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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855

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J'étais vraiment heureux et de mes séjours à Paris et de mes travaux aux commissions du ministère, et de mes fonctions elles-mêmes, qui me faisaient si bien accueillir dans les beaux ports que je visitais toujours avec un plaisir nouveau. Là, je m'efforçais de concilier mes devoirs avec la bienveillance, d'obtenir, par la douceur ou par des questions convenablement posées, la conviction du savoir de mes candidats; de les interroger comme un marin qui en veut mettre d'autres à même de prouver qu'ils connaissent le métier, de forcer ceux mêmes que j'étais obligé de refuser à convenir qu'à eux seuls en était la faute; enfin, de donner à mes examens une tournure propre à éclairer la partie capable de l'auditoire sur la force des examinés, ainsi qu'à propager, chez l'autre partie, la connaissance des bonnes doctrines, des solutions satisfaisantes, et à déraciner les routines, les préjugés qui entravent les progrès de l'art naval.

Je sentis, en outre, la nécessité de ramener tous les idiomes maritimes de nos ports divers à un même étendard grammatical, d'adopter des définitions précises, de signaler les locutions vicieuses; et c'est dans ces mêmes tournées que j'exécutai le projet de composer un Dictionnaire de marine abrégé205, que, cependant, j'enrichis d'une grande quantité de mots nouveaux ou bien oubliés jusqu'alors; et qui, à cet avantage, joignit celui de ne toucher qu'aux définitions; de faire connaître, entre plusieurs mots de signification pareille, celui qui était le plus accrédité, le plus correct; d'élaguer, enfin, tout ce qui tient aux traités, ou qui est trop variable de sa nature, pour figurer dans un livre aussi positif qu'un dictionnaire. Les noms des machines à vapeur furent aussi introduits dans mon livre206, ainsi qu'une traduction en anglais et en espagnol, des termes principaux qui se rattachent à la Marine.

Ces tournées me valurent, enfin, une marque souverainement flatteuse d'estime de quelques-uns de mes compatriotes de l'Hérault.

Peu après les dernières élections pour la Chambre des députés, je me trouvais dans ce département, où, pour s'opposer à un candidat que la majorité ne voulait pas porter, on en nomma un qui accepta seulement par déférence pour l'opinion publique. On en parlait devant moi, lorsqu'un des assistants s'étonna que l'idée ne fût venue à personne de faire choix de moi; d'autres répondirent qu'on y avait pensé, mais que la date du jour des élections était alors trop rapprochée pour qu'on eût le temps de m'écrire à Paris, afin de savoir si je payais le cens. On m'engagea à m'expliquer sur ce point et le premier des assistants, qui avait le plus contribué à faire nommer le député actuel, annonça son dessein, auquel les autres assistants promirent de s'associer, de m'honorer de son suffrage ainsi que de ceux dont il pourrait disposer. Les élections reviendront dans deux ou trois ans; mais mon zélé partisan est mort depuis cette époque, mais l'interruption de mes tournées doit refroidir les esprits; mais enfin, je ne suis plus en règle pour le cens, car ma belle-mère et moi, nous payons, en moins, une assez bonne somme d'impôts, depuis que nous avons quitté nos appartements de Paris, elle pour se retirer à Orly, et moi pour habiter Brest. Une perspective si honorable est donc probablement perdue; mais il m'en restera un excellent souvenir.

De bien gaies, de bien douces, de bien belles années se passèrent ainsi; toutefois, la fin en fut attristée par une banqueroute qui, en nous faisant perdre moitié sur une somme assez considérable, nous enleva cette portion de nos rentes d'où nous tenions le superflu qui rendait notre existence si agréable à Paris.

Depuis assez longtemps, les bureaux m'avaient assuré que le commandant de l'École navale ne désirant pas y prolonger son séjour au-delà de l'année 1835, ils s'étaient promis de me proposer au ministre pour lui succéder; je m'occupais peu de ce projet, parce que je pensais que la détermination de quitter un si beau poste ne s'effectuerait pas avant 1836, et qu'à cette époque j'aurais les douze ans de grade requis pour mon maximum de retraite, mais les choses étaient changées, et je résolus de me mettre sérieusement en avant pour ce commandement s'il venait à vaquer, ou pour tout autre qui pourrait se présenter.

Avant d'aller plus loin, je dois déclarer que, s'il est une chose au monde que je déteste cordialement comme antipathique à mon caractère, c'est le rôle, ou seulement l'apparence du rôle de solliciteur; ainsi, j'avais bien voulu habiter Paris, mais j'aurais été désolé que l'on pût croire que c'était pour demander, intriguer ou me pousser. J'avais donc pris la résolution de me tenir à l'écart ou hors du contact privé de toute autorité; et, tout en paraissant dans les bureaux ou dans le cabinet du ministre, quand mon devoir m'en imposait la nécessité comme examinateur ou comme membre rapporteur ou président de quelque commission, je m'abstins, pendant ma longue résidence à Paris, de me montrer une seule fois dans les salons, soit du ministre, soit des officiers généraux qui avaient l'habitude de recevoir. Je ne changeai pas de manière d'agir en présentant mes demandes, je les formulai avec insistance, mais avec dignité; je les appuyai de ma personne ainsi que du suffrage de quelques dignes amis; mais je ne pénétrai ni dans les maisons, ni dans les rendez-vous de l'intrigue, et je m'en rapportai tout à fait à la bonté de ma cause et à l'équité.

Ce fut alors que, connu de quelques capitalistes intéressés dans une entreprise industrielle, je reçus la proposition d'accepter la direction de la compagnie, avec avantages satisfaisants; on voulait même me nommer sur-le-champ: c'était une fausse démarche, car je dépendais du ministère qui pouvait ne pas y consentir. Espérant, toutefois, qu'il ne s'y opposerait pas, je priai ces Messieurs de m'écrire pour me faire une offre officielle, et je leur dis que cette lettre me suffirait pour agir auprès du ministre. Cet avis étant adopté, une lettre signée par l'unanimité des intéressés me fut adressée; j'allai prier le ministre de me permettre d'accepter; et, comme nous étions en 1835, et que mes douze ans de grade n'expiraient qu'en 1836, de m'accorder, pendant cet intervalle, un congé avec demi-solde ou même sans solde. L'affaire traîna quelques jours pendant lesquels on me donnait des espérances; mais des informations étant venues du ministère de la Guerre, où l'on en avait pris pour savoir s'il existait des cas analogues, ces informations détruisirent ces espérances, et ma demande fut rejetée. J'en fus contrarié, car cette occupation me plaisait: c'était, pour mes vieux jours, une position douce, de l'activité sans fatigue, une installation fixe, et je restais à Paris.

Je revins alors à mes demandes d'embarquement; mais le commandant de l'École navale faisant, réellement, connaître qu'il désirait être remplacé, je fus nommé à ce commandement, et l'amiral Duperré, qui était ministre, eut la bonté de me dire que j'aurais pu me dispenser d'en faire la demande, car ni lui ni personne dans les bureaux ne pensait à un autre choix. Le grade de capitaine de vaisseau vint en même temps, et naturellement, je pensai à M. de Chabrol de qui je le tenais en quelque sorte; aussi, lui écrivis-je pour lui faire connaître ma nomination et pour lui renouveler tous mes sentiments de reconnaissance. Lors de la publication de mon dictionnaire, j'avais également saisi cette occasion de lui adresser une lettre qui accompagnait un exemplaire de cet ouvrage dont je le priais de vouloir bien accepter l'hommage. En cette circonstance, je lui parlai, non seulement de mon dévouement à sa personne, mais encore de mon respect pour son administration comme ministre de la Marine, pendant laquelle les intérêts de l'arme avaient été soutenus avec chaleur, la justice universellement observée, et plusieurs mesures très utiles introduites. C'était l'expression de la vérité, et le cri de la gratitude.

Une année presque entière s'est écoulée depuis que j'ai été nommé au commandement que j'occupe, et j'ai eu bien des embarras de service, de voyage, d'emménagement, d'affaires, de déplacements.

Mais tout est fini, l'École va bien, nous sommes bien casés; il n'y a donc plus rien à désirer, si ce n'est que cet état de choses continue; et, surtout, que les inquiétudes que je ne puis m'empêcher d'avoir sur ton admission207, soient entièrement dissipées. Ceci s'éclaircira bientôt, et j'attends, je t'assure, cette solution avec bien de l'impatience.

Ma tâche, alors, serait finie, mon cher fils, car tu seras bientôt majeur, et tu connais toute ma vie. Puissent mes récits contribuer à te donner quelque expérience, et à graver dans ton âme l'amour du bien, le dévouement à tes devoirs ainsi qu'à ton pays que tu es destiné à servir de ton épée, l'attachement à la famille, et le besoin de te distinguer!

 

C'est par là que tu marcheras ferme dans le sentier de l'honneur, et que tu parviendras à la fin de ta carrière avec l'estime de toi-même et celle des honnêtes gens.

VIE DE MON COUSIN C. DE BONNEFOUX
ANCIEN PRÉFET MARITIME 208

CHAPITRE PREMIER
CARRIÈRE DU BARON DE BONNEFOUX JUSQU'EN 1803

Sommaire: Origine du baron Casimir de Bonnefoux. – Son éducation, sa personne. – Entrée dans la marine. – La guerre de l'Indépendance d'Amérique. – La frégate la Fée. – Campagnes postérieures. – La Révolution. – Émigration des frères de M. de Bonnefoux. – Son incarcération à Brest. – Il est promu capitaine de vaisseau, puis chef de division. – L'amiral Morard de Galle. – Le vaisseau le Terrible. – Séjour de plusieurs années à Marmande. – Voyage à Paris en vue de faire rayer un ami de la liste des émigrés. – L'amiral Bruix, ministre de la Marine. – M. de Bonnefoux est nommé adjudant général du port de Brest. – Son œuvre. – Armement de l'escadre de l'amiral Bruix. – Histoire du vaisseau la Convention, armé en soixante-douze heures. – Le Consulat. – L'organisation des préfectures maritimes. – M. de Caffarelli. – Démarches faites par M. de Bonnefoux pour quitter la marine. – Refus de sa démission par le Premier Consul. – Paroles qu'il prononce à cette occasion. – M. de Bonnefoux est nommé au commandement du vaisseau le Batave. – Offres obligeantes du préfet de Caffarelli. – L'inspection générale des côtes de la Méditerranée donnée à M. de Bonnefoux.

M. le baron Casimir de Bonnefoux209 fit ses études au Collège de Louis-le-Grand; il en sortit pour embrasser la profession de marin, où l'on franchissait alors les premiers grades avec assez de rapidité. Il était né en 1761210, d'une famille de l'Agenais, toute adonnée aux armes depuis le XIVe siècle, et dont l'illustration militaire remonte jusqu'au règne du roi Jean. À partir de cette époque, et sans exception, les Bonnefoux ont constamment servi de leur épée, et depuis l'institution de l'Ordre de Saint-Louis, tous en avaient reçu la décoration, destinée, comme celle de la Légion d'honneur, à servir de véhicule aux grandes actions, mais plus spécialement à récompenser les services guerriers.

Ce jeune officier apporta dans le monde une figure où la santé, la fraîcheur, la finesse et la gaieté s'étaient réunies avec un charme inexprimable. Des contrastes rares s'y faisaient remarquer: ainsi, l'on y voyait une extrême vivacité, et des traits qui eussent fort bien caractérisé la physionomie la moins mobile. La bonté, le désir de plaire, le besoin même d'obliger en étaient l'expression dominante, et nul, cependant, n'eut, à l'occasion, plus de sévérité dans le regard, plus de fermeté dans la manifestation du commandement, plus de force dans cette parole, tout à l'heure si douce et si aimable. Il a conservé des dehors aussi remarquables jusqu'à l'âge le plus avancé. La beauté, selon Platon, est un des plus grands avantages que la nature puisse nous accorder; il en est peu, cependant, dont on doive moins se glorifier. Cet avantage, que M. de Bonnefoux semblait ignorer, contribua sans doute à prévenir bien des personnes en sa faveur, mais s'il gagna toujours le cœur de ses camarades, de ses chefs, ou de ses subordonnés, ce fut aussi par ses qualités morales.

Ses débuts dans la marine211 eurent lieu à l'époque où Louis XVI avait donné à nos flottes une attitude redoutable, qu'il eût été dans l'intérêt de la France de maintenir dans une jalouse intégrité. Il se trouva lié, dès sa jeunesse, avec les Bruix, les de Crès212, et autres esprits vigoureux qui semblaient prévoir leur future élévation et qui s'y préparaient par tous les moyens que leur offraient l'étude, la pratique et le travail. Il fit la guerre de l'Indépendance des États-Unis sur la frégate la Fée213, renommée par les beaux combats qu'elle livra sous le commandement du capitaine Boubée, dont la valeur tenait du prodige, et dont la modestie égalait la valeur.

La paix vint ensuite rendre le calme au monde; mais M. de Bonnefoux continua à s'exercer aux difficultés de son état dans les Antilles, où il commanda un brig de guerre214; et il y avait sept ans qu'il n'avait interrompu ses voyages, lorsque, rentrant en France, il trouva la monarchie renversée et les esprits en délire. Il apprit, en même temps, que ses trois frères, ainsi que plusieurs autres officiers d'infanterie du même nom, avaient tous émigré, et qu'un de ses frères avait péri pendant l'émigration; ces faits étaient plus que suffisants pour éveiller la farouche susceptibilité du gouvernement de la Terreur qui prévalait alors. Il fut incarcéré à Brest; son procès fut commencé par les tribunaux révolutionnaires, et, sans la chute de Robespierre, il aurait probablement porté sa tête sur l'échafaud.

Cependant, l'horreur de cette captivité, la tristesse de ces sombres lieux avaient été adoucies par le tour ingénieux de ses saillies, ainsi que par l'enjouement invincible de son humeur.

Ces malheureux prisonniers parvinrent ainsi à braver leurs tyrans; ils leur montrèrent la plus imposante fermeté, et s'ils attendirent leur sort avec la résignation la plus gaie, ce fut certainement à l'impulsion que donna leur nouveau compagnon d'infortune, et à l'ascendant que parvinrent à acquérir et sa jeune philosophie et son esprit entraînant.

Peu après sa mise en liberté, il fut successivement nommé capitaine de vaisseau, chef de division215, et il eut plusieurs commandements, notamment celui du vaisseau à trois ponts le Terrible216 qui prit la mer portant le pavillon du vice-amiral Morard de Galle217. L'esprit d'insubordination, excité par de folles idées d'égalité absolue, agitait alors toutes les têtes; et les casernes, les vaisseaux présentaient souvent le spectacle de la révolte. Le vice-amiral Thévenard218 qui commandait à Brest, ne se crut jamais aussi certain de réprimer les émeutes, que lorsque M. de Bonnefoux était présent, et, à la mer, rien de sérieux n'éclata jamais à bord du Terrible, grâce à un regard d'autorité qu'on n'osait méconnaître, et qui était soutenu par une fermeté, par un ton de supériorité d'éducation qui seront toujours l'arme la plus sûre d'un officier contre la désobéissance.

 

Cependant les temps s'adoucirent, M. de Bonnefoux obtint de pouvoir se rendre dans sa famille, et, pensant aux circonstances désastreuses qui avaient porté ses frères et ses parents dans les rangs étrangers, il voulut renoncer au service, il espéra qu'on l'oublierait chez lui, et il y goûta, pendant quelques années, les douceurs d'un vrai repos.

Mais une occasion imprévue l'appela à Paris; il s'agissait de faire rayer de la liste des émigrés un de ses amis d'enfance, qui avait tout bravé pour venir incognito dans sa famille.

Les démarches de l'amitié, l'activité du solliciteur, ses manières séduisantes furent suivies du succès; cependant, il avait trouvé au ministère de la Marine, M. de Bruix qui, sentant tout ce que son administration pouvait espérer du concours de son ancien camarade, usa de toute son influence pour le rattacher au service. Toutefois, ayant à combattre ses scrupules, relatifs à l'émigration de ses frères, le ministre ne put le décider à accepter ses offres, qu'en lui promettant de ne l'employer que dans les arsenaux, et il le nomma adjudant général du même vice-amiral Morard de Galle dont il avait été capitaine de pavillon219, et qui, courbé sous le poids d'un grand âge, avait besoin d'un bras énergique pour faire respecter son autorité dans le port de Brest, qu'il commandait.

Presque tous les officiers de l'ancienne marine si formidable de Louis XVI avaient émigré; ils avaient été remplacés, d'une manière improvisée, par des hommes, qu'à de très honorables exceptions près, tout excluait de si brillantes destinées, et qui n'avaient rien de ces liens de corps, de ces sentiments élevés, de cette instruction solide, sans lesquels on prétendrait en vain l'emporter sur les marins anglais. Ces causes avaient principalement occasionné les revers de notre marine pendant la guerre de notre révolution. M. de Bonnefoux le savait; aussi, tous ses soins se portèrent à établir à Brest un véritable aspect militaire, un ordre réparateur, et principalement à encourager les jeunes gens qui s'y précipitaient alors pour se rendre dignes de remplacer les anciens officiers, et qui, depuis, ont paru avec tant de distinction sur tous les points du globe où se montre notre pavillon.

Tous se souviennent encore, avec attendrissement, des bontés de l'adjudant général du port de Brest, de ces jours éloignés et des marques d'intérêt qu'alors ou plus tard, il sut trouver les moyens de leur témoigner220.

Ce fut en 1799 que le ministre Bruix, destiné à commander une armée navale de vingt-cinq vaisseaux de ligne et nombre de frégates ou corvettes, arriva à Brest avec de pleins pouvoirs. Il avait compté sur le zèle de son ami; sa confiance ne fut pas trompée, car les vaisseaux étaient prêts et bien approvisionnés. Il allait parcourir la Méditerranée, porter des secours à Moreau près de Savone; ramener l'armée navale espagnole de Cadix à Brest, et l'on sait avec quels talents militaires et diplomatiques il accomplit cette haute mission, qui assura à la France l'alliance du roi d'Espagne221.

Il fallait à l'amiral Bruix un chef d'état-major habile; il s'en ouvrit à M. de Bonnefoux, et il lui offrit le grade de contre-amiral; mais il ne put surmonter ses mêmes scrupules, «et, d'ailleurs, lui répondit celui-ci, la mer est un théâtre qu'on ne doit jamais quitter sous peine de se trouver bientôt au-dessous de soi-même; et depuis trop longtemps j'ai cru devoir y renoncer».

Le ministre amiral fut plus heureux pour l'armement du vaisseau la Convention: il le vit à peine radoubé dans un des bassins du port, et il regretta de ne l'avoir pas désigné pour être adjoint à son armée. «Pourquoi des regrets, lui dit M. de Bonnefoux, si tu le veux, tu l'auras». «Mais je dois partir sous trois jours.» «Tu l'auras, te dis-je, commande et il sera prêt.» L'amiral donna l'ordre avec l'air du doute, et cet ordre fut exécuté: avant soixante-douze heures, le vaisseau était en pleine mer! De nos jours, dans un état prospère, cette opération tiendrait du prodige; qu'était-elle donc dans ces temps de dénuement presque absolu de munitions, de matelots, d'argent et d'officiers; et, pour que tout fût vraiment extraordinaire dans cet armement précipité, ce vaisseau étonna tous les autres par la supériorité de sa marche.

Mais nous arrivions à ces jours où le deuil profond de la France commençait à se dissiper. Le premier consul encourageait, accueillait tous les projets d'amélioration publique; il lui en fut présenté un bien remarquable pour le département de la marine: celui de l'organisation des préfectures maritimes. M. de Caffarelli222, lieutenant de vaisseau de l'ancienne marine royale, frère de l'intrépide général de ce nom, qui avait succombé si glorieusement sur les bords du Nil, et devenu conseiller d'État, fut l'heureux auteur de ce plan d'ordre, de force et d'économie. Il en fut noblement récompensé; en effet, on présuma que celui qui avait si bien conçu le système l'exécuterait le mieux; et il fut nommé préfet maritime de l'arrondissement qui renfermait le port de Brest dans ses limites étendues.

Cette création admettait, en second, des chefs militaires ou d'état-major et l'on conjectura dans les ports que le Gouvernement penserait à M. de Bonnefoux, mais sa famille, son père, très âgé, l'appelaient auprès d'eux, il se prononça donc clairement sur les bruits qui coururent de sa nomination, il autorisa un de ses amis à se mettre en ligne sans craindre de traverser ses vues; et, quand ce service fut mis en vigueur, il cessa ses fonctions d'adjudant général, et il fit des démarches pour quitter la marine.

Bonaparte ne voulut pas statuer légèrement à son égard, il demanda un rapport sur son compte, et lorsqu'il eut parcouru ce rapport, il répondit qu'il ne voulait pas entendre parler de cette démission: «Donnez à cet officier, dit-il, le commandement du vaisseau le Batave où sera placé le dépôt des élèves de la Marine, qu'il veille sur cette précieuse pépinière, et bientôt nous verrons!»

Le préfet Caffarelli lui annonça cette décision invariable et lui dit obligeamment que son vaisseau ne pourrait l'occuper tout entier, qu'il avait besoin de ses conseils, que pour en profiter plus souvent, il lui faisait préparer un appartement dans son hôtel, et qu'il serait très contrarié s'il était refusé. Le nouveau préfet apporta dans ses fonctions difficiles sa profondeur de vues accoutumée; le port de Brest gagna considérablement par son crédit ou par les soins qu'il lui donna, et s'il arriva que, dans le début, quelques derniers efforts de troubles furent encore tentés par les fauteurs de l'anarchie, la répression fut si absolue et si dédaigneuse qu'on ne les vit plus se renouveler.

Le premier consul n'oublia pas sa promesse: l'inspection générale des côtes de la Méditerranée fut donnée à M. de Bonnefoux223, qui entra dans les détails les plus minutieux. Le compte écrit qu'il rendit de sa longue mission jeta une grande lumière sur des faits importants, ainsi que beaucoup d'éclat sur la capacité de celui qui l'avait rédigé.

205Ce Dictionnaire abrégé de Marine parut en 1834. C'est un volume in-8o de 338 pages.
206Les pages 325 à 337 sont consacrées à ce sujet. Le Dictionnaire abrégé de Marine repose donc déjà sur l'idée qui devait plus tard donner naissance au Dictionnaire de la Marine à voiles et de la Marine à vapeur.
207L'admission de Léon de Bonnefoux aux examens de sortie de l'École de Saint-Cyr.
208Je me borne à rappeler ici que cette Notice, écrite en 1836, du vivant de l'ancien préfet maritime, et qui n'a jamais été publiée, forme le complément naturel des Mémoires. Voyez la Préface.
209Baptiste-François-Casimir de Bonnefoux.
210D'après son acte de baptême, que nous avons eu entre les mains, Casimir de Bonnefoux naquit le 4 mars 1761 à Marmande, de messire Léon de Bonnefoux, écuyer et de dame Catherine de Faget. Il eut pour parrain l'abbé Faget de Cazaux. Son père qui, comme on l'a vu dans les Mémoires, était un officier retiré du service avec la croix de Saint-Louis fut, l'année même de sa naissance, nommé par l'intendant de Bordeaux adjoint à M. Faget de Cazaux subdélégué de Marmande. M. Philippe Tamizey de Larroque relève le fait dans sa Notice sur la ville de Marmande, p. 115. Sous l'ancien régime, le subdélégué était le mandataire de l'intendant, qui le choisissait et le révoquait. Il différait, à cet égard, du sous-préfet actuel.
211Aspirant-garde de la marine à Rochefort le 1er avril 1779, garde de la marine le ler juillet 1780, sa nomination d'enseigne de vaisseau date du 14 septembre 1782.
212Voyez dans les Mémoires les notices consacrées à Bruix et à de Crès.
213Casimir de Bonnefoux navigua d'abord comme garde de marine, puis comme enseigne de vaisseau sur la frégate la Fée, du 11 avril 1782 au 26 décembre 1783. Ce fut à la suite d'un combat dans lequel il s'était distingué que le roi le nomma enseigne de vaisseau le 14 septembre 1782.
214En qualité d'enseigne il servit sur le vaisseau le Réfléchi et sur la frégate la Danaë. Promu lieutenant de vaisseau le 1er mai 1786, il commanda en 1791 l'aviso le Sans-Soucy.
215D'après les États de service de M. de Bonnefoux il fut nommé capitaine de vaisseau le 1er janvier 1793, et chef de division le 20 mars 1796. Son incarcération au château de Brest date de la fin de 1793 ou des premiers jours de 1794. Sa destitution comme noble eut sans doute lieu en même temps que celle de son chef Morard de Galle, c'est-à-dire le 30 novembre 1793 et il fut réintégré dans le corps un peu après lui.
216M. de Bonnefoux commanda le vaisseau le Terrible du 25 mai 1793 au 26 octobre de la même année. En qualité de lieutenant de vaisseau il avait exercé une première fois les fonctions de chef du pavillon du contre-amiral Morard de Galle sur le vaisseau le Républicain, du 6 juillet 1792 au 3 décembre de la même année. Le 10 novembre 1792 (an 1er de la République française), Monge, ministre de la Marine, écrivait la lettre suivante au citoyen Morard de Galle, contre-amiral commandant l'escadre de Brest: «Les bons témoignages que vous me rendez de la conduite et du patriotisme du citoyen Bonnefoux ne peuvent que me donner une bonne opinion de cet officier et me porter à lui procurer une marque de confiance. J'en saisirai l'occasion avec plaisir et je vous prie d'être persuadé que je n'oublierai point tout le bien que vous m'avez dit de lui, je vous invite même à l'assurer de mes dispositions à son égard.» Nous avons eu entre les mains l'original autographe de cette lettre.
217Justin Bonaventure Morard de Galle de la Bayette, né le 30 mars 1741 à Goncelin (Dauphiné) servit successivement sous l'ancien régime dans l'armée de terre et dans l'armée de mer. Il avait pris part d'une façon distinguée à la guerre de l'Indépendance d'Amérique, pendant laquelle il fut blessé deux fois. La Révolution le trouva capitaine de vaisseau et le nomma contre-amiral le 1er janvier 1792, vice-amiral le 1er janvier 1793. Destitué comme noble par mesure de sûreté générale le 30 novembre 1793, réintégré dans la marine le 3 mars 1795, il devint commandant des armes à Brest (chef militaire du port) le 3 avril 1796. Devenu membre du Sénat après le 18 brumaire, le vice-amiral Morard de Galle mourut en 1809. Il avait assisté à quinze combats.
218Antoine-Jean-Marie Thévenard, né à Saint-Malo le 7 décembre 1733, entra en 1745 au service de la Compagnie des Indes et s'éleva successivement de grade en grade jusqu'à celui de capitaine de vaisseau. Entré dans la marine royale en 1770 comme capitaine du port de Lorient il devint capitaine de vaisseau en 1773, chef d'escadre en 1784. La Révolution le nomma ministre de la Marine et des Colonies le 16 mai 1791, puis vice-amiral en 1793. Le vice-amiral Thévenard, après avoir commandé la marine à Brest et à Toulon, devint préfet maritime à Lorient et membre du Sénat. Retraité en 1810, il mourut le 9 février 1815.
219M. de Bonnefoux fut adjudant général au port de Brest du 5 août 1798, au 17 septembre 1800.
220Une note du dossier de M. Casimir de Bonnefoux, contemporaine, semble-t-il, de l'époque où il était adjudant général, au port de Brest résume ainsi l'opinion de ses chefs sur son compte: «De l'honneur, du courage et des moyens.»
221Sur la campagne de l'amiral Bruix, voyez les Mémoires, liv. ii, ch. II.
222Sur Caffarelli, voyez ces Mémoires, p. 87, note 1.
223Son titre officiel fut inspecteur des classes dans le VIe arrondissement maritime.