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Le Cachet d'Onyx

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Dorsay n'avait que deux partis à prendre. Être franc avec cruauté ou hypocrite à force de pitié et de délicatesse. Il devait tromper sur l'amour qu'il ne sentait plus, ou dire à Hortense : «C'est fini, je ne vous aime plus !» Ce dernier parti était peut-être le meilleur possible. C'est quelque chose de noble, il est vrai, quelque chose de dévoué, que cette vie que l'on s'impose, que cette feintise éternelle, que ces caresses, chaudes à peine de souvenirs, pour retarder, ne fût-ce que d'une heure, la douleur de celle qui nous aime. Mais puisque cette douleur est inévitable, n'est-il pas plus sage de la faire présente, car elle sera plus tôt passée… Quoi qu'il en soit, Dorsay n'employa ni l'un ni l'autre des moyens que je dis. Il fit comme un mari qui a une jolie femme et des maîtresses, agissant ainsi autant par faiblesse de caractère que par vanité. On le conçoit. Nous sommes bien beaux quand nous nous mirons dans des prunelles adorées, mais il n'y a que les pleurs que nous faisons couler qui nous réfléchissent Jupiter.

Le monde a un ignoble mot dont il flétrit les affections qu'il n'autorise pas. Il dit : Ce monsieur tel vit avec madame telle. Je ne sache rien de plus dégoûtant que ce mot. C'est le coup d'une cravache sale de boue qui cingle au visage et au coeur. C'est le ravalement, la dégradation d'une idée divine. Vivre avec une femme ! Vivre avec elle, vivre avec toi, c'est-à-dire ne sentir, ne penser qu'ensemble, se transfondre, se perdre, bouches, regards, haleines, battements de coeur, dans un seul baiser, une même étreinte, un seul amour, oh ! n'est-ce pas là le plus ineffable des bonheurs que l'imagination invente. Et pourtant c'est de l'expression qui dit tout cela que le monde a fait un cachet de mépris qu'il jette à deux noms, les hommes à voix haute, les femmes à voix basse, quand un seul de ces noms est prononcé devant lui.

C'était le mot comme le monde l'avait fait, c'était ce mot seul, et non un autre, qui exprimait bien maintenant la relation de Dorsay et d'Hortense. La malheureuse s'était enfin aperçue que Dorsay n'avait plus d'amour pour elle. Hélas ! ce n'était pas bien difficile. Que de fois il abrégea les heures qu'il lui donnait autrefois sans compter ! Que de fois il repoussa la caresse comme inopportune, – charmante familiarité d'outrage que l'intimité appelle un mouvement d'humeur et qui se grave en traits de feu dans l'âme d'une femme quand elle en a encore. Mais Hortense n'en avait plus ; elle en avait fait un tapis pour les pieds de son maître, elle l'avait étalée sous ces pieds qui la foulaient à plaisir. La passion l'avait dépravée. Elle souffrait horriblement, néanmoins elle pleurait à s'en battre les yeux jusqu'à mi-joues. L'idée que Dorsay ne l'aimait plus était un poinçon dont incessamment elle se déchirait le sein ; mais, faible, parce que la fierté avait été tuée par cet amour funeste, elle frémissait à l'idée d'une rupture avec celui qui lui infligeait un si rude supplice que le sien. Le soir, la nuit, il lui fallait, sous peine de désespoir, la tête de Dorsay sur le duvet où elle posait la sienne, là où ces deux têtes avaient, un temps passé, rougi, pâli, rayonné, bouillonné d'un même désir. Il lui fallait, oh ! la pauvre abusée ! un accent de cette voix qui tout altérée lui avait parlé d'amour aux lueurs vagues et vacillantes de la veilleuse sur le somno, pendant les longues, heureuses et consumantes nuits qui la rendaient cent fois coupable ; il lui fallait ne fût-ce que quelques gouttes de la lave du volcan refroidi qu'elle avait bue et qui l'avait altérée, calcinée, assoiffée.

Qui vous aurait dit, Maria, que de ces deux êtres l'un deviendrait jaloux jusqu'à la plus épouvantable cruauté ? Qui auriez-vous nommé des deux ? Hortense ? Si c'est elle qui se venge d'être méprisée, elle, sa beauté, sa jeunesse, son coeur plein jusqu'aux bords, Maria, la condamnerez-vous ? Et si vous la condamnez parce que vous ne savez pas, vous ne saurez jamais, peut-être, quelle est cette terrible aliénation de la liberté, cet emporte-pièce de la pensée, ce fait inexplicable qu'on appelle Douleur dans les langues humaines, vous qui avez pitié de l'enfant qui pleure, pouvez-vous la haïr ? Vous fera-t-elle horreur comme Othello ? Pourquoi donc mon Othello, Madame ? Y aurait-il donc de l'égoïsme de sexe comme de personne, et tout le secret de la pitié serait-il celui-ci : «Je vous plains parce que vous êtes plus moi ?» Quoi donc ! Si je transposais les rôles, que je rendisse Desdémone jalouse, Othello le perfide, vous vous sentiriez pour Desdémone, qui se vengerait alors, une sympathie, une larme dans les yeux, et l'effroi ne vous prendrait pas en la regardant ? Qui donc vous fait peur dans mon Othello, Madame ! Voulez-vous que je vous le dise ? C'est sa peau noire ! C'est sa laideur ! Sous l'empire de votre instinct de femme, quand vous vous écriez : «Le monstre !» malgré vous, c'est à sa laideur que vous pensez. Ainsi donc Shakespeare, avec tout son génie d'observation, s'est misérablement trompé, la poésie qui habitait en lui a rendu son puissant regard trouble. Il n'a pas vu la femme comme elle est. Il l'a créée une seconde fois, à sa manière à lui, qui vaut mieux que celle de Dieu même : Desdémone a aimé Othello malgré sa laideur, mais il n'y a dans l'univers que Desdémone qui aime le More, toutes les autres femmes le haïssent, et quand la douleur l'inonde comme une pluie d'orage et le fracasse comme un vent impétueux, cet homme qui avait la forte existence du rouvre, elles n'ont pas même pitié, la plus chétive pitié ! Ainsi chez la femme, chef-d'oeuvre de la création, le plus ou moins de beauté physique nullifie ou double l'effet d'une douleur (l'atroce, la plus atroce, une femme en rirait dans un crétin, car on rit quand on ne comprend pas, et bêtement encore, même avec des lèvres divines).

Non, Marie, ce ne fut point Hortense, mais Dorsay, qui fut jaloux, et de quelle jalousie encore ! Non pas celle qui nous met l'incendie dans les entrailles, qui nous brûle le long du jour, le long des nuits, qui nous réveille en sursaut et nous fait tâter avec des mains froides de sueur et de frissons le corps de femme endormi et respirant doucement près de nous, en disant d'une voix étranglée : «Es-tu là ?» Cette jalousie qui pousse un homme ayant vertu et génie à espionner une jeune fille d'avant-hier, une enfant dont toute l'âme est dans les paupières, aussi transparente que les larmes qu'elle y fait monter, cette jalousie qui enfonce des crocs dans les veines du cou qu'elle suce de sa bouche de vampire, qui enfonce des griffes dans la poitrine nue, qui fait pleurer et rugir, miaule en tigre et demande merci en lâche, car elle réunit dans un seul être humain le monstre qui égorge et la victime qui se débat.

Cette jalousie, on ne l'éprouve qu'à la condition d'avoir de l'amour. Et n'est-ce pas là, Marie, de l'amour comme il est glorieux et enivrant pour une femme d'en faire naître, gloire et ivresse avec les dangers qui les rendent plus éclatants et plus profonds, comme il arrive toujours, puisque le sentiment une fois démuselé tue pour une valse, un nom balbutié dans un rêve, pour un rien, un mouchoir perdu…

En vérité, je vous le dis, Marie, je ne sais point comment les femmes ne sont pas fières et heureuses de cette jalousie. N'est-ce pas un acte d'humilité fait à genoux par l'être fort à l'être faible, devenu le maître maintenant ? N'est-ce pas, si le coeur est éteint, au moins du nectar pour l'orgueil ? Mais les femmes, ces corps charmants, à qui Mahomet, l'imposteur ! refusait une âme, n'ont pas de vanité qui aille si haut. Aimable faiblesse, elles ignorent les égoïstes désirs de l'orgueil.