été toutefois la hauteur des conceptions du ministre britannique, on ne contestera pas, non plus, que le refus de la reddition de Malte, au mépris de la lettre des traités, et que les préliminaires de la guerre de 1803, n'aient été des actes portant le cachet de la jalousie, de la haine et de cette mauvaise foi alors si familière au gouvernement des Trois-Royaumes. Bonaparte était trop habile pour ne pas présenter ces faits avec tout l'avantage qui convenait à sa position; aussi, selon le système qu'il a toujours suivi, de parler plus à l'imagination qu'au cœur des Français, il conçut l'idée d'un projet de descente en Angleterre, et il le fit goûter par la nation. Il ne conduisit pas, il est vrai, ce projet jusqu'à sa dernière période, mais dans les préparatifs formidables qu'il dut faire, il trouva tout formés, des éléments de batailles qu'il ne tarda pas à employer pour seconder l'essor de son génie ambitieux. Bientôt il se crut indispensable à la sécurité, à la gloire de la patrie; il osa tout, et il se fit proclamer empereur.

Le point central choisi pour l'armement, fut Boulogne qui devint, au lieu de Dunkerque, le chef-lieu du premier arrondissement maritime, et, cette préfecture venant à être sans chef, l'empereur n'hésita pas à y nommer M. de Bonnefoux224. C'est alors qu'on vit celui-ci, animé d'une activité prodigieuse, consacrer tous ses moments à la construction, à l'armement, à l'approvisionnement des milliers de petits bâtiments de cette flottille. On sait qu'une médaille fut frappée en 1804 à l'occasion de cette construction225. Dans cette multiplicité infinie de travaux, les ressources de son esprit ne l'abandonnèrent jamais: il étonnait par sa facilité à aplanir les difficultés; il méditait comme un administrateur consommé; il exécutait, comme un vrai militaire, adoré de ses subordonnés; il surveillait comme un inspecteur intéressé, et, s'il sortait de son hôtel ou de ses bureaux, c'était sans faire acception de jour, de nuit, de beau ou de mauvais temps, et pour paraître à l'improviste au milieu des travaux, ou sur divers points de son commandement. Chacun s'observait; nul ne respirait que son zèle et son esprit; ses aides de camp étaient des sentinelles vigilantes226; mais sa présence loin d'être redoutée, était partout regardée comme un bienfait et comme une récompense. Il revit à Boulogne son ami Bruix qui devait commander la flottille pendant la descente, et qui pouvait compter sur le dévouement de tout le personnel de la marine, rassemblé, pour ainsi dire, dans cet arrondissement. Il y vit son ancien camarade de collège, le maréchal Gouvion-Saint-Cyr, ainsi que ses vaillants collègues Soult, Ney, et la plupart des officiers généraux les plus distingués des armées de terre et de mer; il captiva leurs suffrages, il obtint leur estime et leur amitié227. L'empereur Napoléon qui vint aussi à Boulogne, ratifia tant de louanges, par des éloges qu'il n'accordait qu'au vrai mérite. Il avait nommé le préfet maritime, officier de la Légion d'honneur228. Il le créa baron229, et ainsi M. de Bonnefoux obtint, par lui-même, ce titre que, plus tard et dans un temps plus paisible, la naissance devait lui donner après la mort de son frère aîné.

Vers cette époque, Boulogne et la flottille furent attaquées par les Anglais armés de fusées et de machines flottantes incendiaires; mais l'on était sur ses gardes, et cette entreprise audacieuse fut repoussée avec sang-froid et tourna à la confusion complète de l'ennemi. Ces fusées, ces machines qui sont si peu dans les mœurs guerrières du temps, et que les Anglais semblent beaucoup affectionner, coûtèrent des sommes considérables à leur gouvernement; et si elles pénétrèrent à Boulogne, ce ne fut pas comme l'avait entendu le ministère britannique; mais seulement pour faire le sujet de tableaux destinés à servir d'ornement et de trophée aux galeries de la Préfecture.

Le préfet maritime adopta, contre cette agression, des représailles plus nobles et plus efficaces, car il avait compris, avec tous les bons esprits, que l'expédition de corsaires contre la marine marchande des Anglais leur serait très funeste, et il donna à ces armements l'appui le plus prononcé230. On ne connaissait pas alors ce que, sans doute, nous verrons en France à l'avenir: d'inexpugnables garde-côtes à vapeur; invention de première importance, puisqu'elle peut devenir le boulevard assuré du faible, en rendant impossibles les orgueilleux blocus si fréquents pendant la dernière guerre, et en garantissant la rentrée des croiseurs, dans les ports désormais protégés par ces batteries flottantes. Le crédit du préfet maritime ou ses encouragements, donnèrent à ces équipements une grande étendue et des succès multipliés les accompagnèrent presque toujours.

 

Ce système, s'il eût été suivi en France sur la plus grande échelle, y aurait sans doute produit d'incalculables résultats. Un corsaire pris était remplacé par dix corsaires que la témérité française précipitait hors de nos ports de la Manche.

Des actions glorieuses, des prises opulentes se succédaient et se renouvelaient sans cesse; et cette activité, ces combats, ces richesses, ces fêtes splendides où les familles notables de la ville étaient toujours appelées, tout fixait les regards sur M. de Bonnefoux, tout était rapporté à ce chef, en qui se concentraient les plus chères affections des Boulonnais.

Personnellement, d'ailleurs, il vivait avec une frugalité qui ne s'est jamais démentie. «Il faut du luxe dans ma maison, disait-il souvent, parce que mon rang le prescrit, mais je n'en veux ni pour moi, ni sur moi, ni dans mon appartement particulier.» Il maintenait donc la plus rigoureuse économie dans ses dépenses privées ou dans celles des personnes qui lui appartenaient; et il prétendait que les vastes bâtiments, les meubles somptueux n'étaient point pour l'usage et le maître, mais pour la montre et le spectateur. Aussi, il pouvait, à l'occasion, faire face à des dépenses extraordinaires, et, devancer souvent ou satisfaire, par sa générosité, les plaintes discrètes de l'infortuné.

L'histoire nous apprend que l'Angleterre a été conquise toutes les fois que ses ennemis ont pu se développer sur son propre sol. Jules César et plusieurs de ses successeurs, les Saxons et les Danois, Guillaume le Conquérant et Guillaume III, tous ont réussi dans leurs projets d'invasion. Napoléon aurait sans doute rencontré des obstacles plus grands que ceux des guerriers qui avaient exécuté cette hardie entreprise; mais les faits passés donnaient une présomption de succès; et, certainement, la difficulté, en 1804, résidait moins dans la résistance à vaincre sur terre que dans le départ, la traversée, l'atterrage, ou dans la descente elle-même. Pour cette descente, il fallait une forte escadre de protection dans la Manche; les vents, la mer devaient se trouver comme à souhait, et la durée de deux marées, au moins, était nécessaire, car Boulogne et les ports voisins assèchent à moitié marée, ce qui ne laissait pas assez de temps pour la sortie de la première division de la flottille, en une fois.

Aussi, est-ce un problème que j'ai entendu discuter, savoir: si, avec des chances partagées, Napoléon jugeait cette descente possible, et s'il voulait réellement la tenter; ou si, par un appareil formidable, et qui pouvait couvrir d'autres desseins, il entendait seulement porter l'épouvante chez les Anglais, et les amener à la paix par la crainte de ses armes. Il faut le dire, si cette dernière hypothèse était le but de l'empereur, il connaissait peu le caractère personnel de Pitt et des Anglais, et moins encore le génie des institutions de leur pays. Un ministre constitutionnel peut voir le triomphe d'armées ennemies; mais il ne peut être accessible à de telles frayeurs; et tout succombe avant qu'il ait pu faire exécuter une mesure pusillanime. L'opposition, sinon lui, veille attentivement sur ses actes, et elle saurait le redresser ou le supplanter, au premier mouvement de faiblesse qu'il dénoterait.

Il est moins douteux que Napoléon n'a pas cru à l'utilité d'avoir une bonne marine; qu'il a trop dédaigné ce département, et qu'il avait peu de foi en des triomphes où, de sa personne, il ne pouvait prétendre aucune part. Malheur, j'ose le dire, à tout homme d'État, en France qui, pendant la guerre, néglige, suivant les temps, les usages et les progrès des arts, de combattre à outrance les Anglais dans leur marine ou leur commerce, et qui, pendant la paix, ne s'y prépare pas! Napoléon, s'il avait su se contenter des grandes limites que sa puissance avait déjà données à son empire, pouvait, tout en s'y faisant respecter, destiner le superflu de ses ressources à remplir les arsenaux de munitions et de bâtiments; les plus forts auraient été gardés dans les ports pour forcer les Anglais à se tenir, à grands frais, en haleine devant nos rades; et les frégates, les corvettes, les corsaires auraient pris la mer, avec ordre de s'attaquer spécialement à la marine marchande ennemie.

S'il eût donc apprécié l'utilité des forces navales, s'il n'eût, surtout, découragé Fulton, qui vint en France s'offrir à lui, Napoléon, aidé du génie créateur de cet admirable mécanicien, aurait pu opérer, de son temps, le changement, désormais inévitable, de l'état de la guerre maritime, réduire à la nullité, peut-être, les flottes de l'Angleterre, et effectuer, pour ainsi dire à coup sûr, avec des bâtiments à vapeur, cette descente qui était presque chimérique avec des bateaux plats. Alors, il est permis d'ajouter qu'en dictant à Londres même les conditions de la paix, il aurait rétabli, dans le partage des colonies, l'équilibre que nos anciens droits, l'intérêt de notre commerce, l'accroissement de notre population, ne peuvent toujours laisser subsister avec l'inégalité choquante où il se trouve; enfin, mieux que personne, il pouvait venger l'Europe en faisant restituer à leurs légitimes possesseurs, les boulevards tels que Malte, ou Gibraltar, que les Anglais, à la honte des nations, ont usurpés sur toutes les mers, qu'ils ne doivent pas toujours conserver et qui ne peuvent être reconquis que dans le cœur même de leur patrie. Ces succès étaient plus utiles, plus glorieux, plus certains que ceux que Napoléon a recherchés, par lesquels il s'est élevé, il est vrai, au premier rang parmi les guerriers, mais dont les suites lui ont été si fatales, et ont amené la double invasion de l'Europe sur le territoire français.

Cette gloire n'était pas réservée à Napoléon, ni celle plus grande encore, d'établir, au dedans, des institutions que les esprits éclairés préféreront toujours à des conquêtes au dehors. Or, ces institutions, bien mieux que des victoires, auraient servi ses projets de souveraineté, qu'elles seules, si la chose était possible, pouvaient consolider. Ses destinées s'accomplirent donc, cette belle occasion d'affranchir le continent fut perdue; et ces vérités sur la force navale, il fut conduit à les reconnaître plus tard, lorsque dans les jours de son agonie politique à Rochefort, et quelques moments avant de monter sur les vaisseaux anglais qui allaient l'éloigner de la France à jamais, il s'écria avec amertume: «Je n'ai point assez fait pour la marine!» Ce regret, dans un instant si solennel, démontre, sans réplique, l'évidence de ces mêmes vérités.

À la série, sans exemple, de guerres continentales que l'or, la politique et les ruses des Anglais nous suscitèrent, d'abord pour faire diversion à la descente, et ensuite pour effectuer la ruine de leur ennemi, Napoléon répondit par un système inouï d'envahissement qui fit briller nos armes de l'éclat le plus vif, mais qui troubla le monde entier pendant dix ans. Tout à ses projets nouveaux, il abandonna peu à peu la flottille de Boulogne, et elle se trouvait n'être plus qu'un simulacre, quand M. le baron de Bonnefoux, dont les talents demandaient un théâtre plus élevé, fut déplacé et nommé préfet maritime du Ve arrondissement, qui s'étend de l'embouchure de la Loire à celle de l'Adour, et dont le chef-lieu est Rochefort, l'un des grands ports militaires de la France.

Le jour de son départ fut un jour de deuil, ce qui fut prouvé par une déclaration libre, spontanée, unanime et publique du Conseil municipal de la ville de Boulogne; les termes honorables en furent imprimés, répandus à un grand nombre d'exemplaires, et reproduits sur papier, sur soie, et sur le parchemin de féodale mémoire qui redevint, à cette occasion, un titre de noblesse bien flatteur.

CHAPITRE III
LA PRÉFECTURE MARITIME DE ROCHEFORT

Sommaire: – Difficultés que rencontre M. de Bonnefoux pour approvisionner l'escadre de la rade de l'île d'Aix pendant une année de disette. – Le pain de fèves, de pois et de blé d'Espagne. – Réformes apportées dans la mouture du blé et la confection du biscuit de mer. – Mise en état des forts et batteries de l'arrondissement. – Ingénieuse façon d'armer un vaisseau d'une façon très prompte. – M. Hubert, ingénieur des constructions navales. – Projet du fort Boyard. – Le port des Sables d'Olonne. – Le naturaliste Lesson. – Travaux d'assainissement et d'embellissement de Rochefort. – Anecdote sur l'hôtel de la préfecture maritime de Rochefort et M. le comte de Vaudreuil, commandant de la marine sous Louis XVI. – M. de Bonnefoux accomplit un tour de force en faisant prendre la passe de Monmusson au vaisseau de 74 le Regulus, destiné à protéger le commerce de Bordeaux en prenant position dans la Gironde. – Invasion du Midi de la France par le duc de Wellington. – Siège de Bayonne. – Bataille de Toulouse. – Occupation de Bordeaux au nom de Louis XVIII. – Résistance du fort de Blaye. – Le fort du Verdon et le vaisseau le Regulus se font sauter. – Reconnaissances poussées par les troupes ennemies jusques à Etioliers sur la route de Bordeaux à Rochefort. – État d'esprit des populations du Midi. – Le duc d'Angoulême à Bordeaux. – Mise en état de défense de Rochefort. – Le Comité de défense décide la démolition de l'hôpital maritime. – M. de Bonnefoux se refuse à exécuter cette décision et prend tout sur lui. – Propos d'un officier général de l'armée de terre. – Attitude du préfet. – Abdication de l'empereur. – La Restauration. – Députation envoyée au duc d'Angoulême à Bordeaux et à l'amiral anglais Penrose. – L'amiral Neale lève le blocus de Rochefort. – M. de Bonnefoux le reçoit. – Anecdote sur deux alévrammes de vin de Constance. – Visite à Rochefort du duc d'Angoulême, grand amiral de France. – Réception qui lui est faite. – Le duc d'Angoulême reçoit le préfet maritime chevalier de Saint-Louis. – Opinion du duc d'Angoulême sur M. de Bonnefoux. – Son désir de le voir appelé au ministère de la Marine.

M. de Bonnefoux se rendit à Rochefort. Il fut là comme partout, dévoué à ses devoirs, affectueux avec les habitants, accessible à ses subordonnés, obligeant pour tous, grand dans ses manières, toujours la providence des malheureux; et il y acquit, encore, cette sorte de popularité qu'il est difficile de perdre, parce qu'elle est fondée sur l'obligeance, la justice et la fermeté.

Il avait à approvisionner une escadre mouillée à l'embouchure de la Charente, dans les eaux de la rade de l'île d'Aix, et il vainquit bien des difficultés pour y parvenir, pendant une année de disette, où la France, étroitement bloquée par mer, éprouvait le fléau de la famine.

Dans cette crise redoutable, il mangeait, lui-même, pour l'exemple, un pain noir de fèves, de pois et de blé d'Espagne dont le pauvre était obligé de se sustenter: Or, chacun savait qu'il s'imposait sévèrement cette nourriture, et qu'il veillait avec attention à ce que le pain blanc ou mêlé de farine de blé fût banni de sa maison, comme devant être réservé pour les malades, les hôpitaux, les vieillards, les femmes et les enfants.

Les exploits retentissants de nos soldats dans les divers États du continent plongèrent nos côtes des deux mers dans un calme profond; mais, attentif à chercher toutes les occasions du bien, M. le baron de Bonnefoux sut, pourtant, en découvrir quelques-unes, et il s'en empara avec bonheur: il ne prévoyait pas, alors, les difficultés qu'il devait rencontrer, par la suite, dans sa nouvelle préfecture, et à quelles anxiétés il y serait livré: ce fut, cependant, l'épreuve où il puisa ses plus beaux titres de renommée, car, sans ces événements, sans l'intérêt magique qui s'attache au nom de Napoléon éternellement lié à ces mêmes événements, la carrière de M. de Bonnefoux ne serait pas embellie de l'héroïsme qu'il eut à déployer dans une situation sans pareille, et dont il traversa les écueils en n'y sacrifiant que sa seule personne. Mais, n'anticipons pas sur l'avenir, et montrons comment le préfet maritime de Rochefort y employa ses premiers moments.

 

Frappé des abus que présentait le système de mouture des blés et de confection du biscuit de mer, il surveilla ce service et le fit surveiller par un sous-inspecteur de la marine, très intelligent, avec cette minutieuse attention, avec cet esprit de recherche qui manquent rarement le but, et il présenta bientôt un travail très curieux, d'un résultat fort économique sur cet objet.

Il fit une revue exacte des forts et batteries des côtes et fleuves de l'arrondissement, il vérifia ce qui leur manquait pour être en bon état, et tout ce que le préfet maritime put leur accorder, il le fournit des approvisionnements du port; quant à ce qui était au-dessus de ses ressources, il en donna connaissance au Gouvernement.

Un vaisseau de l'escadre de l'île d'Aix devait être désarmé et remplacé, mais on voulait éviter des lenteurs; c'était là que se surpassait M. de Bonnefoux: le vaisseau à ce destiné se présenta à l'embouchure de la Charente, celui qu'on voulait réparer vint se placer le long de son bord et par un simple transbordement, le même capitaine, le même état-major et le même équipage retournèrent presque aussitôt prendre leur poste en rade, avec ce nouveau vaisseau parfaitement en état: comme les savants mécaniciens, c'était écarter habilement les obstacles qui sont les frottements des machines administratives, et qui, souvent, les empêchent d'agir.

Les finances ne prenaient leur cours vers la marine qu'avec une extrême parcimonie, et un jeune ingénieur des ports, très habile, M. Hubert231, signalait ses débuts par un esprit d'invention qui diminuait considérablement les dépenses sur divers chapitres. M. de Bonnefoux tenait toujours son esprit en haleine, et par des distinctions, des problèmes à résoudre ou des encouragements, il cherchait constamment à rendre ses conceptions encore plus fécondes.

Il fit relever les carcasses des bâtiments échoués ou perdus qui obstruaient l'embouchure ou les mouillages de la Gironde, de la Charente, de l'île d'Aix ou des Sables d'Olonne; ces opérations se firent avec économie, promptitude, et elles présentaient, pourtant, beaucoup de difficultés. Des corps-morts, pour assurer la bonne tenue des bâtiments au mouillage, furent établis en plusieurs points. Le plan de tous les forts, de toutes les batteries fut levé par ses ordres. Le projet du fort Boyard qui devait croiser ses feux avec celui de l'île d'Aix fut achevé, et une carte fort désirée de la rade et du port des Sables d'Olonne, fut également dressée: il attachait beaucoup d'importance à ce petit port, qui a son ouverture au sud; qui est fort difficile à bloquer; dont on peut sortir à la voile avec des vents d'ouest, et qui, par cet avantage unique parmi nos ports sur l'Océan, donne aux corsaires de grandes chances de succès.

Portant partout son esprit d'ordre, de vigilance, d'amélioration, il rendit le service facile; il le débarrassa d'entraves inutiles; il adoucit la police et le régime des bagnes; il créa, dans l'arsenal, des établissements dès longtemps désirés; il y déblaya, dessécha, nettoya ce qui, dans le ressort de son autorité, pouvait nuire à l'assainissement tant recherché de la contrée; il fit des plantations pour y contribuer, et toujours en employant les économies que lui fournissait sa manière d'administrer, et, sans être à charge au Trésor, il enrichit l'Enclos Botanique, où il remarqua souvent et stimula le jeune Lesson232 dont le savoir est aujourd'hui connu dans toutes les parties du monde; il fit cultiver le terrain qui avoisine cet enclos, et il ajouta de nouveaux embellissements au jardin de la Préfecture qu'il laissa, le premier, ouvert au public, dans l'été, jusqu'à dix ou onze heures du soir, afin d'y attirer l'élite de la société. Ce jardin renferme un parterre, situé sous la façade nord de l'hôtel de la Préfecture dont il est séparé par une belle et large terrasse; sur d'assez grandes dimensions, il est bordé d'allées, de massifs qui rappellent les royales Tuileries: il est, en un mot, ravissant de fraîcheur, et, s'il y manquait alors quelque chose, c'était seulement un jet d'eau233: encore le bassin avait-il été creusé, garni provisoirement de gazon; et tout avait été préparé pour lui donner cet ornement quand les tristes scènes que j'aurai à rapporter vinrent détruire ce riant projet234.

Ce fut encore pendant le commandement de M. Bonnefoux à Rochefort, que le commerce maritime de Bordeaux étant fréquemment inquiété, le ministre désira faire mouiller un vaisseau de soixante-quatorze canons au milieu de l'embouchure de la Gironde, afin d'en interdire l'accès aux croiseurs ennemis. Mais d'où faire sortir ce vaisseau, et comment traverser le blocus? Le préfet maritime s'en chargea; il exécuta ce qui ne s'était jamais fait, ce qu'on n'espérait pas, ce qu'on ne tentera plus désormais; il fit armer le Regulus, et il le fit filer, entre la côte d'Arvert et l'île d'Oléron, par la passe de Monmusson qui est l'effroi des marins. Le Regulus arriva sain et sauf, Bordeaux le salua de ses acclamations, et les Anglais en furent comme stupéfaits.

Tout à sa famille, comme à ses devoirs, il apprit, à peu près vers cette époque, que son frère aîné, ruiné par l'émigration, avait un besoin pressant d'une assez forte somme d'argent comptant. Cet infortuné n'avait plus pour propriété qu'une modeste habitation sauvée du naufrage par M. de Cazenove235, son neveu, aimable et bon jeune homme, lié par le talent avec un de nos premiers poètes236 et qui lui avait restitué ce mince débris. Il pensait peut-être à se défaire de ce reste d'héritage cher à son cœur; mais son frère, le préfet, est instruit de sa position, soudain, il rassemble quelques économies, il vend une magnifique calèche, des chevaux, une partie de son argenterie: et il envoie à son frère le bonheur et le repos! C'est ainsi que chez lui, le bien faire et la bienfaisance n'étaient jamais séparés.

Cependant, l'horizon politique s'était rembruni; une ambition exagérée avait irrité peuples et souverains; nos ennemis étaient, non plus la simple coalition de gouvernements, irrésolus, mais l'union terrible de nations exaspérées: le despotisme le plus complet pesait sur la France; les glaces de la Russie et l'imprudence d'un homme avaient détruit notre plus belle armée; la fortune et la victoire ne nous souriaient plus, ne se montraient plus à nous qu'à de rares intervalles, et l'Espagne avait porté sur le sol de la France, le duc de Wellington qui, il est juste de le remarquer, y fit preuve, comme partout, d'une rare circonspection et de beaucoup d'humanité. Le duc voulut attaquer Bayonne, qui dépendait de l'arrondissement maritime de Rochefort. La ville, loyalement défendue par une vaillante garnison, lui fit bientôt changer de projet. Il se dirigea alors vers Toulouse, où il rencontra l'énergie militaire du maréchal Soult, et il envoya jusqu'à Bordeaux, un détachement de troupes anglaises qui devaient y être reçues et qui en prirent possession! Il est vrai qu'ostensiblement, ce fut au nom de Louis XVIII, prétendant, comme l'aîné des Bourbons, au trône français, et à qui la patrie allait enfin devoir la paix et l'aurore du régime constitutionnel.

Le fort de Blaye n'imita pas cet exemple, et n'ouvrit pas ses portes; celui du Verdon situé sur la rive gauche, vers l'embouchure de la Gironde, craignant d'être pris par le revers, se fit sauter et il en fut de même du vaisseau le Regulus: ainsi, les Anglais furent, à peu près, les maîtres de la navigation du fleuve, et ils poussèrent même, avec facilité, leurs reconnaissances jusqu'à Etioliers, petite ville placée sur la route de Bordeaux à Rochefort.

On voyait, en général, dans le Midi, les populations, fatiguées de guerres interminables dont elles ne comprenaient pas le but, aller, pour ainsi dire, au-devant de la conquête, tandis que les troupes, les garnisons et les généraux, animés de cette soumission militaire qui est le cachet de leur honneur, opposaient partout la résistance la plus opiniâtre; mais leurs efforts devaient être infructueux.

Nous vîmes encore, alors, de combien d'appuis manque un gouvernement, même fondé par la victoire, lorsqu'il ne possède pas ou qu'il n'a pas conservé la sanction de l'opinion. Le duc d'Angoulême, neveu de Louis XVIII et de Louis XVI, avait paru en France avec Wellington, et il avait fait son entrée à Bordeaux. Son nom, sa personne, étaient oubliés ou même inconnus en France; cependant la correspondance de la préfecture dénota, à cet égard, les alarmes les plus vives de la part du ministère; des ordres y étaient donnés pour éviter que la nouvelle de l'arrivée d'un Bourbon ne se propageât, l'on désirait même qu'elle fût ridiculisée ou contredite; mais M. de Bonnefoux savait trop bien qu'une dénégation, qu'une controverse ne pouvait que donner plus d'importance à un tel fait; et, comme on s'en rapportait à son jugement pour ce dernier objet, il ne voulut rien hasarder sur ce point, et il se contenta de faire parvenir à Paris, sous trois enveloppes, suivant ses instructions, les gazettes, les écrits, les brochures, les proclamations, les pamphlets, les lettres dont les Anglais inondaient le pays; il cherchait, de tout son pouvoir, à les dérober à la connaissance publique, et il se les faisait traduire, dans le silence le plus profond de la nuit, avant de les expédier. Cependant il se prépara à une vigoureuse résistance.

L'occupation de Bordeaux, la destruction du fort du Verdon, les croisières anglaises augmentées, les nouvelles d'Etioliers, l'équipage du Regulus qui se replia sur Rochefort, tout annonçait une crise peu commune: malheureusement, nos ports sont, en général, peu défendus du côté de la terre, et Rochefort n'est enveloppé que d'une faible chemise, mais tout prit, en peu de temps, un aspect militaire. Administrateurs, élèves en médecine, commis, ouvriers, tout fut fait soldat et exercé; les remparts furent hérissés de canons, sur affûts marins, des fossés, des canaux, des ouvrages avancés furent creusés ou établis; des batteries nouvelles couronnèrent toutes les hauteurs et Rochefort pouvait défier un corps d'armée assez considérable, lorsque les nouvelles annoncèrent que ce port allait être attaqué237.

Il fut, alors, prétendu dans le comité de défense, que l'hôpital de la Marine, situé hors des remparts, et qui domine la place au nord-ouest, pourrait, en cas de siège, servir aux ennemis pour incommoder considérablement la ville; la chose étant discutée, une forte majorité se porta pour l'affirmative, et elle conclut à la démolition immédiate de cet édifice qui a coûté des millions et vingt ans de travaux238. M. de Bonnefoux ne put entendre sans frémir un pareil projet de destruction; il se rendit au comité, il allégua que ce n'était un parti que de dernière extrémité, et, parlant avec cette forte éloquence de conviction qui enchaîne la réplique, il se chargea de faire évacuer sur-le-champ, malgré mille difficultés qu'il leva toutes, le mobilier, le personnel, les malades et les sœurs, et de faire entourer l'édifice de redoutes, afin d'être en mesure de le pulvériser au besoin. Il fit plus encore, car il en prit toute la responsabilité, et son avis fut adopté239.

Honneur au préfet maritime de Rochefort, pour avoir mis sa gloire à préserver ce superbe établissement, gloire solide, gloire flatteuse, et qui subsistera autant que le monument lui-même, ou que la mémoire des citoyens et la tradition des événements! Ce fut dans ces temps fâcheux qu'on put clairement s'assurer, par l'exemple, que nous allons citer, combien l'homme, dont nous retraçons ici les actions, s'oubliait personnellement, et combien ses vues étaient toujours fixées sur le bien public. Un officier général de l'armée de terre, en service à Rochefort pour son département, et dont l'opinion était contraire aux mesures adoptées, parut goûter quelque plaisir à s'en dédommager en se permettant, sous la réserve d'un double sens, un propos piquant pour le corps de la Marine, en général; le préfet maritime, qui avait pourtant la répartie vive, se contenta de lui répondre avec sagesse en interprétant le propos du bon côté; nous pensâmes que sa préoccupation l'avait empêché de saisir la maligne amphibologie de la phrase; mais il ne manqua pas de dire assez publiquement ensuite: «On me connaît mal, si l'on croit que je vais, en ce moment, faire assaut de pointes et de bons mots; qu'on me laisse sauver l'hôpital, qu'on me laisse assurer la défense de la ville, et ensuite si l'on me cherche, on me trouvera!» Nous crûmes entendre quelques-unes de ces paroles pleines de patriotisme des modèles de l'antiquité.

224Nommé préfet maritime du Ier arrondissement le 20 septembre 1803, M. de Bonnefoux conserva ce titre jusqu'au 15 avril 1812. Par décision du 24 janvier 1804 il reçut en outre celui d'amiral de la flottille, avec ordre d'exercer les fonctions attribuées à l'amiral Bruix.
225La colonne Napoléone fut en outre inaugurée le 15 août 1841. Sur la construction de la flottille de Boulogne on peut consulter P. J. – B. Bertrand, Précis de l'histoire physique, civile et politique de la ville de Boulogne-sur-Mer et de ses environs depuis les Morins jusqu'en 1814. Boulogne-sur-Mer 1828, 1829, 2 volumes in-8o.
226Au nombre des officiers attachés à la personne de M. de Bonnefoux à Boulogne, fut le lieutenant de vaisseau Duperré dont il ne tarda pas à reconnaître le mérite, et dont il voulut se séparer pour le mettre sur la route qui devait le conduire à ses belles actions de l'Île de France et de Santi-Petri! Après ce dernier fait d'armes, M. Duperré fut élevé à la dignité de vice-amiral, et ensuite nommé préfet maritime. On connaît la glorieuse part qu'en 1830, il a prise à la conquête d'Alger, et qui lui a valu la pairie et le bâton de maréchal de France. Il fut ensuite nommé ministre de la Marine en 1834. À son retour d'Alger, M. l'amiral Duperré avait pensé à son ami, et il retarda son retour à Paris et auprès de sa famille, pour aller passer quelques jours à la campagne chez M. de Bonnefoux. (Note de l'auteur.)
227Les fatigues du commandement de la flottille achevèrent d'altérer la santé déjà affaiblie de l'amiral Bruix, qui, un jour, exprima à Napoléon la crainte de ne pouvoir longtemps lui rendre des services. «Mais, lui répondit l'empereur, vous vivrez bien encore six mois; alors la descente sera faite et nous n'aurons plus besoin de vous.» L'Amiral Bruix avait contribué au renversement du Directoire, et ses talents mêmes ou son amabilité parfaite à part, il devait être cher à Napoléon; ainsi, tout dit que ces paroles n'eurent d'autre tort que d'être irréfléchies; mais qu'un souverain doit être circonspect! et l'on en peut juger par le chagrin profond qu'en conçut l'amiral qui succomba peu de temps après. (Note de l'auteur.)
228Légionnaire du 6 février 1804, M. de Bonnefoux fut créé officier de la Légion le 15 juin de la même année.
229Le 15 décembre 1809.
230Le ministre de la Marine demanda familièrement un jour à M. de Bonnefoux ce qui lui était revenu des intérêts qu'il avait pu prendre dans ces opérations; il eut même l'imprudence d'ajouter que l'Empereur serait bien aise de le savoir. M. de Bonnefoux lui répondit aussitôt. «Dites à l'Empereur qu'il ne sait pas plus gouverner que vous ne savez administrer, en laissant en place un homme à qui vous supposez une telle conduite.» Le ministre ne voulant pas se charger de la commission, M. de Bonnefoux ajouta: «Eh bien, voici ma démission, et je vais le lui dire moi-même.» – Il fallut que le ministre prétextât avoir tout pris sur lui dans cette question, pour empêcher la démission et la démarche qui en aurait été la suite. (Note de l'auteur.)
231Jean-Baptiste Hubert, né le 1er mai 1781 à Chauny (Aisne), devenu directeur des constructions navales à Rochefort.
232Lesson-René-Primevère, voyageur et naturaliste français, né à Rochefort le 20 mars 1794, mort en 1849.
233Ce jet d'eau existe actuellement. (Note de l'auteur.)
234M. de Bonnefoux qui, dès sa première jeunesse, avait été attaché comme garde de marine au port de Rochefort, racontait agréablement une petite aventure qui y était arrivée à quelques-uns de ses camarades et à lui. L'entrée du jardin était permise, pendant le jour, sous la surveillance d'un Suisse qui avait un baragouinage fort divertissant, surtout pour des jeunes gens; nos étourdis voulurent s'en procurer la récréation; mais pour ne pas effaroucher le Suisse, le gros de la troupe, se mettant à l'écart, expédia le jeune Bonnefoux qui passait pour le plus espiègle d'entre eux: l'apprenti préfet s'en donnait à cœur joie et le dialogue amusait beaucoup ses camarades, lorsque M. le comte de Vaudreuil, commandant de la Marine, et qui à travers ses jalousies entendait tout de son cabinet, ouvre la porte, traverse la terrasse, cueille une rose, et lui dit très poliment: «Monsieur, vous demandez une rose et je suis heureux de pouvoir vous l'offrir; mais souvenez-vous, si jamais vous occupez cet hôtel, que le roi n'y paie pas un Suisse pour qu'on se moque de lui.» (Note de l'auteur.)
235M. de Cazenove de Pradines. Voyez p. 2.
236M. Ancelot, alors employé à Rochefort dans les bureaux du préfet maritime. (Note de l'auteur.) François Ancelot, l'un des derniers classiques, l'auteur de Louis IX et de Fiesque, naquit au Havre en 1794 et mourut en 1854.
237Voyez la description des préparatifs de défense de la place de Rochefort en 1814 dans J. – E. Viaud et E. – J. Fleury, Histoire de la ville et du port de Rochefort. Rochefort, 1845, t. II, p. 502.
238L'hôpital maritime de Rochefort passe pour un des plus beaux de l'Europe.
239On laissa dans l'hôpital seulement quelques malades dont le transport était impossible, en les confiant aux soins de l'officier de santé Fleury, l'un des auteurs de l'histoire de Rochefort citée plus haut.