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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855

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Au moment où les bienveillantes intentions que M. de Chabrol avait bien voulu me manifester allaient se réaliser, un revirement de politique vint renverser le cabinet dont ce ministre faisait partie: alors, non seulement, il ne fut plus question de donner des marques de satisfaction aux chefs ou employés du Collège de Marine; mais la suppression de cet établissement fut méditée, la création de l'École Navale en rade de Brest fut effectuée, et l'on ne voulut accorder que le temps nécessaire pour laisser achever, aux élèves du Collège, les études commencées pendant l'année, et pour nous donner des destinations ou des retraites.

En ce qui me concernait, je reçus un ordre de commandement pour l'Écho qui venait de forcer très glorieusement le golfe de Lépante, et dont le capitaine, promu au grade de capitaine de vaisseau après ce beau fait d'armes, devait, à son retour en France, quitter son bâtiment pour obtenir une position correspondant à son nouveau grade.

Toutefois, mes paquets étaient faits, et j'étais prêt à partir à la première annonce de l'arrivée de l'Écho à Toulon; mais, ce n'était pas sans me trouver froissé de n'être pas avancé d'un pas de plus que lorsque, deux ans auparavant, j'avais été désigné pour commander la Bayadère. Enfin, le jour de quitter Angoulême parut, et je franchissais les portes du Collège, quand une dépêche ministérielle vint me prescrire de rester.

Le lendemain, une lettre officieuse d'un ami, que j'avais dans les bureaux, m'apprit qu'il était décidé que l'établissement d'Angoulême serait érigé en École préparatoire, comme La Flèche l'est pour Saint-Cyr; et que le ministre, ayant l'intention de m'en donner le commandement, m'avait, pour cet objet, dépossédé de l'Écho; l'Ordonnance était, disait-on, à la signature du roi.

Il n'en fut, cependant, pas ainsi, car le gouverneur qui se trouvait à Paris, apprit aussi cette nouvelle, réclama ce commandement qu'on n'avait nullement cru pouvoir lui convenir, tant il le faisait descendre en rang aussi bien qu'en émoluments, et il l'obtint.

J'avoue que j'étais fort peu satisfait, et que mes idées de retraite, revinrent, dans mon esprit, dominantes et fondées; mais, d'un côté, j'avais près de six ans de grade de capitaine de frégate, et, à cette époque, après dix ans, l'on avait droit à la pension de retraite et au rang honorifique du grade supérieur: de l'autre, le ministre m'appelait en termes très obligeants pour me proposer un poste de confiance. Je résolus donc de suspendre mes projets de retraite jusqu'à ce que j'eusse connu quelles étaient les vues que l'on avait sur moi, quitte à mettre ces projets à exécution, si l'on m'imposait des obligations qui ne pussent pas cadrer avec le dessein bien arrêté de n'achever mes dix ans que tout à fait selon ma convenance.

Avant de quitter Angoulême, j'avais été informé que si je voulais demander le gouvernement du Sénégal, je l'obtiendrais facilement. Je n'aurais jamais voulu ni conduire ma famille dans cette sorte d'exil, ni m'en séparer pour le laps de temps que cette mission exigeait, et j'avais répondu que ce serait me désobliger infiniment que de donner une suite sérieuse à cette communication; il n'en fut plus question, et il restait à savoir quelles étaient les vues du ministre. Je les appris bientôt par le nouveau directeur du personnel, qui m'annonça que le ministre avait le désir de me nommer commandant de l'École navale dans un an, époque où le commandant actuel avait exprimé son intention formelle d'être remplacé; qu'alors je serais nommé capitaine de vaisseau; mais, qu'en attendant, il fallait que je servisse dans cette École en qualité de commandant en second. Je commençai par m'étonner que les ministres ne se regardassent pas comme solidaires des promesses de leurs prédécesseurs, et qu'on ajournât à un an ce qui avait été une condition de la prolongation forcée de mon séjour à Angoulême; je fis ensuite remarquer que j'avais été de fait, pendant cinq ans, chef du Collège de Marine, et que me voir ensuite, en sous ordre, semblerait prouver à tous, que je convenais avoir démérité; enfin que, quant à mon avancement, je préférais gagner mes épaulettes de capitaine de vaisseau, à la mer, où j'étais prêt à aller dès que le ministre l'ordonnerait.

CHAPITRE II

Sommaire: Le commencement de l'année 1830. – Situation fâcheuse. – Je suis chargé des tournées d'examen des capitaines de la Marine marchande dans les ports du Midi. – Expédition d'Alger. – Je demande en vain à en faire partie. – La Révolution de 1830. – M. de Gallard. – Je refuse de le remplacer si on le destitue. – Il donne sa démission. – Démarche spontanée des cinq députés de la Charente en ma faveur. – Au ministère on leur apprend que je suis nommé au commandement de l'École préparatoire. – J'arrive à Angoulême avec le dessein de m'y établir d'une façon définitive. – Nouvelle ordonnance sur l'avancement. – Le vice-amiral de Rigny. – Ordonnance qui supprime brutalement l'École préparatoire. – On ne permet même pas aux élèves de finir leur année scolaire. – Offres qui me sont faites à Angoulême. – Je les refuse et je pars pour Paris. – La fièvre législative en 1831. – La loi sur les pensions de retraite de l'armée de terre. – Projet tendant à l'appliquer à l'armée de mer. – Atteinte portée aux intérêts des officiers de marine. – Le Conseil d'Amirauté. – Requête que je lui adresse. – Je fais une démarche auprès de M. de Rigny. – Réponse du ministre. – La fièvre législative me gagne. – Après avoir entendu lire le projet de loi à la Chambre des députés, je me rends chez M. de Chabrol. – Retour sur la vie politique de M. de Chabrol. – M. de Chabrol dans le cabinet Polignac. – Sa destitution. – Les votes de M. de Chabrol comme pair de France après la Révolution de 1830. – Accueil bienveillant que je trouve auprès de lui. – Profond mécontentement de M. de Chabrol en apprenant que, d'après le projet ministériel, le service des officiers qui avaient rempli à terre des fonctions assimilées à l'embarquement ne leur était pas compté. – Copie de la lettre que M. de Chabrol m'écrit séance tenante et de celle qu'il adresse au ministre. – Nouvelle pétition à M. de Rigny. – Entrevue de M. de Chabrol et M. de Rigny à la Chambre des pairs. – Déclaration faite par M. de Chabrol. – Il est alors convenu qu'un des députés, auxquels j'en avais déjà parlé, déposerait un amendement et que M. de Rigny ne le combattrait pas. – L'amendement est adopté. – Mes droits sont reconnus et je suis placé sur la liste des officiers ayant rempli les conditions voulues pour changer de grade. – Le nombre des capitaines de vaisseau est réduit de 110 à 70, celui des capitaines de frégate de 130 à ce même nombre de 70; appréciation de la mesure. – Je suis de nouveau chargé des examens pour les capitaines de la Marine marchande, d'abord dans les ports du Nord, ensuite dans ceux du Midi. – Comment je comprends mes fonctions. – Je compose un Dictionnaire de marine abrégé. – Quelques-uns de mes compatriotes de l'Hérault me proposent une candidature à la Chambre des députés. – Revers financiers. – En 1835, je sollicite le commandement de l'École navale pour le cas où il deviendrait vacant. – Des capitalistes m'offrent la direction d'une entreprise industrielle. – Le ministère refuse de m'accorder jusqu'en 1836 un congé avec demi-solde ou même sans solde, pour me permettre d'achever ma période de douze années de grade. – Je reviens alors à mes demandes d'embarquement, mais le commandant de l'École navale insistant pour être remplacé, je suis nommé capitaine de vaisseau le 7 novembre 1835 et appelé au commandement du vaisseau-école l'Orion. – Paroles aimables que m'adresse à ce propos l'amiral Duperré, ministre de la Marine. – Lettre que j'écris à M. de Chabrol. – Une année de commandement de l'École navale.

Ma position était loin d'être belle, lorsque l'année 1830 s'ouvrit. Mon refus de m'embarquer en second sur le vaisseau l'Orion, ou l'École navale était établie, me laissait fort peu d'espoir qu'on me donnât un commandement à la mer, et il faut le dire, je m'en souciais peu, par la crainte de voir se renouveler l'abandon où l'on m'avait laissé après mes campagnes de la Provençale; je pensais donc à retourner à Rochefort, qui est mon département, comme officier de marine, lorsque j'appris que le capitaine de frégate qui faisait habituellement les tournées d'examen des capitaines de la Marine du commerce dans les ports du Midi, venait d'obtenir un bâtiment; je me présentai pour le remplacer, et je fus nommé. Je crus avoir eu une chance fort heureuse; mais faible portée des conceptions humaines! C'était encore la perte de mon avancement. En effet, un mois après, l'expédition contre Alger fut résolue; tous mes camarades sans emploi y eurent des commandements, et à moi, qui demandai que ma mission me fût retirée, pour faire partie de l'escadre, on répondit, ainsi que d'ailleurs je m'y attendais, qu'il était impossible que l'on mît à ma place un officier qui, dans ce moment, ne pourrait voir cette mesure que comme une marque signalée de mécontentement. Le succès le plus complet, le plus glorieux couronna les armes de la France; il y eut, par suite, dans tous les grades de la marine, des promotions nombreuses autant que méritées, mais pour mon compte, je vis que si j'avais eu le plaisir d'embrasser, pendant ma tournée, nos parents de Béziers, de Marmande, de Rochefort, d'un autre côté, il était certain que la fortune ne paraissait pas disposée à me traiter plus favorablement que par le passé.

Toutefois, j'avais acquis une position très agréable: quatre mois d'examens, par an, dans des contrées ravissantes et amies, et huit mois, à Paris, d'un travail très doux dans les commissions du ministère. C'était, à défaut d'avancement, ce que je pouvais espérer de mieux pour arriver à mes dix ans de grade, afin d'avoir droit à la retraite et au grade honorifique de capitaine de vaisseau. Mais il était dit que cette position ne devait pas durer, quoiqu'elle parût de nature à ne pouvoir être changée que par un miracle; or, ce miracle arriva, et ce fut la Révolution de 1830 qui le fit.

 

Je ne parlerai pas ici des commotions qu'elle occasionna. Il me suffit, en effet, de te dire qu'elle atteignit M. de Gallard, ancien émigré, et de la connaissance particulière de Charles X. Dès les premiers jours de tranquillité, je fus appelé au ministère, où l'on m'informa que j'allais être nommé commandant de l'École préparatoire d'Angoulême, et qu'il était décidé qu'on n'y laisserait pas M. de Gallard. Une destitution de ce chef avec qui j'avais été en rivalité, pour le commandement de l'établissement quand il était devenu école préparatoire, et qu'on aurait pu m'attribuer pour m'approprier son héritage, éveilla ma délicatesse, et elle me sembla une trop mauvaise porte d'entrée pour que je ne déclarasse pas aussitôt qu'à ce prix on ne devait pas compter sur moi. Je demandai qu'on laissât faire au temps, mes raisons furent goûtées; et, comme M. de Gallard ne tarda pas à donner lui-même sa démission, rien ne s'opposa plus à ma nomination, et je partis.

Les cinq députés de la Charente étaient dans les rangs libéraux ou plutôt constitutionnels; ils avaient su que, pendant mon séjour à Angoulême, l'esprit fanatique de la Restauration avait introduit, dans le Collège, des exigences ultra-religieuses dont j'avais toujours repoussé, pour moi, mais avec décence, dans des formes polies, sans troubler l'harmonie de l'établissement, tout ce qui blessait mon for intérieur ou attaquait ma conscience. Dans d'autres circonstances, ces Messieurs avaient connu mon opinion sur plusieurs questions vitales, qu'un gouvernement, qui ne voyait pas que l'opposition constitutionnelle est un instrument de consolidation aussi bien que de perfectionnement, ne pouvait pas comprendre: aussi, ces cinq députés se transportèrent-ils, spontanément, au ministère de la Marine pour demander que je fusse nommé chef de l'École où ils m'avaient connu; leur satisfaction fut grande, quand ils apprirent que c'était à moi qu'on avait pensé. La ville d'Angoulême honora ma nomination d'une semblable approbation; et la musique de la garde nationale voulut bien s'établir, en quelque sorte, l'interprète de la satisfaction publique, en venant le jour même de mon arrivée, fêter mon installation.

Je m'établis à Angoulême, et je pensai même à m'y établir pour toujours, car une ordonnance sur l'avancement parut bientôt qui révoqua toutes les précédentes, et qui, au mépris des droits acquis, des services rendus, des promesses faites, ne permit plus de compter, pour arriver d'un grade à un autre, que le temps rigoureusement passé à la mer. Ce fut M. le vice-amiral de Rigny qui provoqua cette ordonnance; et, sans vouloir affaiblir ici les services qu'il a rendus comme militaire, il doit être permis de dire que son trop long passage au ministère de la Marine n'y fut guère marqué que par des actes désavantageux à l'organisation et au personnel du corps, à la tête duquel il se trouvait placé. Il fallait donc renoncer à me trouver dans aucune promotion, et me contenter de ma position qui, sous beaucoup d'autres rapports, il est vrai, était très satisfaisante.

Angoulême est un très beau pays où nous étions parfaitement bien. Je conçus donc le dessein, non seulement d'y rester tant qu'on y serait content de mes services comme chef de l'École, mais encore d'y passer mes vieux jours. Dans ce but, je résolus de faire l'acquisition d'une jolie maison de campagne entourée de quelques champs, qui se trouvait en vente, et de placer ainsi les capitaux de ma femme, dont une grande partie, plus tard, hélas!.. J'entrai en marché pour cette terre; je vis même une jolie voiture que je voulais acheter en même temps. Vains projets, démarches inutiles! Une ordonnance aussi bizarre, aussi brutale qu'imprévue vint supprimer l'École que je commandais, sans même donner aux élèves, dont quelques-uns venaient, tout récemment, d'être admis parmi nous, le temps de finir leurs classes ou leurs cours de l'année. Je reçus l'ordre de rendre l'établissement à un commissaire de la Marine qui fut si émerveillé de la beauté, de la tenue de l'édifice que je lui remettais, qu'il prétendit qu'il avait plutôt l'apparence d'être disposé pour recevoir des élèves, que pour les voir partir. Enfin, je quittai Angoulême pour toujours, et je me rendis à Paris en congé.

J'avais, cependant, été vivement sollicité de rester; plusieurs personnes notables de la ville, sentant la perte et le vide que la suppression d'un aussi bel établissement allait occasionner chez eux, conçurent le projet de l'utiliser en y organisant une grande école, dans le même genre, mais plus belle encore, que celles de Vendôme, de Sorrèze ou de Pont-le-Voy; la commune aurait donné à ces mêmes personnes, comme elle l'avait fait au département de la Marine, la jouissance du local; et de leur côté, elles auraient fait tous les frais d'installation; mais ces Messieurs voulaient, avant tout, que je consentisse à rester à la tête de la maison. C'était extrêmement flatteur, cependant il aurait fallu prendre ma retraite, avant d'avoir mes dix ans de grade, il aurait fallu me mettre, en quelque sorte, en tutelle, sous la surveillance, sous l'autorité même de conseils ou d'inspecteurs délégués par la ville; et comme c'est chose souverainement déplaisante à qui, pendant toute sa vie, a porté l'habit militaire et n'a obéi qu'à des injonctions militaires, je me confondis en remerciements, et je refusai.

Lorsque j'arrivai à Paris, en 1831, une fièvre législative s'était emparée de tous les esprits; on voulait tout refaire, tout régler, tout remettre en question, et la Marine ne restait pas en arrière. Une des lois qui parurent alors améliorait les pensions de retraite de l'armée de terre. On nous l'appliqua; mais elle fut fâcheuse pour nous, car nous y perdîmes le grade honorifique supérieur et la pension de ce grade, après dix ans d'exercice; et, au lieu de ces dix ans, on en exigea douze pour atteindre le nouveau maximum qui, pour nous, est sensiblement inférieur à l'ancien. Cette loi fut un bienfait pour l'Infanterie; mais elle lésa considérablement les corps spéciaux, dits royaux.

Quant à moi, je me vis, en outre, forcé d'ajourner au 4 août 1836 les projets de retraite que je méditais pour le 4 août 1834. L'avancement fut également soumis à la sanction des trois Pouvoirs. L'occasion me parut favorable pour faire valoir mes droits méconnus dans l'ordonnance précédente. Comme les projets de loi sur la Marine sont ordinairement discutés en Conseil d'Amirauté avant de passer à celui des ministres, je fis parvenir une requête au premier de ces Conseils pour demander que les anciens titres fussent réservés, et pour que le service des officiers qui avaient rempli, à terre, des fonctions assimilées à l'embarquement leur fût compté, quant au temps passé, suivant la teneur des ordonnances sous l'empire desquelles ces officiers avaient exercé ces fonctions.

L'Amirauté me répondit qu'elle venait de se dessaisir du projet de loi, qu'elle l'avait approuvé sans modifications importantes, et que le ministre ou le Conseil des Ministres, seuls, pouvaient en ce moment faire droit à ma réclamation.

Je m'adressai aussitôt à M. de Rigny, qui me répondit à son tour, que le Conseil des Ministres avait reconnu le projet bon, qu'on ne pouvait pas revenir sur une semblable décision, et que, très probablement, la loi serait portée à la Chambre des députés, telle qu'elle avait été approuvée par le Conseil d'Amirauté.

Ces réponses défavorables, qui consacraient une injustice manifeste, me blessèrent au dernier point. La fièvre législative me gagna à mon tour, et je résolus d'intervenir, non pas directement, puisque je n'avais pas accès à la tribune, mais par les journaux dans lesquels je fis insérer plusieurs articles préparatoires, et par l'influence de plusieurs députés que je vis, et qui eurent bientôt, à cet égard, la même manière de voir que moi.

Je devins ensuite l'habitué fidèle des séances de la Chambre, afin d'y voir paraître la loi dès qu'elle y serait présentée, car j'en voulais promptement bien connaître les détails pour agir sans retard, avec pleine connaissance de cause. Je n'eus pas longtemps à attendre. J'en entendis lire tous les articles et, quand je fus bien assuré que la disposition à laquelle je tenais n'y était pas renfermée, je quittai la salle des séances, et je me rendis chez M. de Chabrol pour lui raconter mes doléances.

Ce digne homme venait de voir passer des jours bien pénibles pour lui. Il avait fait partie du dernier cabinet de Charles X, en qualité de ministre des Finances. Le roi lui-même l'avait amicalement pressé d'approuver les fameuses ordonnances qui amenèrent la révolution de 1830. M. de Chabrol, qui en avait compris la portée, s'y était noblement refusé; il offrit même sa démission, mais le monarque qui tenait à voir ces ordonnances contresignées par un homme aussi honorable, n'avait pas accepté cette démission, et il avait chargé M. de Polignac, président du Conseil, de tâcher d'ébranler la résolution de M. de Chabrol. Toutefois le sage ministre des Finances persista dans ses refus. Des instances nouvelles furent faites; ce fut alors que le ferme opposant prononça ces paroles qui peignent la plus belle âme, alliée à la plus profonde connaissance des affaires de l'époque. «Jusqu'ici j'avais offert ma démission comme moyen de conciliation; mais, puisque je découvre, plus que jamais, dans quelle voie fâcheuse on veut entrer, je reprends l'offre, qui n'a pas été acceptée. Il faudra donc me destituer; mais, pour en venir à une pareille extrémité, on y regardera peut-être à deux fois. Puissent des réflexions salutaires arrêter, alors, ceux qui s'attachent à la perte de leur souverain! Je n'ai plus que ce moyen de leur ouvrir les yeux, et je désire du fond du cœur qu'ils voient l'abîme qu'ils creusent sous leurs pas.» Rien ne fut écouté. M. de Chabrol fut destitué, et la Révolution eut lieu!

Ce n'était pas tout, car une de ces crises qu'engendrent toujours les révolutions, même les plus pures, venait en outre de se passer sous les yeux mêmes de M. de Chabrol qui, par sa position précédente de ministre, devait en être péniblement affecté. L'exaltation des esprits demandait les têtes de quatre de ses anciens collègues, ex-ministres de Charles X, qui n'avaient pas eu le bonheur de réussir à quitter la France; et la Chambre des Pairs, dont M. de Chabrol faisait partie, était appelée à les juger. Casimir Périer, illustre Président du Conseil d'alors, et les Pairs, montrèrent en cette cruelle circonstance le caractère le plus ferme. La justice ne se laissa pas intimider, et prononça le seul arrêt que l'humanité pût avouer, au mépris des plus sanglantes émeutes et des plus menaçantes vociférations.

Enfin la loi sur l'hérédité de la Pairie, qu'on voulait abolir, quoique, seule, elle puisse donner une indépendance complète à cette branche du pouvoir, et la dégager de la sphère d'action de l'influence ministérielle, avait ensuite été mise en discussion. M. de Chabrol avait des vues trop saines, trop élevées, pour ne pas tenir à l'hérédité; mais il est des moments où des résistances mal calculées excitent des passions déjà exaltées, et n'amènent que de fâcheuses complications. L'adversaire énergique des ordonnances était devenu le votant réfléchi de la perte d'un privilège aussi brillant que fécond en beaux résultats, et ainsi il se trouvait, toujours par la passion de ses devoirs et du bien public, tantôt l'homme de la résistance vis-à-vis du Souverain qu'il aimait personnellement, lorsque ce Souverain se trompait, tantôt le pair impassible, qui, à l'occasion, savait laisser passer les flots populaires et leur dangereux torrent.

Je savais tout cela; c'en était plus qu'il n'en fallait pour me faire craindre d'être au moins indiscret, en abordant un homme aussi préoccupé, et que j'allais entretenir d'affaires bien puériles auprès des grandes émotions qui devaient agiter son esprit. Mais il existe quelque chose de si rassurant dans le caractère d'un homme au cœur juste que mes doutes s'effaçaient à mesure que je m'approchais de son hôtel; mes inquiétudes cessèrent quand son concierge m'eût dit qu'il était chez lui toujours disposé à recevoir ceux qui le demandaient, et mes craintes, enfin, s'évanouirent lorsque j'eus revu cet homme si simple et si élevé, et que sa bouche bienveillante eût, sans hésitation, prononcé mon nom; il était absolument surprenant qu'il ne l'eût pas oublié. Tel est le type parfait de l'homme de bien, qu'il sera toujours reconnu, parce qu'il sera toujours le même; toujours accessible, toujours maître de lui et toujours supérieur:

 
«… servetur ad imum
Qualis ab incœpto, et sibi constet!»
 

À mesure que j'expliquais le motif de ma visite, la physionomie de M. de Chabrol passait de la surprise au mécontentement, et, enfin, à une sorte d'indignation, «Ça ne saurait être ainsi, me dit-il dès que j'eus fini; on ne peut se jouer de la sorte ni de moi, ni surtout de vous. Ce qui me reste d'influence va y être employé, et tout de suite. Mais il faut donner à tout ceci une tournure officielle; ainsi approchez-vous de cette table et, sur-le-champ, écrivez-moi le résumé de ce que vous venez de me dire!»

 

Je me mis à l'œuvre, et ce brave homme, qui s'animait de plus en plus par la haine de l'injustice, s'était également assis près de la même table, et comme il savait d'avance quel allait être le contenu de ma lettre, il s'était mis à tracer les deux suivantes, dignes d'être conservées comme monuments de bienveillance et d'équité. La première était à mon adresse, l'autre à celle de M. de Rigny; mais il me fut permis d'en prendre copie avant qu'elle fût cachetée.

«J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, et je m'empresse d'y répondre.

C'est avec plaisir que je déclare que lorsque vous me demandâtes à quitter les fonctions de sous-gouverneur du Collège d'Angoulême pour prendre du service à la mer, je n'eus, en vous ordonnant de continuer vos fonctions, d'autre but que de faire tourner au profit de l'établissement des services que je considérais comme fort distingués et fort importants. Ce fut, même, pour vous dédommager d'un commandement à la mer, que je trouvai juste de faire assimiler vos services du Collège Royal de Marine à ceux de la mer.

Au surplus, ceci est une affaire de bonne foi qui ne peut être interprétée contre un officier qui, en obéissant, doit trouver toute garantie dans les ordres qu'il reçoit et dans les dépêches qui émanent du Ministère; et si le portefeuille de la Marine était resté, quelque temps encore, entre mes mains, j'aurais prié le roi de vous récompenser par le grade de capitaine de vaisseau, du sacrifice que j'exigeais de vous. Agréez, etc.»

«Monsieur le Ministre, j'ai reçu, aujourd'hui, une réclamation de M. de Bonnefoux relative à ses services à Angoulême. Il est certain qu'en imposant à cet officier, qui demandait à aller à la mer, l'obligation de continuer ses fonctions au Collège de la Marine, j'entendis, en le plaçant dans le régime de l'ordonnance du 4 août 1824, que ses services seraient assimilés à ceux de la mer pour son avancement, et les ordres qu'il reçut n'avaient que ce juste but. Je recommande donc ce capitaine de frégate à votre justice, et je lui réponds dans le sens de la présente lettre. J'ai l'honneur, etc.»

J'adressai une nouvelle pétition à M. de Rigny, et je ne manquai pas d'y insérer une copie de la première de ces deux lettres, la seconde lui fut envoyée par M. de Chabrol. Il se passa quelques jours sans que j'entendisse parler de la suite de cette affaire; un billet, cependant, de M. de Chabrol m'arriva; sur son invitation, je me rendis chez lui et j'appris que M. de Rigny ne lui avait pas répondu par écrit, mais qu'ayant été rencontré par lui à la Chambre des Pairs et interrogé à cet égard, il lui avait répondu qu'il trouvait plus convenable d'en causer avec lui, à la première occasion, que d'en faire l'objet d'une correspondance; mais qu'au résumé, les choses étaient trop avancées pour qu'il crût qu'il existât un remède possible. M. de Chabrol qui pensait qu'il n'était jamais trop tard pour réparer une injustice, lui dit qu'il ne pouvait être de cet avis, et qu'il croyait devoir l'avertir que si la loi ne consacrait pas mes services et ceux des officiers qui étaient dans des positions analogues à la mienne, il y proposerait un amendement quand elle serait discutée à la Chambre des Pairs; qu'il avait tout lieu d'espérer que cet amendement serait adopté, qu'alors la loi reviendrait à la Chambre des députés, et qu'il était bien préférable d'introduire aussitôt cet amendement.

Après avoir discuté le fait assez longuement, mon protecteur ne changea pas d'avis, et cet avis prévalut. Il fut donc convenu qu'un des députés, à qui j'avais déjà parlé, présenterait l'amendement lors de la discussion de la loi, et que M. de Rigny ne le combattrait pas. Ce fut effectivement la tournure que cette affaire prit. La disposition convenue et rédigée par moi fut proposée aux votes de la Chambre, adoptée par elle, insérée dans la loi comme un de ses articles; mes droits furent reconnus, garantis; je fus placé sur la liste des officiers qui avaient rempli les conditions voulues pour changer de grade; et j'eus la satisfaction, non seulement de rentrer dans ces droits, mais encore d'y rentrer par l'appui persévérant de l'honnête homme qui épousa ma cause, comme si elle lui eût été personnelle, et dont je ne pus trop admirer la droiture et l'équité.

Il ne fallait pourtant rien moins que le succès pour compenser toutes les démarches, courses, lettres, visites, explications, écrits que cette affaire nécessita; enfin, je réussis et je me consolai de tout; mais il est réellement difficile d'être plus tiraillé, ballotté, contrarié que je ne l'avais été pendant cette affaire et, en général, depuis deux ans.

Il ne suffisait pas, cependant, que mes droits fussent reconnus et que je fusse placé sur la liste des officiers qui avaient rempli les conditions; car, pour profiter de cet avantage, il fallait de la place, ou des vacances dans le cadre des capitaines de vaisseau; et comme, en outre, toutes les nominations à ce grade sont au choix du roi et aucune à l'ancienneté, et que je n'étais pas du nombre des favorisés, il y avait tout lieu de penser, que je n'avais, au moins pour bien longtemps, obtenu qu'un avantage chimérique.

Le ministre de la Marine avait, en effet, cédé aux Chambres sur tous les points; et, sous prétexte qu'il y avait plus d'officiers en activité qu'il n'était rigoureusement nécessaire pour le service de paix, les capitaines de vaisseau avaient été réduits de 110 à 70, et les capitaines de frégate de 130 à ce même nombre de 70. Rien n'est funeste comme ces mesures violentes qui font placer à la retraite, avant le temps, des officiers pleins de zèle et d'ardeur qui ont bien servi; rien n'est mal calculé comme de limiter les cadres aux besoins stricts du service, tandis qu'il est si évident qu'il faut laisser de l'espérance à ceux qui peuvent se distinguer, et que l'émulation ne s'entretient qu'autant qu'elle a le véhicule de la récompense et de l'avancement.

Aucun ministre, jusque-là, n'avait autant transigé avec les Chambres; tous avaient, à la tribune, soutenu les intérêts du corps; aussi, la marine entière s'étonna-t-elle de voir celui d'entre eux qui, jusque-là, avait eu, depuis la chute de l'empire, le plus de relations avec les officiers de l'arme, prouver, par une série de mesures fatales, que le ministère n'était pour lui qu'une affaire de calcul et d'ambition. Plus tard, effectivement, il passa au ministère des Affaires étrangères, celui de tous dont le rôle est le plus difficile à soutenir devant les Chambres, et où il se montra peu à la hauteur d'un poste si brillant.

Mais pour en revenir à ce qui me concernait, j'avais réussi; et il me restait à ne pas désespérer que quelque circonstance avantageuse se présentât dans la suite des temps.

Après l'issue des négociations que le consciencieux appui de M. de Chabrol rendit si heureuses, j'appris que l'officier qui était chargé des examens pour les capitaines de la Marine marchande dans la tournée du Nord venait, comme tant d'autres, de subir une retraite prématurée. Je fus invité à demander à le remplacer, je fus nommé et je fis cette tournée; mais, à mon retour, voyant dans les journaux que celui qui examinait dans le Midi avait, après sa tournée, obtenu le commandement d'un bâtiment destiné à prendre la mer, je fis connaître mon désir d'être rétabli dans cette tournée qui était celle que j'avais faite en 1830, et ayant été agréé, je me retrouvai en possession de ces charmants voyages que j'ai, périodiquement, continués tous les ans, aux mêmes époques, aux mêmes lieux, jusque et y compris 1835.