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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855

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CHAPITRE III

Sommaire: – L'avancement des officiers de marine sous la seconde Restauration. – Conditions mises à cet avancement. – Un an de commandement. – En 1820, je suis désigné par le préfet maritime de Rochefort pour présider à l'armement de la corvette de charge, L'Adour qui venait d'être lancée à Bayonne. – En route pour Rochefort. – Le pilote-major. – À Rochefort. – La corvette est désarmée. Il me manque trois mois de commandement. – La frégate l'Antigone désignée pour un voyage dans les mers du Sud. – Je suis attaché à son État-Major. – Je demande un commandement qui me permette de remplir les conditions d'avancement. – Je suis nommé au commandement de la Provençale, et de la station de la Guyane. – Le bâtiment allait être lancé à Bayonne. – Mon brusque départ de Rochefort. – Maladie de ma femme. La fièvre tierce. – Mon arrivée à Bayonne. – Accident qui s'était produit l'année précédente pendant que je commandais l'Adour. – Mes projets en prenant le commandement de la Provençale, mes Séances nautiques ou Traité du vaisseau à la mer. – Le Traité du vaisseau dans le port que je devais plus tard publier pour les élèves du collège de Marine. – La Barre de Bayonne. – Tempête dans le fond du golfe de Gascogne. – Naufrage de quatre navires. Avaries de la Provençale. – Relâche à Ténériffe. – Traversée très belle de Ténériffe à la Guyane en dix-sept jours. – Mes observations astronomiques. – M. de Laussat, gouverneur de la Guyane. – Je lui montre mes instructions. – Mission à la Mana, à la frontière ouest de la côte de la Guyane. – Je rapporte un plan de la rade, de la côte, de la rivière de la Mana. – Conflit avec le gouverneur à propos d'une punition que j'inflige à un homme de mon bord. – Lettre que je lui écris. – Invitation à dîner. – Mission aux îles du Salut en vue de surveiller des Négriers. – Sondes et relèvements autour des îles du Salut. – Mission à la Martinique, à la Guadeloupe et à Marie-Galande. – La fièvre jaune. – Retour à la Guyane. – Navigation dangereuse au vent de Sainte-Lucie et de la Dominique. – Les Guyanes anglaise et hollandaise. – Surinam, ancienne possession française, abandonnée par légèreté. – Arrivée à Cayenne. – Le nouveau second de La Provençale, M. Louvrier. – Je le mets aux arrêts. – Mon entrevue avec lui dans ma chambre. – Je m'en fais un ami. – Arrivée à Cayenne. – Mission à Notre-Dame de Belem sur l'Amazone. – Les difficultés de la tâche. – Mes travaux hydrographiques. – Le Guide pour la navigation de la Guyane que fait imprimer M. de Laussat d'après le résultat de mes recherches. – M. Milius, capitaine de vaisseau, remplace M. de Laussat comme gouverneur de la Guyane. – L'ordre de retour en France. – Je fais réparer la Provençale. – Pendant la durée des réparations, je fréquente la société de Cayenne. —La Provençale met à la voile. – La Guerre d'Espagne. – Je crains que nous ne soyons en guerre avec l'Angleterre. – Précautions prises. – Le phare de l'île d'Oléron. – Le feu de l'île d'Aix. – Le 23 juin 1823, à deux heures du matin, la Provençale jette l'ancre à Rochefort. – Mon rapport au ministre. – Travaux hydrographiques que je joins à ce rapport.

Depuis la seconde Restauration des Bourbons, on avait imposé des conditions de commandement à remplir pour pouvoir être avancé; or, plus ces conditions étaient rigoureuses, moins il y avait de chances d'avancement pour les officiers qui n'étaient pas appuyés par des personnages élevés, puisque ces personnages obtenaient, pour leurs protégés, la presque totalité des commandements. Ceux à qui ils étaient donnés étaient donc les seuls en évidence, les seuls en mesure de prouver leur capacité ou d'en acquérir, les seuls qui pussent facilement remplir ces conditions, lesquelles, par exemple, pour donner des droits à être capitaine de frégate, étaient l'exercice d'un commandement de bâtiment pendant au moins un an. Les réductions avaient, d'ailleurs, été si considérables dans nos cadres, les promotions étaient si peu fréquentes, si limitées, que lors même que des officiers qui n'étaient pas recommandés par des hommes influents arrivaient à avoir rempli les conditions, il était, encore, fort rare qu'ils fussent choisis pour l'avancement. Que pouvais-je faire en pareille situation? me résigner; penser qu'ayant été précédemment dans la catégorie des officiers favorisés, il était injuste de me plaindre que d'autres profitassent des avantages dont j'avais joui, dont ma captivité ou des événements extraordinaires m'avaient empêché de retirer le plus grand fruit; et tout en attendant l'heure de ma retraite après laquelle je soupirais ardemment, chercher, dans mon intérieur, un bonheur plus doux, plus sûr que celui qui accompagne ordinairement les fatigues de notre état, ou les luttes de l'ambition.

Mon service à la compagnie des élèves de Rochefort, à laquelle j'étais toujours attaché, exigeait trop peu de temps pour que je ne fusse pas constamment libre de me livrer aux soins de votre éducation ou de ma maison. J'avais appris à tourner, je m'étais fait un charmant atelier; je fréquentais un peu le monde avec ma femme; nous voyions grandir nos enfants avec délices; notre économie, notre ordre doublaient notre aisance; nous jouissions de la considération publique, enfin, à tous égards, nous étions dans une des meilleures conditions possibles de félicité.

Cependant, le préfet maritime de Rochefort reçut l'ordre, en 1820, d'expédier à Bayonne un état-major pour la corvette de charge, l'Adour, qui venait d'y être lancée. Il s'agissait de la charger de bois de mâture des Pyrénées, et de la diriger sur Rochefort où elle devait être désarmée. Je fus désigné par le préfet pour commander ce bâtiment qui était presque aussi grand que la Belle-Poule. Dans l'espoir que le préfet me donna de la continuation ultérieure de l'armement de ce navire, par suite de la demande pressante qu'il comptait en faire au ministre, cette mission me faisait le plus grand plaisir.

J'éprouvai, d'abord, beaucoup de peines et de fatigues dans l'armement de l'Adour, et ensuite beaucoup de contrariétés au bas de la rivière de Bayonne qui s'appelle aussi l'Adour, et qui charrie des sables que la mer refoule immédiatement vers son embouchure; il en résulte un obstacle qu'on appelle barre; or cette barre mobile, variable pour l'étendue, le gisement et la hauteur, est telle qu'avec un bâtiment d'aussi grandes dimensions que le mien, on ne peut la franchir qu'en certains temps et avec certains vents.

Je crus, toutefois, m'apercevoir que le pilote-major qui, lorsque le vent était favorable, allait sonder la profondeur de l'eau sur la barre, ne m'en indiquait pas exactement la mesure par ses signaux. Un jour, à l'improviste, j'envoyai sur les lieux un officier pour surveiller les opérations du pilote-major. Il sonda lui-même, trouva plus de fond que celui-ci ne le disait, et, malgré son opposition, il me signala trois pieds d'eau de plus que l'on ne venait de m'en accuser. J'étais prêt, je levai mon ancre et me couvris de voiles. Le pilote-major stupéfait se rendit à bord; là, craignant beaucoup pour sa responsabilité, soit pour n'avoir pas fait un signal exact, soit pour la difficulté qu'il allait avoir à me tirer de la passe, il voulut faire des représentations, mais ce n'était pas le moment d'en écouter, car nous étions sur la barre où nous éprouvâmes trois rudes lames qui me rappelèrent l'échouage de mon ancienne frégate sur la côte d'Afrique; mais nous doublâmes sans accident, et quittant le pilote-major dont l'esprit était devenu aussi expansif qu'il avait été assombri, je fis route pour Rochefort où j'eus le désagrément de voir désarmer mon bâtiment lorsque je n'avais que neuf mois de commandement y compris celui du Département des Landes. C'était trois mois de moins que ce qu'il me fallait strictement pour les conditions d'avancement. Je repris mon service à la compagnie des élèves.

En 1821, la frégate l'Antigone fut armée à Rochefort. Ma mission de l'Adour qui n'avait été considérée que comme une corvée, n'ayant point donné lieu à changer mon rang sur la liste des tours d'embarquement, je me trouvais alors à la tête de cette liste, et je fus, par conséquent présenté au ministre pour faire partie de l'état-major de cette frégate. Elle devait effectuer un voyage dans la mer du Sud, et elle était commandée par un capitaine de vaisseau de ma connaissance qui se trouvait enseigne de vaisseau dans l'Inde sur le Berceau quand je l'étais sur la Belle-Poule, mais dont la carrière n'avait pas été paralysée par la captivité.

Un tel embarquement était fort beau, mais il lésait tous mes intérêts puisqu'il ne me servait pas à remplir les conditions pour l'avancement, et qu'après une campagne probable de trois ans, je n'aurais acquis aucun titre de plus. Je commençais à être un des anciens lieutenants de vaisseau, et comme, sans les conditions je n'aurais même pas pu être nommé capitaine de frégate à l'ancienneté, je réclamai auprès du préfet contre cette destination. Il ne pouvait pas la changer, mais il reconnaissait la justice de ma demande; il m'engagea à la formuler par écrit, et il me promit de la faire valoir auprès du ministre. J'exposai donc mes motifs, priai le ministre de m'accorder un commandement afin de ne pas me trouver exclu de tout avancement futur, et ne manquai pas de terminer ma lettre en disant qu'à tout événement j'étais prêt à m'embarquer sur l'Antigone. L'affaire fut bien présentée par le préfet et la réponse fut le commandement que le ministre m'accorda de la Provençale et de la station de la Guyane. Ce bâtiment allait être lancé à Bayonne d'où je devais partir pour ma station dont la durée était fixée à deux ans au moins, et où je devais trouver deux bâtiments qui se rangeraient sous mes ordres à mon arrivée.

 

Une aussi longue séparation d'avec ma famille ne pouvant être que fort douloureuse, je jugeai que le meilleur parti à prendre était d'en brusquer le moment. Mes affaires particulières constamment à jour m'en laissèrent la faculté; ainsi, dans les vingt-quatre heures, j'avais dressé la liste des objets à m'envoyer à Bayonne sur un navire qui était à Rochefort en chargement pour ce port, mes adieux étaient faits, et j'étais parti avec une simple malle. Mais les choses n'arrivent que bien rarement selon nos désirs ou même selon les probabilités; et ma femme, qui n'avait pas besoin de cette nouvelle secousse, en fut vivement affectée.

Rochefort fut, autrefois, une contrée extrêmement malsaine: à force de grands travaux et de plantations, l'air marécageux qui l'environne s'est considérablement purifié, et le sang y est aujourd'hui aussi beau que dans les pays les plus favorisés; néanmoins les jours caniculaires y sont encore funestes à un grand nombre de personnes, surtout à celles qui n'observent pas un régime alimentaire bien entendu, ou qui sont sous l'influence de peines morales. Ma femme fut de ce nombre, la fièvre tierce la prit, et j'en eus la nouvelle à mon arrivée à Bayonne.

Le meilleur remède est, sans contredit, de s'éloigner du foyer du mal. Terrifié comme je l'étais de l'état où se trouvait ma femme lorsque je m'étais éloigné d'elle, état qui était aggravé par la fièvre, ainsi que par le long isolement où elle allait vivre, je fus si sensiblement touché, que si j'avais pu, honorablement, me désister de mon commandement, je l'aurais fait, et je vous aurais tous arrachés à une ville qui devenait pour moi un objet de mortelle inquiétude. Ne pouvant m'arrêter à ce projet, j'en formai soudainement un autre. J'écrivis à ma femme de prendre immédiatement sa place pour Paris, de partir, sans hésiter, avec ses deux enfants pour aller rejoindre Mme La Blancherie.

Il n'y avait guère qu'un an que j'avais quitté Bayonne sur l'Adour, lorsque j'y revins pour la Provençale; or, cette circonstance me rappelle un accident fatal arrivé sous mes yeux pendant la première de ces époques, et qui vaut peut-être la peine d'être relaté.

Un jour de fête publique, l'Adour, mouillée près des allées marines193, avait une salve à faire. Je posai des sentinelles à terre pour empêcher les curieux de se mettre sous la volée de mes pièces qui, cependant, n'étaient pas chargées à boulet. La salve était en train, quand un ancien militaire franchit les sentinelles, qui, ne le suivant pas au milieu de la fumée, lui crient de revenir, et auxquelles, caché derrière un arbre, il répond qu'il veut, selon ses anciennes habitudes, voir le feu de plus près. Dans ce but, il démasqua sa tête en dehors de l'arbre, pour mieux apercevoir le bâtiment; au moment même, le valet ou pelote de cordage, qui servait à bourrer une des pièces, l'atteint; et ce malheureux que les batailles et le feu de l'ennemi avaient longtemps respecté tombe, atteint d'un coup mortel! C'est ainsi que les réjouissances de la paix accomplissent, quelquefois, ce que n'ont pu faire les périls des combats.

Ce qui me souriait le plus dans mon embarquement de la Provençale était moins encore l'espoir d'être avancé au retour de ma campagne, que la faculté que j'allais avoir de relire sur mer mes Séances Nautiques ou Traité du Vaisseau à la mer, ouvrage que j'avais ébauché pour les élèves de la compagnie de Rochefort, que je considérais comme le résumé de ma carrière maritime ou de mes services, et auquel je mis, en effet, la dernière main pendant cet embarquement, soit en expérimentant, avec plus de soins que jamais, plusieurs manœuvres sur mon bâtiment soit en éclaircissant des questions contestées ou des points encore douteux.

Afin de sauver, s'il était possible, l'aridité d'un sujet si spécial, je crus devoir y citer plusieurs exemples intéressants ou divers faits concluants, et j'en éloignai, le plus que je le pus, les détails scientifiques. C'est ce livre que je publiai en 1824, qui ensuite a été réimprimé, qui le sera encore (chose rare en marine), si j'en crois les offres récentes d'un libraire de Toulon, et que le public naviguant paraît avoir adopté. Depuis les temps florissants de la puissante marine de Louis XVI, où brillaient Borda, Fleurieu, Verdun de la Crène, de Buor, du Pavillon, Bourdé, Romme, tous auteurs du premier mérite, aucun officier, en France, n'avait pris la plume pour marquer les progrès survenus, avec la succession des temps, dans la science nautique. Ce fut donc moi qui rouvris la lice, et j'y ai été suivi par de redoutables rivaux. C'est peut-être, ici, le cas d'anticiper sur les dates afin de tout épuiser sur ce sujet, et de dire que plus tard, à Angoulême, et pour les élèves du Collège de Marine, j'ajoutai, à mes Séances Nautiques, un nouveau volume ayant pour second titre: ou Traité du vaisseau dans le port. Mais revenons!

La barre de Bayonne me fut encore fâcheuse par une longue obstination de vents contraires: une trentaine de bâtiments de commerce étaient retenus avec moi. Une petite brise favorable enfin se manifesta. Fatigué que l'on était d'attendre, on crut, comme il est d'ordinaire, que c'était le commencement d'un beau vent frais; mais ainsi qu'on l'a judicieusement dit et remarqué: «Rien n'est fin, rien n'est trompeur, comme le temps!»

Effectivement, à peine étions-nous dehors, que vint une tempête qui fit naufrager quatre des navires sortis en même temps que moi. Le fond du golfe de Gascogne, où nous étions tous, sans ports de facile accès, est on ne peut plus dangereux lorsqu'on y est surpris par de forts vents du large.

Il n'y eut donc que ceux d'entre nos bâtiments qui se trouvaient bien pourvus, bien installés, ou de bonne construction, qui purent supporter le mauvais temps; et encore, non sans d'assez fortes avaries. Je réparai, immédiatement, les miennes, du mieux que je le pus, mais je ne pouvais penser à traverser ainsi l'Atlantique, et je songeai à relâcher à la Corogne d'abord, puis à Lisbonne, et enfin à Ténériffe, car le vent me contraria dans mes deux premiers projets. C'est la plus importante des îles Canaries, et je m'y remis parfaitement en état.

Ma traversée de Ténériffe à la Guyane fut très belle; elle ne dura que dix-sept jours, pendant lesquels un temps magnifique me permit de me familiariser à nouveau avec les observations astronomiques que j'avais tant pratiquées, et que je repris pendant toute ma campagne. En cette circonstance, elles me firent connaître que les positions géographiques de Lancerotte194 et Fortaventure195, deux des Canaries, étaient inexactement déterminées sur mes plans, et plus tard, j'adressai au ministère le résultat de mon travail à cet égard. Elles m'avertirent encore, vers la fin de mon voyage, que j'étais quatre-vingt-cinq lieues plus près du continent d'Amérique que les calculs ordinaires ou de l'estime ne l'établissaient; or, cette différence, due aux courants des parages que j'avais parcourus, se trouva vérifiée quand j'eus pris connaissance de la terre.

M. de Laussat était alors gouverneur de la Guyane196; il résidait à Cayenne, capitale des possessions françaises dans cette colonie, et située à l'embouchure de la rivière du même nom: je lui remis, outre ses dépêches officielles, des lettres et paquets de ses charmantes et très aimables filles, qui s'étaient rendues de Pau qu'elles habitaient, à Bayonne, pour être vues, avant mon départ, par quelqu'un qui allait, bientôt, être près de leur père. Cette visite avait donné lieu à plusieurs fort jolies parties que nous fîmes sur l'Adour, et dans les agréables sites qui se trouvent sur ses bords.

Je fus parfaitement accueilli par M. de Laussat. C'était un homme intègre, capable, mais d'une activité, ou peut-être, d'une tracasserie qui lui aliénait l'affection des colons, et qui éloignait de lui quelques fonctionnaires, ainsi que la plupart des officiers de la marine. Averti, sur ce point, par le capitaine que je relevais, je résolus de me tenir sur mes gardes. Dans ce dessein, je montrai mes instructions à M. le gouverneur: celles-ci me laissaient la haute main pour la police des bâtiments de la station, et m'astreignaient seulement à remplir les missions que M. de Laussat pourrait me donner. Ainsi, et presque à mon arrivée, j'allai à la Mana, point qu'on voulait coloniser à la frontière ouest de la côte de la Guyane, mais où les moyens d'exécution vinrent bientôt alors à manquer. Il me semble qu'il valait mieux procéder de Cayenne, point central, vers la circonférence, que d'éparpiller ses ressources ou ses moyens aux deux extrémités du rayon. Je revins avec un plan (qui n'existait pas) de la rade, de la côte, de la rivière de la Mana; M. le gouverneur me combla de politesses, et il envoya copie de ce plan au dépôt des cartes à Paris.

Cependant, peu de jours après, j'avais eu l'occasion de hisser le pavillon rouge, de tirer un coup de canon, de punir publiquement un homme de mon bord coupable d'un grave délit, et j'avais préalablement fait avertir le capitaine du port qu'il allait être fait justice sur la Provençale. Malgré cette précaution, toute de politesse, il m'arriva presque aussitôt un aide-de-camp de M. de Laussat, porteur d'une lettre très sèche, et qui me demandait un compte immédiat de ma conduite, en cette occasion. Ma première idée fut de renvoyer, en réponse, une copie de mes instructions; mais je vis bientôt qu'il n'était pas convenable de répondre à une exigence déplacée par une impolitesse, et je pris la plume. Je répondis donc en racontant tout simplement ce qui s'était passé: ensuite, je ne manquai pas, sous des expressions de forme très respectueuse, de faire observer que ces explications, je ne les devais pas; que je ne les donnais que par une sorte de complaisance ou de déférence pour l'âge du gouverneur; et que j'honorais tellement son caractère qu'il me trouverait toujours disposé à lui être agréable, lors même qu'il y aurait dans ses demandes quelques paroles que, d'une autre personne, je n'aimerais pas à supporter. Cette lettre fit merveilles. En homme d'esprit, M. de Laussat m'envoya pour le lendemain une invitation à dîner: là, il me dit les choses les plus aimables, et cette considération dont il me favorisa depuis, il me la conserva toujours, même en France, où il se rendit par la suite; car il fut remplacé en 1822 par M. le capitaine de vaisseau Milius197. Il ne cessa, en effet, de demander mon avancement au ministère, et il alla, plusieurs fois, voir ma femme pour lui faire part d'espérances qui, en définitive, ne se réalisèrent pas. M. de Laussat est mort, il y a trois ans, dans un âge très avancé.

 

Ma mission suivante fut aux îles du Salut où je me tins en observation, appareillant tous les jours pour me diriger vers Sinnamari, Iracoubo et Organabo, points que M. le gouverneur supposait fréquentés par des Négriers à l'effet d'y opérer leurs débarquements illicites. Aucun bâtiment de cette nature ne s'y étant présenté pendant cette sorte de croisière, je n'eus pas de résultats à constater à cet égard. Toutefois, il y avait désaccord entre les marins ou pilotes de la Guyane sur l'existence de roches sous l'eau aux environs des îles du Salut; je m'occupai de cet objet, sans nuire en rien à l'objet de ma mission, et je ne revins qu'après avoir bien éclairci ce doute par des sondes et des relèvements qui satisfirent tous les esprits.

À peine de retour à Cayenne, je fus expédié pour la Guadeloupe, la Martinique et Marie-Galande, remarquable par le nom qu'elle a conservé du bâtiment que commandait l'illustre Christophe Colomb, lors de son second voyage en Amérique. J'avais quelques troupes, des passagers, des dépêches qui y furent déposés, et j'en rapportai des graines, des plantes en caisse dont la Guyane avait le louable désir de propager la culture qui a parfaitement réussi. La fièvre jaune venait d'exercer, et exerçait encore des ravages affreux dans ces îles; mais mon bâtiment en fut heureusement préservé. En revanche, il eut, au retour, des temps très rigoureux à supporter, notamment près du «Diamant», que je ne parvins à doubler qu'à l'aide d'une manœuvre hardie que j'ai décrite dans mes Séances Nautiques. Les débouquements, ma navigation au vent de Sainte-Lucie et de la Dominique furent également semés de dangers; une fois, entre autres, plusieurs personnes désespérèrent de notre salut!

Nous parvînmes, enfin, à reconnaître la terre continentale. Ce fut aux lieux même où Colomb en avait fait la découverte, c'est-à-dire au sud de la Trinité. C'est aussi dans ces parages que Daniel Foë place l'île de son ingénieux et patient Robinson.

Il y avait beaucoup à faire pour remonter de là à Cayenne, car nous avions vents et courants contre nous. Nous y réussîmes, non sans peine, en traversant les eaux de l'Orénoque, et en passant devant plusieurs villes ou rivières de la Guyane anglaise ou hollandaise, telles que Esséquèbe, Démérari, Berbice, et Surinam; Surinam que la France a possédée; que, par légèreté, elle abandonna pour aller s'établir sur les côteaux de Cayenne et que ses possesseurs actuels plus laborieux, plus persévérants que nous, plus entendus dans l'art de coloniser, élevèrent bientôt à un point de prospérité dont n'a pas encore approché Cayenne, quoique très favorisée par la nature, et où, ni la fièvre jaune, ni les ouragans n'ont jamais encore fait leur redoutable invasion. Surinam, ou plutôt la ville de Paramaribo (car Surinam, est le nom de la rivière, et on le donne souvent à la ville) Surinam, dis-je, a un beau port et Cayenne ne peut recevoir que des bâtiments de douze à quatorze pieds de tirant-d'eau. On ne comprend vraiment pas que, bénévolement, nous ayons renoncé à cet avantage. Après Surinam, nous cherchâmes l'entrée du Maroni, fleuve considérable qui sépare la Guyanne française de la hollandaise, et nous poursuivîmes ensuite notre route vers Cayenne.

J'ai, maintenant, à te raconter un fait de peu d'importance, peut-être; mais il s'agit d'une lutte d'hommes ou plutôt de caractères; et je ne néglige pas ces occasions, dans l'espoir qu'il en résultera quelque fruit pour toi. Mon second, malade à la Martinique, y avait été remplacé par M. Louvrier, officier de beaucoup de moyens, d'une grande énergie, mais d'une indiscipline qui n'était égalée que par son audace à la soutenir; du moins, c'est ainsi qu'il me fut dépeint, mais trop tard, car je ne l'aurais pas accepté à bord. Les premiers jours furent charmants; pourtant, j'apercevais la tendance qu'on m'avait signalée.

Ces symptômes, toutefois, n'étant pas assez caractérisés pour cadrer avec mes projets, à cet égard, je fermai les yeux pour laisser augmenter le mal, ce qui ne tarda pas à arriver. Un jour que mon homme était sur le pont et bien dans son tort, je lui adressai la parole avec un air grave que ses manières bruyantes ne purent ébranler, et je l'envoyai dans sa chambre, aux arrêts. Lorsque ces arrêts furent levés, il vint, d'une voix étouffée, me demander à débarquer dès notre arrivée à Cayenne. Je m'y attendais et mon thème était prêt. Je l'engageai à s'asseoir, à m'écouter froidement, et lui dis, qu'ayant reconnu en lui mille qualités, j'aimais trop mon bâtiment pour le priver de ses excellents services; que c'était un point arrêté et qu'ainsi ce qu'il y avait de mieux à faire était de nous habituer réciproquement à nos défauts, et de chercher à nous supporter. Je soutins fermement ce rôle, qu'il chercha à renverser, et l'affaire fut si bien conduite, qu'au lieu d'un ennemi mortel que j'aurais eu, si j'avais consenti à sa proposition, il finit par me demander la permission de m'embrasser, par avouer sa faute, et par m'assurer que je n'aurais jamais d'ami plus dévoué. Le reste de la campagne répondit à ces protestations. Il n'y a guère que deux ans que je l'ai revu à Toulon, et toujours dans les mêmes sentiments. Il y exerçait alors, dans le grade de capitaine de corvette, le commandement supérieur de tous les bateaux à vapeur dans la Méditerranée, où sa prodigieuse activité, qui m'avait été si utile, rendait à l'État des services éminents. Une fièvre cérébrale l'emporta vers cette époque; ce fut une grande perte pour le Corps de la Marine, car il s'était dépouillé de cette grande fougue de la jeunesse qui lui était si préjudiciable, et il ne restait plus que ses rares qualités.

Un consul, sa femme et sa fille, destinés pour Notre-Dame de Belem, ville de la province du Brésil, nommée Para, et située à vingt lieues en remontant le fleuve des Amazones, étaient arrivés quelques jours avant mon retour des Antilles, et M. le gouverneur comptait sur mon bâtiment pour les faire parvenir à leur destination. Je fis mes préparatifs, et je partis.

L'entrée du fleuve est semée d'écueils redoutables, et M. de Laussat n'avait pu mettre à ma disposition ni cartes de ce pays, ni instructions nautiques, ni pilotes ou pratiques. C'est dans cet état qu'un bâtiment expédié quelque temps auparavant, pour cette même ville, en était revenu, sans avoir accompli sa mission, après avoir touché sur un banc où il avait été à deux doigts d'une destruction complète. Ces circonstances ne servirent qu'à enflammer mon courage; mais il fallait aussi de la prudence, et, repassant dans mon esprit ce que je savais qu'avaient accompli de glorieux les navigateurs qui s'étaient voués aux découvertes, je m'efforçai de marcher sur leurs traces et j'eus le bonheur d'y réussir. Je triomphai même des entraves honteuses qu'apportent les Portugais à la publication de leurs cartes, et à la levée de leurs côtes par des étrangers; je rapportai un plan, que je dressai pendant mon voyage, pour la navigation depuis Cayenne jusqu'à Notre-Dame de Belem. M. de Laussat fit annoncer, dans le journal de la colonie, qu'il tiendrait ce plan à la disposition des capitaines qui auraient à fréquenter ces parages; il en envoya une copie au ministre à qui il recommanda mon travail, comme très utile, très rare, très précieux; et, dans ma carrière d'officier, mes souvenirs se reportent toujours avec plaisir sur l'accomplissement de cette difficile mission.

Pendant mes divers voyages de la station, j'avais remarqué plusieurs erreurs géographiques sur les côtes de la Guyane, que je demandai à rectifier. M. le gouverneur y consentant, je fis une campagne de près de deux mois pour y parvenir. Je revins avec des cartes, des sondes, des relèvements, des vues, enfin avec tous les éléments d'un ouvrage que, sous le titre de Guide pour la navigation de la Guyane, M. de Laussat fit imprimer, après qu'à mon retour, j'eus coordonné ces divers éléments. Il m'écrivit, en même temps, qu'il me ferait valoir auprès du ministre, comme je le méritais.

Les missions que j'eus ensuite furent: 1o aux îles de Rémire, pour la translation à l'une des îles du Salut d'une léproserie qui était établie; 2o sur la côte de l'Est pour la police de la navigation; 3o au devant de la frégate la Jeanne d'Arc, qui, trop grande pour entrer à Cayenne, me remit un chargement de machines à vapeur, de caisses et de plantes françaises pour la colonie; 4o enfin, à la rencontre de la corvette la Sapho qui apportait le gouverneur, M. Milius198, destiné à remplacer M. de Laussat.

L'ordre de mon retour en France étant arrivé, en même temps, je m'occupai de faire convenablement réparer La Provençale. Comme cette opération devait durer deux mois, je pus fréquenter plus souvent et achever quelques connaissances199 que je n'avais fait qu'ébaucher dans nos courtes relâches, et qui m'ont laissé de profonds souvenirs par la grâce de leur accueil200.

M. Milius me chargea de dépêches à laisser, en passant, à la Martinique, ainsi qu'à la Guadeloupe, où je ne m'arrêtai que le temps de prendre des vivres frais.

Continuant ma route pour la France, je fus assez longtemps contrarié par des vents qui me portèrent jusqu'auprès du banc de Terre-Neuve. J'atteignis ensuite assez facilement le voisinage des Açores. Cependant, je conjecturais que la France devait avoir envoyé une armée en Espagne. Les Anglais pouvaient en avoir saisi un prétexte de guerre, et je résolus de naviguer avec beaucoup de circonspection. Plusieurs bâtiments se présentèrent sur mon passage; je les jugeai de force supérieure à la mienne, et je les évitai, sans, cependant, qu'il y eût apparence de timidité. Toutefois il en vint un que, par son aspect et sa marche inférieure, je ne pus supposer qu'un petit bâtiment de commerce anglais, je m'en approchai, j'appris que je ne m'étais pas trompé, et, comme il venait de Londres, je fus informé, par ses journaux, que la Grande-Bretagne se contentait du rôle de spectatrice, dans la lutte qui s'était engagée. J'eus alors un plaisir pur en pensant au peu d'obstacles qui me restaient à franchir pour vous revoir, et je dirigeai ma route sur Rochefort.

193Belle promenade de Bayonne.
194Lancerotte (Lanzarotte) une des îles Canaries.
195Fortaventure (Fuerteventura) une des îles Canaries.
196(Note de l'auteur empruntée à son Précis historique sur la Guyane française inséré dans les Nouvelles Annales de la Marine et des Colonies, t. IX, 1852, p. 47 et suiv., p. 184 et suiv.) Quoique la Guyane nous eût été rendue par les traités de 1814 et de 1815, cependant ce ne fut qu'en 1817 que la France se décida à en envoyer reprendre possession. Je n'ai jamais pu connaître le véritable motif d'un délai aussi prolongé, seulement j'ai entendu dire que cela avait tenu à des difficultés diplomatiques. Peut-être était-ce à cause des délimitations? Quoiqu'il en soit, les rapports officiels qui furent envoyés en France à cette époque, ne faisaient monter la population de la colonie qu'à sept cents blancs, huit cents affranchis, et quinze mille esclaves, ce qui formait seulement un total de seize mille cinq cents âmes. Ce fut le général Carra Saint-Cyr qui fut chargé de la reprise de possession et du gouvernement de la Guyane: ses actes les plus remarquables y furent la destruction d'une bande de nègres marrons qui, sous les ordres d'un chef nommé Cupidon, désolaient le pays, et l'introduction de vingt-sept chinois qu'à grands frais on alla chercher à Manille, dans l'espérance de naturaliser à Cayenne la culture du thé. Il paraît que cette tentative fut fort mal dirigée: ces hommes d'abord, trop peu surveillés, au lieu de se livrer à un travail sérieux, vécurent entre eux de la manière la plus honteuse, et presque tous périrent au bout de quelque temps: nous en avons vu, un peu plus tard, cinq ou six, triste débris de cette expédition, employés comme ouvriers ordinaires aux travaux de la direction d'artillerie. À tort ou à raison, les colons se plaignirent bientôt des exigences des employés de l'administration, et ces plaintes parvinrent à Paris; le général Carra Saint-Cyr fut rappelé, et M. le baron de Laussat fut nommé pour le remplacer.
197Le baron Pierre-Bernard Milius, maître des requêtes au Conseil d'État, était capitaine de vaisseau depuis le 1er juillet 1814. Il était né à Bordeaux en 1773. Il avait montré beaucoup de bravoure pendant les guerres maritimes de la Révolution. Ce fut lui qui ramena en France après la mort de son chef, le capitaine Nicolas Baudin, l'expédition du Géographe qui avait exploré les côtes sud de la Nouvelle-Hollande. Il devait plus tard se distinguer à Navarin et y gagner les épaulettes de contre-amiral. Le baron Milius mourut en 1829 à Bourbonne-les-Bains.
198Note de l'auteur empruntée à son Précis historique sur la Guyane française. Ce fut au commencement de 1823 que le bâtiment qui le portait fut signalé sur la côte; j'appareillai aussitôt pour aller à sa rencontre et je rentrai avec lui; il était accompagné de Mme Milius qu'il venait d'épouser, et qui était aussi remarquable par sa jeunesse que par son amabilité. La cérémonie de la réception du nouveau gouverneur par M. de Laussat, fut noble et de bon goût, et les paroles qu'il prononça sur l'état présent de la colonie firent une vive impression. Je n'oublierai jamais, car j'en fus profondément touché, que quand il passa devant moi, il eut la bonté de me présenter une main affectueuse, et qu'à portée de voix de M. Milius, il me dit, lui qui était sobre de compliments: «Je vous remercie du concours actif et éclairé que vous m'avez prêté, et je vous ferai valoir au ministre comme vous le méritez!» Le ton de cette phrase était un peu bien administratif; mais, de la part de M. de Laussat, elle avait beaucoup de prix.
199Note de l'auteur empruntée au même article que la précédente. – Quelque temps auparavant, un fonctionnaire que je respectais et que j'estimais infiniment, avait laissé un grand vide, tant sa maison, dont sa femme et lui faisaient les honneurs, avec une grâce parfaite, était recherchée par tout le monde. C'était M. Boisson, commissaire de marine, qui était chargé des détails administratifs, et qui avait été nommé contrôleur à la Martinique. M. Mézès, trésorier de la Colonie, fut encore de ma part, l'objet de bien des regrets, il était chéri de tous; c'était un ancien ami de MM. de Martignac et de Peyronnet, deux des ministres les plus éloquents ou les plus marquants de la Restauration, et il aimait beaucoup à recevoir; il avait une fille qui était appelée la «Rose de la Guyane» et lui, je l'en avais surnommé le Lucullus. Que de belles parties de bouillotte ou de whist, que de beaux et agréables dîners ou soupers on faisait chez lui! Il avait l'heureux don des vers; les siens respiraient une légèreté, une finesse charmantes; c'était du Boufflers et du Parny tout purs; en un mot, il était homme de bien, de cœur et d'esprit. Il succomba plus tard sur cette terre et je n'ai pas eu la douceur de le revoir en France comme nous nous l'étions si bien promis.
200Voyez la note précédente et à la fin du volume l'Appendice sur Victor Hugues.