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L'art de faire le vin avec les raisins secs

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Circulaire n° 298 du 26 août 1880

Appelé sur la demande de M. le Ministre de l’Agriculture et du Commerce, à se prononcer sur la question des vins de raisins secs, le Comité consultatif d’hygiène publique, par un avis en date du 12 janvier 1880, a fait connaître que ces vins renferment les mêmes principes que les vins de vendanges, mais toutefois dans des proportions différentes; que, mélangés avec ceux-ci, leur usage est sans inconvénient au point de vue de l’hygiène, que dans cet état de mélange, qui est d’ailleurs celui sous lequel cette boisson est généralement employée dans la consommation et en raison même de la similitude des principes contenus dans les deux espèces de liquides, la constatation par l’analyse de la proportion de vins de raisins secs ajoutée, présente d’autant plus de difficulté que l’addition de ce vin a été plus faible; que cette difficulté est une cause d’hésitation pour les experts, et enfin que l’importation en France, sans déclaration d’espèce, des vins de vendanges coupés de vins de raisins secs, peut ainsi être tentée, sans qu’on ait toujours les moyens de la réprimer.

En présence d’un avis ainsi formulé, l’administration a pensé qu’il convenait d’abandonner certaines dispositions prescrites par la circulaire nº 272 du 4 septembre 1879, qui sont gênantes pour le commerce et dont la suppression ne saurait préjudicier à la constatation de l’impôt. Elle a décidé en conséquence que désormais les déclarations de mélanges ne seraient plus exigées des négociants, et qu’il ne serait plus tenu de comptes distincts pour les vins de raisins secs.

Je vous prie de porter immédiatement cette décision à la connaissance des intéressés, et de donner les ordres nécessaires aux receveurs buralistes, pour qu’ils cessent de recevoir les déclarations de mélange, et de relater sur les expéditions, la distinction entre les vins de vendanges et les vins de raisins secs. Les comptes spéciaux des vins de raisins secs devront être immédiatement totalisés, et les totaux, y compris ceux des multiplications seront reportés au compte ordinaire de vins, par un acte motivé relatant le numéro et la date de la présente circulaire.

En dehors de ces deux points spéciaux, il doit être bien entendu que toutes les autres prescriptions de la circulaire nº 272 précitée, demeurent retenues et doivent être rigoureusement observées; les déclarations de fabrication comportant l’indication du rendement (volume et richesse) restent notamment obligatoires. Le compte de fabrication continuera à être tenu. Toutefois, au lieu d’être reportés à un compte spécial, les vins de raisins secs achevés et dont il aura été donné décharge au compte de fabrication, ainsi que les manquants constatés à ce dernier compte, seront inscrits aux charges du compte général des vins.

Comme par le passé le service doit prêter son plus entier concours à l’autorité judiciaire; à cet effet il devra suivre avec attention les fabrications des vins artificiels et se rendre compte des matières utilisées dans les fabrications et des procédés mis en pratique, afin d’être toujours en mesure de fournir les renseignements que les parquets pourraient désirer à cet égard. L’attention des employés devra tout particulièrement s’arrêter sur les opérations des propriétaires récoltants. Il importe de surveiller les arrivages de raisins secs dans les pays vignobles, afin de rechercher si ces raisins ne sont pas employés à la fabrication du vin, soit isolément, soit avec de la vendange, et si les vins qui en proviennent ne sont pas livrés à la distillation. La circulaire nº 272, contient à cet égard des instructions détaillées auxquelles il conviendra de se reporter. Les chefs de service devront veiller à l’exécution des dispositions qui précèdent.

Signé: AUDIBERT,
Conseiller d’Etat, Directeur général des
Contributions Indirectes.

1re LETTRE

Parue dans les principaux organes vinicoles en réponse à la circulaire ministérielle
Marseille, le 7 octobre 1879.

Monsieur le Rédacteur en chef,

C’est aux colonnes hospitalières de votre excellent journal que je viens demander l’insertion de cette lettre; c’est à sa grande publicité que je recours pour provoquer le redressement d’une injustice inexplicable qui peut, en ruinant une des principales industries naissantes de la France, la priver ainsi du principal de ses revenus.

Je veux parler de la récente circulaire de M. le ministre de la justice, flétrissant du nom de falsification et punissant en conséquence les vins fabriqués avec des raisins secs.

Assurément la bonne foi de M. le ministre a été surprise.

Ici, j’en appelle à tous ceux de nos savants en renom qui se sont occupés de l’art de fabriquer le vin; c’est en les citant que je vais prouver combien M. le ministre a agi à la légère, en détruisant par une simple circulaire le résultat obtenu par la Science: doter le commerce et l’industrie d’une branche nouvelle pouvant, à un moment peut-être bien proche, indemniser le Trésor des pertes immenses que le phylloxéra lui fait subir.

Quand des millions d’hectolitres de vin de raisins secs sont fabriqués dans notre pays et bus sans plainte de la part des consommateurs, quand la statistique officielle constate un excédant dans la recette des contributions indirectes, bien qu’un tiers de la récolte ait disparu, que fait le gouvernement? Loin de reconnaître le service rendu au pays par les promoteurs de la fabrication du vin de raisins secs, on les défère aux tribunaux correctionnels comme prévenus de falsification et on anéantit du même coup une industrie qui donnait de si beaux revenus au Trésor.

Le vin fabriqué avec des raisins secs est-il réellement une falsification, et peut-on même établir un rapprochement entre cette boisson et la piquette?

Tel est le point de départ de la circulaire de M. le ministre de la justice. C’est cette erreur énorme que je vais combattre tout d’abord.

Sait-on comment ont intitulé leurs ouvrages les Lavoisier, les Chaptal, les Ténard, les Gay-Lussac, les Maumené, etc.?

Ce titre qu’on ne peut changer par aucun autre est celui-ci:

L’ART DE FABRIQUER LE VIN

Résumons, maintenant, l’opinion de tous ces auteurs.

Le vin, disent-ils, ainsi que presque toutes les boissons, n’étant point l’ouvrage pur et simple de la Nature, les mêmes raisins dans de bonnes ou de mauvaises mains feront, soit une boisson délicieuse, soit un liquide exécrable.

C’est donc un art que la fabrication du vin, et défense est faite, au ministre lui-même, de franchir les portes du laboratoire du fabricant, quand la chimie n’emploie pour les boissons, qui servent à l’alimentation, que des ingrédients (et ils sont nombreux) que la Science et le Gouvernement ont approuvés.

Nos vins de France ne doivent leur éclatante et impérissable réputation qu’à leur heureuse et savante fabrication.

Voyons maintenant ce que sont ces raisins secs qu’on traite si dédaigneusement.

Originaires, pour la plupart, du Midi de l’Europe et principalement de la Grèce et de l’Asie-Mineure, c’est eux qui produisent ces fameux vins de Chypre, de Samos, etc., dont M. le Ministre a dû plus d’une fois savourer le bouquet et le goût exquis, bien qu’ils n’eussent été fabriqués qu’avec des raisins secs.

La conclusion, à tirer de ceci, serait donc que les vins fabriqués en Asie-Mineure, en Grèce, etc., seront reconnus naturels et vrais, alors que les mêmes vins, obtenus de la même façon en France, ne seront considérés que comme de viles falsifications, passibles des tribunaux, et punissables de la prison.

Pourquoi, pourra-t-on alors m’objecter, ces innombrables quantités de raisins nous arrivent-elles séchées et non changées en vins? Je réponds: Parce que le manque de bras et le défaut de savoir empêchent les populations du Levant de produire même des vins ordinaires.

Entrant dans le cœur de la question qui fait l’objet de sa circulaire à MM. les directeurs des contributions indirectes, je défie qu’on puisse citer le principe au nom duquel on stigmatise de l’épithète de «falsifié» le vin de raisins secs.

Voici, d’une manière générale, comment ce vin s’obtient:

Comme pour les vins de vendanges, on met dans la cuve d’un cellier, à la température de 15 ou 20 degrés, les raisins secs, qui sont le produit de la vigne, et auxquels la partie aqueuse qu’on a extraite, par l’évaporation, fait seule défaut. Je dis la partie aqueuse seule car le raisin sec, dont la pulpe durcie forme un préservatif, contient en entier tous les principes: le sucre, le tannin, les acides, les sels, etc., qui constituent les qualités du raisin frais.

Le fabricant n’a donc à rendre à ces fruits que la partie aqueuse qui leur manque. C’est à ses risques personnels qu’il fait des vins plus ou moins bons et alcoolisés, suivant qu’il augmente ou diminue la proportion naturelle de l’eau que possédait le raisin à l’état frais. On foule ensuite et on mène la fermentation comme pour les vins de vendanges.

Où est donc, je le demande, la différence entre cette vendange de toute l’année et celle de septembre? Est-ce dans la mise de l’eau sur les raisins?

Qu’on ouvre les auteurs fameux que j’ai cités plus haut: tous reconnaissent d’un commun accord que la cuve, avant la fermentation vineuse, peut recevoir tous les ingrédients, et ils sont nombreux, reconnus hygiéniques, inoffensifs et susceptibles de rendre la liqueur vineuse meilleure.

Maintenant, peut-on établir un rapprochement entre le vin de raisins secs et la piquette?

 

Evidemment non. La piquette vendue comme vin constitue une fraude, un vol manifeste. Pour faire du vin qu’on puisse vendre comme tel, il faut non-seulement employer la pulpe du raisin, mais encore les innombrables matières qu’il contient.

Peut-on dire que l’eau ayant passé sur du marc de raisin d’où la fermentation vineuse a extrait tous les principes constituants est du vin? non!

La loi, que M. le garde des sceaux vise, est pourtant explicite: «Ne sont considérés comme boissons que: le vin, produit du raisin, le cidre, le poiret, l’hydromel.»

Un mélange d’eau et d’alcool ne peut donc en rien prétendre au titre de vin. Est-ce le cas des vins de raisins secs? Evidemment non.

Qu’on poursuive donc les fraudeurs qui sous le nom de vin livrent des piquettes au commerce; qu’on punisse sévèrement toutes les fraudes qui ruinent les bourses et les santés; mais que M. le Ministre revienne sur sa décision qui tue dans son berceau une industrie précieuse, fournissant aux classes populaires une boisson hygiénique et à bon marché, et assurant au Trésor une source considérable de revenus.

Si vous le permettez, Monsieur le rédacteur en chef, je démontrerai dans une seconde lettre l’impossibilité matérielle qu’il y a pour les employés du fisc de contrôler la véritable fraude que la circulaire a voulu réprimer; je prouverai en outre, qu’elle couvre et encourage cette fraude par l’impunité, et que le commerce et l’industrie des vins et spiritueux provenant des raisins secs sont frappés de mort par ladite circulaire de M. le Ministre de la justice.

Agréez, etc.

J. – F. AUDIBERT,
Créateur en France de l’Industrie des
vins de raisins secs, Chevalier de
l’ordre du Sauveur (Grèce), médaillé
par M. le Ministre de l’Agriculture
et du Commerce, Marseille.

2e LETTRE

2me lettre à M. le Ministre
Marseille, le 1er Janvier 1880.
La question des vins de raisins secs

Monsieur le Ministre de la Justice,

C’est à vous que j’adresse ma seconde lettre, sachant que vous n’avez en vue que la prospérité commerciale et le bonheur de la France.

Au nom de la navigation, du commerce et des classes populaires, je viens vous demander, Monsieur le Ministre, de rendre à la fabrication des vins de raisins secs, la liberté dont l’a privée M. le Royer, votre honorable prédécesseur. Je suis le premier à rendre justice à l’intention qui la lui avait dictée; mais, ainsi que j’en ai apporté la preuve dans ma 1re lettre, en date du 7 octobre, et que je me propose de compléter, le remède était pire que le mal.

J’ai dit précédemment, Monsieur le Ministre, ce qu’étaient les vins de raisins secs, et combien ils justifient peu les mesures prises à leur égard. Je vais démontrer l’impossibilité matérielle de contrôle par les employés du fisc, la véritable fraude à laquelle elle donne naissance et qu’elle encourage indirectement, et les pertes que le Trésor subit, la fabrication se trouvant paralysée par ladite circulaire.

1º Les employés du fisc peuvent-ils reconnaître le vin de raisins secs et en déférer aux procureurs généraux, ainsi que leur a ordonné M. Audibert, directeur général des contributions indirectes, sur l’instigation de M. le Ministre de la justice? Je réponds: C’est matériellement impossible.

Ma réponse, Monsieur le Ministre, n’est aussi formelle que parce qu’elle s’appuie sur des faits irréfutables.

Voici le premier. «La Chambre de commerce de Marseille a fait faire l’analyse de ces vins sans aucun coupage, et le rapport fait par M. de la Souchère, chimiste expert auprès du tribunal de Marseille, et adressé à la Chambre des députés, conclut à l’identité du vin de raisins secs avec le vin de raisins frais. Bien plus, quelques parties (les plus importantes), telles que la crême de tartre, se trouvent dans des proportions supérieures dans les vins de raisins secs.»

Voici le second fait: «M. Reboul, l’éminent doyen de la Faculté des sciences à Marseille, chargé d’un travail semblable par l’administration, a pris les mêmes conclusions et a fait un rapport très important, dans ce sens, à l’Académie des sciences.»

Peut-on exiger que nos modestes et dévoués employés des contributions indirectes découvrent ce que les personnes les plus compétentes dans la science déclarent impossible à reconnaître?

Je parle ici des vins blancs de raisins secs, sans aucun coupage avec du vin de raisins frais.

Dans le cas de coupage, on comprend aisément, M. le Ministre, que leur recherche devient une chimère, et qu’il serait plus facile de reconnaître deux eaux de même source, mélangées dans le même vase, que les deux vins.

2º La fabrication des vins de raisins secs étant paralysée, la fraude est-elle arrêtée?

Ici je cherche celle qu’a voulu réprimer l’honorable M. Le Royer, dans sa circulaire à MM. les procureurs généraux. Voici, je crois, quel a été son but: Empêcher, sur le couvert du coupage, la consommation d’une boisson qu’il a cru malfaisante et la tromperie sur la marchandise vendue.

Je pense, Monsieur le Ministre, qu’après avoir lu ce qui précède, vous avez dû faire justice de la première supposition. Reste à combattre la seconde et prouver son évidente erreur.

Croyez-vous qu’en vendant au consommateur, sur son choix, un vin coupé franc de goût, aussi hygiénique que le vin de raisins frais, il y ait tromperie sur la marchandise vendue? Non, car ce n’est qu’après qu’il a dégusté et choisi lui-même le vin qu’on le lui vend. Que demande le consommateur? Du véritable vin. Quelqu’un peut-il soutenir que ceci n’en soit pas? le trompe-t-on?

Et pourtant, que d’autres produits alimentaires, aussi importants, la circulaire eût pu viser, et cela justement. Que sont ces huiles, soi-disant d’olives que la France en entier, et surtout le Nord, consomment? Des huiles purifiées de coton!

Combien d’autres exemples ne pourrais-je pas citer. Je comprends, dans cette occasion, le mot falsification et l’application de ladite circulaire; car, en somme, les produits faux peuvent ressembler aux vrais, mais n’ont point la même source et justifieraient presque l’épithète de tromperie. Est-ce le cas des vins de raisins secs?

Mais maintenant, Monsieur le Ministre, que j’ai exposé le plus clairement que je l’ai pu combien la circulaire de votre honorable prédécesseur était funeste à cette industrie naissante, appelée cependant à rendre de si grands services en présence des ravages croissants du Phylloxéra, permettez-moi de vous signaler les conséquences désastreuses qu’elle peut avoir pour le Trésor et la véritable fraude qu’elle fait naître.

Vous n’ignorez pas, Monsieur le Ministre, les prix exorbitants que nos vins ont atteints, à la propriété, dans le Midi, à la suite du Phylloxéra; 45 fr. l’hect. est le prix moyen auquel on peut acheter du bon vin rouge. Or, voici celui auquel revient le vin, rendu chez le débitant, à Marseille.

Ce tableau sera le plus saisissant exemple que je puisse faire passer sous vos yeux:


Soit, onze sous 1/2. Et cependant le vin se vend en général, à Marseille, 0 fr. 50 cent, le litre au maximum!

Je m’arrête, Monsieur le Ministre, vous devinez la fraude, la véritable fraude: l’eau. Le marchand de vin honnête ne sera plus forcé de mettre cette eau, le jour où il pourra couper, impunément et sans crainte de la prison, son vin avec ceux de raisins secs. J’ai cité Marseille; que serait-ce si je citais Paris, où l’eau ne remplit même déjà plus les fonctions économiques qu’on lui demande et où on la remplace par de véritables poisons.

J’ai promis de démontrer les pertes que la circulaire fait éprouver au Trésor. Il est facile, après ce que je viens de rapporter ci-dessus, de voir le déficit immense que cet état de choses occasionne à la caisse publique; car toute cette quantité d’eau, que même les plus honnêtes marchands emploient, ne paie pas de droits. Comme l’a dit si judicieusement un de nos plus vaillants députés: l’ouvrier par ce rigoureux hiver, et le pauvre, dont le cœur se resserre aux dures caresses de la neige, veulent et ont besoin de boire du vin, Monsieur le Ministre, ce principal agent de force et de vie de l’homme.

Convient-il de sévir contre ce débitant dont le passé irréprochable plaide pour lui, si, amené à votre barre, il vous répond: qu’il a coupé son vin avec de l’eau, parce que vous punissez aussi sévèrement, sinon plus, les coupages avec du vin de raisins secs regardés comme une véritable falsification.

C’est donc une perte immense et irréparable que le Trésor subit et qui se chiffrera cette année, pour la France, au moins par 40 ou 50 millions, si votre intelligente initiative n’apporte un prompt remède à cet état de choses aussi funeste aux populations ouvrières qu’au commerce vinicole.

Je m’arrête, plein de confiance dans votre justice, Monsieur le Ministre, etc.

Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, etc.

Joseph AUDIBERT,

C’est aux démarches qui accompagnèrent cette lettre, que l’on doit la circulaire n.º 298 du 26 août 1880, qui répara, en partie, le mal qu’avait fait celle du 4 septembre 1879.

EXPÉRIENCE

D’une fabrication de vin avec des raisins, de l’eau et du sucre, d’après M. Petiot lui-même.

Cette expérience, devenue populaire, était à base de sucre de canne parce que M. Petiot ne connaissait pas alors les raisins secs du Levant. Aujourd’hui, le propriétaire remplace le sucre par les raisins secs, ce qui est non seulement économique mais encore bien plus productif.

«Convaincu que le raisin seul pouvait fournir les éléments d’un liquide qui méritât le nom de vin, c’est sur le fruit de la vigne, que j’ai concentré mes expériences, en me proposant pour problème, d’obtenir un liquide en tout semblable au vin extrait par les procédés ordinaires, et ne considérant mon but comme atteint, qu’autant que ce liquide aurait identiquement les mêmes qualités, le même bouquet, la même faculté de s’améliorer en vieillissant.

«La première chose à faire était d’analyser le jus de raisin; il contient ordinairement sur 100 parties du poids 88 à 98 parties d’eau, 9 à 11 parties de sucre60, une seule partie de tartre, du tannin, de matière colorante, de résine ou d’huile essentielle, et d’autres substances dans des proportions si minimes que toutes ensemble, elles ne forment, comme je viens de le dire, qu’environ 1 p. 0/0 du poids.

«Ainsi, l’eau et le sucre forment les 99 centièmes du jus de raisin; les matières donnant la couleur, le goût spécial, le bouquet ou arôme, particulier de chaque cru, n’entrent dans le vin que pour un centième.

«C’est cependant cette centième partie qui, à vrai dire, constitue le vin, qui les distingue des autres liquides, et qui lui donne, principalement, les qualités diverses qui en font le prix.

«Ce constaté, j’en ai conclu que pour faire le vin, il serait facile de reproduire les 99 centièmes des éléments qui le composent, l’eau distillée étant partout la même, et le sucre de betterave ou de canne, se transformant par la fermentation ou le contact des acides, en sucre identique à celui qui se trouve dans le raisin; mes expériences sur le sucrage et la fermentation des vins nouveaux ne m’avaient laissé aucun doute sur ce point.

«Il ne fallait donc plus ajouter au vin et au sucre que les substances diverses contenues dans cette centième partie qui fournit la couleur, le goût, le bouquet. Mais ces substances précieuses, caractéristiques, il ne me paraissait pas possible de les chercher ailleurs que dans le raisin, où la nature les a réunies et amalgamées dans des proportions et des conditions que l’art serait impuissant à imiter.

«Je me suis alors demandé si le jus de raisin, exprimé par les procédés ordinaires, avait entraîné, absorbé tout ce que contenait le raisin de ces matières colorantes et aromatiques, s’il n’en restait pas encore dans le résidu solide, la pulpe, la graine, la grappe, dans ce qu’on appelle le marc enfin, si ce qui restait ne pouvait pas encore s’en extraire et être utilisé pour donner de nouveau à de l’eau et à du sucre, parties intégrantes du vin pour 99 centièmes, le goût, l’arôme et les autres qualités du jus de raisin.

 

«La question ainsi posée, je me mis à la recherche des faits; je reconnus que ces matières, et surtout la plus précieuse, la résine, n’étaient dissoutes et utilisées, par les procédés ordinaires, qu’en très minime partie; la matière colorante, dans les années où le raisin a mûri pendant la sécheresse, et sous les rayons brûlants du soleil (comme pendant septembre 1855), est en très petite quantité, et forme contre la pellicule des grains de raisin une couche très épaisse, qui ne se dissout qu’en partie par une seule fermentation. Le tartre est la matière qui s’échappe le plus facilement; le tannin est en proportion considérable dans la peau, les pépins et la grappe. Le plus souvent ces deux dernières matières sont en excès dans le vin, et nuisent beaucoup à son agrément; la proportion du tartre qui est la plus convenable est de 3 ou 4 millièmes.

«Convaincu qu’une partie considérable de ces matières resterait dans le marc, je ne doutais pas qu’il ne fût possible de les utiliser de nouveau, en remplaçant l’eau et le sucre extraits du raisin, forme de jus, par une quantité semblable de ces substances et en provoquant une nouvelle fermentation. La décomposition du sucre et sa transformation en alcool, par la fermentation avec le marc, était pour moi, comme je l’ai déjà dit, un fait acquis d’après mes expériences précédentes.

«Au moment des vendanges de 1854, j’avais l’entière conviction que je pourrais doubler, au moins, la quantité de vin, en ajoutant, soit au moût, soit au marc, une quantité d’eau sucrée égale à celle du jus de raisin.

«Le raisonnement m’avait conduit également à la conviction que ce produit doublé devait se bien conserver, parce qu’il contiendrait en suffisante quantité toutes les substances utiles à la conservation du vin ordinaire, et en moins grande portion celles qui sont la cause de l’altération et de la maladie des vins. Je m’explique:

«Le vin ordinaire contient des ferments en grand excès, et un ferment glaireux qui se trouve près des pépins; les maladies des vins proviennent généralement de cet excès de ferment, qui (surtout dans les mauvaises années) contient beaucoup d’acide malique, d’une nature albumineuse, qui reste en suspension dans le liquide et qui ne s’enlève qu’imparfaitement par les collages et soutirages. Le vin contenant toujours un peu de sucre, lorsqu’il est exposé à la chaleur, le ferment le fait travailler de nouveau, et amène une fermentation intempestive, très difficile à maîtriser, parce que, dans cet état la colle n’agit plus. Aussi le vin, dans ces conditions, s’altère rapidement et finit par tomber en décomposition, produite par une faible fermentation acétique ou lactique.

«Le vin fait, sur le marc, avec de l’eau sucrée, ne devrait contenir au contraire que peu de ferment et surtout un ferment sec provenant en grande partie de la peau du raisin, ferment qui s’élèverait encore par les collages, et qui, dans tous les cas, demeurerait en quantité insuffisante pour produire une fermentation nouvelle.

«Passant du raisonnement à l’expérience matérielle, je me mis à l’œuvre en 1854, et le résultat dépassa toutes mes espérances.

«Avec une quantité de raisins de pineaux noirs, qui, par les procédés ordinaires, aurait produit 60 hectolitres de vin, j’en ai fait 285, près de cinq fois plus.

«Voici comment j’ai procédé:

«J’ai extrait de la cuve aussitôt après que les raisins furent écrasés, et avant la fermentation, tout le liquide qui a pu sortir: cela m’a fait un vin blanc légèrement teinté, très fin et très bon. J’en ai extrait de la sorte 45 hectolitres (les trois quarts de ce que j’aurais obtenu si j’avais pressé le marc).

«J’ai pesé ce jus de raisin au gleuco-œnomètre: il pesait 13 degrés. Pour amener de l’eau sucrée à la même densité, il fallait 19 kilogrammes de sucre par hectolitre d’eau.

«J’ai remplacé alors, dans la cuve, les 45 hectolitres de jus de raisin pur, par 50 hectolitres d’eau sucrée, à raison de 18 kilogrammes de sucre raffiné par hectolitre. J’ai laissé fermenter, et trois jours après, lorsque la fermentation a été terminée, j’ai tiré de cette même cuve 50 hectolitres de vin rouge ayant une belle couleur.

«Voulant pousser l’expérience jusqu’au bout j’ai renouvelé plusieurs fois l’opération.

A la seconde, j’ai remplacé les 50 hectolitres par 55 hectolitres d’eau sucrée à 22 kilogrammes, et après fermentation j’ai tiré, au bout de deux jours, la même quantité de vin.

«A la troisième, j’ai mis 65 hectolitres d’eau sucrée à 25 kilogrammes, la fermentation a encore duré un peu moins de deux jours, alors j’ai pressé le marc et j’ai obtenu 60 hectolitres de liquide.

«Au lieu de jeter le marc pressé, je l’ai remis dans la cuve avec 35 hectolitres d’eau sucrée, j’ai laissé fermenter et j’ai retiré 30 hectolitres de liquide.

«Enfin le vin blanc, non cuvé, naturel a été placé dans des futailles remplies, seulement à moitié, et que l’on a achevé de remplir, douze heures après, avec de l’eau sucrée à 18 kilogrammes.

«Sur ces divers liquides, voici les résultats constatés:

«Fermentation.– La fermentation a été très forte dans les quatre opérations d’eau sucrée, la première a été la plus longue à s’achever, et la troisième la plus courte.

«Couleur.– Des quatre cuvées de vin d’eau sucrée, c’est la troisième qui a le plus de couleur, et la quatrième, celle de marc pressé, qui en a le moins: la troisième cuve étant plus colorée que le vin par les procédés ordinaires.

«Alcool.– J’ai dit que le jus de raisin pesait 13 degrés au gleuco-œnomètre, et que, pour amener un hectolitre d’eau à la même densité, il fallait y dissoudre 19 kilog. de sucre. J’ai vérifié que cette eau sucrée au même degré donnait un vin plus alcoolique que le moût, ce que j’attribue à ce que celui-ci contenait des sels. En effet, le vin naturel donnait 12 pour 0/0 d’alcool, celui d’eau sucrée à 18 kilog. en contenait 13 pour 0/0, celui à 22 kilog. 15 pour 0/0 et celui à 25 kil. de sucre 17 pour 0/0.

«Goût, bouquet.– Le vin d’eau sucrée est moins acide, plus vineux, plus moelleux, plus présent à boire (comme disent les marchands), et a plus de bouquet que le vin naturel; en un mot, il est positivement meilleur.

«Conservation.– J’ai dit des raisons qui m’ont convaincu, d’avance, que le vin d’eau sucrée se conserverait non seulement aussi bien, mais mieux que le vin naturel. L’expérience a pleinement confirmé mes prévisions. Ce vin, est en effet d’une solidité extraordinaire. J’en ai envoyé à la Nouvelle-Orléans, il y est arrivé en parfait état et a été trouvé bon.

«Aux vendanges de 1855, j’ai renouvelé mes expériences de 1854, mais cette fois sur une beaucoup plus grande échelle; au lieu de 285 hectolitres, j’en ai fait 3,000. J’ai varié mes opérations, et, sur certaine cuvée, j’ai renouvelé l’addition d’eau sucrée jusqu’à 8 et 9 fois, savoir: deux opérations en vin blanc, avant fermentations; deux en vin rouge fermenté, et quatre ou cinq en vins blancs, plus ou moins colorés. Le ferment a toujours été suffisant pour faire tomber promptement l’eau sucrée, qui marquait 10° à 0°.

«Les personnes qui m’ont demandé et auxquelles j’ai fait connaître, avec empressement, ma manière d’opérer, parmi lesquelles je dois citer mes voisins, MM. Thénard père et fils, célèbres chimistes, ont fait cette année, dans la Saône-et-Loire et dans la Côte-d’Or, environ 2,000 hectolitres de vin d’eau sucrée. M. Thénard père m’a assuré que le vin, produit par mon procédé dans l’Auxerrois, était supérieur à celui fait avec des raisins seuls.

«J’ai fait goûter, à beaucoup de personnes, mes vins de 1851, faits avec des raisins de ma propriété de Chamirey, crû de second ordre: toutes les ont trouvés très bons, et elles n’ont pu distinguer le vin naturel, fait avec les mêmes raisins, de celui fait avec de l’eau sucrée.

«Les résultats obtenus pour les vins rouges sont superbes, puisqu’on pourrait tripler la quantité; mais ceux sur les vins blancs, et surtout sur les marcs de blancs, sont encore bien plus merveilleux et amèneront certainement une révolution dans le commerce.»

PETIOT.
60Il y a là une erreur ou plutôt un lapsus grave, le jus de raisin contient le double de sucre au moins.